Les Normands, l’Angleterre et la France
(Cet article fait suite à mon premier article sur l’Histoire de la Normandie, portant sur l’Antiquité et le Haut Moyen Âge – à découvrir sur ce blog).
La Normandie et l’Angleterre
Je consacre trois très longs articles à Guillaume le Conquérant et à son invasion de l’Angleterre sur ce blog, aussi me contenterai-je ici d’un bref résumé des événements le concernant, et me concentrerai-je sur les règnes de ses successeurs…
De fait, par son destin exceptionnel, relaté par son biographe Guillaume de Poitiers, Guillaume le Conquérant est assurément le duc de Normandie qui reste le plus célèbre dans les mémoires. Après une longue et douloureuse période anarchique de minorité (nombre des barons de son père profitent de son jeune âge pour lui disputer le titre de duc et se révolter contre lui), Guillaume, à tout juste vingt ans, parvient enfin à s’emparer du trône ducal et à mater les rebelles. Il repousse par la suite d’autres insurrections et plusieurs attaques extérieures, notamment des expéditions conjointes du roi de France et du comte d’Anjou, avant de parvenir à sécuriser et à pacifier son duché.
Il a environ 38 ans quand le roi d’Angleterre, Edouard le Confesseur, de la maison de Wessex, meurt sans héritier mâle, le 5 janvier 1066. Très proche de la Normandie, où il avait vécu en exil pendant près de trente ans, il avait dès les années 1050 désigné son petit-cousin Guillaume comme son successeur en cas de décès sans héritier direct. Néanmoins, au lendemain même de sa mort, son beau-frère Harold Godwinson, son plus puissant vassal, appuyé par le Conseil des barons (Witan), se fait couronner roi.
S’estimant floué, Guillaume de Normandie décide alors de débarquer en Angleterre afin de prendre son héritage par la force. Il prépare minutieusement son invasion de l’Angleterre tout au long de l’année 1066 puis, profitant sans doute de ce que l’armée d’Harold est partie repousser dans le Yorkshire l’armée du roi de Norvège Harald Hardrada, également prétendant au trône d’Angleterre, pour le défaire à Stamford Bridge, (marquant par là la fin du dernier grand raid viking sur l’Angleterre – voir mes articles sur Harald et sur les derniers raids vikings sur le pays), il traverse la Manche et débarque dans le Sussex, avant de prendre position du côté de Hastings.
D’urgence, Harold vient à sa rencontre, ramenant son armée dans le Sud au prix d’une marche forcée exceptionnelle et douloureuse. Mais il parvient épuisé à Hastings : le 14 octobre 1066, au terme d’une seule et unique bataille longue de douze heures, l’armée de Guillaume écrase l’armée d’Harold, qui trouve la mort sur le champ de bataille. La route de Londres est ouverte.
Guillaume se fait sacrer et couronner roi d’Angleterre à l’abbaye de Westminster le 25 décembre 1066. Désormais, l’un des plus puissants vassaux du roi de France, le duc de Normandie, est également roi d’Angleterre. La Normandie n’est plus une « simple » (quoique puissante) province française : associée à l’Angleterre, elle s’installe pour un siècle et demi sur l’échiquier international.
Néanmoins, il faudra à Guillaume de nombreuses années pour asseoir son autorité sur l’Angleterre saxonne, mater, là encore, d’innombrables rébellions (notamment des barons saxons fidèles à la maison de Wessex), distribuer pratiquement toutes les terres de l’ancienne aristocratie locale à ses propres barons et y apposer durablement la marque normande.
Doté de cette nouvelle légitimité royale, le duc renforce en outre considérablement le duché de Normandie grâce aux richesses soutirées de la conquête de l’Angleterre. Le duché est alors, avec la Flandre, la province la mieux organisée et la mieux administrée du royaume de France, et elle rayonne alors non seulement outre-Manche… mais aussi, par ses aventuriers et croisés « sudistes », tout autour de la Méditerranée !
