Histoire de l’Australie 5/5 : l’Australie au XXe siècle
L’Australie au XXe siècle
La première guerre mondiale
Eté 1914 : la guerre éclate en Europe. Appelée à combattre aux côtés de la mère-patrie, l’Angleterre (enfin, le Royaume-Uni), l’Australie, alors encore très fidèle, n’hésite pas un instant et envoie plus de 300 000 soldats en Europe, une saignée monstrueuse au regard de sa population.
Ces soldats sont tous des volontaires (en 1916 puis en 1917, les Australiens votent par référendum contre la conscription, donc le service obligatoire, même les plus fervents impérialistes – on considère que le soutien à la mère patrie est avant tout affaire de conscience – et, d’ailleurs, le Defence Act de 1903 interdisait l’utilisation de la petite armée permanente australienne hors du territoire national). Ils sont aussi souvent très jeunes. A cette époque, encore 10% de la population australienne est né en Grande-Bretagne : le lien avec la mère-patrie reste donc très fort et, de toute façon, la Grande-Bretagne mobilise tout son empire pour l’effort de guerre.
54 000 soldats australiens sont tués à la guerre, 16 500 gazés, 137 000 blessés, 3 600 prisonniers, 7 700 morts hors-guerre. Sur une population de 5 millions d’habitants à peine, c’est énorme, un sacrifice hors du commun, avec plus de pertes au total que du côté américain, donc un rapport de proportion d’autant plus criant.
Les soldats australiens perdront la vie en particulier :
- à Gallipoli, sur la côte turque (une bataille demeurée particulièrement célèbre pour les Australiens)
- mais aussi à Beersheba, au Moyen-Orient (les Australiens du 4e de cavalerie légère, mènent la charge sur les tranchées ottomanes et prennent possession des puits de Beer-Sheva ; il s’agit de ce qui est considéré comme la dernière charge de cavalerie victorieuse de l’Histoire)
- à Ypres, dans les Flandres
- à la bataille de la Somme (mémorial national australien à Villers-Bretonneux)
- et la bataille d’Amiens, en France.
- Mais aussi : au Liban, en Syrie, Gaza, Jérusalem…
Plusieurs corps armés voient le jour avec ce premier conflit armé international engageant l’Australie : la 1re AIF (First Australian Imperial force, Première Force Impériale australienne), entre autres, est une unité constituée exclusivement de volontaires. Elle est intégrée au corps d’armée australien et néo-zélandais (habituellement connu sous l’acronyme « ANZAC » (Australian and New Zealand Army Corps), destiné à affronter les Turcs lors de la bataille des Dardanelles (restée particulièrement célèbre dans l’histoire australienne), puis combattant sur les fronts belge, français et moyen-oriental. (Ultérieurement, le terme d’ANZAC a été utilisé pour désigner plus généralement tout corps expéditionnaire composé de soldats australiens et néo-zélandais, constitué en temps de guerre. La Journée de l’ANZAC (Anzac Day) est célébrée chaque année le 25 avril à la mémoire des soldats de ces corps d’armée successifs qui sont tombés au champ d’honneur ; cette journée commémorative est observée à la fois en Australie et en Nouvelle-Zélande. Cette date a été choisie en souvenir du premier débarquement du corps australien et néo-zélandais aux Dardanelles en 1915 sur la plage connue par la suite sous le nom de « baie ANZAC ». L’Australie se rappelle la défaite de Gallipoli comme d’un « baptême du feu » pour l’armée de la nouvelle nation australienne, une bataille qui, chargée d’émotions et de fierté nationale pour l’Australie quelle que fut son issue, fut un creuset identitaire pour les jeunes nations qu’étaient alors l’Australie, la Nouvelle-Zélande et la Turquie moderne. Anzac Day est, en quelque sorte, la 2e fête nationale d’Australie. Un film avec Mel Gibson, Gallipoli, sort en 1982… D’autres suivront, bien sûr…
L’Australian Flying Corps, l’ébauche de l’armée de l’air australienne, est créé en mars 1914 et a connaît sa première utilisation en Nouvelle-Guinée allemande. La première victoire de guerre de la Royal Australian Navy, quant à elle, se produisit lorsque le croiseur Sydney coula le croiseur léger allemand, l’Emden, au large des îles Cocos dans l’océan Indien.
En 1919, le premier ministre Billy Hughes signe le traité de Versailles au nom de l’Australie, ce qui en fait le premier traité international signé par ce pays. À Versailles, Hughes demande de lourds dédommagements à l’Allemagne et, dans le grand gâteau que l’on se partage, réussit à obtenir le contrôle par l’Australie de l’ancienne colonie allemande de Nouvelle-Guinée, et une place dans la toute nouvelle Société des Nations.
L’Australie s’avérera aussi une importante source de céréales pour approvisionner l’Europe (en pénurie à cause de la guerre), ce qui modifie profondément l’agriculture du pays. C’est l’époque de la ruée vers la « ceinture de blé », aidée par l’extension du chemin de fer.
Remarque : la Première Guerre mondiale constitue non seulement un grand sacrifice, mais également un grand moment de fierté pour l’Australie. Les Australiens s’illustrent au combat et font preuve d’une vigueur toute particulière ; très vite, ils sont considérés comme les meilleures troupes d’assaut des forces alliées, pour la plus grande fierté des antipodes. Au tirailleur sénégalais et au poilu français répond alors la figure du « digger » australien, pugnace « creuseur de tranchées », en hommage aux chercheurs d’or. Le soldat de la Première Guerre devient une nouvelle figure héroïque australienne, dans la lignée des tondeurs de moutons, drovers, chercheurs d’or et bushrangers… Déterminés, fougueux, courageux, endurants, débrouillards, persévérants, les soldats australiens, dont admire même parfois la désinvolture, l’esprit de camaraderie et d’initiative et l’humour face à l’adversité, constituent de parfaits atouts de propagande pour les Alliés !
Cependant, la Première Guerre est aussi l’occasion, au sein du pays, de voir naître des dissensions internes plus manifestes au sujet de la loyauté patriotique… En effet, tous ceux qui n’ont pas soutenu avec assez d’enthousiasme l’effort militaire ou la logique impérialiste du Royaume-Uni (les Irlandais en tête, évidemment, mais aussi les pacifistes, les syndicalistes…), sont accusés de subversion, et comme d’indignes Australiens.
