L'Histoire (la grande !)

Les Vikings en France : des premiers raids à l’implantation

Introduction

Dans de précédents articles sur les Vikings danois, les Vikings norvégiens et les Vikings suédois, j’exposais les grandes lignes de l’expansion viking des VIIIe, IXe et Xe siècles et des grands mouvements exploratoires scandinaves tant vers l’ouest que vers l’est, le nord et le sud. J’y précisais d’ailleurs les terrains de chasse de prédilection de chacun des trois peuples généralement désignés par le terme de « Vikings » dans l’Histoire traditionnelle : les Danois, les Suédois et les Norvégiens, peuples encore bien mal distingués malgré tout à l’époque, et bien sûr loin de constituer déjà les royaumes unifiés que seront plus tard le Danemark, la Suède et la Norvège.

Si vous découvrez tout juste le monde viking, je vous invite chaleureusement à commencer par la lecture de ces trois articles dédiés respectivement aux grands déplacements de chacun de ces trois peuples, et notamment par l’introduction de mon article sur les Danois.

Cet article-ci, rédigé bien sûr dans le cadre de la rédaction de mon roman sur l’épopée de Guillaume le Conquérant (La Demoiselle d’Arundel – parution : mai 2023), a pour but de braquer la focale sur les Vikings qui s’acharnèrent sur les côtes de Francie… et qui finirent par donner naissance au fameux duché franco-norrois de Normandie. Je vous conseille vivement d’en compléter la lecture avec mon second article sur ce sujet, intitulé « Des Vikings aux Normands : la naissance de la Normandie ». Je liste d’ailleurs en fin d’article toutes les synthèses historiques rédigées en rapport avec mon roman, les Normands, Guillaume de Normandie, etc.

Mais avant d’aller plus loin et de zoomer sur les raids dano-norvégiens dont furent harcelées nos belles côtes franques et nos longs fleuves (plus si tranquilles que cela), un petit rappel s’impose.

Les « nouveaux barbares »

Aux VIIIe, IXe et Xe s. commence la seconde grande vague d’« invasions barbares » : après les Ostrogoths, les Wisigoths, les Lombards, les Burgondes, les Francs, les Vandales, les Angles, les Jutes, les Saxons et tant d’autres, c’est au tour des Sarrasins, des Scandinaves, des Magyars et des Bulgares de mettre à mal l’Occident et d’en bouleverser l’ordre établi.

La première vague “barbare” était venue ébranler les fondations de l’Empire romain d’Occident, dont la chute, en 476, marque traditionnellement la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-Age. La seconde vient ravager la Chrétienté tout juste (r)établie dans ce qui deviendra, bien, plus tard, le continent européen : ce sont les nouveaux « barbares » de l’Occident. Car sitôt la première vague barbare installée (celle des IVe, Ve et VIe siècles), vague qui a fondé des royaumes et s’est quasiment intégralement christianisée et fondue aux populations locales (c’est notamment le cas des Francs, qui donneront leur nom à la future Francie Occidentale, bien sûr, et plus tard à la France…), de nouveaux mouvements migratoires, bien souvent belliqueux, viennent de nouveau perturber cet équilibre à peine retrouvé.

Rappel des grands mouvements vikings

Tandis que les Sarrasins (ou Maures) s’emparent de la Méditerranée et que les Magyars et Bulgares s’acharnent sur l’Europe centrale et orientale, les Vikings déferlent depuis leur Scandinavie natale comme une cascade sanguinaire : ils longent les côtes, remontent les fleuves, traversent les mers et frappent tout l’Occident, de l’Irlande à la Volga et de la mer Baltique à la mer Rouge. Ils pénètrent les terres, portent leurs bateaux quand il le faut, remontent les cours d’eau, les rivières, les lacs ; ils assiègent, pillent et repartent.

