L'Histoire (la grande !)

Petite Histoire de l’Australie – 4/5

Histoire de l’Australie 4 – Vers une colonie libre et prospère

NB : cet article fait suite à mes 3 premiers articles sur l’Histoire de l’Australie que vous pouvez retrouver sur ce blog :

Quelques colons libres

Les origines peu glorieuses de la nouvelle colonie britannique des antipodes ne devaient pas empêcher une lente mutation vers une société moins rude, plus équilibrée, et peuplée d’hommes et de femmes libres et travailleurs.

Dès la première flotte, d’ailleurs, quelques familles de pionniers faisaient partie de l’aventure, dont certains gros colons attirés par la perspective de disposer d’une main-d’œuvre abondante et gratuite (: les forçats) pour travailler leur terre…

Des membres du clergé étaient également de la partie, souvent d’ailleurs eux-mêmes fermiers, magistrats ou éleveurs tout en même temps qu’hommes d’Eglise. Ils contribuèrent au recadrage des mœurs et permirent, par leur intervention persistante, à limiter la casse (dans une certaine mesure seulement) due aux excès de boisson, de jeu et d’une sexualité débridée (grande ferveur missionnaire).

Mais cette influence évangélisatrice devait rester modérée, dans un pays où les préoccupations quotidiennes étaient bien davantage tournées vers la survie et des questions hautement pratiques que vers la morale (et où les hommes d’Eglise eux-mêmes étaient loin d’être toujours irréprochables).

Peu à peu, de nouveaux colons libres vinrent grossir les rangs des convois de forçats : des pionniers en quête d’aventure ou d’autres climats (ainsi que d’une terre facile à acquérir pour une bouchée de pain), ou n’ayant rien à perdre en Angleterre, en plus des anciens condamnés ayant regagné leur liberté après avoir purgé leur peine. Les naissances (issues tant de famille pionnières que de couples de forçats, ou de liaisons prisonnières-soldats), viennent aussi rapidement compléter l’ensemble, donnant lieu à la toute première véritable « génération australienne ».

Cet élan pionnier d’hommes et de femmes libres fut néanmoins très lent les premiers temps (400 voyageurs seulement seraient venus de leur propre chef entre 1788 et 1810). En effet, on n’avait alors pas encore réussi à franchir les Blue Mountains (ce ne sera chose faite qu’en 1813), et les perspectives liées à la terre et au pastoralisme, tout juste balbutiant (importation des premiers moutons) étaient alors limitées.

En 1790 donc, tout reste à faire…

Un continent farfelu qui intrigue… et qui fascine

De fait, entre ces espèces de souris géantes qui rebondissent dans la brousse comme des balles en caoutchouc, ces petits ours gris perchés dans leurs eucalyptus, cet être hybride à bec de canard, palmes de loutre, queue de castor et corps de taupe (l’ornithorynque), ces mammifères à poche ventrale, et tous ces insectes, poissons, végétaux et autres êtres vivants observés nulle part ailleurs sur la planète, l’Australie semble remettre en cause toutes les classifications, toutes les théories, toutes les nomenclatures du monde vivant établi jusque-là en Europe, et en particulier à la fois la classification conçue par Linné, et la théorie de la chaîne des êtres. Car enfin, quel lien entre toutes ces espèces totalement inconnues ailleurs, et les espèces européennes, américaines, asiatiques, africaines, même ?

On l’a vu, l’Australie recèle une faune et une flore absolument extra-ordinaires au sens strict (voir mon premier article sur l’Histoire australienne). Et, à la toute fin du XVIIIe siècle, les nouveaux arrivés ne sont certes pas au bout de leurs surprises ! Koalas, kangourous, wallabies, quokkas, crocodiles d’eau douce et d’eau salée, serpents, araignées mortelles, cacatoès, perroquets, loriquets, ornithorynques, dingos, diables de Tasmanie… que d’espèces étranges ils vont devoir côtoyer !

Bientôt, l’Australie devient synonyme d’extrême bizarrerie, voire de pure fantaisie. En ce qui concerne l’ornithorynque rapporté pour étude, on se demande même s’il ne s’agirait pas d’une mauvaise blague, d’un animal cousu par un petit malin à partir de morceaux appartenant à différentes espèces !

Quant aux Aborigènes, évidemment, aux descriptions élogieuses et très dix-huitièmistes de Cook (« Bons sauvages » simples, nus, tranquilles, heureux et connectés à la terre, libres de toute contrainte matérielle et loin de la corruption et des effets néfastes de la civilisation – voir la philosophie rousseauiste) répondront des descriptions beaucoup moins flatteuses des Aborigènes sous les traits d’hommes « primitifs », rudes, cruels, stupides, grossiers, animaux… selon les principes de l’éternelle dichotomie de l’indigène, tantôt vu comme naturellement bon et inoffensif, tantôt comme vil, inhumain, brutal et perfide – théorie qui prévaudra largement au XIXe siècle et qui, bien sûr, justifiera tous les abus et toutes les violences. D’ailleurs, Joseph Banks, naturaliste et compagnon de Cook, décrivait déjà pour sa part les Aborigènes comme n’étant « éloignés de la brute que d’un degré »… En tout cas, on les tient, à l’époque, pour les spécimens andromorphes les plus éloignés du type caucasien…

Mais la phase « découverte » ne fait alors que commencer…

L’exploration d’un continent

Car, évidemment, l’exploration de l’Australie ne se termine pas avec James Cook : après l’installation de la première colonie, il faudra plus d’un siècle pour que l’ensemble du continent soit connu des Européens. Et, quand arrive la première flotte, tout reste encore à découvrir…

Dernières explorations maritimes

Côté maritime, on n’a certes pas attendu l’ouverture du XIXe siècle pour continuer à explorer les contours australiens :

  • Dès 1773, Tobias Furneaux, par exemple, (premier homme à faire le tour du monde dans les deux sens), accompagne Cook lors de son 2e voyage, voyage au cours duquel il est séparé deux fois du célèbre capitaine, pendant de longs mois qu’il devait mettre à profit pour explorer une grande partie des côtes sud et est de la Tasmanie (et en dresser la carte), notamment. C’est lui ramènera, en 1774, le premier indigène des mers du Sud dans les îles britanniques (un Polynésien, Omai).
  • De 1796 à 1802, Matthew Flinders, le navigateur qui demeure sans doute le plus célèbre pour sa contribution à l’exploration et aux relevés cartographiques d’Australie, fait le tour à la fois de la Tasmanie, en 1798, et de l’Australie (le tout premier !) en 1802.
  • En 1797 et 1798, Bass, sillonne la côte sud-est en 1798 et fait le tour de la Tasmanie avec Flinders.
  • En 1800, John Murray accompagne James Augustus Grant comme second sur le Lady Nelson lors de ses relevés de Jervis Bay et de Wasternport Bay et sa remontée de la Hunter River (1801). Puis, il devient commandant de la Lady Nelson, poursuit la cartographie de l’Australie et effectue les relevés entre Deal et les îles Erith. Après un voyage à l’île de Norfolk, il continue l’exploration de la côte sud et découvre Port Phillip.
  • En 1801-1802, on l’a vu, le Français Nicolas Baudin effectue également de nombreux relevés cartographiques pour le compte de la France.
  • Dans les années 1810 et 1820, Phillip Parker King effectue quatre voyages en Australie. Il publie la première étude de climatologie et d’hydrographie de l’Australie, On the maritime geography of Australia.
  • D’autres naturalistes, botanistes, géographes, navigateurs etc. prennent également part à ces expéditions.

Explorations intérieures

Mais le plus gros défi demeure sans doute l’exploration intérieure du continent australien, dans le désert rouge duquel bien des explorateurs laisseront leur peau.

  • En 1813, moment crucial, BlaxlandWentworth et Lawson parviennent, depuis Sydney, à se frayer un chemin (par les Montagnes Bleues) à travers la cordillère australienne (qui longe toute la côte est de la Nouvelle-Galles du Sud et du Queensland) et parviennent, pour la toute première fois, dans l’intérieur de la Nouvelle-Galles du Sud.
  • Ce voyage devait ouvrir la voie à de nombreuses expéditions menées les années suivantes, comme celles de John Oxley en 1817 et 1818.
  • En 1824, Hamilton Hume et William Hovell sillonnent le sud-est du pays de Sydney à Geelong, en passant par la Murrumbidgee et le Murray.
  • Puis, en 1829-1830, Charles Sturt sillonne lui aussi le sud, cette fois jusqu’à l’embouchure du Murray. La découverte que des cours d’eau comme la Darling, la Macquarie, le Murray et la Murrumbidgee coulent vers l’ouest conduit de nombreux explorateurs à croire qu’une mer se trouve à l’intérieur de l’Australie. La recherche de cette mer intérieure servira de motif à de nombreuses expéditions organisées à l’ouest de la cordillère australienne… y compris parmi les plus tragiques.

