L'Histoire (la grande !)

Des Vikings aux Normands : la naissance du duché de Normandie

Préambule

Comme pour chacun de mes romans, l’écriture de La Demoiselle d’Arundel (parution : mai 2023) m’a conduite à d’abondantes recherches et à la rédaction de nombreux d’articles historiques publiés sur ce blog. N’hésitez pas ainsi à découvrir peu à peu les synthèses suivantes :

Introduction

Avec l’ouverture des voies maritimes aux VIIIe et IXe s, les Vikings découvrent les richesses des royaumes carolingiens. L’Empire de Charlemagne, bientôt partagé par ses trois petits-fils lors du traité de Verdun, est en effet un royaume riche, fascinant, densément peuplé, à l’agriculture intense, aux ports prospères et à l’économie florissante. Les évêques y assurent l’encadrement religieux et les comtes, l’administration civile des régions pour le compte du roi.

S’ils commercent depuis longtemps avec l’est, le sud et l’ouest de l’Europe, la découverte de la faiblesse des systèmes défensifs côtiers, couplée à bien d’autres facteurs supposés (surpopulation en Scandinavie, culte de la richesse et du pouvoir etc.) incite bientôt les Scandinaves à passer à la vitesse supérieure : à la toute fin du VIIIe siècle, le commerce cède la place aux raids et aux pillages, partout en Europe.

Les Vikings qui opèrent sur les côtes franques viennent de Norvège, du Danemark, mais aussi des colonies implantées dans les îles anglo-saxonnes : du royaume d’York, de Dublin…

Ils s’en prennent tout d’abord aux villes, villages et abbayes les moins défendus de la côte, puis se mettent à remonter les fleuves, à constituer des flottes plus nombreuses, à mener des expéditions plus longues, à hiverner, même, parfois, notamment dans l’estuaire de la Seine, à l’embouchure de la Loire et dans le Cotentin… A partir de leurs nouveaux camps hivernaux fortifiés, ils lancent leurs raids plus en profondeur des terres et remontent tous les grands fleuves francs à intervalles réguliers à partir des années 840. Ils rançonnent, ravagent, exigent des danegelds (tributs), s’en vont, reviennent, s’installent de plus en plus durablement en quelques estuaires…

Mais de leurs diverses implantations, seule perdurera celle des « Nortmanni » (ou « Northmen », ou encore « Normanni » : les Hommes du Nord) d’un chef norvégien qui laissera son nom à l’Histoire : Rollon.

Les raids vikings sur la Normandie (source ici)

Rollon le Viking, premier « duc » de Normandie

A la fin du IXe siècle, un Norvégien parmi tant d’autres se retrouve banni de Norvège par le roi Harald à la Belle Chevelure et le Thing. A l’instar de nombre d’exilés de l’époque (le bannissement chez les Scandinaves étant le châtiment suprême, et l’un des facteurs supposés des raids vikings), il quitte le pays et gagne « les îles », c’est-à-dire les Orcades, puis les Hébrides, déjà largement colonisées par les Vikings norvégiens depuis des décennies (voir mon article sur l’histoire des Orcades).

Il s’appelle Rollon ou, en version scandinave, « Ganger Hrôlf », « Rolf le Marcheur ». On trouve aussi dans les textes les versions Hrólfr, Rolf, Rouf, Rhou et Rou (et bien d’autres…), et pour son surnom Göngu-Hrólfr et Gongurolfr… Selon certains auteurs (des sagas islandaises, par exemple…), il aurait dû son surnom au fait qu’il était si grand, avec des jambes si longues qu’elles traînaient par terre quand il montait à cheval… (deux mètres de haut pour 140kg selon la tradition, tout de même !!) Mais, selon certains historiens, ce surnom lui aurait plutôt échu du fait de ses nombreuses années de voyages et de vagabondage…

En tout état de cause, Rollon rejoint les îles écossaises semées de Vikings (Shetland, Orcades, Hébrides – voir mon roman Shaena pour plus de détails sur ces Vikings), gonfle les effectifs de sa flotte et poursuit sa route, passe par l’île de Man et la mer d’Irlande, ravage quelque temps les côtes de la Manche et de la mer du Nord (Frise, rivages anglo-saxons, écossais, Rhin…)… fréquente l’estuaire de la Seine… et met finalement le cap sur le Cotentin…

Comme bien d’autres avant lui, il sillonne la région, prend des villes (Saint-Lô, Bayeux…), entreprend de remonter la Seine… A Rouen cependant, peut-être influencé par sa nouvelle épouse chrétienne, Poppa, la fille du comte Béranger (qui a perdu Bayeux), point de pillages ni de ravages : la ville se place directement sous son autorité à condition qu’il l’épargne.

A l’inverse de nombre de ses compatriotes avant lui, Rollon cherche à se tailler un royaume quelque part, à s’installer et à se venger de son bannissement ; en outre, il ne peut rentrer chez lui, en Norvège, et force est de constater que la ville de Rouen, au tournant du Xe siècle, est bien différente de celle des années 840 à 890 : à force de pillages et de raids, il n’y a plus grand-chose à piller ! En outre, de vastes espaces ont été désertés par la population locale et sont occupés par des troupes vikings. Rollon accepte donc le marché et fera de Rouen le centre de son pouvoir. De pirates, ses hommes et lui peu à peu se font colons… Ils prennent encore Meulan, convoitent Paris… Rollon aurait passé plusieurs décennies autour de la Seine, de sorte qu’au début des années 910, il n’est plus un obscur chef de bande viking ! Il aurait même, selon certaines sources, participé au célèbre siège de Paris en 885… Et, au fil des ans, il n’aurait pas manqué de nouer des contacts avec l’aristocratie et l’Eglise locales…

Finalement, après que Rollon a tenté d’attaquer Paris puis Chartres (en vain), on en vient tant du côté de Rollon que du côté du roi de France à vouloir composer. Rollon veut asseoir sa domination sur ce qu’il a pris en Neustrie ; Charles III le Simple, lassé par des décennies de pillages, de raids, de massacres et de rançonnements, veut pouvoir étendre ses prétentions vers la Lotharingie, à l’est, sans être gêné par les raids vikings à l’ouest (et surtout sans voir Paris menacé tous les quatre matins).

