L'Histoire (la grande !)

Petite Histoire de l’Australie – 2/5

Histoire de l’Australie : 2- Les grandes explorations

NB : cet article fait suite à mon premier article sur l’Histoire de l’Australie, à découvrir ici.

Introduction

On croit souvent que l’Australie a été découverte par James Cook, lieutenant de la Royal Navy, en 1770, mais il ne s’agit en réalité que d’un explorateur parmi beaucoup d’autres qui, à un moment ou à un autre, touchèrent le continent austral. James Cook fut simplement celui qui en prit officiellement possession, au nom de Sa Majesté le roi de Grande-Bretagne…

Ce sont ainsi en réalité plusieurs vagues de grands navigateurs qui « découvrirent », au fil des siècles, un point ou l’autre de l’Australie, tout comme ils touchèrent peu à peu de nombreuses îles du Pacifique, la Tasmanie, la Nouvelle-Zélande… et de nombreux « Nouveaux Mondes ».

Les grands mouvements exploratoires de l’époque moderne

A la conquête des trésors du monde et des nouvelles routes de commerce

Quand, au XVe siècle, prennent fin les deux conflits interminables qui secouent l’Europe depuis plusieurs décennies (voire plusieurs siècles), la Guerre de Cent Ans d’une part (achevée en 1453) et la Reconquista espagnole d’autre part (chute de Grenade en 1492), les grandes puissances européennes, enfin libérées (certes, pas pour longtemps) de leurs interminables dissensions internes se retrouvent libres (et, pour certaines, contraintes) d’aller chercher de nouvelles richesses outre-mer….

C’est ainsi que l’époque moderne, marquée par d’innombrables inventions scientifiques et intellectuelles de toutes sortes (c’est la période de l’humanisme et de la Renaissance qui s’ouvre), se voit également caractérisée par de grandes explorations maritimes et terrestres. Parmi les principaux facteurs poussant alors les grandes puissances européennes à chercher de l’or et de nouvelles richesses outre-mer figurent :

  • le désir de se procurer les produits orientaux, devenus rares, chers et difficiles à se procurer depuis l’expansion de l’Empire Ottoman, qui fait barrage (prise de Constantinople par les Turcs : 1453) ;
  • une population en forte croissance ;
  • des conflits religieux (fuite de protestants persécutés, notamment) ;
  • un souci d’évangélisation des autres peuples du monde (volonté des papes successifs…) ;
  • les progrès en matière de navigation ;
  • le besoin de nouvelles possessions (pour l’Angleterre, par exemple, qui vient de perdre définitivement, avec la fin de la Guerre de Cent Ans, toutes ses anciennes possessions sur le continent, l’Aquitaine en tête).

Quelques noms demeurés célèbres

Ainsi, de Nouveaux Mondes sont bientôt « découverts » (en tout cas, découverts par l’homme blanc car, l’Antarctique mis à part, il va sans dire que toutes les terres ainsi « découvertes » étaient déjà habitées !) avec :

  • le Portugais Dinis Dias, qui atteint le cap Vert en 1444 ;
  • le Portugais Bartolomeu Dias, qui atteint le cap de Bonne-Espérance (pointe sud de l’Afrique) en 1487 ;
  • le Génois Christophe Colomb qui, en 1492, « découvre » les Antilles et l’Amérique du Nord (en réalité, les Scandinaves vers l’an 1000, et peut-être les Chinois au début du XVe s., auraient touché les diverses côtes de l’Amérique bien avant lui…) ;
  • le Portugais Vasco de Gama qui, en 1498, atteint l’Inde, après avoir doublé ce même cap de Bonne-Espérance et traversé l’océan Indien, ouvrant ainsi la route maritime orientale vers les Indes ;
  • le Florentin Amerigo Vespucci (au service des Médicis, puis de la Castille et du Portugal), qui traverse l’Atlantique plusieurs fois et fut le premier à comprendre que Colomb a en fait découvert un nouveau continent (c’est lui qui donnera son nom à l’Amérique…) ;
  • le Portugais Magellan, qui part en 1519, découvre le détroit qui porte son nom (entre l’Amérique du sud et la Terre de Feu), ainsi que de (très) nombreuses autres terres et mers (Pacifique, Océanie, Asie…) inconnues des Européens, et réussit le premier tour du monde ;
  • le Français Jacques Cartier qui, en 1534, découvre le Saint-Laurent et explore ce qui deviendra le Canada ;
  • Jean Cabot (un Génois au service d’Henri VIII d’Angleterre) qui, en 1497, découvre Terre-Neuve, au large du Canada (il croit, comme Colomb, avoir atteint l’Asie) ;
  • Richard Chancellor qui, au début du XVIe s., explore l’Atlantique Nord, recherche le « passage du Nord-Est », découvre de ce fait la mer Blanche en contournant la Scandinavie par le Nord, et établit des relations commerciales avec le tsar de Russie Ivan le Terrible ;
  • Etc.