Ces premiers voyages, en tout cas, permettront de commencer à peupler l’Australie-Méridionale.

Puis, c’est au tour de l’Australie-Occidentale (qui n’est bientôt plus « Nouvelle-Hollande ») d’être explorée, avec John Molloy en 1830, Alfred et John Bussel en 1830-1834, Robert Dale et George Fletcher Moore en 1831, Frederick Ludlow en 1834, George Fletcher Moore de nouveau en 1834-1836, Anthony O’Grady Lefroy et Alfred Durlacher en 1847, Robert Austin et Kenneth Brown en 1854.

En parallèle, on continue d’explorer l’Australie-Méridionale et la Nouvelle-Galles du Sud avec Collet Barker (1831), Edward John Eyre (1839-1841), Pawel Edmund Strzelecki (1840), Patrick Leslie (1840), Clemnt Hodgkinson (1840-42)…

Dans le lot, quelques expéditions demeureront particulièrement célèbres :

Mais des dizaines d’autres explorateurs participèrent à cette grande aventure : John Baxter, Francis Cadell, David Carnegie, George Evans, Alexander Forrest, John Forrest, Alfred Gibson, Ernest Giles, William Gosse, George Edward Grey, Augustus Gregory, George Goyder, Ludwig Leichhardt, William Paterson, Watkin Tench, William Tietkins, Frederick Walker, Peter Warburton, Franck Hann, John Ainsworth Horrocks, William Landsborough, Patrick Leslie, Thomas Livingstone Mitchell, John Jardine, John MacKinlay…

La lente construction d’une nation

Toutes ces explorations aboutissent à la création, les unes après les autres, de nouvelles « colonies », de nouvelles provinces, de nouveaux « territoires ».

Occupée depuis 1803, la Tasmanie (alors encore « Van Diemen’s land ») devient une colonie distincte de la Nouvelle-Galles du Sud en 1825. (Elle ne prendra le nom de Tasmanie qu’en 1856).

Le Royaume-Uni revendique formellement la partie occidentale de l’Australie en 1829 : exit la « Nouvelle-Hollande ». On nomme toute la moitié ouest du continent « Swan River Colony » (du nom de la rivière qui coule à Perth), puis « Western Australia » (Australie-Occidentale) en 1832.

Puis, à partir du territoire de la Nouvelle-Galles du Sud, trois nouvelles colonies sont fondées :

  • l’Australie-Méridionale en 1836 ;
  • le Victoria (également dans le sud) en 1851 ;
  • et le Queensland (nord-est du pays) en 1859.

Le Territoire du Nord sera créé une première fois en 1863, puis définitivement en 1911 (après quelques remaniements des frontières des diverses colonies).

A noter : les colonies du Victoria et d’Australie-Méridionale furent fondées d’office avec le statut de « colonies libres » – c’est-à-dire qu’elles ne furent jamais été des colonies pénitentiaires, même si le Victoria accueillit des bagnards de Tasmanie (libérés ou en fuite). L’Australie-Occidentale fut également créée en tant que « colonie libre », mais accepta plus tard d’accueillir des bagnards déplacés en raison d’un manque crucial de main-d’œuvre.

Vers une société pastorale et une terre d’émigration privilégiée

On l’a vu : Lachlan Macquarie, surnommé par beaucoup le « Père » de l’Australie, devient gouverneur de la Nouvelle-Galles du Sud en 1810. De par ses idées progressistes et libérales et sa politique en faveur des ex-bagnards, il jouera un grand rôle dans l’évolution de cette colonie pénitentiaire vers une nouvelle base de peuplement civil. Les mesures qu’il prendra influenceront considérablement la société australienne en devenir et contribueront pour beaucoup à l’éloigner de son image rude et hostile de vaste prison en plein air de ses débuts.

Il décide par exemple que les bagnards ayant terminé leur peine doivent être réintégrés dans la société au rang qui était le leur avant leur condamnation, et se voir attribuer des terres. Il s’attaque au commerce du rhum, instaure une taxe sur tous les alcools, fait fermer les tavernes le dimanche pour permettre aux bagnards d’aller à l’église, fonde une banque et crée une monnaie (qu’il introduit malgré le refus de Londres pour en finir avec le pouvoir du rhum…), favorise l’émancipation des forçats et leur chance de regagner leur liberté pour s’établir comme petits fermiers, fait construire des bâtiments publics, stimule l’expansion de la colonie en encourageant l’exploration du continent, encourage l’industrie et l’élevage, transforme Sydney en ville plus durable… Sa mission est claire : restructurer la colonie par la manière forte.

Mais c’est surtout entre 1820 et 1850 que le visage de l’Australie va résolument se transformer. Car, après la première vague de peuplement, essentiellement constituée de bagnards (la déportation continuera jusqu’en 1868), une nouvelle vague de migrants commence à déferler sur les côtes australiennes : celle des ouvriers, des paysans et des « squatters » (les fameux colons libres, qui se multiplient alors).

En effet, à l’exploration du continent austral qui marque particulièrement les années 1800 à 1860 s’ajoutent les forts besoins en matières premières de l’industrie textile britannique en pleine expansion : on se lance donc rapidement en Australie dans l’élevage de moutons (déjà 2,75 millions de têtes en 1838 !) et l’exportation de laine : en 1850, l’Australie fournit la moitié de la laine britannique ! D’énorme bagne, l’Australie est devenue un gigantesque élevage.

La forte demande de main-d’œuvre ainsi que les opportunités qui s’ensuivent entraînent l’émigration de dizaines de milliers de colons (173 000 entre 1830 et 1840 !), d’autant plus rapidement que la misère du prolétariat, en « métropole », ne fait que s’aggraver (voir mon article sur le règne de la reine Victoria).

Cette émigration est en outre encouragée par un fort matraquage publicitaire des autorités (un peu comme aux Etats-Unis pour encourager le peuplement de l’Ouest à la même époque) : on se met à décrire l’Australie comme une sorte d’Eden, de Paradis, d’Utopie pastorale, une nouvelle Arcadie où tout est possible, surtout pour les classes pauvres et moyennes. Les « Australiens » eux-mêmes, de plus en plus attachés à leur terre rude et sauvage, nourrissent une forme de patriotisme et de fierté croissante, et sont convaincus d’être en train de construire une société qui, un jour, sera un modèle de robustesse et de civilisation. Peu à peu, le vocable « Australie », apparu dans les années 1810, et cher aux premiers colons (bagnards compris), passe dans les mœurs.

Evidemment, dans les faits, on est encore loin du Paradis sur terre, et la vie qui s’instaure ressemble davantage à celle du Far West américain qu’à celle, bucolique et champêtre, qu’on cherche à vendre à tout-va comme une sorte de paradis perdu.

(Remarque : ce phénomène d’émigration massive dans les années 1830-40-50 ne touche d’ailleurs pas que l’Australie, mais également les autres colonies britanniques : au total, ce sont 3 millions de Britanniques et d’Irlandais qui quittent l’Europe à cette époque).

On estime ainsi qu’en 1841, encore 3 habitants de la Nouvelle-Galles-du-Sud sur 5 ont été déportés. Mais, en 1851, soit dix ans plus tard, on n’en est plus qu’à 3 sur 10.

On manque aussi encore de femmes : en 1833, il y a encore 3 fois plus d’hommes que de femmes en Australie ; on commence donc à s’efforcer d’encourager l’immigration féminine, par exemple finançant le voyage aux femmes volontaires, afin de redresser le déséquilibre des sexes. Plus globalement, à partir de 1832, des programmes visent à favoriser l’émigration vers l’Australie, l’essentiel des départs (ouvriers, miséreux, persécutés, etc.) se faisant encore, très largement, en faveur de l’Amérique du Nord.

En parallèle, une industrie minière se met peu à peu en place, de même que des plateformes de commerce et des centres urbains relativement importants pour l’époque. Port Phillip, par exemple (Melbourne aujourd’hui) est un port et un centre d’immigration important.

Concerts, pique-nique, danses, courses de chevaux, promenades en bateau font peu à peu partie du paysage social pour les plus nantis. Dans un autre registre, la chasse au kangourou est également un « passe-temps » prisé…

Des pensionnats et des écoles voient le jour, puis une revue littéraire, de grands bâtiments, un système administratif… Bref, au cours de la première moitié du XIXe siècle, la colonisation prend forme et se « dégrossit » quelque peu. (En tout cas, elle se diversifie).

Les squatters

Malgré les divers programmes envisagés (par Macquarie, par Wakefield…) pour l’attribution des terres, une bonne partie des acquisitions de terres par les nouveaux farmers se fait de façon « sauvage » : des fermiers s’accaparent un terrain qu’ils délimitent de leur propre chef, sans autorisation gouvernementale. Si bien que, lorsque le gouvernement tente d’attribuer des terres à 5 shillings l’acre, par exemple (programme de Wakefield), bien souvent, on a le malheur de tomber sur un fermier inattendu déjà installé !