En 911, les deux hommes négocient donc. Charles fait de Rollon le comte de Rouen, d’Evreux et de Lisieux (=plus ou moins la haute Normandie actuelle) et, selon la légende, lui offre sa fille Gisèle (en réalité, plutôt sa nièce) en mariage. Rollon ayant épousé Poppa « more danico », à la mode danoise, sans cérémonie religieuse, et en vue d’une polygamie, cela ne pose pas de problème… (les Scandinaves pratiquaient couramment le concubinage). Charles lui remet le pouvoir comtal et lui cède les revenus du fisc, les domaines royaux, les domaines des abbayes et les évêchés. Rollon devient ainsi le seul chef normand reconnu par le roi. Il obtient aussi des droits sur les régions de l’ouest, de Coutances et d’Avranches, en somme le Cotentin et le Bessin, terres sur lesquelles Charles n’avait en réalité jamais vraiment eu de contrôle, et que Rollon demeure libre de piller à sa guise, pour assurer sa « subsistance ». Ce sera le point de départ d’une future (et rapide) expansion.

En échange de quoi le nouveau jarl/comte de Normandie, en tant que vassal, doit défendre son tout nouveau fief (donc la vallée de la Seine…) d’autres éventuelles attaques vikings. Il doit en outre se faire baptiser (ce qu’il fera en la cathédrale de Rouen) ainsi que ses hommes et adopter un prénom francisé (Robert). Il n’est pas officiellement duc mais, selon la tradition, il est considéré comme le premier « duc de Normandie », même si sa province n’accèdera au statut de duché que bien plus tard.

Tout le monde est content : Charles se décharge à peu de frais de la défense de l’estuaire de la Seine (en donnant un territoire sur lequel, de toute façon, il a perdu tout contrôle depuis longtemps, si tant est qu’il l’ait jamais contrôlé – pour ce qui est de l’Avranchin et du Cotentin, par exemple) ; et Rollon a trouvé là une occasion unique d’acquérir une forme certaine de légitimité, sans plus avoir à passer par la voie des armes. Des terres grasses, des rivières, des fermes, des gens, des villes, des richesses, des terres en friches où s’implanter, il a tout.

La légende veut que, pendant la cérémonie d’allégeance, à Saint-Clair-sur-Epte (où est signé ce traité), un petit village du Vexin à mi-chemin entre Rouen et Paris, Charles ne soit pas parvenu à couvrir de ses mains les battoirs du Viking, qu’il devait pourtant recueillir dans les siennes pour recevoir son hommage. On racontera aussi que Rollon aurait refusé de baiser le pied du roi, jugeant ce geste indigne de lui, et qu’il aurait désigné l’un de ces hommes pour s’exécuter à sa place. L’orgueil étant décidément un péché commun parmi les païens du Nord, ce dernier aurait lui-même levé le pied de Charles III vers ses lèvres tout en restant debout, au lieu de se s’agenouiller et de se pencher vers son pied… Résultat des courses, Charles III aurait manqué de peu chuter en arrière !

Il est à souligner ici que l’histoire de Rollon (comme de tant d’autres grands chefs vikings) a donné lieu à d’innombrables légendes… et que nombre de sources le mentionnant datent du milieu du Moyen Âge (ouvrages scandinaves des XIIe et XIIIe siècles). Ainsi, les sources qui évoquent ce personnage sont presque toutes tardives. En conséquence, de nombreuses versions de ses origines, de sa vie et de ses hauts faits existent, et tout n’est, en réalité, que pure théorie ! Pour tout vous dire, certains le pensent même danois (et non norvégien), fils d’un dénommé Ketil (et non du jarl Rognevald) ; pensent que sa concubine Poppa aurait été irlandaise et non normanno-bretonne… etc… etc… En bref : ne prenez pas tout ce qu’on raconte sur Rollon au pied de la lettre : les sources se contredisent… et les interprétations aussi !

Statue de Rollon dans le jardin de l’hôtel de ville de Rouen, devant le chevet de Saint-Ouen, réalisée en 1863 par Arsène Letellier. Il désigne de l’index la terre qu’il a conquise. Restaurée en 2011 pour le onzième centenaire normand, la sculpture a été vandalisée un an plus tard. Une réplique par Alphonse Guilloux en a été offerte à la ville d’Aalesund (Norvège) en 1911, année du millénaire. (© Serge Van Den Broucke) (source)

Le comté-duché de Normandie

Tandis que les limites du tout nouveau fief de Normandie son clairement établies avec les Flandres et les terres royales à proprement parler, à l’ouest elles restent plus floues avec le reste de la Neustrie, laissant presque à Rollon le loisir d’étendre ses territoires à sa guise.