Quant aux malheureux Australiens d’origine allemande et austro-hongroise (plus de 30 000), ils souffrent d’une hostilité immédiate : dès août 1914, ils doivent s’enregistrer au poste de police le plus proche ; l’apprentissage de l’allemand est interdit à l’école, les clubs allemands sont fermés et 7000 personnes (femmes et enfants compris) seront internées pendant la guerre. Sans compter tous les Australiens d’origine allemande contraints de quitter leur emploi ou voyant leur commerce saccagé. L’Australie n’a décidément pas fini d’être xénophobe…
Enfin, au-delà même des morts, la saignée causée au sein de la population australienne est particulièrement douloureuse : la grippe espagnole frappe le pays en 1919 et, parmi les vétérans, en 1920, 90 000 anciens combattants touchent une pension d’invalidité (les fameuses « gueules cassées », c’était valable pour l’Australie aussi… : fous, gazés, aveugles, estropiés…), auxquels s’ajoutent 86 000 dépendants d’invalides de guerre, et 49 000 veuve et orphelins nécessitant une aide. Le deuil sera long et lourd, d’autant que les milliers de corps seront restés sur les champs de bataille et enterrés sur place, à la hâte, dans des fosses communes: de nombreux pèlerinages seront organisés par des familles, notamment à Gallipoli.
Magnifique film sur cette époque : The Water Diviner, de et avec Russell Crowe…
En 2015, le 25 avril : 10 000 Australiens tirés au sort étaient attendus à Gallipoli pour le centenaire de la Grande Guerre…
Le déclenchement de la Première Guerre mondiale va aussi commencer à modifier la politique australienne de manière définitive.
Article détaillé : Histoire militaire de l’Australie pendant la Première Guerre mondiale.
L’Entre-deux-Guerres : vaincre l’isolement, abolir les distances
Depuis plusieurs décennies, le principal défi que doit affronter la jeune nation en devenir est, bien sûr, celle des distances, non seulement internes, mais également avec « l’extérieur » : des milliers de kilomètres séparent les principales villes et leurs partenaires commerciaux étrangers.
Et c’est bel et bien vaincre cet obstacle considérable à son développement que visent :
- La Ligne télégraphique transaustralienne, achevée en 1872, et permettant des communications rapides entre l’Australie et le reste du monde.
- Le chemin de fer australien, commencé dès les années 1850. Très célèbres, les liaisons nord-sud, The Ghan (chemin de fer reliant les villes de d’Adelaïde et de Darwin, commencé en 1878 mais terminé en 2004 seulement !), et est-ouest, l’Indian Pacific (reliant, par la côte sud, les villes de Perth et de Sydney, et créée entre 1917 et 1970 dans le but d’accélérer l’intégration de l’Australie-Occidentale à la fédération…) sont longues de plusieurs milliers de kilomètres chacune et traversent plusieurs Etats.
- La radio et l’aviation, rapidement utilisées au XXe siècle (Qantas, fondée dans l’Outback en 1920, est la 2e plus vieille compagnie aérienne du monde toujours en activité !!! Il s’agissait d’un développement vital pour le pays…)
- Le Royal Flying Doctor Service, le premier service d’ambulances aériennes au monde en 1928, afin d’apporter une aide médicale aux populations isolées du pays (celles du bush), un système fondé par le révérend John Flynn (ce système inclura également l’Ecole des airs et d’autres fonctions d’importance pour la brousse).
Notons encore que la première traversée du Pacifique en avion entre les États-Unis et l’Australie, mais aussi la première traversée de l’Australie sans escale et le premier vol entre l’Australie et la Nouvelle-Zélande sont opérées par Sir Charles Kingsford Smith et Charles Ulm. Quant à Amy Johnson, elle est la première aviatrice à rejoindre l’Australie d’Angleterre, en 1930.
Peu à peu, l’Australie se forme et cherche à se connecter au reste du monde. Avec les grandes révolutions de la seconde moitié du siècle (mondialisation, technologies, internet, etc.), l’Australie se trouve, au tournant du XXIe siècle, définitivement engagée dans les flux mondiaux et sortie de sa solitude. Elle demeure, pour l’Occident, à l’autre bout du monde, mais n’est plus la victime d’une quelconque « tyrannie de la distance ».
L’Entre-deux-Guerres est aussi pour elle une période d’intense patriotisme : on chante les produits fabriqués en Australie, on multiplie les stages à la ferme pour les jeunes citadins, on institue une marine australienne, on choisit des symboles nationaux soulignant l’innocence et le côté naturel de l’Australie : la fleur d’acacia devient l’emblème floral du pays, symbole de soleil, de gaieté et d’une éthique basée sur la beauté de la nature, et l’Australie est souvent représentée dans la presse comme une jeune femme pure et belle (blanche, évidemment). Cela aide à resolidariser la nation, ressortie un peu divisée, malgré la fierté éprouvée pour le courage de ses troupes, de la Première Guerre.
Les plages, enfin, attirent les foules, on aime se baigner, et une autre figure héroïque typiquement australienne émerge alors encore : celle du nageur sauveteur (life saver) ! Sport, santé, vitalité et famille : la plage australienne entre dans la légende ! Quant au surf, hédoniste, ludique et libertaire, il tranche avec la discipline militaire et musclée des nageurs sauveteurs !
C’est aussi, bien sûr, une période d’industrialisation et de modernisation, de croissance urbaine et de développement de la consommation automobile.
Hélas, comme bien des pays, l’Australie est ensuite durement frappée par la crise de 1929 et la Grande dépression qui s’ensuite. Elle en souffre notamment via la dépendance de son économie à l’exportation de produits primaires comme le blé et la laine vers la Grande-Bretagne. Au cours des années 1930, un chômage (30%) et une misère frappante s’installent en Australie, l’urbanisation s’accélère (une personne sur deux vit désormais au sein des grandes capitales) et le malaise croît entre le dominion et la mère patrie…
Pendant cette période, l’Australie reste cependant encore très proche du Royaume-Uni. Elle se rapprochera des États-Unis à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Bien que l’Australie soit devenue peu à peu indépendante, le gouvernement britannique garde quelques pouvoirs sur le dominion jusqu’à l’adoption de la loi Statute of Westminster Adoption Act, en 1942 qui, signé eà Westminster, reconnaît la souveraineté des dominions. La rupture avec la métropole, y compris en matière économique et diplomatique, est établie.