Des empires coloniaux en construction

Chacun se met alors à se tailler d’immenses empires à partir de ces nouveaux territoires. (Voir aussi mon article sur l’Empire britannique). L’Espagne et le Portugal sont en tête, mais la France, la Hollande et l’Angleterre s’y mettent bientôt elles aussi.

C’est l’âge des navigateurs, des explorateurs et des grands capitaines et pilotes qui risquent tout au nom des diverses couronnes pour que le partage du monde ne se fasse pas sans leur souverain. Les cartes du monde se dessinent, les informations sont méticuleusement collectées et répertoriées, les limites du monde connu des Européens sont repoussées.

L’Angleterre, de même que la France et la Hollande, participe à ce grand mouvement exploratoire, quoique moins massivement et moins hardiment que l’Espagne et le Portugal, qui devancent largement les trois premières dans ce mouvement aventurier, puis colonial (ils détiendront et contrôleront pendant des siècles l’Atlantique sud, le contournement de l’Afrique par le sud et l’Océan Indien).

L’Empire espagnol comprend alors, grosso modo, toute l’Amérique Centrale (sauf le futur Brésil) et les Philippines ; l’Empire Portugais, très différent, comprend pour sa part le futur Brésil (partage de Tordesillas) et une série de comptoirs le long des côtes africaines (orientales comme occidentales), dans l’Océan Indien, sur la route des Indes orientales, et en Inde même. Ils dirigent les premières plaques tournantes du trafic négrier (dont le Brésil sera le plus gros bénéficiaire et le plus gros demandeur tout au long de la traite). Il s’agit, pour les Portugais, moins d’occuper des régions ou de les coloniser que de contrôler une route commerciale de l’Orient vers Lisbonne, d’y drainer toutes sortes de richesses (épices) et d’acquérir des monopoles. En réalité, cet empire, plus fragile que l’Eldorado des Conquistadores espagnols, succombera très vite aux velléités hollandaises, françaises et anglaises, une fois ces puissances européennes réveillées (au cours du XVIe siècle seulement, tandis que les explorateurs espagnols et portugais sillonnaient déjà abondamment les mers au XVe siècle).

Les Hollandais, de leur côté (Provinces-Unies) se mettent à pratiquer le grand cabotage, s’installent à leur tour un peu partout (Guyane hollandaise, quelques îles des Antilles, comptoirs en Asie, en Afrique…), remplacent les Portugais en plusieurs endroits, se font de gros commerçants de produits orientaux et créent les Indes néerlandaises.

Les Français et les Anglais suivent alors le mouvement… et se mettent notamment à coloniser le nord de l’Amérique :

  • Les Premiers migrants anglais s’installent à Jamestown, en Virginie, en 1607, puis à Terre-Neuve en 1610. Ils sont suivis de près par les Pilgrim Fathers (protestants puritains) qui, en 1620, quittent l’Angleterre des Stuarts catholiques pour l’Amérique du Nord, où ils fondent le noyau de la Nouvelle-Angleterre.
  • De leur côté, les Français se mettent à sillonner la « Nouvelle-France » avec, d’un côté, le futur Québec-Canada et, de l’autre, les terres autour de la Nouvelle-Orléans (entre autres).

Bref ! Voilà pour le contexte global. Et concernant l’Australie, alors ?

Les Européens touchent l’Australie

Le vieux rêve d’une Terra Australis Incognita

On l’a vu dans l’article 1 : depuis toujours, l’idée d’un vaste continent austral, encore non découvert, agite les esprits scientifiques et nourrit toutes sortes de visions fantaisistes. Une vieille idée qui dure depuis les travaux de l’astronome et géographe grec Ptolémée, puis reprise par les Romains, et qui suppose qu’il doit bien exister quelque part une vaste Terra Australis Incognita faisant contrepoids aux continents septentrionaux. Plus tard, au Moyen Âge, on commence à y placer le Purgatoire ou le Paradis… et toutes sortes de nouvelles hypothèses émergent.

C’est ainsi que les grands navigateurs, qui ont peu à peu atteint puis contourné les Amérique et commencé à explorer le Pacifique d’une part, et contourné l’Afrique pour atteindre l’Indonésie d’autre part, continuent de chercher cette supposée vaste terre australe encore inconnue.

Si bien que, bien avant James Cook et l’année 1770, nombre d’entre eux auront atteint l’une ou l’autre des côtes australiennes ; en même temps, difficile de passer dans le secteur et de chercher à passer du Pacifique à l’océan Indien (ou l’inverse) sans s’échouer sur cette île faisant modestement 14 fois la taille de la France !