Pour en savoir plus, lire les 5 articles suivants :
- Les Normands en Italie
- Guillaume de Normandie 1/3 : du Bâtard au Conquérant
- Guillaume de Normandie 2/3 : à la conquête de l’Angleterre
- Guillaume de Normandie 3/3 : l’Angleterre anglo-normande
- La tapisserie de Bayeux
Après Guillaume…
Guillaume meurt en 1087, à l’âge de soixante ans. Il donne la Normandie à son fils aîné, Robert Courteheuse, qui n’avait cessé de la lui disputer durant les dernières années de sa vie et son cadet, Guillaume, reçoit la couronne d’Angleterre, qui se retrouve donc séparée de la Normandie. Le benjamin, Henri Beauclerc, ne récupère (pour l’heure…) qu’une somme d’argent.
Un tel partage ne pouvait manquer d’aboutir à des guerres fratricides (autant qu’à moult troubles féodaux, d’ailleurs), surtout entre trois frères dans les veines desquels coulait le bouillonnant sang normanno-scandinave. L’ordre ne reviendra qu’en 1106, lorsque Henri Ier Beauclerc récupère finalement le trône d’Angleterre en 1106, à la mort de son frère Guillaume II dit « le Roux » (et en l’absence de son frère aîné, Robert, parti guerroyer en Terre sainte), puis celui du duché de Normandie, qu’il rafle à Robert (revenu de croisade) en 1106 à la faveur d’un débarquement victorieux. Robert meurt ; Henri peut de nouveau rattacher la couronne ducale à la couronne d’Angleterre… L’union anglo-normande est ainsi reconstituée mais, cette fois, à partir de l’Angleterre. Avec ce nouveau duc-roi, la Normandie reprend son essor, brièvement interrompu par vingt ans de troubles, de séparation et d’anarchie.
Comme son père Guillaume le Conquérant, Henri Ier d’Angleterre (surnommé Henri Beauclerc pour sa culture) sera un grand duc-roi, sage, rusé et énergique. Pour certains historiens, son règne correspond à l’apogée du duché de Normandie. Henri cherche à doter son très vaste État d’une meilleure administration et à réformer son double royaume et, contraint de partager sa présence entre les deux rives de la Manche, élabore par conséquent un système d’institutions permanentes pour le représenter et assurer l’autorité, la justice et la perception des taxes en son absence.
Hélas ! Henri a le mauvais goût de mourir avec, certes, plus d’une trentaine de bâtards recensés… mais pas un seul héritier mâle légitime…
Nouvelle guerre de Succession… et nouvelle dynastie française : l’arrivée au pouvoir des Plantagenêt
Ce problème de succession sert de scène d’ouverture à mon roman Indomptable Aquitaine… ^^ J’y évoque (1er chapitre) les principaux événements qui constitueront la guerre civile qui éclate alors. En résumé :
- Se disputent le pouvoir :
- Etienne de Blois, neveu d’Henri Ier Beauclerc (et descendant de Guillaume le Conquérant par sa mère, sœur d’Henri Ier et de Guillaume le Roux)
- Et Mathilde, cousine d’Etienne, fille d’Henri Ier Beauclerc (qui a le malheur d’être une femme)
- Etienne prend le pouvoir de force (sous le nom anglais de Stephen)
- Il règne (sans grande gloire) pendant toute la période qui s’appelle « l’Anarchie » : des barons normands profitent même de cette période de troubles et de querelles dynastiques pour reprendre leur indépendance…
- Pendant que Mathilde s’acharne pour récupérer le trône d’Angleterre, son mari Geoffroy V, comte d’Anjou, du Maine et de Touraine, concentre ses efforts sur la conquête de la Normandie, qu’il finit, au terme d’une conquête acharnée d’une durée de onze ans, par obtenir au milieu des années 1140. Il devient duc et fait hommage au roi de France Louis VI, puis à Louis VII, pour ce nouveau fief à son actif.