En ultra-résumé : chacun des 3 peuples du Nord conduit ses expéditions en fonction de sa zone géographique d’origine :

Les Norvégiens se sont tournés vers l’ouest et le nord : ils ont colonisé :

  • toutes les îles écossaises (Shetland, Orcades, Hébrides) (mon roman Shaena se déroule dans les Orcades norvégiennes du XIIIe s. – les archipels du nord resteront aux mains des Vikings pendant 6 siècles !)
  • les côtes nord et ouest de l’Ecosse
  • le Galloway
  • l’Irlande
  • les îles de la mer d’Irlande (comme l’île de Man)
  • depuis leurs colonies anglo-saxonnes, les côtes franques
  • les îles Féroé
  • l’Islande (voir ma Petite Histoire de l’Islande)
  • le Groenland
  • et même touché le Canada actuel (Terre-Neuve, Labrador…) avant de se faire refouler (très rapidement) par les autochtones, semble-t-il
  • Pour plus de détails, c’est ici :  mon article Petite Histoire des Vikings – 2 : les Norvégiens . Mon roman Comme une aurore dans la brume se déroule en Norvège au IXe siècle.

Les Danois se sont concentrés vers l’ouest et le sud :

  • les rives flamandes et frisonnes (nord-ouest de l’Allemagne actuelle et Pays-Bas actuels), tout près d’eux
  • les royaumes d’Angleterre (Northumbrie, Wessex, Mercie, Est-Anglie, Sussex, Essex, Kent…), tout près d’eux également…
  • la Francie, ses côtes et ses fleuves
  • puis, en descendant le long du Golfe de Gascogne, la péninsule ibérique et Al-Andalus… (Espagne, Portugal, Maroc)
  • la Provence
  • les côtes italiennes, la Toscane (et bien plus tard le sud de l’Italie et la Sicile, via leurs descendants, les Normands – nous y reviendrons justement dans d’autres articles)
  • le nord de l’Afrique
  • Pour plus détails, voir mon article : Petite Histoire des Vikings 1 – Les Danois. Mon roman L’amour, la mer, le fer et le sang concerne ce peuple.

Et c’est tout naturellement que les Suédois, ou Varègues (ou encore « Rus » = « roux » comme les slaves les nommaient) se seront tournés vers :

Les 3 peuples mènent leurs raids et incursions en parallèle.

Facteurs généralement avancés pour justifier la naissance du « phénomène viking » à partir des années 790 :

  • la surpopulation (en raison du réchauffement climatique et donc d’une agriculture prospère, qui rime toujours avec moins de famines et de malnutrition, et donc moins de mortalité) ;
  • le droit d’aînesse (poussant les cadets sans héritage à aller faire fortune ailleurs) ;
  • les guerres intestines entre clans et le besoin des chefs et de l’aristocratie locale (« jarls ») de trouver des sources d’enrichissement afin de pouvoir asseoir leur autorité de retour au pays, revendiquer une couronne, lever des troupes, accroître leur prestige et en imposer à leurs voisins… ;
  • l’existence d’un châtiment suprême, le bannissement, poussant des exilés à se regrouper et à constituer des équipages de nécessiteux cherchant à faire fortune également ;
  • le passé commercial très ancien des Scandinaves avec le reste de (ce qui n’est pas encore) l’Europe, ce qui les amène à une excellente connaissance, par leurs marchands, éclaireurs et informateurs, de la situation politique dans chaque région côtoyée… et des faiblesses des divers royaumes et gouvernements de l’époque. Dissensions internes, rivalités, conflits dynastiques, la vie politique des états européens de l’époque n’a pas de secret pour eux ! Résultat : ils savent où frapper, quand et comment, sans courir de grands risques ! Leur réseau d’espions et d’informateurs, souvent intégrés à leurs convois marchands, sont particulièrement efficaces.

Appât du gain, recherche de butin, rêves d’installation vers des terres plus clémentes (c’est d’ailleurs là la motivation du héros de mon premier roman portant sur les Vikings, L’amour, la mer, le fer et le sang), curiosité exploratoire, désir d’aventure, talents maritimes, recherche de la gloire, du prestige et du pouvoir, expansion démographique, glorification culturelle des hauts faits d’armes et de navigation, goût tout aussi culturel du pillage et de la conquête, législation scandinave, défaillance des autres états et royaumes et de leurs systèmes de défense… les voyages vikings tiennent donc de tout cela à la fois.

Résultat : pendant près de trois siècles, l’Occident tremble au simple nom d’« Homme du Nord » !