Ainsi, si Macquarie voulait attribuer aux colons libres et aux bagnards libérés des terres en fonction de leur capital et de leur statut pré-emprisonnement, et Wakefield (plus tard) voudra les vendre à de plus riches propriétaires pour 5 shillings (cet argent devant permettre de payer la traversée à des ouvriers qui, en échange du voyage gratuit, travailleraient la terre ainsi vendue pour une durée déterminée), dans les faits, ces programmes se heurtèrent à bien des occupations illégales de terrains par les « squatters » qui, pour mener à bien leurs expéditions (de recherche de terrains), employaient souvent les services d’éclaireurs aborigènes !

Remarque : bien souvent, les fameux « squatters » sont issus d’un milieu tout à fait convenable, avocats, officiers militaires ou navals, marchands, fonctionnaires, voire des fils de la petite aristocratie anglaise : en somme, la future élite économique (terrienne) du pays. On trouvait aussi, bien sûr, de nombreux fermiers. Ce sont tous ces hommes qui, au-delà des pénitenciers établis, vont aller conquérir de nouvelles terres et accélérer la découverte et l’occupation du territoire australien, dans toutes les directions. Dans plusieurs cas, le gouvernement n’eut d’autre choix, une fois le peuplement fait (ou bien lancé), d’officialiser la chose, en créant un nouvel Etat (le Victoria et le Queensland, par exemple).

En outre, l’élevage ovin extensif est également en pleine expansion, et impossible à maîtriser, renforçant le côté totalement indiscipliné de cette colonisation.

Bushmen, drovers, stockmen et swagmen, les grandes figures australiennes

Bien plus nombreux que les squatters, les ouvriers agricoles, itinérants et saisonniers (tondeurs de moutons, conducteurs de troupeaux…), devaient marquer le paysage australien. Sans terre et sans le moindre espoir de devenir un jour propriétaire, ils constituaient un groupe à part, pétri de camaraderie (mateship) et d’un fort sens communautaire ; quelque part, ce sont eux qui incarnèrent dès leurs débuts, la quintessence de l’âme australienne et de l’Outback.

Les tondeurs de moutons, en particulier, devaient devenir un élément central de la légende du bush, tout comme, plus tard, les chercheurs d’or et, dans un autre registre, les bushrangers (voir sections concernées, plus loin dans cet article).

L’élevage bovin connaît aussi un grand essor, surtout dans le Nord et le Queensland : le Queensland seul tient plus de la moitié du cheptel national de 10 millions de têtes. Les troupeaux parcourent souvent des milliers de kilomètres pour être vendus sur les marchés de Sydney et de Melbourne. De nombreux convois partent de la région de Darwin également. Les stockmen et les drovers (équivalent des cowboys américains) sont les grandes figures de cet élevage.

Quant au terme de « bushman », il renvoie un peu à tous les hommes vivant dans le bush (y compris les chercheurs d’or).

La fin de la déportation

L’Australie-Occidentale, pourtant colonisée dès 1826 et fondée en 1829 en tant que 3e colonie après la Nouvelle-Galles et la Tasmanie, reste au milieu du XIXe siècle la moins peuplée des régions. Isolés sur une côte peu hospitalière, loin de tout, les pionniers d’Australie-Occidentale ne sont encore que 7000 en 1850 (Sydney seule compte alors 54 000 habitants !).

Bref, la colonie se languit et la greffe ne prend pas ; on y trouve peu de squatters, peu de migrants, même avec aide gouvernementale et voyage offert. Du coup, alors que, partout ailleurs, la déportation commence à prendre fin, la colonie de l’Ouest réclame des bagnards : elle en reçoit 10 000 entre 1850 et 1868, date à laquelle Londres met fin à tous les voyages forcés de ses criminels (dans l’est du pays, le trafic, sous la pression de la population, s’est arrêté dès 1852).

C’est que, ailleurs en Australie, la population « libre » réclame depuis un bon moment déjà la cessation de ce trafic de forçats (insécurité, image déplorable du pays, mauvaise influence morale, criminalité potentiellement contagieuse…) ; ou, du moins, une certaine frange de la population, la plus touchée par la proximité des prisons et la présence des bagnards. Evidemment, certains, intéressés (les riches squatters par exemple), préféreraient, de loin, que le système continue, qui leur fournit une main-d’œuvre abondante et bon marché….

En 80 ans de déportation, les colonies australiennes auraient absorbé plus de 1­60 000 bagnards, dont 25 000 femmes… et un quart d’Irlandais ! (voir ma petite Histoire de l’Irlande…).

Vers la démocratie

Très rapidement, l’Australie se démarque d’autres contrées par un esprit à la fois libertaire et égalitaire. Dans les villes, on réclame un système de représentation démocratique, la fin de la déportation (on l’a vu), le suffrage pour tous et, peu à peu, des institutions de gouvernance se mettent en place ainsi qu’une dynamique démocratique. Même des idées républicaines circulent parfois (donc contre le système monarchique de la métropole… on n’a pas exilé des dizaines de milliers d’Irlandais pour rien !^^)

Au milieu des années 1850, toutes les colonies (sauf l’Australie-Occidentale, encore souillée par la présence des déportés, et jugée peu prête par Londres à s’auto-gérer) jouissent désormais d’une forme de gouvernement responsable : le gouverneur représente la Couronne, l’Exécutif répond au Conseil Législatif, et ce dernier est formé d’une Chambre Haute nommée et d’une Chambre Basse élue.

Au cours de la période allant de 1855 à 1890, les six colonies deviennent l’une après l’autre autonomes, gérant leurs propres affaires. Les hommes ont été autorisés à voter au suffrage universel – y compris les indigènes – en Australie-Méridionale, au Victoria et en Nouvelle-Galles du Sud à partir des années 1850 (soit avant des nations européennes comme la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne) et en Tasmanie en 1896. Le Queensland a eu son autonomie en 1859 et l’Australie-Occidentale en 1890, mais ces colonies ont refusé le droit de vote aux indigènes. La loi britannique demeure appliquée dans chaque colonie même si elle évolue avec le temps. Le gouvernement britannique garde toutefois le contrôle de certains domaines comme les affaires étrangères, la défense et le commerce international.

Il reste encore bien sûr du chemin à faire, mais les Australiens jouissent déjà d’une plus grande autonomie. Londres a tiré des enseignements de l’histoire et, pour ne pas répéter l’erreur américaine, se montre bien plus conciliante envers ses colonies australes, ce qui explique que l’Australie ne suivra pas l’exemple yankee jusqu’au bout, via une guerre d’indépendance : la ruée vers l’or et le brusque enrichissement des colonies des antipodes est l’occasion pour elles de revendiquer une plus grande autonomie, de réclamer l’arrêt des déportations (on enverrait des « voleurs » dans un pays plein d’or ? absurde !), un élargissement des droits politiques, la possibilité d’exercer pleinement leurs droits constitutionnels, la fin du règne des gouverneurs (représentants de la reine), et le gouvernement britannique, échaudé par la révolte américaine, cède (tout comme il avait cédé au Canada suite aux révoltes de 1837-1838).

Chaque colonie se voit donc accorder un gouvernement responsable et les droits politiques des colons s’élargissent au point de dépasser ceux des Britanniques de métropole (le droit de vote pour tous, par exemple, précédera de plusieurs décennies celui accordé en Grande-Bretagne, de même que le droit des femmes, la journée de 8 heures, la fixation d’un salaire minimum bien supérieur à ceux des Britanniques de métropole…)

En outre, la laïcisation du pays s’effectue dès le XIXe siècle, et aboutit à la séparation de l’Eglise et de l’Etat. En raison de sa naissance au temps des Lumières et de ses origines particulières (forçats et bagnes), l’Australie n’aura jamais été une terre très pieuse. D’ailleurs, elle ne sera jamais une terre très soumise, ni à Dieu ni aux autorités (cf. le succès des bushrangers, un peu plus loin dans cet article). Et, de ce nouveau « jardin d’Eden », ce sera Dieu, plutôt qu’Adam, qui sera banni. L’Australie demeurera ainsi marquée par un profond désintérêt pour la question religieuse (proportionnellement aux autres pays anglosaxons à la même époque, s’entend). Moins religieuse et spirituelle que sa grande sœur américaine, qu’elle avait espéré, un temps, pouvoir imiter (jusqu’à fonder une république, dans l’esprit de certains, en devenant une Amérique méridionale, une « autre Amérique »), l’Australie se contentera de chercher à être un modèle d’égalitarisme et d’esprit communautaire.

On rêve d’égalité des chances, d’égalité de condition, d’un droit unique pour tous (comprendre : tous les hommes blancs) d’avoir accès au confort. Les discours sont socialistes, démocratiques, républicains. Les syndicats se multiplient au cours de la seconde moitié du siècle (mineurs, tanneurs, marins, tondeurs…) et les Partis Travaillistes émergent dans la plupart des colonies.

