Histoire de l’Australie 3 – Bagnes, déportation, colonisation : l’ère des convicts d’Australie et l’installation de l’homme blanc
Cet article fait suite à mes deux premiers articles sur l’histoire de l’Australie, que vous pouvez retrouver sur ce blog, ici et là.
La First Fleet : première flotte
La mission
On l’a vu : les rapports élogieux que fait Cook au sujet de ces nouvelles terres à son retour en Grande-Bretagne suscitent l’intérêt du fait qu’elles offrent une solution parfaite (quoique lointaine… ce qui, tout compte fait, pouvait en fait ajouter à son charme…) aux problèmes de surpopulation (notamment carcérale) que connaît alors la métropole, problèmes d’autant plus graves à l’époque que la riche puissance d’outre-Manche vient de perdre ses colonies américaines.
Au bout de quelques années (bon, d’accord, dix-huit, quand même), on se décide : cette nouvelle terre servira à absorber le surplus carcéral de la Grande-Bretagne. C’est que l’émergence du prolétariat (la Révolution Industrielle a, rappelons-le, commencé bien plus tôt en Grande-Bretagne qu’ailleurs, dès la fin du XVIIIe siècle) augmente la misère et la criminalité, et que les prisons de Sa Majesté débordent d’un rebut qu’il n’est plus question d’expatrier aux Amériques (maintenant indépendantes !). Dans les années 1770-1780, Londres a bien tenté d’entasser les détenus en excédent dans des « coques » (hulks), gros navires désaffectés et véritables geôles de fortune mouillant à Londres même ou dans les ports côtiers, mais il en résulta de tels foyers d’insalubrité et de criminalité qu’il fallut bien se résoudre à trouver une autre solution, ne fût-ce que pour la population avoisinante, qui en réclamait expressément le départ.
Jamais encore, pas même en Amérique, le peuplement d’un nouveau continent n’avait commencé sous des auspices aussi peu prometteurs.
Quoique certains, malgré les circonstances, se fussent avérés particulièrement visionnaires. Exemple : Pierre-Édouard Lémontey, homme de lettres, homme politique, avocat et historien français, qui écrivait dès 1788 :
« D’un vil ramas de forçats sortira peut-être une nation forte et laborieuse, comme autrefois un essaim de brigands fonda l’empire des Césars…. La position de la Nouvelle-Hollande en fera un jour le rendez-vous de l’univers. Une colonie Anglaise en appellera bientôt d’autres sur ses côtes fertiles ; la Chine y déposera peut-être ce superflu de population qui est la cause de sa faiblesse ; le solitaire Japonais viendra s’y mêler à la grande famille humaine ; l’Européen et le Malais, l’Américain et l’Asiatique s’y rencontreront sans étonnement. »
Ça, c’est de la vision ou je ne m’y connais pas !!! Lémontey était-il médium ??^^
L’équipée
C’est ainsi que, le 13 mai 1787, la First Fleet de la Royal Navy, sous les ordres du capitaine Arthur Phillip, et escortée par les hommes du major Robert Ross, quitte Portsmouth avec Botany Bay (Nouvelle-Galles du Sud) pour destination. Il s’agit d’un ensemble de onze navires (6 navires de transport, 3 cargos, 2 navires d’escorte – 9 ferries en service aujourd’hui à Sydney ont été nommés en l’honneur de ces navires) emportant avec eux une population hétéroclite dont le nombre exact ne nous sera probablement jamais connu (comme souvent, les chiffres divergent).
Voici néanmoins, à titre d’indication, les chiffres avancés par Mollie Gillen, dans The founders of Australia : a biographical dictionary of the first fleet, Sydney, Library of Australian History, 1989
Embarqués à Portsmouth :
- Officiers et passagers : 15
- Équipage des navires : 323
- Soldats (Marines) : 247
- Femmes et enfants des marines : 46
- Bagnards (hommes) : 582
- Bagnards (femmes) : 193
- Enfants de bagnards : 14
- Total des embarqués : 1 420
Débarqués à Port Jackson :
- Officiers et passagers : 14
- Équipage des navires : 306
- Soldats (Marines) : 245
- Femmes et enfants des marines : 54 ou 55 (9 enfants nés en mer)
- Bagnards (hommes) : 543
- Bagnards (femmes) : 189
- Enfants de bagnards : 22
- Total des débarqués : 1 373
Durant le voyage, on aurait compté 22 naissances (13 garçons et 9 filles) et 69 décès, désertions ou mises à terre (61 hommes et 8 femmes). Les conditions, « pourtant », étaient alors sûrement beaucoup moins dures qu’elles ne devaient l’être plus tard, lors d’autres traversées, où l’on pouvait perdre jusqu’à un tiers de détenus en cours de route. On estime même que, étant donné l’ensemble des conditions de voyage (privations, problèmes de navigation, mauvaise organisation, faible expérience des bagnards – totalement inutiles à bord –, savoir médical limité, absence de précautions contre le scorbut, l’exiguïté, entassement des détenus, mauvais état des navires, outils inadéquats…), ce fut presque un exploit. (D’autant qu’aucun bateau ne fit naufrage ou ne se perdit…).