Les Vikings en France

Les grands raids lancés sur les côtes de ce qui est alors l’empire de Charlemagne (jusqu’en 843) puis la Francie Occidentale (après division de l’Empire carolingien en trois morceaux que seront la Francie Occidentale à l’ouest, la Lotharingie au centre et la Germanie ou Francie Orientale à l’est, par le traité de Verdun) seront donc, vous l’aurez compris, principalement le fait de hordes dano-norvégiennes.

Comme partout ailleurs, ces raids commencent au tournant du IXe siècle ap. JC. Ils prendront tout d’abord la forme de frappes brutales et rapides, menées par de petits groupes d’hommes (quelques bateaux seulement) jouant sur l’effet de surprise pour attaquer vite et fort, piller, razzier, brûler, massacrer si besoin (des populations sans défense, comme celles des monastères et abbayes ou de petits villages côtiers), puis repartir aussitôt, riches de butin et (parfois) d’esclaves. Il s’agit là de coups de main dispersés sur les côtes (aussi bien franques que frisonnes, anglo-saxonnes et irlandaises), d’attaques éclairs imprévisibles au cours desquelles les Vikings s’aventurent rarement à l’intérieur des terres, et qui demeurent saisonnières (estivales) : au printemps, les guerriers-marins lancent leurs langskips à la mer et, à l’automne, ils rentrent chez eux, dans le Nord, pour y passer l’hiver.

Ce n’est qu’à partir du milieu du IXe siècle, au plus tôt vers 834, et jusque vers 865, que ces mêmes hordes de marins-guerriers commenceront à s’implanter, souvent ponctuellement, parfois plus durablement, en établissant des bases et comptoirs d’hivernage à partir desquelles elles lanceront de nouveaux raids une fois l’hiver passé. Ce sera la deuxième phase des raids vikings, faite de flottes plus importantes (plusieurs dizaines de navires, parfois plus d’une centaine), de séjours plus durables, et d’expéditions à la fois plus déterminées et plus intrépides : les fleuves sont remontés, de grandes villes parfois bien défendues mises à sac. Durant cette phase, les Vikings exploitent plus que jamais les faiblesses défensives et dissensions politiques internes des royaumes ou contrées qu’ils attaquent (comme l’Empire carolingien, alors en pleine dislocation). Certaines bases tendent même à devenir permanentes, des comptoirs sont créés… A cause des luttes dynastiques internes à l’Empire carolingien, la côte ouest du continent fut, durant cette phase, la cible privilégiée des attaques vikings (même si l’Irlande ou les îles anglo-saxonnes en général ne sont pas pour autant épargnées).

Et dans un troisième temps seulement, en quelques régions d’Europe, des Scandinaves finiront par s’installer durablement, en se fondant totalement à la population locale (quand il y en avait une, comme dans l’est de l’Angleterre, en Normandie, en terre slave (Rus de Kiev – voir mon article sur les Vikings Suédois) ou en colonisant seuls un territoire encore (quasiment ou totalement) vierge, comme les îles Féroé, l’Islande et le sud du Groenland.

Mais reprenons ces trois phases en détail, en nous concentrant sur les expéditions scandinaves portant sur les côtes franques.

1 – Raids de la « première vague »

De même qu’outre-Manche, les raids vikings sur la Frise et la Francie demeurent épars tout au long des quatre premières décennies du IXe siècle (800-840). Il s’agit alors de « strandhöggs » (terme que j’utilise dans mon roman Comme une aurore dans la brume), c’est-à-dire d’une forme de commando (avant l’heure) côtier typiquement viking, raid éclair visant des lieux proches des rivages, des endroits riches et peu défendus (type : des monastères et abbayes, mais aussi des villages sans défense), après une période d’espionnage.

La première attaque enregistrée sur les côtes franques date de 799, en Aquitaine.

Dans les années 810, la Frise est attaquée à plusieurs reprises.