L’Etat prend, peu à peu, beaucoup de place et d’initiatives. Une série de lois progressistes sont passées : lois sur les usines (pour garantir des conditions de travail correctes), lois sur les activités minières (pour contrôler cette industrie florissante), lois sur l’arbitrage industriel (pour réglementer les relations entre le capital et le travail), lois pour aider les petits fermiers à s’installer, législation sociale (adoption en 1900 d’un système de pension pour personnes âgées dans la Nouvelle-Galles du Sud et le Victoria, ainsi que de l’idée d’un salaire minimum pour les ouvriers) : bref, toute une série de lois à l’avant-garde de la politique sociale mondiale ! Dont, toutefois, les minorités ethniques, y compris les natifs d’Australie, sont bien sûr exclues : Asiatiques, Africains, Insulaires du Pacifique se voient refuser les pensions pour personnes âgées et invalides, le droit de vote… En même temps qu’elle se démocratise et se modernise pour l’homme blanc, l’Australie adopte de plus en plus de mesures restrictives et discriminatoires concernant les autres couleurs de peau. (Les Aborigènes ne sont même pas comptés au sein des recensements officiels de la population).

La solidarité masculine (entre hommes blancs, cela va de soi…) demeure également un élément clé de l’esprit national.

Comme aux Etats-Unis, on veut construire un monde meilleur où les principes de liberté et d’harmonie se substitueraient aux pesanteurs et dissensions du Vieux Monde. On veut favoriser le savoir et la civilisation, le progrès aussi, au détriment des vieux carcans périmés.

Une démocratie, donc. Certes… mais pas pour tous.

La colonisation au détriment des Aborigènes

Une rapide dégradation des rapports Blancs/Aborigènes

On l’a vu, sous Arthur Phillip, les premiers rapports avec les Aborigènes de la baie de Sydney se veulent amicaux (en tout cas, c’est ce que Phillip encourage fermement, malgré les réticences de nombreux colons, et des attitudes parfois hostiles de part et d’autre).

Les problèmes commencèrent sans doute lorsque les Aborigènes comprirent que les nouveaux venus avaient l’intention de rester. D’autant que l’homme blanc, ayant visiblement décidé que cette terre était vierge et à prendre, semblait d’un parfait sans-gêne : il abat allègrement les arbres et les animaux sacrés, s’installe sur les terres les plus nourricières, profane les sites sacrés…

Peu à peu, les exactions se multiplient de part et d’autre ; vols, lapidations, mutilations, vengeances… Insidieusement, la vieille loi du Talion reprend du service, avec, d’après les anecdotes rapportées, autant de cruauté d’un côté que de l’autre. Le ton se durcit vite.

Une situation rapidement difficile pour les Aborigènes

Mais le contexte s’avère rapidement en défaveur des vieux gardiens du continent austral : avec l’installation des Blancs, c’est leur territoire qui se retrouve défiguré, un territoire rempli de spiritualité, un territoire faisant partie intégrale du « Rêve », une forme spirituelle s’inscrivant intimement dans le paysage, les collines, les forêts, les plaines envahies par l’homme blanc. Très vite, partout où l’homme blanc s’implante, les Aborigènes se trouvent sans repères. Ce sera le grand drame de cette population, comme des Indiens d’Amérique du Nord peu à peu refoulés vers l’ouest et parqués dans des réserves de plus en plus restreintes : le déracinement.

Les maladies apportées par les Européens vont également rapidement poser problème (encore une fois, comme en Amérique du Nord) : non immunisés contre ces épidémies nouvelles, les Aborigènes au contact de l’homme blanc sont décimés (et, par leur intermédiaire, ceux de l’Outback plus profond également, par effet ricochet).

Enfin, encore une fois comme en Amérique, l’alcool fait très vite des ravages au sein de cette population fragilisée.

Et, côté blanc, l’hostilité grandit à mesure qu’on comprend que les hommes de l’Outback font partie de cette barrière palpable qui sépare la baie de Sydney du reste du continent australien, et donc empêche une expansion rapide les premières années : au même titre que les montagnes ou que le désert, les Aborigènes constituent un obstacle de taille, non seulement pour la colonisation, mais aussi pour les fuyards qui tentent de s’évader des bagnes : dans les deux cas, on a peur de finir massacré à coups de sagaies. Ainsi, si l’élite s’acharne, les premières années, à traiter les natifs d’Australie avec courtoisie, au sein de la population (constituée, pour l’essentiel, de marins, de soldats et de forçats…), on se méfie des Aborigènes comme de la peste.

Bientôt, le doux rêve de la cohabitation ou de l’assimilation douce de Phillip part en poussière : car, au fond, chacun en est déjà intimement convaincu : les « Noirs » d’Australie constituent un peuple « primitif » qui n’aura d’autre choix que de se soumettre et se fondre dans la culture dominante… ou de disparaître tout bonnement.

La destruction d’un mode de vie

Au moment où les premiers Européens arrivent en Australie, les Aborigènes, on l’a vu (voir mon premier article sur l’histoire australienne) sont depuis longtemps parvenus à mettre en place une exploitation ingénieuse et durable des ressources, associée à des techniques de transformation, de conservation et de stockage des aliments leur ayant permis de développer des communautés tantôt nomades, tantôt stables et sédentaires ou semi-sédentaires, regroupées dans de véritables villages.

Le choc de la colonisation fut extrêmement rude pour les populations autochtones et pour l’environnement fragile dont elles dépendaient étroitement. L’arrivée sur le continent australien du mouton et du cheval eut un effet dévastateur sur les sols qui, en l’espace d’une génération, se trouvèrent stérilisés par le piétinement des sabots et le pâturage extensif des ovins. Sans parler de l’introduction malheureuse, plus tard, du lapin…

S’exerçant sur une population affaiblie par la rupture de ses équilibres alimentaires, les exactions commises par les colons pour s’approprier les terres des Aborigènes finirent de désorganiser les communautés autochtones, dont les habitats furent incendiés, les sites sacrés profanés et les systèmes d’irrigation et de pisciculture saccagés.

La pratique des brûlis, incompatible avec l’apparition des clôtures et des stations de regroupement pour le bétail, fut combattue par les colons et rapidement abandonnée. Les bénéfices millénaires de cette technique furent immédiatement perdus. En l’espace de quelques années (selon le rythme adopté par les Aborigènes, une parcelle devait être « traitée » tous les cinq ans) les paysages du continent furent altérés. Des taillis impénétrables ne tardèrent pas à se former dans les espaces jusque-là ouverts et le cycle vital des plantes, qui s’était depuis des millénaires synchronisé avec le rythme des brûlis jusqu’à en devenir dépendant, fut profondément modifié, au point de faire pratiquement disparaître certaines espèces (comme le yam) dont les Aborigènes dépendaient pour leur alimentation.

C’est la raison pour laquelle les générations suivantes de migrants venus d’Europe ne trouvèrent trace, à leur arrivée, ni des villages (ceux qui existaient, en pierre par exemple, avaient été détruits, et la pierre réutilisée par les Blancs, afin d’effacer toute trace de leur existence), ni des cultures, ni des aménagements, ni des communautés organisées présentes avant le contact. Ils en déduisirent que les autochtones avaient toujours vécu dans l’état de nomadisme de subsistance auquel un grand nombre d’entre eux avaient en réalité été réduits par le contact. Une interprétation qui avait en outre le mérite, pour les colons qui partaient vague après vague à la conquête du continent, de laisser libre cours à leur soif de terres en occultant totalement la culture autochtone et les droits acquis par les indigènes sur l’environnement qu’ils avaient soigneusement entretenu pendant des millénaires.

Partout donc, l’homme blanc passe en force, s’impose, exproprie les Indigènes qui, peu à peu, sont repoussés vers le désert, des missions et des réserves. Du déjà-vu…

Sans compter, bien sûr, l’introduction de nombreuses espèces animales (et végétales) qui vinrent totalement bouleverser les écosystèmes :

  • le lapin, notamment (qui se multiplia même à une telle vitesse qu’il fallut avoir recours à des expédients catastrophiques pour essayer de limiter leur prolifération, comme l’introduction d’une maladie, la myxomatose, et du renard… qui devait se retourner vers des espèces de la faune locale, jugée très rapidement comme beaucoup plus facile à attraper !!) ;
  • mais aussi le chameau (qui s’adapta très bien au désert et redevint sauvage une fois le chemin de fer venu remplacer les caravanes de chameliers afghans importées pour traverser le désert et monter les poteaux du télégraphe ; qui s’adaptera même si bien qu’aujourd’hui, l’Australie en exporte, notamment vers les pays du Golfe Persique !)
  • les espèces domestiques, bien sûr ; etc.