Les navires destinés aux déportés, dont deux anciens négriers réquisitionnés par la Royal Navy (ça donne le ton), avaient été adaptés aux circonstances avec de fortes barres sur les écoutilles entre les ponts, ainsi qu’une palissade pour séparer les bagnards de l’équipage, des armes à feu et des munitions.
Outre les réserves de vivres nécessaires à la traversée et à quelques mois de survie (jusqu’à ce que les premières récoltes, et donc l’autosuffisance, puissent être assurées), la cargaison matérielle comprenait de la pacotille destinée aux Aborigènes (cadeaux du même acabit que ce qu’on fournissait alors en Afrique, perles, miroirs, etc.), des tentes (où les déportés vivraient jusqu’à l’installation dans des baraques), du matériel utile une fois sur place (brouettes, charrettes, matériel agricole, semences…), du matériel médical, des combustibles (bois et charbon), des armes, de l’alcool, de la poudre à canon, des instruments scientifiques pour l’étude sur place, tous les indispensables (papier, corde…)…
… mais aussi une quantité assez remarquable d’objets et de matériaux destinés exclusivement au futur gouverneur la Nouvelle-Galles du Sud (le capitaine Arthur Philipp lui-même) : mobilier démontable, vaisselle, vitres pour ses fenêtres, pièces détachées d’une maison préfabriquée…
… sans oublier menottes, chaînes et fers, bien sûr.
Le voyage
Les bagnards furent embarqués depuis les pontons-prisons sur les navires destinés à partir sans tenir compte de leur santé physique ou de leurs compétences nécessaires en vue de la création de la nouvelle colonie (ce qui allait coûter fort cher à tout le monde). Les premiers arrivés embarquèrent à Woolwich (banlieue de Londres) au début du mois de janvier 1787, et des bagnards furent amenés à bord tout au long des trois mois suivants, au fur et à mesure que les navires se dirigeaient vers Portsmouth, où les derniers bagnards furent embarqués le jour où la flotte fit voile, le 13 mai 1787.
On a conscience alors de s’embarquer, non seulement pour le plus long des voyages jamais réalisé par un groupe aussi nombreux, mais aussi pour une destination peu connue des Européens, et dont on ignore encore si elle est propice à la colonisation. Chacun le sait : bien peu des passagers reverront sans doute l’Angleterre, leur famille et leurs amis, même si certaines « peines » de déportation ne sont censées être que de « quelques années » (minimum : 7), car encore faut-il pouvoir se payer le voyage du retour…
D’ailleurs, la colonie hollandaise même du Cap (de Bonne-Espérance) fut le dernier établissement européen que les membres de la flotte devaient pouvoir contempler avant des années, voire, pour certains, la fin de leur vie.
Ce fut l’un des voyages maritimes les plus longs de l’histoire. Onze navires transportant 1 400 personnes et des vivres avaient voyagé durant 252 jours et 24 000 km sans perdre un seul bateau. Ils arrivèrent tous à Botany Bay à quelques heures d’intervalle les uns des autres, entre le 18 et le 20 janvier.
De Botany Bay à Port Jackson
Il apparaît bientôt évident que Botany Bay n’est pas à la hauteur des éloges du capitaine James Cook. La baie est trop ouverte et non protégée (Arthur Phillip s’inquiète des potentielles attaques de puissances étrangères comme d’Aborigènes), l’eau douce, rare, et la terre, pauvre.
Avec quelques hommes, Phillip part donc en exploration à la recherche d’une rade aux mouillages sûrs, présentant de l’eau douce et un sol fertile. C’est ce qu’il trouve très rapidement et, à peine quelques jours après l’arrivée à Botany Bay, on déménage vers Port Jackson, un peu plus au nord.
Au moment même où ils y arrivent, les futurs colons ont la surprise de voir surgir deux vaisseaux français (ceux de la fameuse expédition scientifique de Jean-François de La Pérouse, on l’a vu – voir mon 2e article sur l’histoire de l’Australie). Histoire d’assurer le coup, Arthur Phillip fait hisser le drapeau britannique et revendique officiellement toute la moitié est du continent australien. Pas de conflit, les vues françaises sur la terre australe ne devant jamais être vraiment sérieuses (et, de toute façon, l’eussent-elles été, la Révolution de 1789 se serait chargée de donner bien d’autres chats à fouetter à la monarchie… ou au nouveau gouvernement français !).
Les Français restent donc quelques semaines, puis repartent. Ils ne devaient plus jamais revoir la France : ils font naufrage près de l’île de Vanikoro (aujourd’hui Vanuatu, dans les Nouvelles-Hébrides) quelques semaines plus tard à peine (raison de plus pour qu’aucune velléité française sur le continent australien ne se développe… : on n’allait pas recevoir de nouvelles de cette partie-ci du globe de sitôt…).