XVIe siècle, premiers flirts avec l’Australie : les Portugais

  • En 1522, l’explorateur portugais Cristóvão de Mendonça, explorateur de l’Est de l’Afrique et du Sud-Est de l’Asie, aurait longé les côtes de l’Australie à la tête de trois caravelles dans les années 1521 à 1524. Une de ses caravelles, la Mahogany, se serait même échouée près de Warrnambool (dans le Victoria d’aujourd’hui, à quelque 250km de Melbourne). Cette découverte aurait été passée sous silence en raison du traité de Tordesillas qui, coupant le monde en deux, réservait l’exploration de cette région à l’Espagne (!!) – le Portugal et l’Espagne, alors très en avance sur leurs voisins européens dans la course à l’exploration, avaient ainsi décidé de se partager le monde en deux… Il nomme néanmoins l’Australie « la grande Jave », une terre située entre l’Indonésie et l’Antarctique, et qui figure ainsi sur des cartes marines et portulans du xvie siècle de l’Ecole de cartographie de Dieppe (intense collaboration à l’époque entre navigateurs portugais et cartographes français).
  • Selon certains historiens, d’autres explorations portugaises auraient peut-être eu lieu également avant l’arrivée des premiers Hollandais ; des peintures rupestres de ce qui semble être le type de navires utilisés par les Portugais, mais aussi des objets, des pièces de monnaie trouvées sur la côte du Victoria… pourraient aller en ce sens (ainsi, bien sûr, que les fameuses cartes de Dieppe mentionnées ci-dessus, ayant peu de chances de n’être que le fruit du voyage de Mendonça). La question fait néanmoins toujours débat. Voir les articles Théorie de la découverte de l’Australie par les Portugais et La Grande Jave.
  • Il est en outre très possible que l’Espagnol Luis Váez de Torres ait vu l’Australie quand il a navigué dans le détroit de Torres en 1605, détroit qui sépare l’Australie et la Nouvelle-Guinée et qui porte, aujourd’hui encore, son nom.

Et avant ?

Bien avant cela bien sûr, et comme mentionné précédemment, des sources diverses évoquent l’idée de l’existence d’une grande masse terrestre au sud de l’Asie. Au xiiie siècle, Marco Polo cite des rapports de l’existence de ce continent austral « regorgeant d’or » au sud de Java. Il est d’ailleurs probable que des navigateurs chinois aient plusieurs fois touché l’Australie, même s’ils ne s’y implantèrent pas. C’est la théorie de certains historiens, mais elle demeure toujours fort débattue (voir : Hypothèse de la circumnavigation chinoise). Selon ces historiens, un eunuque du nom de Zheng He aurait, dans les années 1420, commandé une flotte marchande de 300 naivres ; il se serait enfoncé dans le désert austral avec des astronomes pour réaliser de belles lectures du ciel… Vraie ou pas, l’histoire s’arrête en 1433 avec une révolution à la cour chinoise qui mit un terme à ces éventuelles expéditions.

Des marchands musulmans venus de Perse et d’Inde auraient aussi sillonné les eaux de la Nouvelle-Guinée au cours du XVe siècle (auraient-ils alors vu ou touché l’Australie aussi ?), à la recherche d’épices, d’or et de nouvelles âmes à convertir ; mais leur progression aurait été court-circuitée par l’arrivée des premiers Européens, mieux équipés.

Sans (re)parler, bien sûr, des habitants des îles voisines, qui commercent et pêchent dans le secteur nord (marins bajaubugis et makassar, par exemple, qui viennent chaque année pêcher l’holothurie ou « concombre de mer » sur la côte nord-ouest de l’Australie,oules peuples du sud de Sulawesi, qui sillonnent les mers de la région depuis longtemps – ces marins indonésiens ont laissé des traces de leur passage, mais n’ont jamais créé d’établissements permanents, car ils rentraient chez eux une fois la saison terminée).

Pour donner néanmoins une idée de « l’avancement des idées » (ou plutôt, de l’ignorance totale) concernant ce fameux « continent austral » en Europe, la plupart des mappemondes de l’époque figurent une vaste Terra Australis« … clairement fusionnée avec l’Antarctique. C’est le cas, notamment, des mappemondes du XVIe siècle de Pierre Desceliers, Nicolas Desliens ou Abraham Ortelius, par exemple.

D’autres cartes ne figurent qu’un ensemble d’îles de plus ou moins grosse taille (sans que l’une d’elle ne sorte particulièrement du lot par son étendue) et aux emplacements plus qu’approximatifs au niveau de l’Océanie actuelle.