Evidemment, Rollon ne manquera pas de profiter d’une telle occasion, et ses successeurs non plus… : il défend fidèlement la Neustrie contre les attaques extérieures et, en remerciement, obtient de nouvelles concessions royales, le Bessin et le « Maine » (Hiémois) en 924 (diocèses de Bayeux et de Sées), tandis que son successeur, Guillaume Longue-Epée, obtiendra le Cotentin (capitale Coutances) et l’Avranchin en 933, ainsi que les îles anglo-normandes, étendant ainsi le comté de Normannia vers l’ouest. La Normandie a alors à peu près les frontières de l’archidiocèse de Rouen, héritier de la vieille province romaine de Lyonnaise Seconde.

Rollon tente en outre dès 913 de s’emparer de la Bretagne pour y fonder une deuxième colonie scandinave en Europe continentale, et les combats feront rage pendant deux décennies, mais les Vikings seront finalement refoulés par les Bretons en 936.

Dans un premier temps cependant, Rollon fait de Rouen la capitale de son duché. Organisateur habile (comme tous ses semblables, les Scandinaves ayant alors la réputation d’être non seulement des guerriers sans pitié, mais encore des gouverneurs de talent), il comprend la vocation maritime de Rouen et en établit les premiers quais. Il fait en outre restaurer les églises et monastères ravagés autrefois par ses compatriotes ou ses propres troupes et défend désormais les symboles de la chrétienté, comme il s’y est engagé. Intelligents, les Scandinaves savent parfaitement qu’ils sont minoritaires et qu’ils doivent s’appuyer sur l’élite locale, se rallier l’aristocratie franque et obtenir le soutien de l’Eglise… A certains égards, Rollon se comporte bientôt en prince territorial carolingien, qui lutte contre ses puissants rivaux et cherche à renforcer son pouvoir.

Cela ne l’empêche nullement de continuer à mener des raids et expéditions version viking, de commercialiser des esclaves à l’occasion, de sacrifier des prisonniers en l’honneur de dieux païens et de se comporter parfois en très, très mauvais chrétien… et de soutenir, en leur offrant une base arrière et en leur permettant d’écouler leur butin le cas échéant, les Scandinaves continuant de lancer des raids sur l’Angleterre.

De fait, si les Normands défendent les symboles de la chrétienté et le royaume de France, c’est par pure stratégie politique, et non pas en vertu d’une quelconque parole donnée : ils se dotent ainsi du soutien de la très puissante Eglise… Tout au long du Xe siècle, ils restituent donc leurs domaines aux abbayes et aux églises, territoires confisqués jusque-là par leurs soins, pour se faire des abbés (issus de l’aristocratie locale) des alliés, et ne manquent ni de corrompre les moines, ni de se mettre les évêques dans la poche. Ils rétablissent la vie religieuse séculaire et monastique, font des dons aux abbayes autrefois pillées sans vergogne, en restaurent d’autres, reconstruisent les églises et abbayes détruites, qui refleurissent bientôt dans toute la Normandie. Leur style architectural est inspiré des châteaux qu’ils se font en outre édifier, le style « normand », qu’on appellera plus tard « roman » (grands principes de cette architecture : rigueur, sobriété, symétrie, netteté des lignes, grandeur des volumes, lumière, clarté). (Re)naissent ainsi les abbayes et monastères de Fécamp, Saint-Sauveur-le-Vicomte, Bernay, Cerisy-la-Forêt, Jumièges, Lessay, le Bec-Hellouin…

Les Normands investissent par ailleurs beaucoup dans l’armement et l’équipement, et dépensent une fortune pour disposer des meilleurs chevaux ; ils savent qu’une force militaire solide leur est nécessaire pour régner sur cette terre fraîchement conquise. Ils construisent forteresses et châteaux, en bois puis pierre : ce sont à la fois leurs nouveaux points de défense, leurs points d’attaque et leurs centres administratifs. Ils conjuguent donc habilement force militaire et alliance stratégique avec l’élite locale et l’Eglise.

Rollon assure rapidement sa mainmise sur ce territoire, quitte à parfois s’emparer de droits par la force. Il s’entoure d’hommes neufs venus de divers horizons, récompense ses fidèles serviteurs en leur octroyant des terres tout en veillant à ne pas créer de seigneuries trop puissantes ni à morceler le duché, confisque les biens et terres de ceux qui se montrent infidèles et choisit des comtes et barons de préférence parmi sa parentèle… En 918, il convoque officiellement (probablement pour la première fois) les Etats de Normandie : la Normandie est née…

Aux premières vagues de migration (celles du IXe siècle, avec les groupes dano-norvégiens précocement établis en Cotentin et dans la vallée de la Seine ; puis celle des compagnons de Rollon, au tout début du Xe siècle) s’ajoutent bientôt de nouveaux colons : des Scandinaves arrivent d’Angleterre (où il ne fait plus vraiment bon piller et razzier depuis que le roi Alfred le Grand de Wessex a rallié presque tous les Anglo-Saxons à sa cause et s’emploie férocement à bouter les Scandinaves hors de ce qui deviendra bientôt l’Angleterre), d’Ecosse (idem : construction du royaume d’Ecosse en cours) et d’Irlande (où les Gaëls leur mènent la vie dure). Toujours très doués pour s’adapter (où qu’ils s’implantent, les Vikings auront vraiment été des as de l’acculturation et de l’intégration), ils s’installent parmi les populations locales et dans les zones en défrichement. Ils s’intègrent très vite, adoptent les us et coutumes locaux, s’habillent à la mode locale etc. Bien sûr, à chaque nouvel arrivage de colons, le paganisme connaît un regain d’importance, comme en 942 ; mais, chaque fois, ce mouvement est de relativement courte durée. Néanmoins, à la chrétienté dominante se mêlera longtemps en Normandie un fond de paganisme nordique, parfois très vivace…

De la Haute à la Basse Normandie

On l’a dit : les territoires tout d’abord concédés à Rollon en 911 correspondaient peu ou prou à la Haute Normandie actuelle.