En 1948 la citoyenneté australienne à part entière est également établie : les habitants d’Australie sont australiens, et non plus des sujets britanniques.
Enfin, en 1986, the Australian Act supprimera toute possibilité d’intervention britannique dans les affaires australiennes.
En 1954, Elisabeth II fut la première monarque régnante (et la seule !!) à se rendre en Australie !!
La Seconde Guerre mondiale et le rapprochement avec les USA
Avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne nazie en 1939, l’Australie entre de nouveau en guerre aux côtés du Royaume-Uni, avec la Deuxième force impériale australienne (Second Australian Imperial Force / AIF).
En 1940-41, les forces australiennes jouent un rôle majeur dans les combats qui ont pour théâtre le bassin méditerranéen, notamment l’opération Compass, le siège de Tobrouk, la campagne des Balkans, la bataille de Crète, la campagne de Syrie et la seconde bataille d’El Alamein, et aident l’Angleterre à soutenir les assauts aériens allemands de la Bataille d’Angleterre, envoyant en Grande-Bretagne de précieuses denrées. Les Australiens (et notamment leurs aviateurs) combattent ainsi aux côtés des Britanniques autour du canal de Suez, en Libye, en Crète, en Syrie, au Liban et en Egypte, mais aussi sur le front européen.
Puis, la guerre se rapproche du continent australien quand les croiseurs australien Sydney et allemand Kormoran se coulent l’un l’autre au large de l’Australie-Occidentale le 19 novembre 1971 : les 645 hommes d’équipage périssent et le navire lui-même a été retrouvé en mars 2008.
Et, après la célèbre attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941 et le déclenchement, par là même, de la guerre éclair japonaise, l’Australie insiste pour que ses forces armées soient rapatriées afin de lutter contre les forces japonaises.
Tout s’accélère lorsque les Japonais s’emparent du bastion des forces de la Marine britanniques stationnées à Singapour, le 15 février 1942. Près de 15 000 soldats australiens sont faits prisonniers (sur 80 000 prisonniers britanniques, australiens et indiens), dont environ 2 650 mourront en construisant la terrible ligne du « chemin de fer de la mort », Birmanie-Thaïlande. (Au total, 22 000 Australiens seront faits prisonniers par les Japonais. Environ 8 000 mourront des conditions de détention.)
Et, le 18, soit 3 jours plus tard, Darwin commence à être bombardée…
Cet effondrement de l’armée britannique du Pacifique (la Marine de Sa Majesté, basée à Singapour, avait pour but d’assurer la sécurité du Pacifique…) conduit donc l’Australie à réorienter sa politique étrangère et militaire vers les États-Unis : Mère Albion ayant prouvé qu’elle ne pouvait protéger l’Australie (ce qui sera un grand choc psychologique pour l’Australie, et sonnera le glas de l’autorité britannique aux antipodes), celle-ci se tourne vers l’Oncle Sam, le grand frère américain. Pour la première fois de son histoire, l’Australie, encore très dépendante de son mentor impérial, réalise qu’elle ne peut plus compter sur la mère patrie sur le plan militaire comme économique, et doit trouver secours ailleurs…
En février 1942, les gouvernements américain et britannique conviennent donc que l’Australie passerait sous responsabilité stratégique des États-Unis : on ouvre donc toutes grandes les portes australiennes aux forces armées américaines.
En mars, le général MacArthur, principal acteur américain de guerre dans le Pacifique, arrive en Australie et prend le commandement de la zone du Pacifique Sud-Ouest (South West Pacific Area (SWPA)). Tous les militaires australiens des unités de combat sont donc placés sous le commandement du général MacArthur qui remplace les chefs d’état-major australiens auprès du gouvernement australien en devenant le principal conseiller militaire jusqu’à la fin de la guerre.
Un grand nombre de militaires américains furent basés en Australie au cours des premières années de la guerre du Pacifique. La première des unités américaines arriva en Australie au début de l’année 1942 et près d’un million de militaires américains passèrent par l’Australie au cours de la guerre. Beaucoup de bases militaires américaines furent construites dans le nord de l’Australie au cours des années 1942 et 1943 et l’Australie est restée une source importante d’approvisionnement des forces américaines dans le Pacifique jusqu’à la fin de la guerre. Les relations entre les Australiens et les Américains ont été généralement bonnes malgré quelques conflits entre soldats des deux pays et même si le gouvernement australien n’accepta qu’à contrecœur la présence sur son sol de troupes afro-américaines (on ne se refait pas !).
Les Japonais bombardèrent Darwin (au total, l’Australie sera bombardée près de 100 fois) et menèrent une série d’attaques contre les villes de Sydney et de Newcastle par sous-marin. La campagne de mobilisation qui dura toute cette période est désignée sous le nom de bataille pour l’Australie.
La menace d’invasion japonaise de l’Australie aura néanmoins été évitée de justesse par le succès des alliés dans les batailles de la mer de Corail et de Midway : l’Australie échappe à l’occupation.
Les troupes alliées affrontent les Japonais en Nouvelle-Guinée dans les terribles conditions de la jungle équatoriale (bataille de Milne Bay et campagne de la Kokoda Track, notamment, deux victoires australiennes qui marquent, comme ailleurs dans le monde, le tournant de la guerre en 1942).
Dans le même temps, à partir de Melbourne où il a installé le siège de son état-major, le général MacArthur commence la reconquête des territoires de l’océan Pacifique, île par île.
Les Australiens combattront aussi en Indonésie et dans les Philippines. Les forces spéciales australiennes ont en outre joué un rôle important dans la guerre du Pacifique. Après le déclenchement de la guerre, des commandos ont été déployés au Timor, aux îles Salomon, aux îles Bismarck et en Nouvelle-Calédonie. Les commandos ont également joué un rôle important dans les campagnes de Nouvelle-Guinée, Nouvelle-Bretagne, de Bougainville et de Bornéo. Le Groupe spécial Z a effectué des raids loin derrière la ligne de front, notamment en réussissant un raid sur Singapour en septembre 1943.