En bref, jusqu’au XVe, et même jusqu’au XVIe siècle, les mers au sud de l’archipel indonésien demeurent nimbées de mystère pour les grandes civilisations du globe. Quant aux côtes australiennes alors touchées, on ignore encore si elles constituent une île (de plus ou moins grande taille) ou si elles sont rattachées à l’Antarctique.

XVIIe siècle : les Néerlandais

Malgré ces quelques premières approches, la véritable « découverte » de l’Australie n’en demeure pas moins plutôt officiellement associée aux explorateurs néerlandais, à partir du début du XVIIe siècle.

On attribue le premier pied européen posé sur le sol australien au navigateur Willem Janszoon, arrivé à bord du Duyfken (et d’une douzaine d’autres navires) en 1606, sur la côte ouest-australienne et/ou nord-australienne. Sa mission consistait à trouver de nouvelles terres de commerce du côté de la « grande terre de Nouvelle-Guinée et autres terres orientales et méridionales » au profit, bien entendu, de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales. Bientôt, aux Pays-Bas, cette grande terre aux limites encore imprécises et découverte par Janszoon est nommée Nieuw Hollandt, « Nouvelle-Hollande ».

Le second néerlandais à poser le pied sur le sol australien aurait été Dirk Hartog, marin et explorateur hollandais dont une expédition au profit de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales en fit le commandant du deuxième groupe d’Européens à mettre le pied sur le continent australien, en 1616. Alors qu’ils tentaient de rejoindre Batavia (actuelle Djarkarta), son équipage et lui eurent la surprise de découvrir des îles inconnues. Ils accostèrent sur l’une des îles, maintenant connue comme l’île Dirk Hartog à l’entrée de la baie Shark en Australie-Occidentale. Hartog passa trois jours à longer la côte et les îles environnantes. Il appela l’endroit Eendrachtsland d’après le nom de son bateau, l’Eendracht. Avant de repartir il fixa une assiette, maintenant connue sous le nom d’assiette d’Hartog sur un piquet au sommet de la falaise. Sur l’assiette, il inscrivit quelques mots relatant son histoire, preuve indubitable de son passage.

Estimant n’avoir plus rien à découvrir, Hartog reprit sa route vers le nord en longeant les côtes inconnues de l’actuelle Australie-Occidentale et gagna Batavia.

En 1619, Fredeck de Houtman, à bord du navire VOC Dordrecht, aperçut la terre de la côte australienne située de nos jours près de Perth, qui fut baptiséeEdelsland. Après avoir navigué vers le nord le long de la côte, il rencontra et évita de justesse une zone de hauts-fonds, appelée ensuite les Houtman Abrolhos. Houtman arrive ensuite en vue de la terre dans la région découverte par Dirk Hartog.

En 1623, Jan Carstensz navigua dans le Golfe de Carpentarie (nord de l’Australie). Lors d’une escale pour s’approvisionner en eau douce, il rencontra un groupe d’Aborigènes (peut-être les premiers rencontrés par des Blancs). Carstensz les décrivit comme des « pauvres et misérables gens » qui n’avaient « aucune connaissance des métaux ou des épices ». Evidemment, les priorités aborigènes étaient tout autres. Jan Carstensz et son équipage auraient affronté un autre groupe d’Aborigènes plus tard au cours du voyage. La pyramide Carstensz, le point culminant d’Océanie, dans la partie indonésienne de la Nouvelle-Guinée, a été appelée ainsi en son honneur. Carstensz est en outre à l’origine de plusieurs autres noms de lieux le long de la côte nord de l’Australie.

En 1627, François Thijssen aurait longé 1500 ou 1800km de la côte sud-australienne dans la région du cap Leeuwin (naviguant du cap de Bonne-Espérance vers Batavia, il aurait dérivé trop au sud). Il appela cette terre « la terre de Pieter Nuyts » en l’honneur du représentant de la Compagnie des Indes hollandaises présent à bord et qui fit le relevé des îles qui forment maintenant l’archipel Nuyts.

Ensuite vint Abel Tasman, célèbre pour avoir laissé son nom à la Tasmanie. Lors d’un voyage en Océanie en 1642, il longe les côtes d’une île (longtemps restée sous le nom de « la Terre de Van Diemen », du nom d’un haut responsable de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, et qui porte aujourd’hui son nom : la Tasmanie), puis celles de la Nouvelle-Zélande (et d’autres îles océaniennes et indonésiennes, les Tonga, les Fidji…).