En 820, on note une première incursion d’importance dans la vallée de la Seine (treize bateaux)…

En bref, les Vikings commencent à faire parler d’eux, et dès 800, Charlemagne poste des guetteurs et des flottes le long des côtes pour empêcher les Vikings de remonter les fleuves et fait construire des forts côtiers pour repousser leurs assauts. La défense carolingienne serait vraiment efficace si les Vikings n’étaient pas aussi rapides et n’attaquaient pas par surprise… de préférence, les jours de célébrations religieuses, le dimanche, pendant la messe, lors des processions… donc, quand les populations sont vulnérables…

2 – Expéditions et hivernages de la seconde vague

A partir des années 830-40, l’éclatement de la guerre civile au sein de l’Empire franc carolingien provoque la désorganisation de la défense côtière organisée par Charlemagne (jusqu’à sa mort en 814), puis maintenue tant bien que mal par son fils Louis le Pieux durant les 26 années de son règne, de 814 à 840. Car à la mort de ce dernier en 840, ses trois fils se déchirent son royaume, ce qui aboutira au traité de Verdun qui partage l’héritage carolingien en 3 :

  • Francie Occidentale (un bon 2/3 de la France actuelle, dont hérite Charles le Chauve)
  • Francie médiane (ou Lotharingie, terre de Lothaire)
  • et Francie Orientale (ou Germanie, l’essentiel de l’Allemagne actuelle, aux mains de Louis le Germanique).

Ni une, ni deux, les Vikings s’engouffrent dans la brèche.

En effet, en raison de ces luttes dynastiques et de la décadence politique de l’ancien empire de Charlemagne en découlant, la Francie Occidentale restera, pendant des décennies, le terrain d’opération privilégié des raids vikings, avant que les royaumes anglo-saxons constituant ce qui deviendra l’Angleterre, mais aussi l’Ecosse et l’Irlande, n’attirent de nouveau leurs foudres, dans les années 860.

Durant toute la première moitié du IXe siècle, et jusqu’en 860 environ, les Vikings se concentrent donc sur la Francie (ce qui ne les empêche pas de mener un petit raid ou deux, ici ou là, en Grande-Bretagne, tandis que les Norvégiens s’acharnent sur l’Ecosse et l’Irlande) : chaque année ou presque, ils viennent remonter les grands fleuves francs.

Les 3 « Francie » sont frappées mais on se doute que c’est la Francie occidentale qui est la plus touchée (beaucoup plus de littoraux, et les Vikings se déplacent en bateau, le long des côtes et des fleuves, et non pas à pied par voie continentale, comme les barbares de la première vague).

Comme je le mentionne dans L’amour, la mer, le fer et le sang, on peut dire, je pense, que pas une grande ville, pas une abbaye, pas une collégiale, pas un monastère (mont Saint-Michel, mont Saint-Philibert, abbaye de Jumièges, abbaye de Saint-Wandrille, de Saint-Bavon, de Saint-Fromond, Saint-Germain-des-Prés, de Fontenelle, de Sainte-Geneviève, de Saint-Valery, de Saint-Bertin etc), pas une île (Ré, Oléron, Noirmoutier…), pas un fleuve (Meuse, Seine, Loire, Escaut, Marne, Rhin, Yonne, Garonne, Moselle, Somme, Saône, Eure, Dives… Rhône !!) ne sont épargnés. Les Vikings remontent également de nombreuses rivières et de nombreux affluents. Neustrie, Bourgogne, Austrasie, Aquitaine, Flandres, Frise, tout y passe.

De 840 à 860, c’est donc un enchaînement permanent de sacs, d’incendies, de sièges et de raids. Fécamp, Nantes, Paris (de nombreuses fois), Toulouse, Bordeaux, Saintes, Tours, Rouen, Anvers, Auch, Clermont, Périgueux, Narbonne, Nîmes, Bayeux, Chartres, le Mans, Bourges, Poitiers, Angers, Valence, Arles, Nîmes, Narbonne, Melun, Meaux, Pitres, Beauvais, Rodez, Comminges, Tarbes, Dax, Romans, Aix-la-Chapelle, Nantes, Evreux, Noyon, Amiens, Pontoise, Limoges… Je ne vous refais pas l’article, je cite tout dans mon roman en note de bas de page, pour votre plus grand supplice ! ^^ Et puisque nous nous concentrons ici sur les Vikings en « France », (donc sur nos côtes françaises actuelles), je vous épargne également la liste exhaustive des raids touchant les villes et ports des côtes frisonnes (nord de la Francie Occidentale et de la Lotharingie) et flamandes, qui sont aussi très touchés au cours de cette phase (Dorestad, Utrecht, Walcheren, Anvers, Gand…) au point que des territoires y seront finalement abandonnés aux Danois par Louis le Pieux.