Des rapports conflictuels… mais ambigus

En fait, les rapports entre les explorateurs européens et leurs compagnons indigènes ont varié considérablement. Arthur Phillip, premier gouverneur de Nouvelles-Galles du Sud, encourage des rapports cordiaux, et le contact est alors correct. Des amitiés et collaborations étroites sont nées, comme entre Arthur Phillip et Bennelong ou George Augustus Robinson et Truganini.

Certains Aborigènes ont servi de guides et de médiateurs aux explorateurs, comme Bungaree avec Matthew Flinders lors de sa première circumnavigation autour de l’Australie en 1803, ou Jackey Jackey avec Edmund Kennedy. Des Aborigènes ont parfois sauvé et recueilli des hommes du désert, comme John King, l’unique survivant de l’expédition de Burke et Wills. Certains, dès 1800, ont servi de pisteurs aux forces de police pour traquer les voleurs, bushrangers ou bagnards en fuite. Sir Thomas Mitchell faisait attention à noter les noms de lieu indigènes — et, pour cette raison, 70 % des noms des localités australiennes sont d’origine indigène.

D’autres Aborigènes attaquent les Blancs, colons, pionniers, fermiers ou explorateurs. De grands résistants aborigènes, comme Pemulwuy ou Yagan, tentent d’organiser la résistance à l’invasion blanche, souvent sous forme de guérillas mais, en raison de l’infériorité des armes locales face aux fusils, ils ne purent durer très longtemps. De véritables massacres pouvaient avoir lieu en représailles, la violence et la peur engendrant toujours plus de violence et de peur et ce, de part et d’autre.

Il y aurait même eu des bushrangers (=hors-la-loi et criminels) aborigènes, comme Musquito, condamné à Sydney pour le meurtre de sa femme et transféré en Tasmanie. Après sa libération, il aurait travaillé comme traqueur et, selon certaines sources, il complétait son salaire par du proxénétisme en fournissant des femmes autochtones aux hommes blancs. Finalement, il se serait enfui dans le bush tasmanien et aurait créé un gang d’Aborigènes qui volait et assassinait des colons blancs et leurs employés. Finalement capturé par un chasseur autochtone (un autre Aborigène !), il fut reconnu coupable de vol qualifié et de l’assassinat d’un ouvrier tahitien nommé Mammoa, et condamné à être pendu.

Dans plusieurs Etats, une force de police spéciale composée d’Aborigènes et commandée par des Blancs (the Native Police) est chargée d’apporter son soutien à quiconque se dit importuné par des Aborigènes. On le voit, les rapports entre Blancs et Aborigènes sont source de toutes les contradictions !

Des Aborigènes, payés en nature (farine, thé, rations…), sont aussi employés par des Blancs, aidant, par exemple, à la construction et à l’entretien de fermes, au sein de stations d’élevage, de missions… Des familles entières snt parfois hébergées et entretenues sur de grands domaines fermiers comme main-d’œuvre occasionnelle ou régulière.

Dans un autre registre, l’industrie perlière du nord-ouest du pays exploita la main-d’œuvre aborigène (raflée de force dans le désert !) d’une façon absolument inhumaine, proche de l’esclavage, sans qu’on en ait jamais dit le nom.

Des femmes aborigènes ne tardèrent pas à se prostituer, leur activité constituant une source de revenu vitale pour les tribus déracinées, au point que les hommes d’un clan n’hésitaient pas à enlever des femmes d’un autre groupe pour s’assurer de plus amples gains !

Enfin, les missions religieuses fournissent souvent un asile lors des conflits… tout en facilitant la colonisation, par l’assimilation culturelle des Aborigènes qui, sous la houlette de leurs mentors évangéliques, deviennent parfois des artisans utiles à la société blanche (bourreliers, selliers, fermiers, charpentiers…)

Bref, des deux côtés, les humanistes succèdent aux étroits d’esprit, les racistes aux utopistes, les pacifistes aux criminels et aux belliqueux. Et, du côté blanc, on oscilla pendant des décennies, non sans ambivalence, entre le désir d’exploiter la main-d’œuvre aborigène d’une part, et, d’une autre, l’envie de voir ce peuple disparaître tout bonnement, sans autre forme de procès… Enfin, une forme de ségrégation (celle-là même qui inspirera les politiques d’apartheid d’Afrique du Sud !!) verra le jour avec des inégalités sociales et politiques criantes.

En Tasmanie, la situation paraît avoir été particulièrement dure (c’est d’ailleurs là, on l’a vu, qu’était installé l’un des bagnes les plus rudes d’Australie). A l’arrivée de l’homme blanc y vivent 6000 Aborigènes. En 1828, la loi martiale est déclarée dans la colonie par suite de conflits entre des colons britanniques et des Aborigènes. Les Aborigènes sont envoyés sur l’île Flinders où on leur promet logement, nourriture et sécurité en attendant que le calme revienne. Malheureusement, beaucoup meurent de maladies importées par les Européens et les survivants ne seront jamais autorisés à retourner dans leur pays.

En fait, l’histoire des relations interraciales en Tasmanie demeure un sujet de controverse pour les historiens, mais on sait que la vie en Tasmanie était particulièrement difficile : les plus violentes attaques de hors-la-loi, les bushrangers, y ont lieu dans le « Pays de van Diemen », des centaines de bagnards sont en liberté dans le bush, des fermes sont abandonnées par les colons, on vit sous loi martiale… Et, concernant les Aborigènes, le terme de Black War  sert expressément à qualifier cette « guerre civile » de la première moitié du xixe siècle tasmanien.

Les « Protecteurs des Aborigènes »

Il s’agit d’un rôle issu d’un rapport de Londres de 1838 recommandant aux gouverneurs d’Australie d’engager des « Chefs protecteurs des Aborigènes ». Ces derniers devraient apprendre les langues aborigènes d’Australie et leur travail consisterait à veiller aux droits des Aborigènes, à les protéger contre la spoliation de leur territoire et contre tout acte de cruauté, d’oppression et d’injustice.

Bien qu’au départ le but fût la défense des Aborigènes, en particulier dans les zones reculées, des auteurs estiment que le rôle de protecteur conférait un pouvoir de contrôle disproportionné, allant jusqu’à pouvoir déterminer quels individus pouvaient se marier, quels individus étaient aborigènes, où ils devaient résider et voyager (donc leur liberté de mouvement), ainsi que la mainmise sur la gestion de leurs moyens financiers.

De plus, les protecteurs des Aborigènes se feront les principaux artisans de la politique d’assimilation physique et culturelleCecil Cook et Auber Octavius Nevillee en particulier, appliqueront leurs théories pour résoudre le « problème aborigène » en Australie, promouvant ce qu’ils appelaient la « dilution de la couleur » (« breeding out of the colour »).

A ce titre, (et également en raison de leur pouvoir de décréter « qui est aborigène et qui ne l’est pas ») les protecteurs auront été les principaux artisans de ce qu’on appellera les « générations volées » en faisant retirer plusieurs dizaines de milliers d’enfants à leur famille (en particulier des enfants métis, issus d’une mère aborigène et d’un homme blanc), pour les envoyer de force dans des institutions spécialisées, où les filles apprenaient à devenir des aides domestiques et les garçons des métiers manuels (voir section suivante).

Ainsi, cette fonction consistait in fine à la fois à protéger les dernières populations aborigènes en voie d’extinction, mais aussi (et surtout) à les contrôler socialement, et à forcer leur assimilation ethnique et culturelle au groupe dominant des descendants de colons blancs européens.

Une fonction plus qu’ambiguë, très controversée, qui ne fut abolie que dans les années 1970 (!).

L’assimilation forcée : les « générations volées »

Au XIXe siècle, les théories eugénistes et le darwinisme social affirment que le contact entre colons d’une « race supérieure » blanche et peuple colonisé d’une « race inférieure » doit amener inévitablement, par un processus de sélection naturelle, à la disparition de ces derniers. Ainsi, le nombre croissant de métis en Australie est perçu non seulement comme une menace envers la « pureté » de la « race blanche », mais aussi comme une entrave au processus d’extinction « naturelle » des Aborigènes… La politique publique doit s’en mêler.

En conséquence, dès 1869, la loi autorise le gouvernement à saisir les enfants « métis », officiellement pour s’assurer de leur bien-être en les intégrant à la société blanche. Ces enfants sont placés dans des orphelinats, des internats, ou bien confiés à des missions chrétiennes ou à des familles d’accueil blanches.

Lorsque les politiques de saisie des enfants sont harmonisées au niveau fédéral dans les années 1930, leur but explicitement annoncé est d’accélérer la disparition des Aborigènes. C’est là que Cecil Cook, précitée, « protecteur des Indigènes » dans le Territoire du Nord, et A.O. Neville, en Australie-Occidentale, cherchent à utiliser le rapt d’enfants pour accélérer l’assimilation biologique des métis dans la société blanche au fil des générations, et ainsi « résoudre » le « problème aborigène » en aboutissant à la disparition complète de la « race noire par la « submersion rapide de sa progéniture au sein de la blanche ».