En 1644, il longera toute la côte nord de l’Australie. Mais ses découvertes (même la Nouvelle-Zélande) sont jugées sans grand intérêt… Pas d’or à première vue, que des indigènes nus…

Puis, Willem de Vlamingh, un officier de marine néerlandais, explora les côtes du sud-ouest de l’Australie en 1696. Engagé lui aussi dans la Compagnie des Indes néerlandaises, il se vit confier en 1694 la mission de monter une expédition pour partir à la recherche d’un navire de la compagnie, le Ridderschap van Holland, porté disparu avec 325 passagers à bord alors qu’il faisait route vers Batavia. Les dirigeants croyaient que le navire avait pu aller s’échouer sur les côtes ouest de la « Nouvelle-Hollande ». Deux ans plus tard, Willem de Vlamingh dirigea donc l’expédition chargée de rechercher sur les côtes ouest de l’Australie les survivants du Ridderschap van Holland disparus depuis deux ans. Les recherches furent vaines mais Vlamingh profita de son voyage pour dresser la carte de la côte ouest de l’Australie ce qui améliora par la suite les conditions de navigation dans l’océan Indien. Il découvrit l’île Rottnest (île célèbre qui doit son nom à ses nombreux quokkas, que les navigateurs prennent alors pour des rats – « Rottnest » signifiant « nid à rats » en hollandais), puis remonta le fleuve Swan (qui coule dans Perth) et, finalement, en remontant, fit escale sur l’île Dirk Hartog et découvrit l’assiette d’Hartog. Il la remplaça et ramena l’autre à Amsterdam, où elle se trouve à l’heure actuelle (au Rijksmuseum).

Dès lors, les cartes de l’époque commencent à donner à l’Australie (dont les contours occidentaux se précisent peu à peu à la faveur de ces diverses explorations) le nom officiel de Nouvelle-Hollande. Dès 1644, par exemple, le cartographe français Melchisedech Thevenot représente les contours partiels de la « Nova Hollandia« , de l’île de Tasmanie (île de Diemens) et de la « Nova Zeelandia« . En 1659, la carte dessinée par Joan Blaeu (néerlandais) figure également la Nouvelle-Hollande. Clairement, le contour des côtes occidentales se précise. On est déjà loin des mappemondes à moitié fantasmées et imaginaires du siècle précédent, où archipels bien réels et contrées fantasmées se côtoient encore…

Tragique anecdote de cette époque (comme il y en eut tant en cette période d’explorations aventureuses), mais qui vaut son pesant de cacahuètes : celle du naufrage du Batavia, qui se brise en 1629 sur les îlots coraliens des Houtman Abrolhos, au large des côtes de l’Australie-Occidentale, et y perd 70 de ses hommes. Les 300 survivants s’entassent sur deux îles de l’archipel. François Pelsaert, le capitaine, parvient, à bord d’une embarcation de fortune, et avec une petite équipe, à rejoindre Java, promettant de venir rechercher les autres rescapés avec un nouveau navire (s’il parvient, bien sûr, à gagner les Indes orientales).

Hélas, pendant son absence, deux clans s’opposent. L’un, dirigé par Cornelisz, fait régner la terreur en torturant, démembrant, pendant ou noyant une centaine d’hommes (peut-être 125) parmi les survivants, un triste épisode connu sous le nom « d’horreur du Batavia ». Lorsque Pelsaert revient en octobre 1629, il parvient à joindre la faction loyaliste avec qui il capture, mutile et exécute Cornelisz et ses complices. Il abandonne aussi deux des mutins sur la côte australienne, ce qui fait d’eux les tout premiers « résidents » européens d’Australie… environ 150 ans avant l’arrivée des colons britanniques à Botany Bay

Quant à Pelsaert, un des groupes des Houtman Abrolhos, porte son nom.

En bref, le XVIIe siècle australien appartient clairement, en termes de « découvertes », aux Néerlandais.

Un Anglais avant l’heure : William Dampier

Quelques navigateurs d’autres nationalités se démarqueront néanmoins, à l’instar du très important William Dampier, à la fois voyageur, pirate, corsaire, boucanier, écrivain, capitaine et observateur scientifique anglais, et qui fut le premier Anglais à explorer ou cartographier des parties de ce qui est encore connu sous le nom de Nouvelle-Hollande. Passé à la postérité grâce au récit de ses voyages dans les Caraïbes, l’océan Pacifique et l’océan Indien, William Dampier a minutieusement décrit les ports et les terres visités, avec leurs populations ainsi que la faune et la flore…

Il voyage en Jamaïque, aux Philippines, au Tonkin, dans les îles Nicobar, à Sumatra, au Mexique, au Panama… Il publie New Voyage Round The World en 1697. Puis il se voit confier le commandement du Roebuck pour aller explorer la Nouvelle-Hollande dont il gagne en 1699 les côtes orientales….

Il a laissé son nom à un archipel d’Australie-Occidentale et un détroit de Papouasie-Nouvelle-Guinée.