Enfin, le général Thomas Blamey signera les actes de capitulation du Japon au nom de l’Australie au cours de la cérémonie qui ayant lieu à bord de l’USS Missouri le 2 septembre 1945.
Au total, l’Australie a engagé un million d’hommes (sur une population de 7 millions !!!), dont 40 000 meurent au champ d’honneur.
La Seconde Guerre mondiale a, bien évidemment, conduit à des changements importants dans la société australienne. En termes économiques, la guerre a accéléré le développement de l’industrie manufacturière australienne et a conduit à une forte baisse du chômage. L’impact de la Seconde Guerre mondiale a changé la société australienne et a contribué à la mise en place d’une société cosmopolite où les femmes ont pu jouer un rôle plus important.
L’alliance avec les États-Unis a par la suite été formalisée par le pacte de défense mutuelle de l’ANZUS (Australia, New Zealand, United States Security) signé à San Francisco en 1951 (pacte notamment signé en réaction à la menace communiste chinoise, concrétisée en 1949 : dans les mentalités, la « Chine rouge » remplace alors le « Péril jaune » dans les menaces pesant sur l’Océanie…).
Article détaillé : Histoire militaire de l’Australie pendant la Seconde Guerre mondiale.
Repeupler l’Australie
Après la Seconde Guerre mondiale, l’Australie va lancer un vaste programme d’immigration, estimant que le fait d’avoir évité de peu une invasion japonaise doit la conduire à « se peupler ou périr », programme reflétant le traumatisme de la Seconde Guerre et la prise de conscience de la vulnérabilité de l’Australie. Comme le Premier Ministre Ben Chifley le déclarera plus tard : « un puissant ennemi regarde avidement vers l’Australie. Demain, une nouvelle menace pourrait venir essayer de détruire notre pays. Il faut peupler l’Australie aussi rapidement que nous le pouvons avant que quelqu’un d’autre décide de la peupler pour nous ».
Cependant, on reste alors sur le principe d’une Australie blanche. Des centaines de milliers d’Européens, y compris pour la première fois un grand nombre de juifs, vont émigrer vers l’Australie. Plus de deux millions de personnes vont venir d’Europe au cours des 20 ans qui vont suivre la fin de la guerre. Mais la peur du « Péril Jaune » demeure, même quand il s’agit de réfugiés des Philippines, d’Indonésie ou de Malaisie issus de la guerre. On veut peupler l’Australie au plus vite, mais on veut toujours la peupler de Blancs.
D’ailleurs, au sein même des Blancs, il y a une hiérarchie : on n’autorise d’abord que les Scandinaves, les Suisses et les Hollandais à entrer sur le territoire. Puis on ouvre les portes aux Européens du Centre et de l’Est. Enfin, les Européens méridionaux (Grecs et Italiens) sont accueillis pour leurs compétences dans les métiers du bâtiment et de l’industrie. D’ailleurs, à l’origine, le gouvernement, pour rassurer l’opinion, avait promis 10 migrants de Grande-Bretagne pour 1 migrant étranger. Dans les faits, l’afflux de volontaires de toute l’Europe contraindra le gouvernement à revoir peu à peu ses prétentions à la baisse.
Le programme d’immigration d’après-guerre se veut donc ambitieux et incite de nombreuses personnes à émigrer en Australie. À partir de la fin des années 1940, l’Australie reçoit ainsi d’importantes vagues d’immigrants européens. L’Australie admet un grand nombre d’immigrants provenant principalement d’Allemagne, d’Italie, de Pologne, des Pays-Bas, de Nouvelle-Zélande, de Grèce, de Yougoslavie, de Malte et des États-Unis, ainsi que de sa source traditionnelle d’immigration, les îles britanniques.
Le gouvernement australien pratique bien évidemment une politique d’assimilation pour les immigrés, afin qu’ils deviennent des Australiens sur le plan ethnoculturel. Ces immigrés trouvent facilement du travail en raison d’une économie en expansion et des grands projets d’infrastructure comme le Snowy Mountains Scheme qui seront réalisés (exigeant la construction d’une quinzaine de barrages, la déviation de cours d’eau pour irriguer l’intérieur du pays, et la création de 7 stations électriques ; sa réalisation requerra 100 000 ouvriers venus de 30 pays différents, entre 1949 et 1974).
Ce n’est qu’à partir des années 1950 que la politique de l’Australie blanche est progressivement assouplie, pour être définitivement abandonnée en 1973.
A partir des années 60, on accueille les Vietnamiens, les Laotiens et les Cambodgiens. Puis les Chinois (Malaisie, Hong Kong et Chine), les Philippins et les Indonésiens, avant d’accueillir finalement les musulmans du Liban et de Turquie. Toutefois, ce changement ne se fait pas sans oppositions (émeutes) ni critiques.
Peu à peu cependant, seul le critère des compétences est retenu via un système à points et toute discrimination basée sur la couleur de peau disparaît. L’Australie est en route vers le multiculturalisme. Exit la vieille politique d’assimilation et d’intégration (même si les résistances au changement et à ce qui est « trop exotique » ou trop éloigné du modèle australien demeurent).
Aujourd’hui, plus d’un migrant sur deux vient d’Asie ; la population australienne est passée de 7 millions d’habitants au sortir de la guerre à plus de 26 millions !
Un éloignement de la Grande-Bretagne, un rapprochement des USA et de l’Asie
Finalement, on peut affirmer que la guerre a fini par entraîner une plus grande maturité de l’Australie dans ses relations avec le monde. La Grande-Bretagne ayant prouvé son incapacité à assurer la traditionnelle protection impériale, l’Australie se sent désormais libre d’assurer pleinement sa propre destinée, et d’établir sa propre politique étrangère. Un tournant accentué par la candidature britannique à la CEE (1961-63) qui, même si elle fut un échec, donna aux Australiens le sentiment d’être abandonnés : cette tentative d’intégration du Royaume-Uni à la CEE, donc ce rapprochement européen de la mère patrie, devait sonner définitivement le glas de l’idéal du patriote de race britannique qui sous-tendait la culture australienne : « abandonnés » par leur mère patrie, les Australiens, qui jusque-là n’avaient jamais réclamé leur indépendance, se sentent plus seuls que jamais. Harold Holt, premier ministre australien, dira en 1966 que l’Australie fut « projetée par les événements dans l’âge adulte ». Ce délitement du lien britanno-australien devait être consacré par l’annonce du gouvernement britannique en 1968 du retrait militaire britannique « à l’est de Suez »…
À partir de 1945, l’Australie s’éloigne donc de plus en plus de la Grande-Bretagne (la nationalité australienne est créée en 1948 !) tant dans le domaine politique que sur le plan socioéconomique ou encore culturel pour se rapprocher, dans un premier temps, des Etats-Unis (on l’a vu), dont elle deviendra l’un des alliés les plus fidèles (en intervenant notamment à leurs côtés dans la guerre de Corée, la guerre du Vietnam, en Afghanistan et en Irak : combat contre le communisme), au point qu’en 1966, le dollar australien remplace la livre australienne et l’Australie adopte finalement le système décimal !!!