Dès les années 920, de nouvelles luttes intestines secouent le royaume de Francie. La Normandie s’y retrouve forcément mêlée, Rollon envahit les comtés voisins, la Normandie est envahie en retour… Malgré tout, Rollon parvient à obtenir de nouvelles terres au sud et à l’ouest, le Maine, le Bessin et l’Hiémois.

Rollon meurt en 932 (il est inhumé dans la cathédrale de Rouen) et son fils Guillaume Longue-Epée lui succède jusqu’en 942. Il obtient de nouvelles terres dès 933 (Avranchin et Cotentin, comme mentionné plus haut) et, bientôt, les ducs de Normandie règnent sur un vaste territoire allant de la Manche à l’ouest aux vallées, à l’est, de l’Epte, de l’Eure, de l’Orne, de la Bresle et du Couesnon. En 1051, sous Guillaume le Conquérant, ils ajouteront encore le Domfrontais à leurs possessions… mais j’anticipe !

Carte disponible au parc Ornavik (©OREP)

Bien entendu, les Bretons vivent plutôt mal cette expansion, mais ne parviendront à se débarrasser des Normands sur leurs terres qu’en 936… En tout cas, le mont Saint-Michel est alors déjà normand…

La mort de Rollon… et le début de la légende !

A noter : Rollon ne porta pas officiellement le titre de « duc » de Normandie (c’est son arrière-petit-fils, Richard II, qui en sera honoré autour de l’an Mil, soit un siècle plus tard). Rollon, pour sa part, était jarl des Normands (terme norrois), c’est-à-dire comte. Les sources franco-latines le qualifient d’ailleurs souvent de princeps, c’est-à-dire de prince. Et il hérite de la charge carolingienne de comes Rothomagensis, comte de Rouen ou de marchiones, marquis (protecteur d’une « marche », à l’origine), titre de celui qui défendait la Seine contre les incursions vikings.

La date de sa mort fait là encore l’objet de débats (925 ? 927 ? 932 ? 933 ?) mais une chose demeure (à peu près) certaine : pour un homme de son époque… et un guerrier viking de surcroît… et au regard du nombre de massacres, pillages, raids et batailles auxquels il aura participé… il eut une longévité tout à fait exceptionnelle ! Une idée de sa date de naissance ? Allez, allez-y, testez…

Probablement… 850 ! Faites le calcul. 75 à 82 années de guerre, de voyages maritimes, d’expéditions et de coup de main armés… Un record, avouez-le !

Enfin, à noter là encore (parce que ça vaut quand même la peine d’être souligné !!) : par sa petite-fille Adélaïde d’Aquitaine (fille d’Adèle, sœur de Guillaume Longue-Epée, et de son mari Guillaume, comte de Poitiers, bientôt duc d’Aquitaine), qui épousera vers 968 Hugues Capet et deviendra donc reine des Francs en 987… Rollon sera également à l’origine de la dynastie capétienne ! Et donc, des Valois ! Et donc… !!! Bref, par voie féminine, son sang coulera dans les veines de tous les futurs monarques de France !!

Et, évidemment, via son descendant direct Guillaume le Conquérant… il verra aussi son sang couler dans les veines de tous les futurs monarques d’Angleterre ! (maison de Normandie, Plantagenêt… !!)

Les descendants de Rollon : la dynastie des « Rollonides »

Guillaume Longue-Epée

Fils de Rollon et de sa frilla (ou « concubine », ou épouse « à la danoise ») Poppa, d’origine franque (épousée, rappelons-le, de gré ou de force, mais en tout cas bien avant 911), il est, comme son père, « jarl des Normands de la Seine », même si on le considère souvent comme le « deuxième duc de Normandie ». Son principat correspondra à une consolidation de la jeune Normandie et à l’instauration de l’ordre. Lucien Musset le décrit comme le « principal artisan de la réussite normande. C’est à lui qu’on doit attribuer le succès définitif de la greffe scandinave sur le tronc romano-franc, qui permit à l’État fondé en 911 de traverser victorieusement la crise générale que connut dans les années 940 le monde scandinave d’Occident » (« Naissance de la Normandie », Michel de Bouärd (dir.), Histoire de la Normandie, Privat)

De nombreuses révoltes éclatent à intervalles réguliers au sein du duché ou à ses frontières :

  • des troubles liés à la Bretagne… (qui aboutissent peut-être à une domination de la Normandie sur la Bretagne pendant quelque temps, jusqu’à ce que les Bretons s’en libèrent en 936, nous l’avons vu…)
  • des révoltes de chefs vikings de l’ouest de la Normandie (Cotentin…), région qui échappe encore au contrôle de Rouen, et qui échappait d’ailleurs également au contrôle du roi de Francie (ce problème perdurera jusqu’à l’époque de Guillaume le Conquérant, qui y remédiera en faisant de la petite bourgade de Caen son second centre de pouvoir avec Rouen, afin de renforcer sa présence et son autorité dans l’ouest de son duché…)
  • et d’autres troubles encore liés à la christianisation forcée des Scandinaves par le très pieux Guillaume (un bien meilleur chrétien que son père, au passage !)… qui cherche à tout prix à poursuivre l’œuvre de son père, et donc à constituer un état stable, cohérent, solide et uni par une même religion.