Les Vikings forment alors des groupes plus nombreux, remontent les fleuves, attaquent de grandes villes, pénètrent de plus en plus profondément dans les terres, commencent à capturer des nobles, à les rançonner, embarquent les plus pauvres comme esclaves, hivernent sur place, créent des camps et des bases durables (en Pays de Caux, sur la côte du Cotentin, près de Noirmoutier, en vallée de Seine, par exemple dans l’île de Jeufosse, près de Vernon, et dans l’île d’Oissel, en amont de Rouen…), construisent des fortins, se font payer des tributs (« danegelds ») en échange de leur départ et passent quelques hivers sur place avant de repartir au pays… Même les rois carolingiens finissent par leur verser des tributs pour se débarrasser d’eux ! Hélas ! Ils ne font ainsi que jeter de l’huile sur le feu et s’enfermer dans un cercle vicieux : là où l’or coule à flots si facilement, si généreusement et si complaisamment, les Vikings ne peuvent que revenir !

Il convient ici de préciser que les rapports entre Carolingiens et Vikings seront bien plus complexes qu’une simple opposition de deux camps : les Carolingiens s’affrontant entre eux au sein de la dynastie issue de Charlemagne, il ne sera pas rare que l’un d’eux se paie des mercenaires vikings ou tente de les rallier temporairement à sa cause pour défaire son voisin (et frère), ou que le roi de Francie essaie de monter les Vikings les uns contre les autres, de les utiliser à son profit et de faire jouer la concurrence pour se débarrasser des uns par l’intermédiaire des autres.

Il n’en demeure pas moins que les Vikings continuent de ravager le pays et ne cessent de repartir pour mieux revenir…

Ce n’est que lorsque Charles le Chauve se trouve enfin débarrassé de son frère Lothaire (son plus proche voisin à l’est) en 855 et qu’il sort donc enfin des pires crises de son règne qu’il entreprend de fortifier la côte ouest de son royaume et d’endiguer le fléau viking qui menace de ruiner l’économie franque. C’est le début du système féodal, des seigneurs locaux et de la hiérarchie nobiliaire : le roi délègue une partie du pouvoir militaire à des chefs de guerre locaux (les comtes, premiers aristocrates) à qui il donne des fiefs en échange de leur défense assidue contre les raids vikings. Il s’appuie également fortement sur les évêques. Il fait en outre élever des châteaux et des ponts fortifiés dans les secteurs régulièrement mis à sac et remettre en état les anciens remparts romains. Il y poste moult garnisons. Les castra, castella et fortifications privées sans autorisation royale se multiplient également, et les villes qui n’en avaient pas encore se parent de longs murs d’enceintes… ou renforcent ceux hérités de l’Empire romain, érigés au temps des premières invasions barbares !

Malgré le manque de fiabilité des troupes franques, les chantages réguliers des Vikings et les nombreux débarquements scandinaves qui persistent, se faisant souvent concurrence eux-mêmes, la défense du royaume franc peu à peu s’organise et, entre les initiatives des seigneurs locaux, les ouvrages fortifiés ordonnés par Charles et les quelques défaites cuisantes que les Francs imposent aux Vikings, ces derniers se lassent peu à peu du continent.

Les Danois, opportunistes, se désintéressent de la Francie et se tournent alors vers l’Angleterre, pour une gigantesque invasion en 865.

Carte visible au parc Ornavik (©J. Renaud)

3 – L’installation : la création du duché de Normandie

Mais le répit ne sera que de courte durée.

Dès 880, les Vikings, apprenant la mort de Charles le Chauve en Francie, et rencontrant par ailleurs une opposition farouche en Angleterre (après 15 ans de conquêtes plutôt faciles) menée par le roi du Wessex Alfred le Grand, se détournent de l’Angleterre et retournent en Francie : Seine, Picardie, Bourgogne, Vermandois, Loire, Neustrie… tout y passe.