Mais la seconde moitié du siècle est aussi le temps du rapprochement…
… avec l’Asie : le commerce avec le Japon reprend et vise même à faire de cette nation le partenaire commercial principal de l’Australie, en lieu et place de la Grande-Bretagne !
Quant à la Chine, elle voit son commerce se développer avec l’Australie à partir des années 2000.
Après l’échec et le drame de la guerre du Vietnam en effet, les Américains ne comptent plus s’engager dans des conflits armés en Asie… Une fois de plus, l’Australie va devoir se passer d’un mentor… Ainsi, à partir de années 1970, l’Australie s’efforce de resserrer ses liens diplomatiques avec la Chine, le Japon et l’Asie du Sud-Est afin de garantir sa sécurité dans la région : ces pays, jadis menace traumatisante pour la jeune Australie blanche, en deviennent des partenaires économiques importants, dont on se rapproche par la voie diplomatique… puis par la politique d’immigration transformée (abandon de l’Australie blanche, on l’a vu).
En 1980 est signé un traité (accord NARA) entre le Japon et l’Australie : c’est la première fois que l’Australie signe un traité avec une puissance asiatique. Puis, à la fin des années 80, une organisation régionale est mise en place, sur l’initiative de l’Australie : l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation), regroupant 21 pays parmi les plus riches (dont les USA, le Canada, la Chine…) afin de favoriser le libre-échange et la croissance économique dans cette partie-ci du globe, dans le cadre d’un système commercial multilatéral.
Aujourd’hui, les marchés asiatiques, mais aussi américains et moyen-orientaux sont les partenaires commerciaux privilégiés de l’Australie, et le pays s’est ouvert à de nombreux capitaux étrangers. Après s’être longtemps languie d’une reconnaissance européenne et avoir voulu se revendiquer d’une culture 100% occidentale, et après avoir espéré pouvoir compter sur un indéfectible grand frère américain, l’Australie accepte aujourd’hui d’être une île-continent vouée à jouer également un rôle très important sur l’échiquier océanien et cherche à se rapprocher des grandes puissances asiatiques. Elle partage des valeurs avec l’Occident, et en particulier la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, mais des intérêts économiques avec l’Asie. L’essor de la Chine au XXIe siècle lui est tout particulièrement bénéfique et l’aura sauvée des plus graves effets de la crise de 2008. Mais l’Australie abrite aussi une base militaire américaine permanente… Barack Obama l’avait même qualifiée de « pivot vers l’Asie »… Une grande finesse diplomatique s’avère donc nécessaire pour ce pays à mi-chemin entre Orient et Occident…
Enfin, dans les années 2000, l’Australie joue un rôle international croissant, en tant que nation pleine et entière, via la fourniture des finances aux économies asiatiques pour récupérer de la crise financière asiatique, l’organisation de la Force internationale pour le Timor oriental en 1999, et le commandement, avec la Nouvelle-Zélande, de la RAMSI (Regional Assistance Mission to Solomon Islands) et l’opération « Helpem Fren » (c’est-à-dire « aider un ami ») dans les Iles Salomon avec des représentants d’une vingtaine d’autres nations du Pacifique. Dans l’ensemble, l’Australie cherche désormais à jouer les intermédiaires entre Occident et Orient, sans jamais perdre l’estime et la gratitude américaine, bien sûr.
Depuis 1947, au moins 30 000 soldats australiens chargés du maintien de la paix ont participé dans plus de 50 opérations, que ce soit lors de théâtres de conflits autour du monde ou en réponse humanitaire à des désastres. Parmi les opérations de l’ONU, on peut citer celles au Cambodge, au Rwanda, en Somalie et en Asie du Sud-Est après le tremblement de terre du 26 décembre 2004.
L’Australie, pleinement intégrée au monde moderne
Pendant la Guerre froide, l’Australie est pionnière dans la Course à l’espace et devient la 4e nation à lancer un satellite dans l’espace à partir de son propre territoire en 1967.
Melbourne accueille les Jeux olympiques d’été de 1956 (Sydney les accueillera en 2000).
La télévision professionnelle est lancée en 1956 à Sydney et la fin des années 1960 et le début des années 1970 sont souvent associées, au moins dans l’esprit de nombreux jeunes Australiens à l’explosion de la culture australienne : des compagnies d’opéra et de théâtre sont créées à travers tout le pays et la musique rock australienne commence à faire sentir explicitement ses origines. Des interprètes, intellectuels, séries télévisées, chanteurs, groupes et films connaissent un succès international, et l’Opéra de Sydney, bien sûr, est inauguré en 1973 (un opéra qui n’aurait jamais vu le jour si les autorités avaient su qu’il coûterait 102 millions de dollars australiens sur 16 ans de construction… au lieu des 7 millions annoncés originellement sur 5 ans !!)
En 1973 aussi, l’Australien Patrick White obtient le prix Nobel de littérature…
La politique, quant à elle, demeure partagée entre parti libéral et parti travailliste tout au long du siècle. Dans les années 70, des réformes radicales telles que l’introduction de l’assurance maladie universelle, la réforme du divorce et du droit de la famille voient le jour. C’est également là que la cause aborigène prend un nouvel essor… (période également de revendication des droits des Noirs aux Etats-Unis, des droits de la femme en Europe…).