- Le problème est définitivement résolu quand Etienne meurt en 1154 sans descendance et que le trône revient au fils de Mathilde et de Geoffroy, Henri Plantagenêt, qu’il désigne comme son successeur (tout est bien qui finit bien) ; Henri Plantagenêt. Bientôt lui-même comte du Maine, de Touraine et d’Anjou et duc de Normandie (à la mort de son père), il épouse la fameuse Aliénor, duchesse d’Aquitaine, en 1152, et devient donc roi d’Angleterre (avec Aliénor pour reine) sous le nom d’Henri II d’Angleterre en 1154.
Sous Henri II et Aliénor
En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, le couple Henri-Aliénor se retrouve à la tête d’un immense empire comprenant non seulement l’Angleterre, mais aussi une bonne moitié du royaume de France, puisque la nouvelle dynastie Plantagenêt, en partant prendre en main sa nouvelle capitale de Londres en 1154, emporte « dans ses bagages », si je puis dire, l’Aquitaine (par Aliénor), le Maine, l’Anjou, la Touraine et la Normandie (par Henri Plantagenêt) !
C’est ce qu’on appellera l’« Empire Plantagenêt » ou « L’Empire angevin », qui courra de la frontière écossaise aux Pyrénées !
Henri n’a que 21 ans… !
Et il est désormais « le plus grand monarque d’Occident ». Le roi de France Louis VII qui, après la mort d’Henri Ier Beauclerc, voyait avec plaisir se déliter le royaume anglo-normand, se rend compte qu’un ennemi bien plus menaçant encore, et proprement gigantesque, vient de s’élever en face de lui (en lui raflant son ex-femme, qui plus est ! Car, oui, Aliénor, avant d’épouser Henri, était mariée à Louis VII ! Mariage annulé quelques semaines à peine avant qu’elle ne se remarie avec Henri, beaucoup plus jeune qu’elle !)
Henri II sera un roi très puissant, belliqueux, autoritaire. Son mariage avec Aliénor, passionnel, tout d’abord dans la fusion puis dans le déchirement, mériterait à lui seul tout un article (d’autant que ladite Aliénor avait au moins autant de caractère et d’ambition que son mari… qu’elle vécut fort longtemps… et qu’elle est reconnue comme une des femmes ayant le plus marqué l’Histoire médiévale tant de la France que de l’Angleterre) !
Le règne d’Henri II et d’Aliénor sera marqué par de très nombreuses guerres, notamment sur le sol britannique (Henri se battra contre les Ecossais, les Irlandais, le comte de Toulouse, l’Eglise anglaise, n’aura de cesse d’asseoir sa domination sur les îles britanniques…), mais aussi par l’assassinat du très célèbre Thomas Beckett, archevêque de Canterbury.
A cette époque, tout comme au siècle précédent, la Normandie est en pleine croissance : la population ne cesse de croître, de nouvelles terres (landes et forêts) sont défrichées et mises en culture, des villages et hameaux naissent à l’orée des bois et au milieu des clairières, des villes émergent, d’autres s’étalent et débordent de leurs vieilles enceintes romaines, Rouen est extrêmement peuplée (peut-être 40 000 habitants), les moulins à l’eau fleurissent, le commerce sur la Seine également, les bourgs en campagne se multiplient, les cultures céréalières foisonnent et les monastères normands, restaurés dans leur richesse foncière au fil des IXe et Xe siècles, redeviennent des foyers intellectuels. L’abbaye du Bec, par exemple, dispense un enseignement renommé, tandis que du Mont-Saint-Michel sortent de magnifiques manuscrits enluminés. L’art normand, bientôt dit « art roman » s’exporte partout où les Normands sont partis s’établir, en Angleterre, en Sicile, en Italie (voir mon article sur les Normands en Méditerranée)…
Néanmoins, au cours de la seconde moitié du XIIe siècle, la Normandie perd de son éclat par rapport aux régions voisines. La cour d’Angleterre, animée par la reine Aliénor d’Aquitaine, occulte la cour normande et met à l’honneur l’Aquitaine, ses vins, ses traditions (bientôt, le premier fils du roi héritera du titre de duc d’Aquitaine, et non plus de celui de duc de Normandie…) tandis que l’Île-de-France voit l’éclosion des premières églises d’un style nouveau : l’art gothique, qui viendra supplanter l’art roman partout en France à la fin du Moyen Âge.
