L'Histoire (la grande !)

Les derniers raids vikings sur l’Angleterre

Introduction

Alors que, sur le continent, les raids vikings commencent à s’apaiser au Xe siècle, pour n’être presque plus qu’un mauvais souvenir passé 950, on assiste outre-Manche à une déferlante de nouvelles attaques, toutes plus violentes les unes que les autres.

En France, en effet, les choses semblent se calmer légèrement depuis les premières années du siècle, entre autres grâce à la signature en 911 du traité de Saint-Clair-sur-Epte (par lequel la Normandie est concédée au chef scandinave Rollon et à ses hommes, en échange de leur protection et de la surveillance de l’estuaire et de la vallée de la Seine – voir mon article sur le sujet). Oh, bien sûr, diverses bandes de Vikings continuent de s’agiter çà et là, de débarquer, de piller, d’hiverner, de rançonner, en Bretagne et dans le Val de Loire notamment, et ont même parfois tenté de s’implanter durablement comme en Normandie, mais le gros de l’orage semble bel et bien derrière soi, et peu à peu les hordes barbares du IXe siècle ont cédé le pas à des Scandinaves sédentarisés, en bonne voie d’acculturation.

Mais de l’autre côté de la Manche, en Angleterre, au Pays de Galles, en Irlande et en Ecosse, il en va bien autrement. Là, les raids reprennent même de plus belle, pour une dernière vague d’une violence inédite qui frise l’acharnement, à la fin du Xe siècle. Dans les eaux écossaises, ils dureront même pendant trois siècles, bien après que le reste de l’Europe a pu tourner la page et oublier ce douloureux épisode de son histoire.

Les causes

Cet ultime regain d’activité aurait eu plusieurs causes :

  • L’unification des grands royaumes scandinaves (Norvège, Danemark, Suède), qui prennent enfin forme et se centralisent, sans pour autant être encore dotés d’une administration capable d’assurer aux toutes jeunes dynasties régnantes de quoi fonctionner : en l’absence d’une structure capable de collecter efficacement un impôt à domicile, il faut bien aller chercher de l’argent quelque part.
  • Le tarissement des mines d’argent arabes (à partir de 965), source essentielle d’argent et d’enrichissement en Scandinavie.
  • Lié à ce tarissement, mais aussi aux gains en puissance de deux entités que sont la Rus’ de Kiev et l’Empire Byzantin (qui affirment leur pouvoir et leur contrôle de cette partie du monde et tendent à rendre les raids de pillage plus difficiles) : l’abandon progressif du commerce scandinave avec l’Est et des grandes routes commerciales tournées vers l’Orient : pour la première fois, des Suédois, désœuvrés, se tournent vers l’ouest et viennent grossir les rangs de Danois et de Norvégiens qui s’occupent depuis maintenant un siècle et demi de massacrer le « front ouest ».
  • Les bases solides dont disposent désormais les Vikings dans les Orcades, les Shetland, les Hébrides et l’île de Man, sans compter leurs nombreux comptoirs irlandais, à partir desquel(le)s ils peuvent lancer de nombreux raids sur la côte ouest de l’Ecosse, du Pays de Galles et de l’Angleterre (sans compter l’Irlande elle-même, bien sûr). Les Scandinaves jouissent même d’une base arrière chez leurs cousins les Normands, depuis les rivages desquels ils lancent certains de leurs raids sur les côtes sud et est de l’Angleterre, et chez lesquels ils écoulent une partie de leur butin.
  • L’instabilité politique qui perdure tant en Ecosse qu’en Angleterre, ou encore en Irlande : une instabilité politique qui, comme toujours, profitera aux Vikings (qui auront toujours su en tirer parfaitement parti)…

Coups de main, raids de pillage, campagnes de rançonnage méthodiques de plus ou moins grande ampleur, négociation de danegelds (tributs, rançons par lesquels les Dano-norvégiens monnayaient leur départ), ces expéditions prennent diverses formes, mais visent toutes un enrichissement rapide, notamment des rois (se maintenir sur le trône coûte cher !).