Le but ? « Blanchir » ces métis au fil de croisements et des générations en les coupant des Aborigènes « de sang pur », et laisser peu à peu s’éteindre ces derniers en les laissant mourir dans leur coin, sans descendance.

C’est ainsi que, de 1910 à 1972 (1972 !!!!!), donc sans même compter les décennies précédentes, on estime que 100 000 bébés et enfants aborigènes (soit entre 10% et 30% des naissances) auraient été arrachés à leur famille et déracinés de leur culture d’origine. On raconte ensuite à ces enfants qu’ils ont été abandonnés par leur famille ou qu’ils sont orphelins, et on leur impose une éducation blanche, en vue d’un placement comme domestiques ou main-d’œuvre (plus ou moins gratuite…) au service de grands propriétaires terriens ou au sein de fermes. On leur interdit de parler leur langue, on cherche à les couper définitivement de leurs racines.

En 1997, une enquête officielle, menée sous la pression des organisations aborigènes et de particuliers blancs, annonce des chiffres macabres : un enfant sur cinq aurait été abusé sexuellement pendant son « éducation » au sein de ces institutions, et un sur six aurait été « excessivement » (donc gravement) puni corporellement. Le rapport révèle en outre que les enfants « volés » ont en moyenne, par la suite, connu un taux d’éducation légèrement plus faible que les enfants aborigènes qui n’avaient pas été retirés à leurs parents, un taux de chômage légèrement plus élevé, et un taux d’incarcération pour crimes et délits trois fois plus élevé. Le scandale des « générations volées » éclate au grand jour.

Triste échec.

Et, surtout, l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire du pays.

Après le rapport de 1997 (« Bringing Them Home »), une « journée nationale du pardon » (National Sorry Day) est organisée en 1998. Plus d’un million de personnes participent à des évènements publics dont le but est d’exprimer la tristesse et le remords du peuple australien, et de promouvoir un processus de réconciliation nationale.

En 1999, le Parlement adopte une motion exprimant son « profond et sincère regret au sujet des enfants aborigènes qui ont été enlevés à leurs parents ».

En 2008, lors de la cérémonie d’ouverture de la séance parlementaire 2008 à Canberra, Kevin Rudd prononce un discours de repentance et pardon.

En 2021, le Premier ministre, Scott Morrison annonce que certains membres de la « génération volée » seront indemnisés à hauteur de 75 000 dollars australiens.

Les films Le Chemin de la liberté (Rabbit-Proof Fence) et Australia parlent de ce thème dans un style poignant.

L’influence aborigène au sein de la culture australienne

Mais « l’échange culturel » ne sera pas unilatéral : en 2004, Germaine Greer a écrit que la culture indigène a sensiblement affecté le développement de la culture australienne. Greer a pu voir des origines indigènes dans beaucoup d’aspects caractéristiques de la culture australienne : l’égalitarisme et la réticence intrinsèque des Australiens ; l’importance de la capacité à raconter une histoire ; l’intonation et le vocabulaire de l’anglais parlé localement.

La destruction d’un peuple

Il n’en demeure pas moins que, si certains débattent encore de la « pertinence » du mot « génocide », l’arrivée de l’homme blanc a bel et bien rimé, comme pour les Amérindiens, avec la quasi-disparition d’un peuple.

Entre l’alcool, jusqu’alors inconnu des Aborigènes (et qui devient rapidement une monnaie d’échange et provoque la violence), les règlements de comptes ponctuels à coups de lances et de pistolets, la variole, la rougeole, la grippe et toutes les nouvelles maladies balayées d’une communauté indigène à l’autre, le déracinement, la démoralisation, l’accaparement ou de la destruction de ressources alimentaires, les famines en découlant, l’empoisonnement occasionnel des puits auxquels avaient l’habitude de se ravitailler les Aborigènes par les colons, le fait qu’aucun traité ne fut jamais signé avec les Aborigènes (qui, de ce fait, n’autorisèrent l’occupation de la moindre parcelle de terre), les tentatives de résistance armées pendant plus d’un siècle (et encore au XXe siècle), les Aborigènes pâtirent cruellement de l’intrusion européenne sur leurs terres.

En 1847, l’avocat E.W. Landor déclara : « Nous nous sommes emparés de ce pays, nous avons abattu ses habitants, jusqu’à ce que les survivants aient jugé sage de se soumettre à notre autorité. Nous nous sommes comportés tel Jules César lorsqu’il prit possession de la Grande-Bretagne ».

Cependant, la résistance fut particulièrement vaillante en certains endroits et à certaines époques, et mit de nombreux colons en difficulté. Certains vivaient même dans un constant climat de terreur, en perpétuelle attente d’une attaque aborigène. Des massacres de Blancs, de moutons, de vaches, des incendies de maisons, des destructions de récoltes poussèrent certains colons à la faillite. Le développement de l’exploitation de minerais et d’autres ressources fut parfois rendu difficile, voire impossible.

Mais à cette résistance répondit la violence des Blancs, fréquemment caractérisée par des massacres aveugles d’hommes, de femmes et d’enfants aborigènes, souvent en toute impunité, malgré les lois coloniales en vigueur qui ne prévoyaient pas de distinction entre Blancs et Aborigènes, notamment en matière de meurtre : dans les faits, les Blancs ne furent presque jamais punis.

Les massacres les plus tristement célèbres du début du xixe siècle furent ceux de Pinjarra et de Myall Creek. Ce deuxième massacre devait rester célèbre car, fait exceptionnel, sept des meurtriers furent reconnus coupables, condamnés à mort et exécutés par pendaison. Il s’agissait des premières exécutions de Blancs pour des assassinats d’Aborigènes.

Les années 1930 ont vu le commencement du mouvement moderne de droits civiques pour les Aborigènes et l’apparition de militants comme sir Douglas Nicholls qui ont fait avancer les droits indigènes par la loi établie par l’Australie blanche.

Néanmoins, le mal était fait (et ne devait certes pas s’arrêter aux années 30). Si la population aborigène était estimée à plusieurs centaines de milliers d’âmes (entre 350 000 et 1 million de personnes, dit-on souvent) au moment de l’arrivée des premiers Européens, en 1911, elle ne compte plus que 31 000 âmes. Puis l’on cessa les recensements.

Aujourd’hui, la plupart des Aborigènes vivent toujours dans la brousse, au fin fond des zones arides où l’homme blanc ne s’aventure (presque) pas. Ceux qui errent en ville sont, dans la majorité des cas, réduits à des conditions de vie déplorables (alcoolisme, mendicité…) ; un sort tragique qui rappelle tristement celui des Indiens d’Amérique du Nord…

La ruée vers l’or : d’un immense bagne à une colonie de peuplement prospère

Les ruées vers l’or en Australie commencent en 1851 : un prospecteur trouve de l’or en Nouvelle-Galles du Sud et, six mois plus tard, on en trouve dans le Victoria. (En réalité, un peu d’or avait déjà été trouvé en 1823 et 1839 notamment mais, pour éviter les troubles au sein de la communauté, et pour préserver l’équilibre écologique du site, les recherches furent interdites par les autorités gouvernementales ; un changement de position sera opéré en 1849, permettant la prospection : le gouvernement colonial demande alors l’approbation du Colonial Office d’Angleterre pour autoriser l’exploitation des ressources minérales dans la Nouvelle-Galles du Sud).

De l’or sera trouvé plus tard dans toutes les autres colonies australiennes (États et Territoires). La plus grosse pépite jamais trouvée, la Welcome Stranger, de 72 kg, en 1869, dans le Victoria. Une fois nettoyée, elle mesurait 61 centimètres de large pour 31 centimètres de long.

Durant les années 1850 et 1860, de nombreux chercheurs d’or, déçus de la Californie (voir mon article sur la ruée vers l’or californienne), sont attirés par la facilité de la prospection en Australie : la poussière d’or jonche parfois le sol et les grosses pépites sont courantes. Ceci provoque une rapide expansion de la population australienne, qui triple en 10 ans, passant de 400 000 à 1,2 million d’habitants !

C’est aussi le début d’un véritable boom économique. Des bourses pour l’échange des valeurs des sociétés minières sont ouvertes, notamment celle de Charters Towers qui devient pour quelques années l’une des plus grandes bourses du monde (!).

Cette rapide croissance provoque aussi certaines tensions sociales – comme la rébellion d’Eureka Stockade en 1854 : les mineurs d’or de Ballarat, dans le Victoria, se révoltent en effet contre l’autorité coloniale du Royaume-Uni, point culminant d’une période de désobéissance civile dans la région, les mineurs s’opposant aux coûts d’un permis de mineur, à la taxation et aux actions du gouvernement, de la police et de l’armée. La crise virera au conflit armé et plusieurs dizaines de morts seront à déplorer (surtout des rebelles), mais elle aura permis d’accélérer l’introduction du suffrage universel au Victoria et peut être considérée comme la première véritable expression d’un sentiment national contre la métropole. D’ailleurs, partout, au fur et à mesure que le gouvernement impose des restrictions et des frais sur l’exploitation minière, le mécontentement des pionniers grandit.