La fin du règne d’Henri II est en outre assombrie par les révoltes de ses fils, manipulés par sa femme, Aliénor, avec qui, après une période d’amour fusionnel, il sera « en guerre » pendant de longues décennies. Une guerre interne à la famille Plantagenêt… qui conduira bientôt le royaume aux pires difficultés… à l’affaiblissement de la monarchie… et à la perte de la Normandie…
Richard Cœur de Lion, grand amoureux de la Normandie
Louis VII de France, et après lui son fils Philippe Auguste, attisent volontairement la rivalité entre Henri II, sa femme et ses fils. Cette rivalité se transforme en révolte en 1173 mais Henri II parvient finalement à contraindre à la paix sa turbulente descendance.
En 1189, néanmoins, une nouvelle fronde de ses fils a raison de sa santé : deux jours avant de mourir, il cède ses couronnes à son fils aîné Richard, dit « Cœur de Lion », jusque-là allié du roi de France Philippe Auguste. Mais sitôt l’ennemi commun en terre, cette alliance n’a plus de raison d’être et les vieilles oppositions, notamment concernant le Vexin, refont surface…
Richard était de taille à affronter le puissant roi de France, mais il a la mauvaise idée, d’une part, de préférer la Normandie à l’Angleterre, et d’autre part, de partir presque aussitôt après son couronnement pour la Terre sainte.
De fait, chouchou de sa mère Aliénor et duc de Normandie bien avant de devenir roi d’Angleterre, Richard sera le grand absent du sol anglais : en onze ans de règne, il n’y séjournera que six mois ! Il passera le plus clair de son temps sur ses terres de Normandie, à guerroyer au Proche-Orient et à être retenu prisonnier par l’empereur d’Allemagne, laissant son frère cadet, Jean, usurper méchamment le trône derrière lui (et pour de bien piètres résultats !).
Mais reprenons : sitôt couronné, Richard se joint à la Troisième Croisade. Il part la conscience légèrement plus tranquille du fait que celui qui est devenu son grand rival, Philippe Auguste, le roi de France, est de la partie lui aussi. Hélas ! Ambitieux, Philippe Auguste s’arrange pour rejoindre rentrer d’Orient avant lui… et le faire capturer sur le chemin du retour, près de Vienne, par le duc Léopold V de Babenberg, à l’automne 1192, qui le livre à l’empereur Henri VI, qui réclame une rançon de cent cinquante mille marcs d’argent, une somme colossale (l’équivalant de deux années de recettes du royaume d’Angleterre).
Richard contre Philippe
Tandis que sa mère, Aliénor, n’aura de cesse de parcourir le royaume pour réunir la somme demandée et faire libérer son fils préféré, le benjamin de la fratrie, Jean sans Terre, en profite pour usurper le trône et gouverner à la place de son frère.
Hélas ! Ledit rejeton dispose de bien piètres qualités royales et militaires. Il commence à gagner son surnom en recherchant le soutien du roi de France, à qui il cède, à cette fin, plusieurs terres et forteresses à l’est de la Normandie, dont la région de Verneuil. En 1194, le Capétien en profite pour s’emparer d’Evreux, du Neubourg et de Vaudreuil, et pour attaquer Rouen. Sans même avoir vraiment à livrer combat, Philippe Auguste, profite donc de la captivité de Richard pour confisquer peu à peu la Normandie, et la rallier sous la coupe directe du roi de France.