(Remarque : cela dit, les Français ne devaient pas avoir encore dit leur tout dernier mot, car au début des années 1800, l’expédition menée par le célèbre navigateur Nicolas Baudin se trouve chargée de cartographier les côtes ouest et sud de la grande terre australe pour le compte de la France. Cela réveille les soupçons britanniques, surtout quand Baudouin arrive à Sydney, et l’on s’empresse de rappeler aux Français les droits inaliénables de Sa Majesté le roi d’Angleterre sur l’ensemble de la Nouvelle-Galles du Sud. Cela n’empêchera pas nos chers compatriotes de baptiser, de retour au pays, la côte méridionale de l’Australie « Terra Napoléon » même si, une fois de plus, dans les faits, les espérances glorieuses et l’ambition devaient dépasser de beaucoup la réalité – avec les guerres de la Révolution et les guerres napoléoniennes, inutile de dire que, de 1789 à 1815, la France avait bien d’autres sujets de préoccupation que ce qui pouvait se passer dans le Pacifique…).
Bref ! Arthur Phillip prend possession des lieux et donne à la nouvelle rade le nom de baie de Sydney, en hommage à lord Sydney, ministre de l’Intérieur. Ce jour, le 26 janvier, est aujourd’hui la date de la fête nationale australienne (Australia Day, parfois nommé Anniversary Day, Invasion Day – pour certains Aborigènes – ou Foundation Day). Peu après, Arthur Phillip devient officiellement le premier gouverneur de Nouvelle-Galles du Sud.
A Botany Bay, un monument a été inauguré en l’honneur de la First Fleet. Les noms de tous les membres de la flotte y sont gravés.
Une greffe plus que difficile : les famine years
Les premières années de l’implantation, surnommées « les années de famine », sont très difficiles. La qualité des outils est mauvaise, les quantités de nourriture naturellement disponible faibles (en tout cas, pour qui se refuse à apprendre à manger ce que mangent les Aborigènes…), les compétences en agriculture inexistantes et les bagnards plus ou moins inutiles (car sans expérience dans les domaines nécessaires, et peu enclins à travailler de toute façon). Les outils se cassent sur les troncs des arbres massifs que l’on veut débiter, et que l’on doit finalement faire sauter avec de la poudre à canon ; ils se brisent aussi sur la dureté du sol ; les huttes basiques fabriquées pour les officiers ne résistent pas aux tempêtes, la soldatesque s’enivre, les morsures des fourmis géantes sont de véritables plaies, les premiers contacts avec les Aborigènes ne sont pas concluants, voire hostiles, la chaleur est oppressante, le scorbut sévit, on manque de professionnels compétents (artisans, agriculteurs, spécialistes en bâtiment)…
Des conditions catastrophiques décuplées par le fait que, sans qu’ils le sussent encore, ces premiers colons allaient devoir attendre deux ans et demi avant de voir arriver d’autres navires, apportant leur cargaison de vivres et de nouveaux déportés, ceux de la Second Fleet. Un « secours » somme toute tout relatif (voire inexistant), dans la mesure où :
- Le navire escortant les 4 navires de bagnards et le navire de vivres ne devaient jamais arriver.
- Un autre navire, chargé de bagnards, devait heurter des glaces et être détruit en Afrique du Sud ; 20 bagnards seulement, rescapés, devaient alors être chargés sur les autres vaisseaux de la flotte.
- À la différence de la Première Flotte, qui avait consenti de gros efforts, on l’a vu, pour préserver l’état de santé des condamnés, la Second Fleet était avant tout une entreprise à but lucratif, qui ne se souciait donc guère de maintenir les condamnés en vie : les malades débarqués à Port Jackson furent donc, on s’en doute, plus une charge qu’une aide à la jeune colonie déjà très précaire. (En effet, 3 navires de bagnards sur 4 avaient été affrétés par la compagnie Camden, Calvert & King qui avait pris en charge le transport, l’habillement et la nourriture des condamnés pour une somme ridicule de 17 £ 7s. 6d par tête, « que les embarqués soient ou non débarqués vivants ». A noter : cette compagnie avait été précédemment impliquée dans le commerce triangulaire d’esclaves en Amérique du Nord, ce qui explique bien des choses. Ainsi, sur les 1 006 condamnés embarqués (928 hommes et 78 femmes), le taux de mortalité aurait été le plus élevé de l’histoire de la colonisation de l’Australie, dit-on. Sur 1 026 passagers, 267 (256 hommes et 11 femmes) seraient morts pendant le voyage (26 %). Quant au traitement infligé aux bagnards du Neptune, il devait passer à la postérité comme étant particulièrement cruel : sur 499 forçats transportés, 158 moururent avant d’arriver à destination !)
Cependant, le gouverneur Phillip fait de son mieux. Il envoie le Sirius au Cap (!) pour obtenir des vivres frais et introduit un strict rationnement, punissant le vol de nourriture de pendaison. Il fait peu à peu construire les logements, qui restent bien sûr précaires (huttes, cabanes etc). Enfin, les premiers contacts qu’il parvient à établir avec les Aborigènes locaux, les Eoras, sont plutôt positifs, et il s’efforce de faire adopter une politique amicale : il ordonne que les Eoras soient bien traités et annonce la pendaison comme châtiment pour tout meurtre d’Aborigène. Il se lie même d’amitié avec un Eora du nom de Bennelong qu’il emmènera plus tard en Angleterre.