A titre d’exemple, Guillaume Longue-Epée épouse d’ailleurs une Franque chrétienne, Lieutgarde (ou Liégarde), fille du comte de Vermendois ; ce ne sera néanmoins pas cette épouse légitime qui lui donnera un héritier, mais sa concubine bretonne Sprota, à laquelle il s’était uni, lui aussi, « more danico », à la mode danoise. Pour les Francs, ce fils est donc illégitime. Pour les Hommes du Nord, il est tout aussi légitime qu’un autre.

Cette histoire-là se répètera… à l’époque d’un autre Guillaume, bien plus célèbre que son aïeul à la Longue Epée…

Grande différence néanmoins entre Guillaume « le Bâtard » qui deviendra « le Conquérant » (voir mon article sur cet illustre personnage et sa vie à la fois épique et haute en couleur) et le fils de Guillaume Longue-Epée : ce dernier naîtra en 932 et accèdera au duché de son père à l’âge de 10 ans, à une époque où les coutumes norroises étaient encore suffisamment vivaces et ancrées dans les esprits pour qu’on le reconnaisse sans difficultés comme héritier et successeur de son père, « à la scandinave », tandis que Guillaume le Bâtard, en accédant lui aussi trop tôt au trône en 1035 à la mort de son père (à l’âge de 7 ans), devra lutter pendant près de 15 ans avant de se voir reconnaître comme duc, et échapper à de multiples complots et tentatives d’assassinat en raison de sa « bâtardise » et de son « illégitimité »… Un siècle après Guillaume Longue-Epée et son fils Richard, les mœurs ont donc bien changé, et le mariage more danico ne jouit plus de la même légitimité et de la même popularité qu’au temps des premiers colons scandinaves…

Toujours est-il qu’en 942, quand il succède à son père (Guillaume Longue-Epée fait alors déjà partie des « grands » du royaume de Francie, de ceux qui jouent un rôle prépondérant dans le nord du royaume et qui, tantôt alliés, tantôt ennemis, tantôt soutiens du roi de France, tantôt force d’opposition, se font allègrement la guerre et la paix ; à ce titre, il se trouve mêlé à toutes sortes d’intrigues de noblesse, ce qui lui vaut d’être finalement assassiné par les Flamands du comte Arnoulf…), Richard Ier de Normandie accède au trône sans la moindre opposition de ses barons.

Richard Ier Sans-Peur

En réalité, le danger ne vient pas cette fois-ci de ses propres vassaux, comme ce sera le cas pour Guillaume le Bâtard un siècle plus tard, mais du roi de France lui-même. En effet, Louis IV d’Outremer, le fils de Charles le Simple, profite de la jeunesse de Richard pour tenter de réincorporer la Normandie directement au royaume des Francs. Il se pose en tuteur du jeune duc et, en vérité, le retient plus en captivité (à Laon) qu’autre chose. Il s’installe à Rouen, rameute ses plus fidèles et grands vassaux, nomme l’un gouverneur de Normandie, l’autre gouverneur de Rouen… En réalité, on s’apprête à se partager le gâteau.

C’est une véritable coalition dano-norvégienne qui s’organise alors, car aux Scandinaves de Normandie (réunis derrière le fidèle Bernard le Danois, déjà soutien essentiel de Guillaume Longue-Epée) se joignent les Norvégiens du roi de la mer Sigtrygg, venu d’Irlande, et les hommes d’Harald à la Dent Bleue, roi du Danemark (celui dont est tiré le nom de la technologie « bluetooth » – « dent bleue » en anglais ! Si, si, je vous jure ! Regardez, même le symbole du bluetooth est la combinaison des lettres « H » et « B », les initiales de « Harald Bluetooth » (en danois Harald Blåtand) écrites en alphabet runique (l’écriture des Vikings !) – Voir ici pour plus de détails, par exemple.

Bref, bref. Sous la direction de Bernard le Danois, les Scandinaves défont le roi de France, et le déferont encore à plusieurs reprises, ainsi que son successeur, Lothaire ; et plusieurs fois Richard devra faire appel à d’autres Vikings pour repousser les velléités intempestives de son turbulent voisin ; autant de succès qui lui vaudront son surnom de « Sans Peur ». Le duché de Normandie sort vainqueur de cette crise et voit son autonomie réaffirmée, tandis qu’outre-Manche, le célèbre royaume viking d’York finit par tomber aux mains du roi du Wessex… Pour la toute première fois, l’Angleterre est en passe d’être unifiée sous un seul monarque…

Richard Ier aura été le premier jarl des Normands à se doter du titre de « marquis » (= chef d’une « Marche » du royaume = frontière, en quelque sorte). Il œuvre lui aussi pour la restauration de l’Eglise, consolide son duché, y affermit son pouvoir, y affirme la différence normande (vis-à-vis des autres fiefs francs) et rétablit la hiérarchie épiscopale en Normandie (ce qui apporte un crédit à sa volonté restauratrice et contribue à apaiser un peu l’Eglise, encore très en colère contre les Normands – qui traînent derrière eux une bien mauvaise réputation…-).

Après une longue coupure liée aux invasions scandinaves et à l’installation de Rollon, tous les évêchés normands ont donc de nouveau un titulaire vers 990. Richard fait de Fécamp un sanctuaire dynastique (où la dépouille de Rollon, inhumé dans la cathédrale de Rouen, sera transportée) et commande au chanoine Dudon de Saint-Quentin une histoire des premiers ducs de Normandie (ce qui témoigne de la maturité, désormais, du duché de Normandie).