Un siècle plus tard : les grandes explorations reprennent

Nulle trace d’or, nulle trace d’épices, nulle trace de richesses fabuleuses sur ces côtes désertiques. Du coup, les Hollandais se désintéressent peu à peu de la Nouvelle-Hollande.

Il faudra attendre près d’un siècle pour que les affaires reprennent, à l’initiative des Français et des Anglais, cette fois. Un peu en retard dans cette partie du monde sur les Portugais et les Hollandais, Français et Anglais se lancent finalement eux aussi dans une course au Pacifique pour gagner de nouvelles possessions et ouvrir de nouvelles routes vers les Indes (et ses épices).

En outre, on cherche toujours la fameuse « Terre australe », dont on ne sait pas, finalement, si c’est la Nouvelle-Hollande, la Nouvelle-Zélande, l’Antarctique, si tout cela est lié ou séparé par la mer… Il s’agit là d’une préoccupation à laquelle s’intéressent des géographes, des cercles savants, l’Académie des sciences à Paris ou encore la Royal Society à Londres…

Cela fait partie des grands mystères scientifiques que les esprits éclairés des Lumières comptent bien élucider. Le XVIIIe siècle, en effet, sera largement autant le siècle des voyages « purement » exploratoires, guidés par la science, la curiosité, les recherches en botanique etc., que par l’esprit économique et militaire.

C’est en effet l’époque de l’Encyclopédie de Diderot et de d’Alembert, de l’Histoire naturelle de Buffon, de la naissance de l’anthropologie (science de l’homme), de l’explosion du naturalisme (=biologie), de la philosophie et des recherches sur l’humanité, son évolution et ses origines…

C’est donc dans cet esprit de découverte tout autant (voire plus) que dans un esprit d’enrichissement qu’au XVIIIe siècle, et en particulier au cours de la seconde partie du siècle (une fois l’essentiel des guerres européennes de la première moitié du siècle derrière soi : Guerre de Succession d’Espagne, Guerre de Succession d’Autriche, Guerre de Sept ans…) qu’Anglais et Français, entre autres, se lancent dans de nouvelles explorations, en particulier dans le Pacifique et les mers du Sud. La marine militaire fournit les navires, les équipages et la logistique : ces voyages permettront de dresser les cartes qui serviront pour le commerce et les flottes militaires, de tester le nouveau matériel (sextant, chronomètres de marine, matériel nautique…), les aliments et remèdes contre le scorbut, les expériences pour distiller de l’eau douce… Et, bien sûr, ces expéditions-laboratoires embarquent toutes sortes de botanistes, scientifiques, explorateurs, dessinateurs et autres topographes, pour rapporter force échantillons, minéraux, espèces végétales et animales (voire des Indigènes) etc. en Occident. On cherche à découvrir de nouvelles routes, de nouvelles terres, de nouvelles richesses, de nouvelles positions à relever, de nouvelles côtes à cartographier.

Une Australie presque française ?

Côté français, c’est l’époque (notamment) des très célèbres voyages autour du monde de Bougainville puis de La Pérouse.

Bougainville

Bougainville, notamment, accomplit le premier tour du monde officiel français de 1766 à 1769. Le récit qu’il en a fait dans son Voyage autour du monde, journal de bord publié en 1771, fit sensation dans les sociétés européennes de l’époque. Cet ouvrage allait inspirer nombre de navigateurs, artistes, écrivains et philosophes (notamment Diderot qui publiera son Supplément au Voyage de Bougainville en 1772) ; il s’agit d’une des principales sources de ce qu’on appellera plus tard le mythe du « bon sauvage ».

Parti de Nantes, il traverse tout l’Atlantique en diagonale, touche les Malouines, plusieurs points de la côte est de l’Amérique du Sud, passe le détroit de Magellan, traverse le Pacifique, touche d’innombrables archipels (notamment de ce qui deviendra la Polynésie française, Tahiti…), puis l’archipel des Samoa (découvert par Jakob Roggeveen, explorateur néerlandais envoyé trouver la Terra Australis, mais qui découvrit à la place l’île de Pâques, entre autres). Il traverse encore d’autres archipels océaniens et indonésiens, longe les îles Salomon, et découvre le 30 juin 1768, l’île à laquelle on donnera par la suite son nom, Bougainville, actuellement située à la jonction entre les îles Salomon et la Papouasie-Nouvelle-Guinée

Mais, bloqué par la Grande Barrière de corail, il ne peut accoster en Australie (qu’il était à deux doigts de toucher au niveau de la péninsule du Cap York, dans l’extrême nord-est) et se contente de traverser les innombrables archipels situés plus au nord. Il rentre à Saint-Malo le 16 mars 1769 et publie en deux volumes en 1771 et 1772 le Voyage autour du monde par la frégate du roi La Boudeuse et la flûte L’Étoile en 1766, 1767, 1768 et 1769, où il évoque le mythe, au parfum alors sulfureux, du « paradis polynésien ». Il aura fait faire de grands progrès à la géographie de l’Océanie, découvrant des îles nouvelles, précisant la situation de beaucoup d’autres, donnant sur les mœurs des indigènes des renseignements intéressants, malgré les débats entourant son œuvre (subjectivité).