Bien que de nombreux colons soient très belliqueux envers les Aborigènes, Phillip parvient à maintenir le cap. Hélas, bientôt, la variole et d’autres épidémies devaient se charger de ravager la population Eora : dès 1789, entre 60 et 90% des Aborigènes de la région ont disparu, décimés par une première épidémie de variole (entre l’arrachage des arbres, l’exploitation des ressources de la mer par les Blancs, les trous creusés, les terres retournées pour les besoins de l’agriculture etc., les Aborigènes ne tardent de toute façon pas à se retrouver expulsés de leur propre territoire, qu’ils ne reconnaissent même plus). D’autres populations devaient ensuite se voir touchées par les maladies à l’intérieur des terres avant même d’avoir rencontré l’homme blanc… Quant à l’alcoolisme, il fait, très tôt, des ravages parmi cette population vulnérable, annonçant à une vitesse fulgurante l’imminente et dramatique « clochardisation » des Aborigènes vivant à proximité des Blancs.
Bref, la colonie pénitentiaire d’Australie est si bien oubliée que, lorsqu’en décembre 1790, Phillip aurait dû recevoir un courrier l’autorisant à quitter ses fonctions et à rentrer en Angleterre, il ne reçoit rien. Au lieu de cela, on lui annonce peu après que le gouvernement enverrait deux convois de condamnés chaque année, ainsi que l’approvisionnement adéquat. Mais en juillet, lorsque les navires de la troisième flotte arrivent avec plus de 2 000 condamnés, la nourriture manque de nouveau et il doit envoyer un navire à Calcutta (!) pour s’approvisionner.
Phillip (pourtant gouverneur !) commence lui-même à avoir des problèmes de santé en raison de la malnutrition lorsqu’il est enfin autorisé à rentrer, fin 1792. Il s’embarque sur L’Atlantique, emmenant avec lui Bennelong et de nombreux spécimens de plantes et d’animaux. La population européenne de Nouvelle-Galles du Sud, lors de son départ, atteint 4221 personnes, dont 3099 condamnés.
Son nom est répandu en Australie avec la baie de Port Phillip, Phillip Island au Victoria, Phillip Island près de l’île Norfolk, le quartier de Phillip à Canberra, ainsi que de nombreuses rues, parcs et écoles qui portent son nom.
L’ère des convicts
Ce sont ainsi les trente premières années de l’existence de l’Australie en tant que colonie qui seront marquées du sceau de l’incarcération.
Des traversées atroces
On l’a vu : les convoyages de détenus peuvent essuyer jusqu’à plus d’un tiers de pertes. En cause : les conditions d’hygiène effroyables. Les détenus pataugent dans toute l’ignominie que l’on peut imaginer trouver à fond de cale dans de telles situations (urine, vomissements, excréments, rats crevés, punaises, poux, cafards, puces…), certaines prisonnières se donnent aux équipages en échange de quelques privilèges, d’autres les abreuvent de toutes les insultes et agressions du monde, semble-t-il, on les bâillonne alors, on les met aux fers, on les tond, on les engonce dans des tonneaux percés pour les bras et les jambes afin qu’elles ne puissent plus ni s’asseoir ni se coucher, on les asperge d’eau dès qu’elles ouvrent la bouche… et le « moulin de discipline » (véritable roue de hamster) tourne à plein régime pour corriger les rebelles.
Ajoutons à cela, bien sûr, la chaleur et l’humidité en zone tropicale, l’eau souvent corrompue et son odeur insupportable, la maladie, le scorbut, les tempêtes tropicales, le mal de mer…
Les bagnards ne sont bien souvent autorisés à monter sur le pont que lorsque la mer est belle et la terre, hors de vue ; les bagnards, donc, ne voient pas la terre pendant plusieurs mois, de leur embarquement en Angleterre à leur débarquement en Nouvelle-Galles du Sud. Quant au jour lui-même, ils peuvent ne pas l’apercevoir pendant plusieurs jours, quand sévit le mauvais temps ou quelque tempête tropicale, et qu’on les force à demeurer en bas, à fond de cale, dans des cellules insalubres et plus qu’exiguës.
Sans compter, bien sûr, les drames plus radicaux du type naufrages (au cours desquels les bagnards, soit qu’ils fussent enfermés à fond de cale, soit qu’on fût en pleine mer, soit qu’on refusât de les secourir, la terre étant en vue, de peur qu’ils ne s’évadent, avaient de bien maigres chances de s’en sortir).
Le pire, bien sûr, c’est que des enfants font partie du voyage, soit qu’ils accompagnent leur mère prisonnière, soit qu’ils aient eux-mêmes été condamnés pour quelque délit.
Des peines de déportation effroyablement sévères
Le pire aussi (en fait, toute cette aventure ne fut-elle pas une succession d’événements tous plus tragiques et effroyables les uns que les autres, tant du côté des Blancs que des Aborigènes ?), c’est que la plupart des détenus ainsi déportés l’étaient pour des délits mineurs, voire tout ce qu’il y avait de plus « inoffensif ».