De nouvelles villes tombent : Aras, Cambrai, Courtrai, Amiens, Liège, Aix-la-Chapelle, Noyon, Troyes, Sens, Beaune, Dijon, Toul, Verdun, Langres ; Nantes et Evreux à nouveau, ainsi que Rouen et Chartres… divers points de Bretagne… Tongres et Bonn, Waal et Dyle plus au nord… et surtout Paris, pour la énième fois, lors d’un gigantesque siège (700 navires danois remontent la Seine pour l’occasion, avec, selon les sources, environ 30 000 hommes, des catapultes, des balistes, des tours d’assaut, des projections de cire et de poix et un triple bélier monté sur une plate-forme à 16 roues !)… – la série Vikings insiste longuement sur ce fameux siège.

Changeant régulièrement de base, les Vikings dévalisent systématiquement les régions traversées. Ils ruinent littéralement certaines contrées qui, bientôt, n’ont plus rien à leur offrir, les incitant par là même à passer à la suivante.

Malgré tout, la défense franque s’organise et la terrible famine qui s’abat sur le territoire franc durant l’hiver 891-892 persuade la majorité des chefs vikings de retraverser la Manche, pour s’acharner de nouveau sur l’Angleterre. Ceux qui restent, cependant, sont de plus en plus difficiles à déloger de Neustrie, c’est-à-dire du nord-ouest du royaume)…

… si bien qu’en 911, date importante dans l’Histoire de France, par le traité de Saint-Clair-sur-Epte, le chef viking Rollon reçoit de Charles le Simple les comtés de Rouen, d’Evreux et de Lisieux (grosso modo, la Haute Normandie actuelle, une province qui prend, du même coup, pour la première fois le nom de « Normandie », la « terre des Hommes du Nord »). En échange, il prête serment à Charles, lui promet fidélité et loyauté, accepte de se convertir au christianisme (ça me rappelle soudain la phrase célèbre d’Henri IV, « Paris vaut bien une messe », même si nous ne parlons pas là de Paris, évidemment, mais de Rouen^^), se fait baptiser et prend le nom francisé de « Robert ». Il s’engage également, avec ses troupes dano-norvégiennes, à repousser désormais les éventuelles incursions d’autres bandes de Vikings sur ses terres (et donc sur la Seine).

Il tient promesse et, hormis quelques troubles aux frontières de son fief, protégera hardiment contre ses anciens compatriotes la vallée de la Seine, qui devient une « marche frontalière ». En remerciement, il obtiendra de nouvelles concessions royales et recevra de nouvelles terres, le Bessin et le Maine en 924, tandis que son successeur, Guillaume Longue-Epée, obtiendra le Cotentin et l’Avranchin en 933, étendant ainsi le comté de Normannia vers l’ouest. Rollon tente en outre dès 913 de s’emparer de la Bretagne pour y fonder une deuxième colonie scandinave en Europe continentale, et les combats feront rage pendant deux décennies, mais les Vikings seront finalement refoulés par les Bretons en 936.

C’est la fin des raids et de l’activité viking sur le continent ; mais la longue et tumultueuse histoire de ce qui deviendra le duché de Normandie, pour sa part, ne fait que commencer…

Elle nous mènera, entre autres, jusqu’à un certain bâtard du duc Robert le Magnifique… un bâtard nommé Guillaume… et qui laissera son nom à l’Histoire en conquérant brillamment l’Angleterre…

Conclusion

Je vous donne tout de suite rendez-vous dans mes deux prochains articles consacrés à cette formidable épopée normande : « Des Vikings aux Normands : la naissance du duché de Normandie » et « Guillaume de Normandie, du Bâtard au Conquérant ».

A lire aussi sur ce blog :

Tous mes articles précédents sur les Vikings :

Mes romans « vikings » :

… ainsi que tous mes articles en lien avec la Normandie, Guillaume le Conquérant, les Normands en Méditerranée etc., et donc mon roman La Demoiselle d’Arundel :

Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration article : Pixabay (image libre de droit)

Deux vidéos pour la route :

La France carolingienne face aux Vikings – La Petite Histoire – TV

Sur le siège de Paris :