Les lois sociales fleurissent, de précieux garde-fous de la part de l’Etat-Providence sont mis en place pour bannir à jamais du paysage social les spectres de la Grande Dépression, pauvreté, chômage et malnutrition en tête : soins médicaux gratuits, allocations de maternité, pensions pour invalides et personnes âgées, allocations chômage et maladie, élévation du salaire minimum… Confort et dignité doivent être assurés à chacun. La censure est également abolie (qui, assez virulente jusque-là, interdisait tout ce qui pouvait relever du communisme, de l’obscène etc.) et le mouvement féministe touche l’Australie comme l’Occident, permettant l’accès des femmes à des professions jusque-là réservées aux hommes, par exemple, ainsi que… l’accès aux pubs !!! (De nombreux « bars publics » étaient en effet jusque-là réservés aux hommes !)
De vastes programmes économiques et industriels sont également lancés comme le fameux Projet Hydroélectrique des Snowy Mountains. Bientôt, le niveau de vie est comparable à celui connu en Amérique ! L’Australie est totalement entrée dans le monde moderne, le rêve national reprend, let ce pays jeune et dynamqiue se sent pleinement intégrée au monde moderne.
Les grandes villes font la part belle au tertiaire, le niveau de vie y est élevé, elles sont parfaitement connectées entre elles par l’avion et, au-delà des centres-villes parfois hérités de l’ère coloniale, elles s’étalent en zones pavillonnaires périphériques à l’américaine, où règne l’automobile. Compétitivité économique, universités de haut niveau, industries technologiques de pointe, vie nocturne, politiques urbaines et culturelles, tout y est. Et, malgré de formidables propulsions dans les secteurs secondaire et tertiaire, l’Australie demeure le premier pays exportateur de laine au monde, produit et exporte de grandes quantités de viande et est devenue, depuis quelques années, un grand pays producteur de vin également. Les territoires sont vastes, l’agriculture est extensive. Les riches ressources minières sont par ailleurs toujours exploitées.
En bref, bon PIB, bon IDH, espérance de vie très longue, l’Australie est en bonne place sur l’échiquier mondial… et un pays où il fait bien vivre : l’Australian Way of Life est aujourd’hui connu comme le parfait cocktail entre soleil, sable, sport, urbanisme, nature, sécurité, liberté, justice égalitaire et loisir. Famille, maison, jardin, voiture : l’Australie, une fois de plus, se veut le paradis sur terre.
1988 est une date symboliquement importante : on célèbre le bicentenaire de la First Fleet, ainsi que l’inauguration du nouveau Parlement Australien, inauguré à Canberra par la reine Elisabeth II… et véritable symbole d’une conscience nationale émancipée de ce sentiment d’infériorité envers l’Angleterre dont l’Australie a longtemps souffert (cultural cringe).
En 2008-2009, après 25 ans de réforme économique, et une période de croissance commerciale forte avec la Chine, l’Australie surpassait pratiquement chaque économie comparable – tandis que la crise économique saisissait le monde.
En 2010, Julia Gillard devient chef du parti travailliste et la première femme Première Ministre, et donc chef du gouvernement d’Australie.
A deux doigts de devenir une République…
Dès les années 1950, les colonies australiennes sont des Démocraties Parlementaires et l’Australie a su rester parmi les quelques nations qui sont demeurées démocratiques tout au long du XXe siècle.
Dès les années 1890 également, les partisans d’une république australienne étaient assez nombreux (les discours républicains en Australie étaient d’ailleurs bien plus anciens, en particulier parmi les bagnards irlandais), mais ils avaient pratiquement disparu au moment de la Première Guerre mondiale. Le sentiment monarchiste allait culminer au cours des années de gouvernement Robert Menzies avec son apogée lors de la tournée de la reine Élisabeth II en Australie en 1954. La question concrète d’une république ne se reposera donc pas jusqu’aux années 1970, quand un gouverneur-général (émissaire de Sa Majesté la reine) se permet, en 1975, de congédier le Premier ministre australien, à la suite d’un bras-de-fer entre la Chambre des Représentants et le Sénat : un scandale sans précédent ! Nombreux sont ceux qui, en réaction, souhaitent voir un Président 100% australien remplacer la fonction de « gouverneur ».
Dans les années 1990, le problème fut ramené sur le devant de la scène par le Premier ministre Paul Keating, qui promettra en 1993 d’instaurer une « république fédérale australienne » pour le centenaire de la Fédération en 2001. On cherche alors à élaborer un modèle institutionnel valable et acceptable sur une base républicaine qui, le cas échéant, serait adopté et mis en place avec le nouveau millénaire.
Les sondages ont constamment montré une majorité de partisans d’une république australienne, cependant un référendum sur la question devait échouer le 6 novembre 1999, peut-être en raison d’une dissension entre républicains « minimalistes » qui voulaient un président choisi par le Parlement fédéral (comme c’est le cas, par exemple, en Allemagne) et républicains plus «radicaux», qui voulaient un président élu au suffrage universel (comme dans la République d’Irlande). L’opinion publique trouvait qu’il ne pouvait y avoir de république sans président élu au suffrage direct. Or le référendum proposait un président élu indirectement, aussi de nombreux radicaux s’y sont opposés. Le débat depuis 1999 a perdu beaucoup d’importance, mais d’aucuns ne doutent pas un instant qu’un jour, une véritable République australe verra le jour, avec suffrage universel direct, comme l’espéraient les premiers chantres du séparatisme déjà au XIXe siècle.
Lors d’un sondage début 2014, 41,6 % des Australiens se disent encore monarchistes, contre 39,4 % de républicains, les autres étant sans opinion.
L’Australie reste donc une monarchie constitutionnelle et un Royaume du Commonwealth. Les pouvoirs de la reine sont délégués au Gouverneur général d’Australie, qui est nommé par la reine conformément à l’avis du premier ministre australien.
Un pays toujours en proie à une nature implacable
Evidemment, l’Australie demeure tributaire de conditions parfois très difficiles. En 1974, le cyclone Tracy dévaste la ville de Darwin, capitale du Territoire du Nord. Il tue 71 personnes et cause pour 837 millions de dollars australiens de dégâts ; plus de 70% des édifices de la ville et 80% des maisons sont détruits, près de la moitié des habitants sont sans abri. La majorité de la population a donc dû être évacuée ; beaucoup n’y sont jamais retournés – un désastre sans précédent dans l’histoire de l’Australie. La reconstruction de Darwin s’est faite selon un code du bâtiment para-cyclonique et avec des matériaux plus modernes et solides.