Le royaume anglo-saxon en construction

Les premiers « rois des Anglo-Saxons », puis « rois des Anglais », dignes successeurs d’Alfred le Grand de Wessex (qui à la fin du IXe siècle était parvenu à contrer l’avancée des Vikings dans l’est de l’Angleterre, à endiguer leur colonisation croissante du pays et à en rejeter même une partie à la mer), étaient finalement, au milieu du Xe siècle (en 954 plus précisément), après des décennies de lutte acharnée, parvenus à mettre fin au Royaume viking d’York et à l’ensemble du Danelaw (cette vaste région « soumise à la loi danoise » dans l’est du pays) : malmenés par Alfred le Grand (roi du Wessex puis premier roi « des Anglo-saxons »), puis par son successeur, Edouard l’Ancien, puis Æthelstan (premier à se dire « roi des Anglais » ou « roi de toute la Grande-Bretagne »), puis Edmond Ier, Eadred, Eadwig, Edgar et Edouard le Martyr, les Vikings d’Angleterre maintiennent tant bien que mal le Danelaw en place pendant près d’un siècle de défaites et de victoires alternées, du règne d’Alfred (871-899) à celui d’Edouard (971-978). Mais, finalement défaits une bonne fois pour toutes (avec l’assassinat du dernier roi d’York, Eric à la Hache Sanglante), ils ne vivent bientôt plus que de façon éparse en Angleterre, et ce jeune royaume anglo-saxon, créé et articulé autour du puissant Wessex, semble en bonne voie pour s’unifier une bonne fois pour toutes. Le Danelaw n’est plus et le Xe siècle ne connaîtra pas de réelles nouvelles vagues migratoires danoises, comme ce fut le cas au VIIIe siècle.

De 954 à 980, le royaume jouit d’une paix très relative.

Une Angleterre scandinave

Hélas ! Le répit ne devait être que de courte durée : car dès les années 980, c’est un chaos sans nom qui s’abat sur le pays : le roi Edouard le Martyr meurt (assassiné par son propre entourage, peut-être sa mère…), son jeune frère Æthelred lui succède (il n’a que douze ans) et des hordes de Vikings s’acharnent sur ses côtes, ainsi que sur les autres îles de « l’archipel britannique », notamment ceux du chef Olaf Tryggvason et du puissant roi danois Sven à la Barbe Fourchue. A maintes reprises, l’Angleterre doit les affronter (à Chester, Southampton, sur l’île de Thanet, dans le Devon, les Cornouailles, le Kent, l’Essex, le Sussex, le Hampshire…) et leur verser un danegeld. Les raids sont parfois de grande envergure, les armées en présence nombreuses, les chefs vikings plus déterminés que jamais. 991, 993, 994, 998, 999, 1000, 1001… les raids s’enchaînent et se succèdent, les troupes comptent de nombreux mercenaires…

Tout se précipite finalement quand, le 13 novembre 1002, sous l’accusation d’un complot, Æthelred (à juste titre surnommé « le Malavisé ») fait massacrer tous les Danois (et même tous les Anglais de souche danoise !) du royaume d’Angleterre lors du sanglant et tristement célèbre massacre de la Saint-Brice. Une véritable Saint-Barthélémy avant l’heure ! Un carnage sans nom.

Ni une, ni deux, le roi du Danemark Sveinn Tjúguskegg, le plus puissant Viking de son époque, qui s’est emparé de la Norvège en l’an Mil, reprend la bataille du Danelaw et ravage l’Angleterre en 1003, 1004, 1006, 1009 à 1012 (ce qui lui permet, au passage, de récupérer les impôts levés soigneusement par le roi d’Angleterre…) : la tradition veut que sa sœur ait figuré parmi les victimes du massacre de 1002, ainsi que son beau-frère et ses neveux… Pas de chance pour Æthelred !

En 1013, l’impensable : Sveinn prendre Londres et soumet l’Angleterre : désormais, il est roi de Danemark, de Norvège et d’Angleterre !

L’ex-roi anglo-saxon, Æthelred (incapable de bien s’entourer, d’opposer une défense active aux « Northmen » et même de gagner la confiance de ses sujets depuis son accession au trône en 978), fuit avec sa femme Emma de Normandie (sœur du duc Richard II de Normandie) et ses deux fils, Alfred et Edouard (le futur « Confesseur ») en Normandie.