Comme précisé précédemment, l’ouest (scandinave) de la Normandie échappe néanmoins encore au moins en partie au contrôle du jarl de Rouen et ne lui est encore que très imparfaitement soumis… Quant aux coups de main et escarmouches avec les voisins des Normands (Bretons, Flamands, le comte de Blois, le roi de Francie Lothaire…), ils se renouvellent régulièrement, bien sûr…

Mais Richard renforcera encore son royaume en s’alliant précocement à Hugues le Grand et son fils Hugues Capet (futur fondateur de la dynastie capétienne), dont il épouse la sœur Emma dès 960… et qui épouse sa cousine Adélaïde d’Aquitaine (petite-fille de Rollon dont nous avons parlé) en 968. Outre son épouse chrétienne (qui mourra sans lui avoir donné d’enfants), Richard a, à l’instar de ses père et grand-père, plusieurs frillas, dont la principale, Gunnor (issue d’une famille danoise établie en Normandie), qui lui donnera de nombreux enfants (décidément, heureusement que les concubines étaient là !). Parmi ceux-ci :

  • Richard II, son successeur à la tête du duché de Normandie
  • Robert, qui sera comte d’Evreux et archevêque de Rouen
  • Emma, future reine des Anglo-Saxons de par son mariage avec le roi Æthelred II (dit « le Malavisé »), puis du Danemark, de par son remariage (une fois veuve) avec le vainqueur de celui-ci, Knut II (!!)
  • Havoise, épouse de Geoffroy Ier, duc de Bretagne ;
  • Mathilde, épouse d’Eudes II de Blois, comte de Blois, puis première abbesse de l’abbaye aux Dames de Caen, fondée par Guillaume le Conquérant dans les années 1060.
  • Mauger, comte de Corbeil
  • (entre autres)

De ses autres frillas, il aura d’autres enfants, dont plusieurs comtes.

Il meurt en 996, la même année qu’Hugues Capet.

Richard II, dit l’« Irascible » ou le « Bon »

Il succède à son père en 996 et est le premier à être honoré du titre de duc. Il règnera sur le duché pendant 30 ans.

Jusque-là, en effet, et bien qu’on parle en général dès Rollon des « ducs de Normandie », nous avons vu que les « princes normands » étaient officiellement qualifiés de « comtes » (de Rouen, des Normands…), parfois de jarls (terme scandinave), et n’auraient repris les titres de « marquis » (sous Richard Ier) puis de « duc » (sous Richard II) qu’au fur et à mesure que leurs amis Robertiens (futurs Capétiens) les abandonnaient pour eux-mêmes progresser dans la hiérarchie : les comtes normands héritèrent ainsi du titre de marquis quand Hugues Capet porta celui de duc après 960, puis celui de duc quand Hugues devint roi en 987.

De nombreux troubles agitent sa minorité (révoltes paysannes et baronniales) mais il tient bon la barre et son règne est ensuite long et solide : il impose sa justice, réimplante activement le monachisme, nomme des évêques, fait battre monnaie, collecte les impôts, renforce son pouvoir personnel, crée des comtés et vicomtés, choisit les comtes et vicomtes parmi sa parenté légitime et « illégitime », exige de chacun d’eux un serment de fidélité, continue de franciser son duché… au point que l’historien François Neveux écrira : « en 1026, la Normandie était incontestablement la principauté la plus puissante et la mieux administrée du royaume » (in la Normandie des ducs aux Rois. Xe-XIIe siècle, Ouest-France Université, 1998)

Alors que le commerce transmanche se développe depuis quelques années, un conflit éclate avec l’Angleterre, les Normands laissant les Vikings du Grand Nord (qui continuent de s’acharner sur l’Angleterre) utiliser l’ouest de la Normandie comme base arrière pour mener leurs expéditions outre-Manche… Après une brève tentative d’invasion de la part du roi anglo-saxon Æthelred II, Richard et lui négocient une paix et une alliance. Emma, la sœur de Richard II, est unie au roi d’Angleterre et le duc de Normandie, pour sa part, commence à se mêler des affaires d’outre-Manche… C’est d’ailleurs en Normandie que, plus tard, Æthelred, Emma et leurs deux enfants (dont Edouard, le futur roi d’Angleterre) se réfugient quand le roi du Danemark Sveinn à la Barbe Fourchue envahit et soumet l’Angleterre (voir mon article sur les derniers raids vikings en Angleterre).

Richard fait aussi de nouveau appel à des Vikings venus de Norvège et du Danemark pour l’aider dans ses querelles avec le comte de Blois. L’un d’eux sera le futur Saint Olaf, grand roi de Norvège qui, converti au christianisme en Normandie, convertira de force l’intégralité de son pays (et même l’Islande), parfois dans de vrais bains de sang… (ce qui ne l’empêchera nullement d’être canonisé !).

A la tête d’un duché désormais indéniablement puissant et rayonnant, proche du roi capétien Robert le Pieux, Richard ne cessera de s’activer, tant vis-à-vis de la France que de l’Angleterre, des Flandres, de la Bourgogne…

Autour de l’an Mil, l’Eglise est réformée ; les monastères normands attirent les plus grands penseurs religieux d’Europe (dont Guillaume de Volpiano). Un changement radical, quand on pense que, pendant des décennies, des abbayes sont demeurées désertes et les sièges épiscopaux vacants, suite aux invasions scandinaves ! (Evreux a été privée d’évêque pendant 40 ans, Bayeux pendant 50, Sées, Lisieux et Avranches pendant plus d’un siècle !)