A titre d’exemple, au sein de la première flotte, on trouve :
- Elizbeth Beckford (70 ans), condamnée à 7 ans d’exil pour avoir volé 12 livres (6 kilos) de fromage.
- Thomas Chaddick qui, poussé par la faim, avait pénétré dans un potager et volé 12 plants de concombre.
- Dorothy Handland (82 ans), chiffonnière, pour parjure (elle devait se pendre à un eucalyptus de Sydney Cove en 1789, devenant ainsi le premier cas de suicide de l’Australie…)
- Le petit John Hudson, 9 ans, ramoneur, qui s’était indûment approprié quelques vêtements et un pistolet.
- Mary Bryant (condamnée pour vol), et William Bryant (pêcheur condamné pour contrebande et autres activités illégales), tous deux demeurés célèbres pour leur folle évasion (la toute première) de la colonie pénitentiaire. Une histoire, hélas, qui ne devait pas bien se finir pour tout le monde. Mary et William se rencontrent sur le bateau, et de leur liaison naît un premier enfant, dont Mary accouche à bord même du navire ! Une fois arrivés à destination, Mary et William se marient et donnent le jour à un nouvel enfant. Résolus à s’enfuir, ils y parviennent avec leurs deux enfants et sept autres détenus ; à bord d’un petit bateau volé au gouverneur Phillip, ils filent plein nord, destination l’île de Timor. Au prix d’un voyage laborieux de dix semaines, au cours duquel ils passent par la Grande Barrière de corail, le détroit de Torres, la Mer d’Arafura, ils atteignent finalement leur destination. Mais, découverts, ils sont remis à la Royal Navy. In fine, plusieurs fuyards, dont William et son fils Emmanuel, sont déjà malades des fièvres, à laquelle ils finissent par succomber. Mary et sa fille, ainsi que les 4 autres bagnards, sont remis aux autorités et rapatriés en Angleterre ; mais la fille de Mary et William succombe au cours du voyage. En Angleterre, bien qu’ayant échoué dans leur fuite, leur aventure soulève l’admiration. James Boswell prend alors leur défense et obtient leur grâce. Après un an à la célèbre prison de Newgate (dont je parle longuement dans mon roman James) Mary et les autres bagnards sont graciés fin 1793.
- Matthew James Everingham, déporté pour un vol de 2 livres à l’âge de 14 ou 15 ans. Il survécut 3 ans en bateau-prison avant d’être déporté… Une fois sa peine purgée en Australie, il devint un citoyen anglais libre de la nouvelle colonie, épousa une ancienne bagnarde, cultiva un lopin de terre et, finalement, devint policier. Les Everingham donnèrent naissance à 9 enfants et, ainsi, devinrent l’une des premières familles de la colonie. Aujourd’hui, plus de 7000 Australiens portent le nom d’Everingham et sont très fiers d’avoir pour ancêtre un ancien convict de la toute première flotte.
Mais aussi :
- John Hill : Condamné à sept ans de déportation en Australie pour avoir volé un mouchoir en lin évalué à six pence.
- Elizabeth Bason : Jugée coupable d’avoir volé 6,40 mètres de calicot. Elle est condamnée à la pendaison, mais sa peine est commuée en un bannissement de sept ans.
- James Bartlett : Déclaré coupable du vol de 450 kilos de fil à corde. Condamné à sept ans de déportation en Australie.
- George Barsby : Reconnu coupable d’avoir attaqué William Williams et de lui avoir volé une bourse en soie, une montre en or et six guinées (environ six livres anglaises). D’abord condamné à la potence, il est finalement banni pour le restant de ses jours.

Plaques vues au sol, à Richmond, Australie (Tasmanie) – une sorte d’Hollywood boulevard, sauce locale… Impressionnant.
Sans compter que, au-delà des menus larcins (8 condamnés sur 10), il s’agit bien souvent… d’une première condamnation ! On le voit : la déportation est envisagée à la fois comme un moyen de réguler la population britannique (en particulier les classes pauvres) et de sanctionner la pauvreté (au même titre que le triste système des workhouses – voir mon roman L’Irlandais et mon article sur le règne de Victoria).
En 2017, j’ai eu la chance de faire un magnifique voyage en Ecosse. Voici la liste des prisonniers d’Inveraray déportés en Australie entre 1830 et 1858, la nature de leur crime… et la durée de leur peine… (source : prison d’Inveraray !)



Parmi les déportés, on trouve aussi, bien sûr, des opposants politiques, des syndicalistes, des républicains irlandais (beaucoup d’Irlandais…) mais aussi des orphelins ( !) et même des enfants pauvres arrachés à leurs familles, afin de servir de main-d’œuvre gratuite et de domestiques au sein de familles de pionniers (non seulement en Australie, d’ailleurs, mais aussi dans d’autres colonies britanniques, au Canada, en Afrique du Sud…- encore une fois, voir mon roman L’Irlandais).