Au total, des dizaines de localités sont concernées par la ruée vers l’or. Au cours de la période 1851-1960, le Victoria sera même le premier « pays » producteur d’or du monde (avec un tiers de la production mondiale !).

Puis, dans les années 1880-1890, c’est dans les déserts de l’Ouest que l’on trouve de l’or (dans les régions de Kimberley, Yilgarn, Coolgardie, Kalgoorlie, Murchison…), ce qui encourage 500 000 personnes à migrer vers Perth dans l’espoir de faire fortune. Toutes ne restent pas mais l’afflux de main-d’œuvre contribue au développement de la ville.

D’autres ruées vers l’or auront eu lieu en Australie, notamment en 1910 et 1950. Dans les années 2010, une émission de téléréalité suit des chercheurs d’or australiens (toujours là !) pendant plusieurs saisons. L’Australie recélerait encore 10% des réserves mondiales d’or !

Une accélération de la métamorphose australienne

Le pays connaît alors bien sûr une métamorphose complète : introduction du chemin de fer, du télégraphe, du droit de vote pour les hommes à bulletins secrets sur la base des principes chartistes, réformes agraires, luttes sociales, réformes politiques…

Au cours de cette période d’euphorie des années 1850 et 1860, on commence en outre bien sûr la construction d’un grand nombre de bâtiments institutionnels dans des villes comme Melbourne, qui devient une véritable ville-champignon, avec des réseaux ferroviaires irradiant vers les grandes villes régionales et le premier port de commerce maritime et fluvial du pays. De là devait naître l’éternelle rivalité entre les deux plus grandes villes du pays : Sydney et Melbourne.

Financée par la prospérité de la ruée vers l’or, la National Gallery of Victoria a été fondée en 1861 et a commencé à recueillir les travaux des maîtres européens ainsi que les nouvelles écoles australiennes de peinture. En 1854-1866, utilisant le principe de la compression de vapeur, l’inventeur australien James Harrison a produit, dans le Victoria, le premier réfrigérateur pratique au monde ! Son invention a permis par la suite l’exportation de viande vers l’Europe. Cela apporta une prospérité supplémentaire à celle due à l’industrie de la laine et à l’extraction de l’or au xixe siècle.

Les règles du football australien ont été codifiées à Melbourne en 1858.

Dans les années 1880, Marvellous Melbourne est la deuxième plus grande ville de l’Empire britannique.

Vers la fin du xixe siècle, l’art des peintres comme ceux de l’Heidelberg School et la prose des écrivains comme Banjo Paterson et Henry Lawson ont fait naître un sentiment croissant d’identité nationale et des hommes politiques comme Sir Henry Parkes et Sir Edmund Barton ont fait campagne pour une fédération indépendante des colonies, avec la reine Victoria en tant que souveraine.

Quant, aux fameux bushrangers, ils connurent très certainement leur apogée précisément à l’époque de la ruée vers l’or.

Les bushrangers

Les bushrangers, ou bush rangers, étaient des hors-la-loi du début de la colonisation de l’Australie qui utilisaient leurs capacités à survivre dans le bush pour se cacher des autorités.

On peut les comparer aux « bandits de grand chemin » britanniques (en anglais highwaymen) ou aux « hors-la-loi » de l’Ouest américain (en anglais Western outlaws). La plupart du temps, leurs crimes consistaient en des attaques de banques de petites villes ou de diligences, en des vols (provisions de voyageurs ou de colonies éloignées pour les revendre à d’autres colons, etc).

Le terme bushranger a évolué pour finalement faire référence aux individus renonçant à la vie en société pour vivre de vol à main armée, en utilisant le bush comme base de leurs opérations.

En Tasmanie, les prisonniers qui s’échappaient et devenaient bushrangers étaient connus sous le nom de « bolters ».

On pense que plus de 2 000 bushrangers ont parcouru les étendues australiennes, des premiers bagnards évadés (dits convict bolters) jusqu’à la fin des bushrangers marquée par le dernier combat de Ned Kelly (peut-être le plus célèbre bushranger).

On considère en général que le premier bushranger fut John « Black » Caesar.

Durant les années 1830, Jack Donahue fut considéré comme le bushranger le plus célèbre de la colonie, et un authentique personnage du folklore australien (comme Ned Kelly, d’ailleurs).

Le Bushranging était courant sur le continent australien, mais il était particulièrement violent en Tasmanie. Des centaines de bagnards étaient en liberté dans le bush, au point que des fermes furent abandonnées, ce qui justifia l’instauration de la loi martiale.

Comme mentionné précédemment, l’âge d’or des bushrangers fut certainement la période des années 1850 et 1860, époque de la ruée vers l’or, puisque la découverte d’or offrait aux bushrangers des vols faciles et un moyen efficace et rapide de devenir riches. Leur tâche fut facilitée par les positions isolées des champs d’or et des troupes de polices affaiblies par des hommes abandonnant leur poste pour rejoindre les rangs des chercheurs d’or.

En outre, le nombre de bushrangers connut un essor durant les années 1850-1860 du fait que de nombreux fils de colons pauvres — souvent d’anciens bagnards — étaient attirés par une vie plus facile que le travail à la mine ou à la ferme.

Les hommes du Gang Kelly, menés par Ned Kelly, furent parmi les derniers bushrangers. Ils furent capturés à Glenrowan en 1880, deux années après avoir été déclarés hors-la-loi.

Paradoxalement, en Australie, les bushrangers s’attiraient souvent la sympathie du public, bien qu’ils fussent loin d’être des Robin des Bois. En réalité, ils plaisaient (dans une certaine mesure) en ce qu’ils embarrassaient les autorités, souvent jugées trop dures par les colons (on trouve très romantique la lutte contre la loi qu’ils représentent). Ils sont en effet perçus par le prolétariat pastoral comme des rebelles contre la tyrannie et toute forme d’autorité : en somme un parfait exemple d’adaptabilité, de liberté, de mépris de l’autorité et de loyauté/solidarité masculine. Aux yeux du peuple, bien souvent, les bushrangers incarnent la résistance des « petits » face à la bourgeoisie coloniale (notamment les riches squatters).

De la même manière que les hors-la-loi font souvent l’objet de westerns américains, les bushrangers apparaissent régulièrement dans la littérature, la musique, le cinéma et la télévision australienne : ballades, chansons populaires, romans, films…

Les Chinois…

Nombreux sont les Chinois qui, avec la ruée vers l’or, affluent en Australie au milieu du XIXe siècle (en même temps que des Américains et des Européens, notamment). Leur particularisme culturel, leur présence sur certains champs aurifères ainsi que l’exportation de grandes quantités d’or en Chine entraîne des émeutes, des taxes d’entrée, des meurtres et une ségrégation qui, bientôt, ajoutés au racisme viscéral envers les Aborigènes, seront les fondements de la politique de l’Australie blanche…

En effet, au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, on compte plusieurs dizaines de milliers de Chinois en Australie et, très tôt, leur présence est mal vécue par les Australiens blancs (émeutes antichinoises, xénophobie, peur du « Péril Jaune ») et, peu à peu, des lois restrictives sont adoptées les concernant. On redoute de plus en plus un raz-de-marée asiatique et les Chinois sont mis dehors dès les années 1880.

Le scandale qui éclate en 1888, avec 40 000 manifestants regroupés à Sydney pour s’opposer à la tentative d’immigration d’une centaine de Chinois, déjà refoulés de Melbourne, finit de convaincre les autorités, qui met officiellement fin à l’immigration chinoise. Le pays restera fermé à l’immigration asiatique pendant des décennies…

On l’a vu, la démocratie (précoce) australienne, ce n’est pas (encore) pour tous…

Alors le rêve de l’Australie blanche, véritable repli protectionniste et projet systématique d’exclusion raciale, prend de l’ampleur… : cette politique migratoire (White Australia Policy) restera celle de l’Australie jusqu’en 1973, privilégiant l’immigration blanche européenne au détriment de celle issue des autres continents, et en particulier de la toute proche Asie de l’Est.