Mais Sveinn n’a guère le temps de profiter de sa victoire puisqu’il meurt en 1014, cinq semaines à peine après la soumission de Londres. Evidemment, la maison de Wessex (régnante jusque-là) tente aussitôt de reprendre le pouvoir, et Æthelred reprend le trône… pour mourir à peine deux ans plus tard, dès 1016, sous les coups du fils de Sveinn, Knut le Grand… C’est la fin d’un des règnes les plus catastrophiques que connaîtra jamais l’Angleterre. Quant au fils d’Æthelred, Edmond, il ne règne que quelques mois (d’avril à novembre 1016), avant de mourir à son tour…

La couronne revient donc de nouveau à la maison danoise de Jelling en la personne de Knut le Grand (qui trouve de très bon goût d’épouser la veuve d’Æthelred, Emma… pour se rallier la noblesse autochtone, bien sûr). Il devient roi d’Angleterre puis, à la mort de son frère Harald, du Danemark et d’une partie de la Suède ; en 1028, il reprend la Norvège, qui s’était re-séparée du Danemark. Bientôt, il est donc lui aussi roi du Danemark, de Norvège et d’Angleterre !

Il réside essentiellement en Angleterre (!) de loin le plus riche et le plus structuré de ses royaumes et reprend à son compte les manières des monarchies chrétiennes (notamment la monarchie anglo-saxonne), dotant l’Eglise et l’encourageant en Scandinavie ; à ce titre, il est probablement le premier souverain scandinave à être plus ou moins traité comme un égal par les autres monarchies d’Occident (sa présence à Rome en 1027, lors du couronnement de l’empereur Conrad, en est la preuve bien éloquente !). Il constitue une garde d’élite (les housecarls, armés de leur célèbre hache), adapte la législation…

Mais, à sa mort en 1035, son empire est disloqué et, peu de temps après, en 1042, après les règnes courts et tumultueux de ses deux fils Harold Pied-de-Lièvre (fils de sa concubine Ælfgifu de Northampton) et Hardeknut (fils d’Emma de Normandie… et donc demi-frère d’Edouard par sa mère), la maison de Wessex parvient finalement à reprendre le pouvoir en la personne d’Edouard le Confesseur, fils d’Æthelred et d’Emma de Normandie, qui profite de ce que Hardeknut meurt sans descendance pour reprendre le pouvoir.

En fait, à la mort de Knut, ses deux fils se disputent les trônes de Danemark et d’Angleterre. En l’absence de Knut le Hardi (=Hardeknut), Harold Pied-de-Lièvre commence par se faire couronner roi d’Angleterre. C’est le seul prétendant au trône dont Emma n’est pas la mère ; celle-ci tente donc successivement de mettre ses fils Hardeknut, Edouard et Alfred sur le trône ; Hardeknut se battant au Danemark, elle tente surtout de faire revenir de Normandie les deux fils qu’elle a eus de son premier mariage avec Æthelred.

Edouard tente donc le premier de revenir en Angleterre sur incitation de sa mère mais, pressentant un accueil hostile, rebrousse finalement chemin et rentre en Normandie.

Alfred a moins de chance : il tente lui aussi l’aventure mais finit capturé par le comte Godwin, allié d’Harold Pied-de-Lièvre, qui lui crève les yeux. Alfred meurt finalement de ses blessures. Les hommes d’Alfred sont tués, mutilés ou réduits en esclavage.

Edouard le Confesseur et le retour de la maison de Wessex au pouvoir

Finalement, Harold meurt en 1040 et son frère Hardeknut revient alors en Angleterre. Il propose à son demi-frère Edouard de co-régner avec lui mais meurt à son tour dès 1042, non sans avoir nommé comme successeur Edouard, un roi alors très improbable, qui a vécu trente ans en exil en Normandie, n’a ni appui ni armée sur place, et se retrouve comme un étranger sur son propre territoire… Néanmoins, en s’alliant à la famille de Godwin par son mariage (qui restera chaste…) avec sa fille Edith, il parvient à asseoir son autorité et à assurer un règne plutôt pacifique long de vingt-trois ans…

En somme, de 1013 à 1066, la maison de Jelling (rois du Danemark… et de Norvège, donc, depuis le début du XIe s.) et la maison de Wessex (anglo-saxons d’origine) se disputent la couronne d’Angleterre. La palme semble finalement revenir à la maison de Wessex quand Hardeknut meurt sans laisser d’héritier mais… les problèmes ne tarderont pas à émerger de nouveau : Edouard dit « le Confesseur » (fils d’Æthelred le Malavisé) meurt (on s’en doute) chaste et sans enfants. Résultat (classique) : nouvelle crise de succession.