La Pérouse

Quant à La Pérouse, il arrivera trop tard : quand, après avoir traversé l’Atlantique, passé le détroit de Magellan, remonté le Pacifique jusqu’en Alaska, redescendu la côte nord-américaine jusqu’en Californie, puis traversé le Pacifique, touché les Philippines, le Japon et la Russie, quand enfin, donc, il retraverse tout le Pacifique vers le sud et touche Botany Bay (actuelle Sydney) début 1788, ce n’est que pour s’y ravitailler : la place est occupée depuis près de 20 ans déjà par les Britanniques. James Cook l’y a précédé, et derrière lui le capitaine Arthur Phillip, officier de marine et administrateur colonial britannique, premier gouverneur de Nouvelle-Galles du Sud, et donc de la première colonie européenne sur le continent continent australien. Parti à la tête de la première flotte de prisonniers britanniques partie de Porstmouth, dans le sud de l’Angleterre, le 13 mai 1787, pour aller s’installer en Australie et en faire une colonie pénitentiaire, il est le fondateur de la ville de Sydney et, justement, en train de transférer la colonie de Botany Bay à Port Jackson.

La Pérouse est reçu avec courtoisie mais les Britanniques ne peuvent lui fournir des vivres, car ils n’en ont pas de disponibles (voir mon article suivant sur l’histoire de l’Australie). Il donne ses journaux et lettres afin qu’ils soient transmis en Europe et obtient du bois et de l’eau fraîche. Il repart à la mi-mars pour la Nouvelle-Calédonie, les îles Santa Cruz, les îles Salomon, les Louisiades … puis disparaît mystérieusement avec ses hommes. Des expéditions de recherche permettront de conclure à un naufrage de ses deux navires du côté de Vanikoro.

Il contribuera pour beaucoup aux progrès des connaissances maritimes et géographiques de l’époque mais, on le voit, concernant l’Australie, il arrive trop tard. Une terre, pourtant, qui faisait bel et bien partie de ses projets :

 « Je passerai, à la fin de juillet 1788, entre la Nouvelle-Guinée et la Nouvelle-Hollande, par un autre canal que celui de l’Endeavour, si toutefois il en existe un. Je visiterai, pendant le mois de septembre et une partie d’octobre, le Golfe de Carpentarie et toute la côte occidentale de la Nouvelle-Hollande jusqu’à la terre de Diemen, mais de manière cependant qu’il me soit possible de remonter au nord assez tôt pour arriver au commencement de décembre 1788 à l’île de France. » Extrait de sa dernière lettre au ministre de la Marine, datée du 7 février 1788.

On soupçonne un troisième navigateur français, le Breton Louis Aleno de Saint-Aloüarn, d’avoir été, en 1772, le premier Européen à prendre officiellement possession de l’Australie occidentale (jamais revendiquée officiellement par les Pays-Bas) au nom du roi Louis XV, sous le nom d’Australie-Occidentale française, et ce depuis l’île Dirk Hartog. Une bouteille a en effet été enregistrée comme contenant un document d’annexion et une pièce de monnaie en 1998… Cependant, cette déclaration n’ayant été suivie d’aucune occupation réelle, elle demeura lettre morte… même si les Britanniques ne devaient commencer à occuper l’Australie-Occidentale qu’en 1826…

Les Anglais gagnent finalement la course de peu

Le voyage de Cook

Néanmoins, celui qui devait prendre officiellement possession du continent austral au nom de son gouvernement ne fut ni un Français, ni un Hollandais, ni même un Portugais, mais bel et bien, en 1770, le lieutenant James Cook, envoyé en expédition depuis l’Angleterre dans le Pacifique avec pour mission d’observer le transit de Vénus depuis Tahiti, puis de trouver la fameuse grande Terre du Sud.

Cook part de Plymouth en août 1768 et voyage vers l’ouest à bord de l’Endeavour. Il fait escale à Madère, à Rio de Janeiro, et double le cap Horn en janvier 1769.

Il arrive à Tahiti en avril. Il mène à bien son observation de Vénus, puis repart en juillet, traverse l’archipel de la Société et, en octobre, atteint la Nouvelle-Zélande, qu’il cartographie pendant 6 mois, pour en conclure qu’il ne s’agit en réalité que de deux îles et non de la Terra Australis tant recherchée.