La Normandie ne présente plus le même visage qu’autrefois ; les arts et la culture sont mis à l’honneur ; elle est riche, et ses habitants sont de véritables êtres de culture, civilisés, de vrais chrétiens ; ils parlent le franco-normand, un vieux français teinté de norrois. Mais ils n’ont rien perdu de la fougue conquérante de leurs ancêtres, comme nous le verrons bientôt…

Quant au terme de « Normand », il désigne depuis longtemps désormais tous les habitants de Normandie, qu’ils soient d’origine scandinave, franque ou bretonne…

De son épouse (officielle) Judith de Bretagne (fille du duc Conan de Bretagne), Richard II aura (entre autres) deux futurs ducs de Normandie (Richard III et Robert le Magnifique), ainsi que plusieurs autres enfants. Il eut aussi plusieurs « bâtards » de sa frilla Papie, et peut-être d’autres concubines également.

Il meurt en 1026 après trente ans de règne et est lui aussi inhumé à Fécamp.

Richard III

Fils aîné de Richard II, Richard III lui succède mais meurt à peine un an après son accession au trône, à l’âge de vingt ans. On soupçonne son frère cadet Robert d’y être pour quelque chose, ce dernier n’ayant cessé de se rebeller contre son aîné (même si, assiégé par l’armée ducale à Falaise, il lui aura bien fallu se soumettre et rendre l’hommage vassalique).

De son épouse officielle, Adèle de France, fille du roi capétien Robert le Pieux, Richard III n’aura pas eu le temps d’avoir d’enfants. Il a bien trois enfants de sa concubine, dont un garçon, mais c’est son cadet Robert (malgré les lourds soupçons qui pèsent sur lui… empoisonnement ?) qui lui succède… Il a dix-sept ans.

Robert le Magnifique (ou « le Libéral », selon les sources…)

Il mate lui aussi plusieurs révoltes et rébellions et, tout comme son père avait aidé Hugues Capet à monter sur le trône de France, aide le roi Henri Ier à monter sur le sien (en le soutenant dans sa lutte contre son propre jeune frère « Robert » en rébellion… ironie, quand tu nous tiens !). En récompense, il obtiendra le Vexin français : la Normandie ne cesse de s’agrandir…

Il soutient aussi le comte de Flandre Baudouin IV contre son propre fils (en pleine rébellion… – soupir -) et l’aide à garder le pouvoir.

Tout comme son père Richard II, il continue d’héberger et de protéger les deux fils d’Æthelred II d’Angleterre et d’Emma de Normandie (la tante de Robert), dont l’héritier du trône d’Angleterre, Edouard (le futur « Confesseur », rappelons-le), tandis que la maison danoise de Jelling règne sur l’Angleterre depuis vingt ans (1013). Robert estime que le royaume d’Angleterre revient à Edouard (de la maison de Wessex), en digne héritier de la longue lignée de roi anglo-saxons d’Angleterre. Devant le refus de Knut de la Grand de rendre le trône aux enfants d’Æthelred, il réunit une flotte et décide d’envahir l’Angleterre… vingt ans avant son fils Guillaume (le futur Conquérant !). Les navires se rassemblent à Fécamp et prennent la mer, mais une tempête les déporte vers Jersey, et l’invasion n’eut finalement jamais lieu. Mais… les premiers jalons d’une invasion normande de l’Angleterre sont posés…

Enfin, à la mort du duc Geoffroi Ier de Bretagne, il arrive à imposer sa tutelle au duché de Bretagne et à obtenir du jeune Alain qu’il lui prête serment. La Bretagne se retrouve vassale de la Normandie…

Côté religion, après une brève opposition de jeunesse à l’Eglise, qui lui vaut même d’être excommunié, le turbulent, indocile et violent Robert (dit parfois « le Diable » – à tort, car il s’agit d’une confusion du personnage avec une légende du pays –) reprend la politique de ses prédécesseurs et la soutient (construction de monastères, réhabilitation des biens de l’Eglise, restitution de ses terres, donations, fondations…) ; les bases de l’abbaye du Bec qui, modeste institution religieuse à l’origine, deviendra l’un des plus grands centres intellectuels d’Europe et une des écoles monastiques les plus prestigieuses, datent de son règne.

En 1032, le duché souffre de la peste et de la famine. Robert décide de partir en pèlerinage en Terre sainte (peut-être aussi pour racheter ses fautes passées) mais, avant son départ pour Jérusalem, il présente au Conseil de ses barons son héritier, Guillaume, fils de sa frilla Arlette (une énième concubine ducale épousée à la mode danoise…). Guillaume n’a que six ou sept ans, mais les barons acceptent (pour l’instant… et peut-être un peu réticents) de le reconnaître comme digne successeur de Robert, ainsi que cela s’est déjà fait à de nombreuses reprises dans la lignée des ducs de Normandie (rappelons que Guillaume Longue-Epée, Richard Ier et Richard II étaient eux-mêmes fils de concubines !).

Etrange ironie de l’histoire : afin de monter sur le trône, Robert avait, à peine quelques années plus tôt, écarté de la succession de son frère Richard III le fils bâtard de celui-ci (lui-même né d’une frilla), Nicolas (qui devint moine…). Hum hum… ce n’était peut-être pas là un très bon exemple à donner… pour aider son propre bâtard à être reconnu en tant qu’héritier légitime à peine 8 ans plus tard…

Robert prend en outre quelques dispositions : il place son unique fils sous la tutelle du roi de France Henri Ier et arrange un mariage entre Arlette (sa concubine !) avec Herluin, un seigneur de la vallée de la Risle.