En bref, la Nouvelle-Galles du Sud sert de véritable déversoir humain pour tout ce dont la Grande-Bretagne veut se débarrasser…
Une situation ambiguë
Toutes ces peines, cela va sans dire, paraissent totalement disproportionnées au regard du larcin commis (même s’il n’y eut, certes, pas que de petits délinquants au sein des condamnés – cela dit, on devine que l’Angleterre ne s’encombrait alors guère des plus grands criminels, facilement condamnés à mort). Il convient donc, peut-être, de faire un petit rappel quant au système judiciaire anglais de l’époque dans son ensemble (particulièrement dur).
De fait, au début du XIXe siècle, pas moins de 200 infractions en Grande-Bretagne faisaient encourir la peine de mort. Selon l’observation d’un voyageur, “ le moindre larcin était puni de mort ”. C’est ainsi qu’un garçon de 11 ans fut pendu pour avoir volé un mouchoir. Mais, peu à peu, on prit la liberté de commuer des peines de mort en peine de déportation, de 7 ans à perpétuité (la déportation étant considérée comme la 2e plus sévère sentence après la peine de mort).
Tout est question de savoir, selon les destinées individuelles (maltraitance, souffrances, maladies…), si le sort de bagnard fut réellement préférable, tout bien considéré, à la pendaison. Dans bien des cas, après des années de souffrance, la réponse fut sans doute oui, nombre de bagnards étant enfin libres, une fois leur peine purgée, de commencer une vie « meilleure ».
En effet, certains historiens estiment qu’une fois leur peine purgée (ou une fois affranchis), la plupart des convicts avaient de meilleures perspectives d’avenir que dans leur pays natal ; rares sont ceux d’ailleurs qui retournèrent en Angleterre à leur libération (en même temps, il fallait pouvoir se payer le voyage retour…).
Très vite, le système de conditional pardon est d’ailleurs mis en place, octroyant une liberté conditionnelle (avec interdiction toutefois de quitter la colonie), ou par l’octroi d’un ticket of leave (ticket de départ donnant le droit de circuler et de travailler sous certaines conditions).
Une fois les premiers bagnards officiellement libérés (et leur peine purgée : ce sont les emancipists), le gouverneur Macquarie leur fera en outre accorder des terres (une douzaine d’hectares) et leur affectera d’autres détenus pour les aider à travailler leurs terres et à accomplir certaines tâches domestiques. Dès 1820, ces nouveaux petits propriétaires sont majoritaires face aux grands propriétaires venus volontairement et librement en Australie.
Progressivement, beaucoup d’anciens convicts travailleurs et entreprenants acquièrent la richesse, le respect et même, dans certains cas, la gloire. Certains deviennent médecin, architecte…
On pense même que certains délinquants auraient commis de menus larcins dans le but express d’être déportés en Australie, afin de pouvoir s’y recréer « gratuitement », après quelques années de bagne, une nouvelle vie (sans avoir à économiser 10 ans pour parvenir à se payer le billet…) ; d’autres, apparemment, auraient expressément demandé aux cours de justice leur transportation à Sydney ! Enfin, certains convicts libérés auraient, par courrier, incité leur famille à les rejoindre en Australie !
Ainsi, les historiens s’accordent à dire que l’époque des convicts fut une époque pleine de contradictions : mélange de violence et d’illusions, d’humanité et d’infamie, de mort et d’espoir.
Et une période de travail forcé, la colonie pénitentiaire de Port Jackson (qui avait été conçue expressément pour le châtiment et la réforme des criminels) en venant très rapidement (et ce, qu’on le veuille ou non) à dépendre (pour sa survie même) du labeur des forçats.
Ainsi, une ferme gouvernementale voit le jour, et des terrains privés sont octroyés aux officiers civils et militaires, ainsi que des prisonniers destinés à les travailler le temps de leur peine (système de « l’assignation », assignment) : à leur arrivée, les nouveaux forçats sont désormais assignés à divers employeurs (dans les mines, sur des chantiers, dans des fermes…), selon la position sociale d’origine du détenu et les besoins de la colonie (et non selon les compétences de l’individu…). Des traitements différents sont ainsi réservés à la basse populace, qui trime gratuitement au profit d’autrui, et les plus riches déportés, qui jouissent d’une liberté de mouvement quasi-totale et peuvent gagner un salaire moyennant la délivrance d’un « billet de permission » (le fameux ticket).
Quelques années d’anarchie
Par ailleurs, le système pour le moins corrompu et abusif qui se met naturellement en place les toutes premières années ne s’avère guère favorable à l’instauration d’un ordre propice à la survie. De fait, les officiers du Corps de Nouvelle-Galles du Sud, créé spécialement pour le bagne australien, prend de plus en plus de pouvoir, au détriment du gouverneur (qui, à partir de 1792, n’est plus Phillip). Dès 1800, ils forment une classe puissante et exclusive, qui a relâché son contrôle sur les forçats, travaille à son enrichissement personnel (commerce avec des navires américains, premiers troupeaux de moutons – mérinos croisés avec des moutons du Cap –, mise en valeur de leurs terres) et utilise le rhum comme monnaie d’échange officieuse parmi les bagnards. On s’en doute, l’alcool aidant, l’oisiveté, le crime, les troubles augmentent.