L’Endeavour continue donc son périple vers le sud-ouest pour atteindre Botany Bay (actuellement Sydney) le 28 ou le 29 avril 1770 et en repartir le 5 mai. C’est la première expédition documentée européenne à avoir atteint l’Australie par la côte est (on l’a vu, Bougainville, arrivé par le nord-est, était resté bloqué par la Grande Barrière de corail).

Après avoir identifié Botany Bay comme un bon port et un endroit susceptible de convenir à une tentative de peuplement (la végétation est autrement plus abondante que sur les côtes ouest, fort désertiques et peu accueillantes), Cook cartographie pendant 4 mois les côtes est de ce qu’il décide de nommer, en août, au nom de la Couronne britannique, Nouvelle-Galles du Sud, d’autant plus impunément que rien ne permet encore de prouver alors que cette terre est rattachée à la Nouvelle-Hollande (=côte ouest de l’île) ni si le tout est rattaché à la Tasmanie… Tout ce que l’on sait alors, c’est que la côte orientale n’a pas encore été découverte, ni revendiquée, et que Cook s’empresse donc de le faire au nom du roi George III, depuis l’île qui demeurera connue sous le nom bienfondé de « l’île de la Possession ».

En juin 1770, le navire heurte un récif. Les dommages causés à la coque sont assez importants. L’expédition est suspendue. Des réparations sont effectuées au niveau de l’Endeavour River, en amont de Cooktown (noms révélateurs) dans le Queensland.

Finalement, du 10 octobre au 26 décembre 1770, le navire fait escale à Batavia (Jakarta) pour réparations. De nombreux membres de l’équipage y meurent de la Malaria, et Cook rentre finalement en Angleterre (en passant par l’océan Indien et le cap de Bonne-Espérance) le 12 juillet 1771.

Cook entreprendra bien un second voyage, de 1772 à 1775, mais il ne découvrira nulle autre Terra Australis correspondant, de près ou de loin, à ce mythe des montagnes d’or et d’épices. Un mythe qu’il faudra désormais, on le craint, laisser bel et bien derrière soi… quoique, en matière d’or, l’Australie soit encore loin, à ce stade, d’avoir dit son dernier mot…

C’est au cours de son 3e voyage que Cook trouvera la mort, poignardé à Hawaï au cours d’une attaque indigène.

On lui doit une énorme part de la cartographie du Pacifique, d’avoir longé la côte américaine occidentale jusqu’en Alaska, sillonné les mers glaciales de l’Antarctique comme du détroit de Béring, découvert les îles Hawaï, la Nouvelle-Calédonie… Un grand, très grand explorateur !

Vers une colonie pénitentiaire…

L’expédition de Cook avait avec elle les botanistes Joseph Banks et Daniel Solander, à qui un grand nombre de sites géographiques australiens et au moins un genre de plantes doivent leur nom.

Leurs rapports encourageants sur la côte est-australienne, couplés à ceux de Cook (qui, très influencé par les théories de l’époque, un peu rousseauistes sur les bords, et notamment celles de Bougainville, fait presque l’éloge des Aborigènes en tant que « bons sauvages », totalement inoffensifs), mais aussi à la perte des colonies américaines (guerre d’indépendance américaine de 1775 à 1783) et à l’activité frénétique française dans le Pacifique (on l’a vu) conduit l’Angleterre, quelque 18 ans après l’exploration de Cook, à se décider à fonder une toute première colonie concrète en Australie (nouveau territoire qui tombe donc à pic pour pallier la surpopulation dont souffre alors la Grande-Bretagne).

Ce sera celle, pénitentiaire, de Port Jackson, à Botany Bay, fondée le 26 janvier 1788 (au moment même où La Pérouse pointe le bout de son nez) par la « First Fleet », faite de quelques centaines de condamnés, et qui vient planter officiellement son drapeau (sous le nez de La Pérouse, histoire de bien marquer le coup). Dès lors, l’Australie se fait terre d’exil et de bagne, et le restera pendant près d’un siècle !

Conclusion

Après des décennies d’exploration maritime, l’homme blanc, sous des traits britanniques, trouve enfin une utilité à cette vaste terre nue dont on ne sait encore rien. Elle servira désormais de continent-prison pour tout le surplus de vermine qui surcharge les geôles d’Angleterre…

Mais l’aventure est très, très loin d’être finie.

D’un bagne à grande échelle à une colonie prospère, découvrez la suite de l’Histoire de l’Australie dans ce 3e article.

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►A lire aussi : Mon premier article sur la Préhistoire australienne

Texte: (c) Aurélie Depraz
Illustration : Pixabay