Quant aux feux de brousse et de forêt, ils font des ravages à plusieurs reprises, comme en 1974-1975 (1 170 000 km², soit 15 % de la surface terrestre totale du continent !!!!), en 2009 (voir les feux de brousse du Victoria de 2009, aussi appelés black Saturday) et, bien sûr, ceux de 2019-2020, qualifiés de Black Summer. (Voir aussi : Liste des feux de brousse en Australie.)
Avec 2,4 habitants par km2, mais 86% de sa population concentrée sur 1% du territoire (en quelques points du littoral), l’Australie est, paradoxalement, l’un des pays les plus urbanisés du monde… avec un Outback pour ainsi dire totalement vide. Enfin, vide d’humains. Car le cheptel ovin, pour sa part, avec plus de 150 millions de têtes, se porte comme un charme ! Quant aux énormes stations d’élevage bovin, au nord du pays, elles laissent toujours rêveur puisqu’elles couvrent en moyenne la superficie d’un département français ; la plus grande est même plus grande que la Belgique tout entière !
Quant au réchauffement climatique, on se doute que, pour un pays déjà essentiellement aride et semi-aride, et une île extrêmement plate, il est particulièrement problématique… Sans parler du problème de la couche d’ozone, de l’amplification des extractions de pétrole en mer, du système de production intensif, de la disparition annoncée de la Grande Barrière de corail (déjà réduite de moitié depuis 1986 !!), de la destruction des forêts tropicales du Queensland, et des menaces pesant sur plusieurs espèces particulières à l’Australie (dont le koala)… !
La cause aborigène
Les lois du début du XXe siècle font de l’Australie une espèce de modèle pour le futur apartheid sud-africain : lois discriminatoires, exclusion des Aborigènes de « pure race » (full blood) du système, interdiction à ces derniers d’entrer dans les bars, piscines, cinémas et autres lieux publics ou de s’enrôler dans l’armée…
Quant aux « Black Diggers », des métis admis et enrôlés (en cachant leurs origines) dans la Première Guerre (seulement après 1917), ils sont démobilisés sans droits et sans compensations, terres, allocations ou pensions (ils sont 1000 à s’engager ainsi dans la Première Guerre, 4000 dans la seconde). Ils ne sont pas reconnus sur les mémoriaux qui sont érigés dans tout le pays après 14-18 (un tort qui ne sera peu à peu réparé avec des plaques et monuments complémentaires que très récemment) : officiellement, ils n’ont pas même existé dans l’armée.
Après un dernier carnage, en 1928, dans le centre du pays (environ 70 membres de la tribu de Warlpiri se seraient fait massacrer lors d’une expédition punitive menée par des fermiers… aidés de la police), les années 1930 marquent un tournant dans l’histoire des relations entre Blancs et Aborigènes et dans la politique à l’égard des natifs d’Australie.
En 1938, au jour du 150e anniversaire de la First Fleet, l’Australian Aborigines Advancement League organise une manifestation appelée « jour de deuil » (Day of Mourning) et lance un appel pour obtenir l’accord des droits de citoyenneté aux Aborigènes, avec la participation d’hommes comme Douglas Nicholls.
Les tribus s’insurgent en outre de plus en plus contre le carcan des réserves et des politiques de « protection » (en réalité, on l’a vu, d’assimilation par la force).
Avec la Seconde Guerre mondiale, certains Aborigènes, ayant découvert d’autres horizons en s’enrôlant dans l’armée, font également avancer les choses ; les groupes de pression et ligues pour le progrès de la cause aborigène se multiplient dans les deux décennies suivantes.
Si bien qu’à partir des années 1950, les Australiens commencent à repenser leur attitude à l’égard des questions raciales. Un mouvement pour les droits des autochtones, appuyé par de nombreux libéraux blancs australiens, est créé et une campagne contre la politique de l’Australie blanche a également été lancée.
Le référendum de 1967 donne lieu à un vote massif approuvant la modification de la Constitution, en supprimant les références discriminatoires. Le référendum est approuvé par plus de 90 % de la population. Contrairement à ce qui est parfois écrit, ce référendum ne donne pas la citoyenneté australienne aux Aborigènes ni ne leur donne le droit de vote : ils les avaient déjà. Cependant, le transfert des pouvoirs les concernant des parlements des États au parlement fédéral va permettre de mettre fin au système des réserves aborigènes qui existaient dans chaque État, ce qui leur permet de se déplacer plus librement et d’exercer un grand nombre de leurs droits pour la première fois.
À la fin des années 1960 apparaît en outre un mouvement pour la défense de leurs droits fonciers et un retour de la terre aux Aborigènes. C’est ainsi qu’en 1984, le gouverneur général remet officiellement aux Pitjantjatjara les titres de propriété de la célèbre région d’Uluru, par exemple.
Néanmoins, l’application de cette loi demeure, dans les faits, très lente, voire bloquée en certains endroits, le modèle économique australien dépendant, en partie, d’une exploitation minière à outrance… bien souvent menée sur des territoires traditionnellement aborigènes, qu’on ne compte certes pas abandonner !
Les Aborigènes revendiquent également un droit à un salaire égal à celui des autres travailleurs.
Ils sont intégrés au recensement général de la population en 1967…
En 1971, Neville Bonner est devenu le premier Aborigène au Parlement fédéral australien dans le Parti libéral australien de Malcolm Fraser. En 1976, Fraser a décrété l’Aboriginal Land Rights Act, établissant un processus pour l’identification de la propriété traditionnelle de la terre par des indigènes ; et Sir Douglas Nicholls devient le premier indigène gouverneur d’un état australien (Australie-Méridionale).
En 1992, la Haute Cour d’Australie déclare que l’Australie n’a jamais été terra nullius (Mabo & Others v. Queensland, 1992). Ce jugement historique signifie que les Aborigènes et les Indigènes du détroit de Torrès se voient enfin reconnaître leurs droits à la propriété de leurs terres.