Cette politique est officiellement mise en place en 1901 après la Fédération de l’Australie par gouvernement fédéral, à l’échelle nationale. Les premiers colons ont, tout au long du XIXe siècle, mené de véritables guerres de la frontière contre les Aborigènes afin de créer une nation blanche d’influence britannique (dont les aborigènes, en tant que peuple considéré comme à l’extrémité primitive de l’échelle humaine, ne sauraient faire partie) ; ils n’ont donc certes pas l’intention de se laisser « envahir » par des migrants trop nombreux issus de continents de couleur différente. La population blanche australienne reste en effe encore peu nombreuse, la nation est en gestation et cherche à éviter d’être minorisée sur « son » territoire. L’arrivée massive de Chinois (40 000 en 20 ans), à ce titre, était vécue comme une menace certaine, d’autant qu’il s’agit d’une population dure à la tache, repliée sur elle-même et moins exigeante que les travailleurs blancs…

Le nouveau parlement australien fait donc voter une loi de restriction de l’immigration (Immigration Restriction Act) en 1901, qui impose un examen minimal d’anglais ou d’autres langues européennes, qui est choisie selon les capacités du candidat. Parfois, en cas de maîtrise de l’anglais, l’épreuve est effectuée en une autre langue européenne afin d’écarter l’impétrant. L’examen est ainsi, de fait, totalement discriminatoire. Certaines professions dont les services postaux sont légalement interdites aux non-européens. Ce système satisfait à la fois tant certains syndicalistes désireux d’éloigner la concurrence des travailleurs étrangers que l’opinion nationaliste soucieuse de préserver le caractère « britannique » de la société.

Cette politique ne sera assouplie qu’à la fin du XXe siècle, notamment en raison des traumatismes vécus par la population australienne (sérieusement amputée) avec la Seconde Guerre Mondiale (voir mon dernier article sur l’histoire australienne).

Le Commonwealth d’Australie

Avec le rejet des Chinois, des 10 000 Mélanésiens déjà présents sur le territoire (parfois employés dans les cannes à sucre du Queensland au XIXe – certains avaient même été kidnappés dans ce but, mais après la loi de 1901, on leur fait clairement comprendre qu’il est grand temps de repartir) et des Aborigènes, on le voit, la population australienne est de plus en plus consciente de son identité et de ce qu’elle veut en faire.

Cette naissance du nationalisme australien entraîne une série de quatre conventions constitutionnelles ayant pour but la Fédération de l’Australie, avec le consentement du Royaume-Uni. En 1901, le Commonwealth d’Australie est donc né. Le Duc d’York (futur roi George V) inaugure le nouveau Commonwealth australien, le 1er janvier 1901, réaffirmant ainsi l’attachement à la Couronne d’Angleterre… même si, dans les faits, c’est alors un pas de plus vers l’indépendance politique complète. Il ouvre également la première séance du Parlement d’Australie le 9 mai 1901, et son successeur (le futur George VI) ouvrira la première séance parlementaire plus tard à Canberra en 1927.

Bien sûr, une telle Fédération ne se construisit pas sans un certain nombre de chamailleries entre les colonies, chacune revendiquant fièrement alors une identité distincte quoique, dans les faits, tous les Etats aient connu une évolution politique, sociale et économique assez similaire : la fusion était donc logique (d’autant que, déjà, les aspirations militaristes du Japon commencent à inquiéter quelque peu cette partie du globe…).

Cependant, le Commonwealth, quoique doté d’une constitution (ratifiée par le parlement britannique), ne constitue pas une identité souveraine ; la Fédération ne détient pas encore le pouvoir de déclarer la guerre ou de signer des traités formels avec d’autres Etats, et ne jouit pas de statut diplomatique à l’étranger : elle demeure encore étroitement liée au Royaume-Uni, qui demeure cher aux Australiens, l’Angleterre demeurant pour beaucoup leur « Home Country » (la célèbre Mother land !).

Le nationalisme australien affirmait ainsi par là son éternelle nature duelle et contradictoire : son amour pour l’Angleterre et son attachement aux valeurs de l’Empire d’un côté… mais son profond esprit de liberté, d’égalité, de rébellion et d’indépendance de l’autre…

A noter : la Nouvelle-Zélande avait également été conviée à participer aux négociations précédant, durant deux décennies, la création de la Fédération, mais elle n’y adhéra finalement pas.

Ce « Commonwealth » comporte 6 Etats, Nouvelle-Galles du Sud, Tasmanie, Australie-Méridionale, Queensland, Australie-Occidentale, Victoria, auxquels viendront s’ajouter deux terretiresoi en 1911, le Territoire du Nord et le territoire de la nouvelle capitale, Canberra.

Car, concernant la capitale de la Fédération, les Australiens étant incapables de se mettre d’accord sur Melbourne et Sydney, elle devait être une ville tierce construite de toutes pièces, neutre et sans enjeu historique, sur un territoire à part (=ni dans le Victoria, ni en Nouvelle-Galles du Sud) : Canberra.

En 1907, l’Australie obtient le statut de dominion qui officialise son autonomie interne.

L’Union Jack est intégré au drapeau national, le monarque anglais reste le souverain lointain de l’Australie. Le drapeau figure également la Croix du Sud, constellation de 5 étoiles visible seulement de l’hémisphère sud…

La Belle Epoque en Australie

Au tournant du XXe siècle, on y joue au rugby (rugby à XV, à XIII et rugby australien, né dès les années 1850), au tennis, au polo (pour l’élite, bien sûr), au cricket, on y dispute des courses de bicyclette, des courses à pied, des courses hippiques, des courses d’aviron (régates), des clubs se forment un peu partout, on s’amuse parfois à chasser le kangourou, on aime les bains, la natation… et le surf est popularisé par un nageur hawaïen à partir de 1915.

La vigueur de la nation reposant aussi sur la santé et la solidité des femmes, même des gymnases féminins voient le jour ! C’est que la nation australienne repose sur une idéologie faisant la part belle à la santé, à la vigueur, la force, l’endurance, l’énergie, la détermination. (Un élément culturel toujours décisif de nos jours.)

D’ailleurs, dès la fin du XIXe siècle, l’Australie remporte des médailles et ne cessera plus jamais de s’affirmer comme une nation des plus vigoureuses et des plus sportives.

Avant que les tourments des deux guerres mondiales (qui, décidément, n’épargnèrent personne) ne viennent frapper ses rivages, en Australie aussi, c’est alors la Belle Epoque (dans la haute société, du moins !).

Les femmes

Les femmes, justement. Parlons-en.

A la (tenace) étiquette de « Sacrée Putain » vient, au milieu du XIXe siècle, se substituer celle de la gardienne de la morale et de la religion (un rôle finalement tout aussi fréquemment attribué à la femme dans l’histoire de l’Occident que celle de putain ; entre Marie-Madeleine et la Vierge Marie, la femme a-t-elle jamais eu d’autre choix ?).

Néanmoins, l’évolution que cela conférait à la femme demeurait très relative, puisqu’elle la cantonnait au vieux rôle de compagne intègre et moralisatrice réduite aux tâches ménagères, à la bonne gestion du foyer et à une influence civilisatrice sur sa brute de mari australien. A la fin du siècle, les femmes australiennes travaillent donc très peu (au regard des Anglaises, par exemple), les rôles sont très marqués et les jeunes filles sont éduquées pour devenir de bonnes mères, de bonnes épouses et de bonnes ménagères (pas très moderne, tout ça, pour le coup). Le taux de fécondité ne trompe pas, d’ailleurs, qui est de 6 à 7 enfants par femme de 1860 à 1890 !

Quant à celles qui, veuves ou célibataires, sont contraintes de travailler, elles connaissent la précarité de l’emploi et du salaire.

Les choses évoluent au tournant du XXe siècle avec l’émergence des mouvements féministes depuis les années 1870. Dès 1880, les universités de Melbourne, Sydney et Adélaïde, par exemple, autorisent les femmes à suivre des études supérieures (bien que, dans les faits, cela reste extrêmement marginal, bien sûr).

Une première colonie (l’Australie-Méridionale) accorde le droit de vote aux femmes en 1894 et, en 1910, colonie par colonie, elles l’ont acquis dans toute l’Australie !! (34 ans avant les Françaises !)

Conclusion

Si la société du milieu du XIXe siècle est encore fortement marquée par la politique de déportation, elle s’en es donc peu à peu éloignée grâce à l’exploration en règle, enfin, du continent australien, et à l’expansion, en conséquence, de la colonisation en tant que telle.

Dans les années 50 donc, le bagne des antipodes a laissé la place à l’image plus heureuse d’une terre d’asile et d’opportunité pour le travailleur à la recherche d’un lopin de terre gorgé de soleil.

En 1880, la population née en Australie surpasse pour la première fois la population immigrée des îles britanniques. (!)

Quant au Commonwealth d’Australie, il constitue une nouvelle nation totalement contradictoire : à la fois démocratie exemplaire, parmi les plus stables, les plus prospères et les plus avant-gardistes du monde, et société profondément raciste et monoculturelle (au point d’inscrire le racisme dans sa législation même), l’Australie, à la fois égalitariste et discriminante, libertaire et xénophobe, à la fois paradis et enfer, n’a pas fini d’étonner par ses antagonismes (une dualité encore perceptible aujourd’hui).

► Découvrir le 5e et dernier volet de cette Histoire de l’Australie.

► Découvrir mon roman L’Australien

Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : Pixabay