Durant son voyage, Robert, personnage haut en couleur, manifeste une générosité et une prodigalité débordantes, un peu tapageuses : il y gagne le surnom de « Robert le Magnifique » ou « le Libéral ».

Mais Robert meurt durant son voyage de retour, en 1035, à Nicée, en Anatolie (à seulement vingt-cinq ans).

Et pour le très jeune Guillaume, c’est là que les ennuis commencent… Mais ça, c’est une autre histoire !

Je vous invite en effet, pour compléter cet article, à découvrir tous les articles rédigés à l’occasion de la rédaction de mon roman La Demoiselle d’Arundel et cités au début de cet article (à savoir, pour rappel) :

Mais aussi :

Tous mes articles précédents sur les Vikings :

Mes romans « vikings » :

+ les quelques sources citées ci-dessous (en bibliographie).

Conclusion

Au XIe siècle, les Normands ne sont plus de « vulgaires barbares » païens et illettrés qui ravagent les côtes, fleuves et rivières de Neustrie. Ce sont des chrétiens civilisés, ralliés au système carolingien, alliés à l’Eglise… mais qui n’en conservent pas moins, çà et là, des traces de leur sanglant passé. Le goût de la guerre, de la rébellion, de la trahison, se transmet encore de génération en génération et, çà et là, dans les campagnes, on parle encore le vieux norrois et l’on vénère les anciens dieux. Sans compter les vieux liens que l’on continue de cultiver, même de façon éparse et éloignée, avec la Scandinavie, via ces équipages de Vikings que l’on appelle encore à la rescousse en cas de besoin…

Les Normands ont édifié des forts, des châteaux, des monastères, des cathédrales, des églises. Ils ont créé une architecture célèbre qu’ils répandront bientôt, avec Guillaume, en Angleterre, mais aussi en Italie du Sud, sur le pourtour méditerranéen, et partout en Francie : c’est ce qu’on appellera plus tard « l’art roman ».

Ils ont fait de la première province concédée à Rollon un duché flamboyant, qui s’oppose régulièrement à ses puissants voisins (le comté de Flandre, le duché de Bretagne, le royaume de France, le comté de Blois…) et dont la puissance ne tardera pas à rayonner jusqu’aux confins de l’Angleterre, jusqu’en Sicile et jusqu’en Terre sainte.

Pendant encore plusieurs décennies, leur double héritage norrois et franco-romano-chrétien se manifestera tant à travers leur engagement envers l’Eglise qu’à travers leur soif inextinguible de conquêtes et de richesses et, parfois, le caractère aussi cruel qu’impitoyable de leur gouvernance… De décennie en décennie, les Normands se sont inexorablement rapprochés du monde franc… tout en cultivant certains petits particularismes qui continuent de les distinguer du reste du monde carolingien puis capétien.

Mais leur soif de conquêtes et d’aventures ne les a pas quittés : peu après l’an Mil, on en voit déjà qui partent en Espagne pour participer à la Reconquista aux côtés des chrétiens léonais, aragonais, catalans… pendant près de deux siècles… Certains se taillent même une petite principauté, celle de Tarragone (nord-est de l’Espagne), et font souche dans la péninsule ibérique…

Puis, lors de la seconde moitié du XIe siècle, les Normands conquièrent d’un côté l’Angleterre, aux côtés de leur duc Guillaume de Normandie… et de l’autre plusieurs royaumes et principautés de Méditerranée, derrière plusieurs de leurs barons partis en pèlerinage… et en quête d’aventures davantage gorgées de soleil (et de saintes reliques…)

En effet, dès le siècle suivant leur implantation en Normandie, nombre de barons et de guerriers normands partiront, en dignes aventuriers, conquérants et explorateurs qu’ils étaient, vers les Lieux Saints, se taillant au passage des seigneuries dans les Pouilles, en Italie du Sud (non sans avoir, auparavant, joué les mercenaires quelque temps au profit des divers belligérants déjà en présence, Byzantins, Lombards…), luttant contre puis pour le pape, prenant la Sicile aux Arabes et y fondant y Etat normand demeuré célèbre, et créant jusqu’à la principauté d’Antioche et jusqu’au comté d’Edesse ! Ces Normands du sud de l’Italie joueront un rôle considérable dans l’histoire de la péninsule, celle de l’Empire Byzantin, celle de la papauté, et dans l’aventure des Croisades (cf. mon article sur le sujet).

Pendant que, au pays, la majorité d’entre eux, aux côtés du duc Guillaume, se rueront vers l’Angleterre… pour y remplacer presque toute la noblesse saxonne, accaparant leurs terres, récupérant leurs fiefs, important leur art, leur langue, leurs coutumes, leurs lois, leur droit, leur architecture, leurs églises, leurs châteaux… et parfois même leur pierre (le blond calcaire de Caen) !

S’ouvre alors l’ère pluriséculaire de l’Angleterre anglo-normande…


Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration de l’article : image Pixabay (libre de droit)

A lire aussi sur ce blog :

Tous mes articles précédents sur les Vikings :

Mes romans « vikings » :

… ainsi que tous mes articles en lien avec la Normandie, Guillaume le Conquérant, les Normands en Méditerranée etc., et donc mon roman La Demoiselle d’Arundel :

Quelques sources :