Le conflit éclate ouvertement entre officiers et gouverneur quand le gouverneur William Bligh tente de s’opposer au trafic de rhum, et se fait, en représailles, tout simplement déposer par les officiers.
Résultat des courses : l’Office Colonial à Londres réagit en rappelant le Corps de Nouvelle-Galles du Sud et en envoyant en 1810 un nouveau gouverneur, Macquarie (qui donnera son nom à nombre de lieux australiens) qui, cette fois, détient l’autorité sur les troupes militaires.
Un nouveau fonctionnement, moins autoritariste, peut enfin voir le jour.
Une société de bagnards
Le ton se durcit dans les années 1820-1840. Face à cette société jugée « laxiste », Londres ordonne que l’on renforce les mesures de surveillance : de véritables prisons voient le jour, dont les plus dures devaient devenir Port Macquarie (1821), Moreton Island (1824), Norfolk Island (1825) et Port Arthur (1833). Alors commence la véritable période de violence et de servitude.
Des forçats enchaînés (chain gangs) sont affectés à des travaux de construction et de voirie (d’une punition, au même titre que le treadmill, moulin de discipline). Parmi les autres peines infligées, on trouve bien sûr, les coups de fouet (de 50 à 1000… ceux qui survivent aux 1000 coups de fouet n’échappant pas, on s’en doute, à une infirmité durable…) et, dans les pires cas, la pendaison (publique, cela va sans dire).
Les bagnards les plus récalcitrants sont envoyés en Tasmanie où ils doivent travailler sans relâche dans des conditions extrêmes (débitage d’arbres énormes dans des marécages glacés). Le pénitencier de Port Arthur y devient tristement célèbre. Le pénitencier de Newcastle, à 130km nord de Sydney, promettait également des mesures très strictes et acquit, lui aussi, une terrible réputation.
Mais, à partir du gouverneur sir Thomas Brisbane (qui donna son nom, bien sûr, à la capitale du Queensland), les plus dangereux devaient être expédiés sur l’île lointaine de Norfolk (au large, justement, de Brisbane, très loin des côtes australiennes) depuis la Tasmanie et la Nouvelle-Galles du Sud. Là, dit-on, la mort était réellement plus douce que le traitement infligé par le dirigeant, John Price.
De nombreux bagnes furent donc construits, y compris des prisons pour enfants.
La condition féminine : le sort des premières Australiennes
Quant aux femmes, hélas elles servent rapidement et avant tout à assouvir les désirs charnels des colons, et sont parfois carrément assignées à un propriétaire comme du bétail sexuel (les hommes autorisés pouvant venir chercher leur « compagne » à l’arrivée d’un nouveau navire carcéral et, en Tasmanie, des femmes portant même des colliers rappelant symboliquement cette condition et soulignant presque leur rôle de « reproduction »).
Cependant, comme le mythe d’Eve et de la pomme n’est jamais très loin dans les esprits, non content de frapper toutes les condamnées du sceau de la « Sacrée Putain » (pour reprendre l’étiquette inventée par les officiers de la Première Flotte…), on estime de bon ton (pour faire bonne mesure, sans doute) de leur faire porter tous les maux de la nouvelle colonie, et en particulier, bien sûr, la tendance à la débauche masculine. C’est ainsi que le révérend Samuel Marsden, chef de l’Eglise anglicane, voit en elles la source de cette pestilence morale qui menace de corrompre les colonies. On les taxe de déviance sexuelle, on en fait de véritables harpies, des créatures hystériques et sauvages aux instincts destructeurs et incontrôlables (on se souvient des sorts infligés aux « bavardes rebelles » déjà à bord des bateaux), presque des animaux, capables de menacer la civilité de la colonie des antipodes (rien que ça !). Perçues comme une race à part (et, visiblement, plus vile encore que celle des forçats de sexe masculin), elles sont ostracisées, vilipendées, fustigées, aux antipodes de ce qui serait digne d’être considéré comme un sujet de Sa Majesté. A titre d’exemple, l’usine de Parramatta (près de Sydney), réservée aux femmes, devient vite un bordel officieux… peuplé, à ce que racontent encore les journaux, de véritables tigresses revêches.
En bref, un commerce (voire une exploitation) sexuel(le) qui s’affiche sans vergogne.
Quant à celles qui ont purgé leur peine et qui souhaitent rentrer « au pays », bien souvent, elles n’ont d’autre choix que de se prostituer auprès des capitaines de navires en visite…
On le voit : une société profondément patriarcale, machiste et impérialiste voit le jour. En résultent non seulement des milliers de petits « bâtards » (=nés hors mariage) et une grande mode du concubinage, mais également une réputation de « putain » accolée à toutes les premières Australiennes, qui devait perdurer les cinquante premières années de colonisation.
On estime même que les peines de déportation infligées aux femmes (moins nombreuses par nature dans le monde criminel) étaient, par compensation, et pour assurer un quota féminin suffisant à la nouvelle colonie, globalement plus lourdes que celles infligées aux hommes… !