Quand Norvégiens, Normands et Anglo-saxons se disputent une même couronne

D’autant qu’Edouard a eu la mauvaise idée de nommer Guillaume de Normandie (aussi dit à l’époque « Guillaume le Bâtard »… et bientôt « le Conquérant ») son successeur du temps de son vivant… avant (peut-être) de changer brutalement d’avis sur son lit de mort en désignant Harold Godwinson de Wessex, son beau-frère (le frère d’Edith de Wessex, épouse d’Edouard, et fils de feu le comte Godwin).

Ni une, ni deux, Harold, déjà sur place, se fait couronner roi d’Angleterre, le jour même de la mort d’Edouard. Mais deux prétendants aussi sérieux que furieux ne tarderont pas à débarquer en Angleterre pour faire valoir leurs droits : Guillaume le Conquérant… et Harald Hardrada, roi de Norvège, surnommé « l’Eclair du Nord ».

Pour faire simple : chacun a des arguments pour revendiquer le trône d’Angleterre :

  • Harold Godwinson, comte de Wessex et beau-frère du défunt, élu par les nobles anglais, et peut-être désigné par Edouard lui-même sur son lit de mort ;
  • Guillaume de Normandie, petit-cousin d’Edouard le Confesseur (mais oui ! puisque son grand-père était le frère de la mère d’Edouard, 2e épouse d’ Æthelred, voyons !) et héritier désigné par celui-ci selon ses dires bien des années plus tôt… ;
  • et même Harald Hardrada, roi de Norvège, qui avance qu’un accord avait été conclu au niveau de la génération antérieure (celle d’Hardeknut), le désignant comme successeur si Hardeknut mourait sans héritier…
Harald l’Impitoyable, roi de Norvège (source image)

L’issue de ce bras de fer à trois (sur les détails duquel je reviens plus longuement dans mon roman La Demoiselle d’Arundel), on la connaît : deux des belligérants finiront sous terre… et le troisième mettra la maison de Normandie sur le trône d’Angleterre pour un siècle… avant qu’elle ne cède la place à une autre dynastie française (dans le sang de laquelle coulera néanmoins le sien) : celle des Plantagenêt…

En somme, Guillaume viendra résoudre définitivement la querelle entre maison de Jelling et maison de Wessex ; à partir de 1066, ni les Dano-norvégiens, ni les Anglo-saxons ne règneront sur l’Angleterre : c’est l’ère anglo-normande qui s’ouvre… Les Norvégiens (ou les Danois) ne viendront plus jamais disputer la couronne d’Angleterre aux Anglo-saxons et cette date est souvent retenue comme marquant la fin de l’ère viking tout entière (notamment du fait de la cuisante défaite du roi viking Harald Hardrada, qui meurt à Stamford Bridge face à Harold, qui meurt lui-même quelques jours plus tard à Hastings face à Guillaume – voir mes articles sur Guillaume le Conquérant).

Derniers soubresauts, dernières tentatives

Néanmoins, les Norvégiens resteront encore maîtres des Orcades, des Hébrides et des Shetland… pendant plusieurs siècles ! Avant de devoir finalement les céder à l’Ecosse (mariages et défaites militaires obligeant), en 1266 pour les Hébrides… et en 1469 (seulement !) pour les Orcades et les Shetland !… (pour en savoir plus, lire ma “Petite histoire des Orcades (et Shetland)”  !

Bien sûr, d’autres rois scandinaves (Sveinn Estridsson, son fils Knut IV…) après Harald tentèrent de revendiquer le trône d’Angleterre lors des premières années du règne de Guillaume (ils furent même en cela encouragés par les Saxons eux-mêmes, notamment ceux du Yorkshire, fort rebelles à la nouvelle autorité normande), mais leurs tentatives respectives finirent par échouer (en 1085, Knut IV mourut même au cours d’une mutinerie au sein de la flotte qu’il armait pour tenter une ultime expédition !).

Conclusion

Par la suite, les royaumes scandinaves continuèrent de se former et de se moderniser (christianisation, centralisation, unification, revendication d’une essence divine de la monarchie, ascension de fonctionnaires lettrés précieux à la couronne, création de gouvernements forts, d’évêchés…) et, avec la mise en place d’une administration centrale capable de lever impôts, taxes, droits de douane et amendes plus efficacement qu’autrefois… les expéditions de pillage ne furent bientôt plus nécessaires… et les moyens d’acquérir du pouvoir au pays sans passer par des raids outre-mer se multiplièrent via les nouvelles intrigues de palais…

Bientôt, les raids vikings disparurent, et les anciens païens du Grand Nord se mirent eux-mêmes à participer aux premières croisades…

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Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : image libre de droit Pixabay