En 1996, le jugement de Wik vient le renforcer, affirmant que droit fermier et droit tribal peuvent coexister sur un même territoire. Deux jugements devant donner des sueurs froides à tous les fermiers et aux grandes compagnies minières : une bonne partie du pays peut, dès lors, être revendiquée par les tribus ! Evidemment, la chronique est défrayée, mais la machine est en route, et Blancs et Aborigènes doivent désormais apprendre à coopérer.
Puis, on l’a vu, avec la publication en 1997 d’un rapport du gouvernement fédéral, Bringing Them Home, tous les gouvernements des États de même que de nombreux gouvernements locaux suivent la recommandation du rapport et présentent des excuses officielles aux Aborigènes pour les épreuves qu’ils ont subies.
En février 2008, tenant une promesse de campagne, Kevin Rudd prononce un discours solennel, s’excusant auprès des Aborigènes, peuple autochtone, pour les maltraitances qu’il ont subies. Malgré ces excuses, le crime de génocide n’est toujours pas reconnu par les autorités australiennes pour plusieurs raisons, entre autres :
- le fait que les mesures jugées tragiques et honteuses comme « les générations volées » ou les déplacements forcés vers des réserves et missions étaient présentées officiellement lors de leur mise en place comme des mesures prises « pour le bien » des populations (les intégrer à la civilisation, les tirer de la barbarie…) ;
- ou le fait que les massacres aient été perpétrés par des individus et non à l’initiative des autorités… et en cas de pure légitime défense, pour assurer leur propre survie…).
Autant d’arguments parfaitement discutables, on le voit (nous avons évoqué des massacres soutenus par les forces de police, l’intention évidente de dissoudre la « race noire » par la capture des métis, etc.), et toujours fort controversés aujourd’hui. Sans compter que, jusqu’en 2002, le crime de génocide n’est pas été intégré au droit interne du pays…
Ce n’est en outre qu’en 2009 que l’Australie approuve la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones… Néanmoins, dans les faits, cette Déclaration demeure difficile à appliquer : un Congrès national des premiers habitants d’Australie s’est bien créé, mais il n’a pas de place dans l’appareil politique ou institutionnel…
En tout cas, selon les spécialistes, il est grand temps de permettre aux Aborigènes de rentrer dans l’histoire globale de l’humanité et de leur ôter ce caractère d’exception ayant jusqu’alors empêché qu’on traite leur cause de la même manière que tous les autres peuples autochtones ; il est temps de les exclure de l’histoire coloniale en considérant l’histoire de l’Australie comme résolument différente des autres histoires de conquêtes et d’invasion.
En 2010, Ken Wyatt, un libéral, est devenu le premier Aborigène élu à la Chambre des Représentants du Parlement fédéral australien.
Les Aborigènes se mettent à utiliser de la toile et de la peinture acrylique pour reproduire leurs peintures traditionnelles, et l’art aborigène acquiert un statut d’art moderne, très prisé des touristes. Certaines œuvres atteignent aujourd’hui le demi-million de dollars ! Les meilleurs ambassadeurs de la cause aborigène aujourd’hui, ce sont presque les marchands de tableaux !
Leur population, après être drastiquement tombée à 60 000 individus en 1900, serait de 600 000 aujourd’hui. Néanmoins, dans les faits, aujourd’hui encore, les Aborigènes restent très désavantagés (pauvreté, chômage, précarité, condamnations pénales…)
En 1971, la tournée des rugbymen sud-africains, venant d’un pays où l’on pratique l’apartheid, sensibilise la population au sort des Aborigènes et à l’injustice de leur sort. Dans une volte extraordinaire, l’Australie deviendra la première nation occidentale à couper les liens sportifs avec l’Afrique du Sud !
Comme quoi… aucune cause n’est jamais complètement perdue !
On reconnaît aujourd’hui encore que la culture aborigène, de ceux qui étaient là ab origine, « depuis les origines », est la plus ancienne civilisation encore vivante de la planète.
Dernière remarque : fait extraordinaire, la rencontre entre hommes blancs et Aborigènes se sera étalée sur un temps incroyablement long : la région nord-ouest (=les Kimberley) aura été la dernière région explorée (pas avant les années 1880) et ce n’est qu’en 1984 (un siècle plus tard !) que les derniers Aborigènes seraient sortis du désert oriental ! Martin Préaud, docteur en anthropologie sociale et ethnologie, raconte même avoir travaillé avec des gens éduqués dans le désert et qui n’avaient rencontré leur premier Blanc qu’à 20 ou 25 ans !
Conclusion
A l’ouverture du XXIe siècle, affranchie de la tutelle britannique puis américaine, l’Australie s’est établie comme une nation jeune, riche et forte, ancrée dans la zone Pacifique. Et si la bonne santé du pays suggère un avenir radieux, il reste encore de nombreux dossiers épineux sur le bureau du gouvernement : mauvaise intégration du peuple aborigène qui souffre du chômage, de violence, de délinquance, d’analphabétisme, d’un fort taux de suicide, de drogue et d’alcoolisme (sans parler de leur espérance de vie, de 15 ans inférieure à n’importe quel autre Australien, et de leur taux d’incarcération – ils représentent 40% des incarcérés, mais seulement 3% de la population totale !), immigration illégale difficile à contrôler des « boat people », inquiétudes environnementales, bien sûr, et question ouverte de la viabilité d’une population en constante augmentation sur le continent le plus aride au monde… Autant de défis que l’Australie se prépare à affronter au XXIe siècle.
Car, au-delà des clichés qui en font un pays paradisiaque, pacifique et sans histoires, l’Australie ne peut certes prétendre pouvoir relever d’une représentation univoque. Quant à la pluralité de ses appartenances (occidentales, océaniennes, asiatiques), elles sont autant une richesse que des épreuves à surmonter.
Aujourd’hui, l’Australie veut être modèle de tolérance, pluriethnique, mondialisée, ; cependant, selon le parti au pouvoir, la tolérance et le conservatisme plus ou moins marqués des premiers ministres, les progrès sociaux connaissent parfois de brusques coups de frein, comme avec John Howard et Tony Abbott très récemment…
Quant au racisme, en soi, il est encore loin d’avoir disparu.
Pays à la mode, l’Australie attire de nos jours beaucoup de Français. Quant aux Australiens, ils sont 1,2 millions à visiter la France chaque année, en particulier les cimetières australiens de Picardie (Première Guerre mondiale)…
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Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : Pixabay