Des chiffres
De 1788 à 1868, la Grande-Bretagne devait exiler environ 160 000 prisonniers dans les divers pénitenciers d’Australie.
A noter : bizarrement, le nombre d’Ecossais déporté demeura très en-dessous des chiffres anglais et irlandais ! (Au vu des rapports houleux entre l’Angleterre et l’Ecosse, tout comme entre l’Angleterre et l’Irlande, on aurait été en droit de s’attendre à autre chose ! Peut-être les pendait-on plus allègrement…)
Des tentatives de fuite, bien sûr
Au fil des ans, de nombreux forçats tentèrent bien sûr de s’enfuir des bagnes.
On s’en doute, cependant : ils ne parvinrent pas à aller bien loin.
En fait, avant que l’exploration de l’Australie ne commençât vraiment (pour finalement conclure qu’il s’agit, à peu de chose près, d’un gigantesque désert), nombreux furent les forçats qui espérèrent, en franchissant les Blue Mountains (chaîne de montagne séparant Sydney des déserts intérieurs), atteindre rien moins que… la Chine (et ses formidables trésors). Ou, à tout le moins, une contrée prospère où s’installer, en s’éloignant au maximum bien sûr de Port Jackson.
Evidemment, le rêve de ces fuyards (bolters) finissait inlassablement en cauchemar : la soif, la faim, le désert, les lances aborigènes, la mort. Les cadavres étaient retrouvés au maximum 15km au nord de la colonie… Pour les autres, ils étaient aisément recapturés. Finalement, l’impitoyable nature australienne était la meilleure des geôlières…
En Tasmanie, les forçats avaient davantage de chances de se cacher et de survivre au moins temporairement (montagne, forêts), et nombre d’entre eux vécurent du vol de moutons. Ce qui n’empêcha certes pas certains, demeurés célèbres, de devoir avoir recours au cannibalisme pour survivre ! A cet égard, le cas Alexander Pearce, un Irlandais évadé et devenu cannibale (et condamné à la déportation, à l’origine, pour un simple vol de chaussures…) est resté tout particulièrement connu des annales… et révélateur des plus horribles extrémités auxquelles l’homme, acculé, peut se résoudre (je raconte l’anecdote dans mon roman L’Australien).
►Voir le film The Last Confession of Alexander Pearce
Conclusion
Bref, malgré quelques familles pionnières volontaires (incluant des femmes « respectables » pourtant guère loin d’être jetées dans le panier aux « putains » dans les mentalités collectives), les premières années de la colonisation australienne sont marquées par le système carcéral et ses dérives : très vite, l’Australie acquiert une réputation bien sombre, marquée par l’alcoolisme, la brutalité, la débauche, la rudesse, la prostitution, le vice et l’immoralité, une réputation telle qu’on s’en effraie et craint bientôt qu’elle puisse contaminer les colons libres, tous les nouveaux arrivants et même, pourquoi pas, le reste du Pacifique…
Cela dit, soyons honnêtes : en condamnant des hommes et des femmes issus de la plus extrême misère à une vie d’une difficulté effroyable, dans des conditions d’insalubrité bien souvent atroces, et en les coupant à tout jamais de leur famille et de leur terre natale ; quand, privés de tout, on les contraint à vivre sans ressources, à lutter pour leur survie, à affronter la peur, un continent inconnu, un climat terrifiant… En créant une colonie à dominante largement masculine, en envoyant de la soldatesque elle-même issue des couches basses pour « encadrer » tout cela… Pouvait-on vraiment attendre de ces gens qu’ils parvinssent à faire mieux, avec les moyens déplorables qui leur étaient donnés et la cruauté des traitements qu’on leur infligeait ?
Finalement, après 80 ans de pratique, le bannissement en Australie a pris fin en 1868. La société australienne moderne et multiculturelle d’aujourd’hui ne porte guère l’empreinte de cette époque. Les ruines des colonies pénitentiaires ne sont plus que des curiosités touristiques. Néanmoins, en y regardant de plus près, on découvre quantité de souvenirs moins dramatiques de l’époque des convicts : des ponts, de vieux bâtiments et même des églises, tous construits par des forçats. Certains sont en excellent état et encore en usage de nos jours.
Remarque : aussi fascinant qu’il puisse être (à mon goût, du moins !), le passé « carcéral » de l’Australie a longtemps été mis aux oubliettes. Car, à partir de la fin de la déportation, l’Australie en construction n’a qu’une envie : oublier cet épisode fâcheux de son histoire, cette « souillure » honteuse. Ce n’est qu’à partir de 1950-1970 que ce pan fondamental de l’histoire australienne sortira de l’ombre, pour être dévoilé, accepté, et finalement fièrement revendiqué (par certains du moins !), puis être réintégré au récit national.
►Hop ! la suite ici: 4e article sur l’Histoire de l’Australie: vers une colonie libre et prospère.
►Découvrir mon roman L’Australien
Texte: (c) Aurélie Depraz
Illustration : Pixabay