Lorsque, enfin, Richard est libéré par l’empereur germanique après un premier versement de cent mille marcs d’argent (qu’Aliénor, âgée de 70 ans (!), est parvenue à rassembler), il prend la route de l’Angleterre, débarque au port de Sandwich, écarte Jean (qu’il pardonne néanmoins, et dont il fait son héritier…) et s’apprête à affronter de nouveau Philippe.
En 94, la longue lutte entre les deux colosses de l’Occident commence. Richard repart pour la France… et ne reverra plus jamais l’Angleterre…
La Normandie est, bien sûr, le principal théâtre d’affrontement, quoique Philippe Auguste cherche, en réalité, à affaiblir l’Empire Plantagenêt dans son ensemble. Si le champ de bataille donne souvent raison à Richard (victoires de Verneuil, Courcelles-sur-Seine, Fréteval…), le roi de France ne s’en révèle pas moins particulièrement habile dans tout ce qui touche aux négociations et intrigues en sous-main. Il obtient grâce à de nombreux traités plusieurs places fortes normandes, Gisors, Vernon, Gaillon, Ivry, Nonancourt, Pacy-sur-Eure… La ligne de défense sur l’Eure, l’Avre et l’Epte peu à peu édifiée par les divers ducs de Normandie successifs, est sévèrement entamée. Néanmoins, Richard parvient à redresser la situation (qui s’était considérablement dégradée sous Jean) et à défendre efficacement la Normandie.
Pour compenser ces pertes, et profitant d’une trêve d’un an, Richard entreprend la construction (près des Andelys, en aval de Rouen) de plusieurs forteresses et châteaux : Arques-la-Bataille, Radepont, Montfort-sur-Risle, Orival… et, bien sûr, le célèbre Château-Gaillard, qui sort de terre en seulement une année (1196-1197).
Hélas ! Richard meurt à Chalus à peine deux ans plus tard, en 1199, d’un carreau d’arbalète. Son corps est inhumé à l’abbaye de Fontevraud, au côté de celui de sa mère, mais son cœur va à la cathédrale de Rouen, la véritable capitale (pour lui) de son royaume (à l’instar de son aïeul Guillaume, Richard ne parlait même pas l’anglais !)
La Normandie, propriété directe du roi de France
Jean le médiocre lui succède. Il n’a ni la popularité de Richard (loin s’en faut), ni son charisme, ni sa poigne, ni ses talents militaires. Il pressurise trop le pays fiscalement et n’est pas aimé de son peuple. On le dit faible, cupide et peu attaché à accomplir les devoirs de sa charge.
Philippe Auguste sait bien sûr en tirer parti. L’occasion est trop belle ! Et tant attendue des rois de France depuis des décennies !
Dès la mi-1203, les Français assiègent Château-Gaillard, qui tombe au bout de six mois d’un siège atroce, en mars 1204. En mai, la ville de Caen tombe. Enfin, le 24 juin, les troupes françaises entrent à Rouen. En moins de deux ans, Philippe Auguste a conquis le duché de Normandie, qui devient une province par incorporation au domaine royale : désormais, c’est le roi de France lui-même (et non un nouveau vassal !) qui dispose directement des revenus de Normandie, et y imposera ses officiers. La Normandie des Plantagenêt laisse place à la Normandie des Capétiens.
D’ailleurs, Philippe Auguste ne s’arrêtera pas en si bon chemin : avec la bataille de Bouvines, en 1214, il récupère presque toutes les autres possessions Plantagenêt sur le continent (Anjou, Maine, Touraine…) et les inclut à son royaume. L’Angleterre perd son assise sur tout le nord-ouest du royaume de France, et les barons locaux doivent choisir : soit abandonner leurs propriétés françaises, et se rapatrier en Angleterre, soit céder leurs fiefs anglais, et demeurer en France.
Une Angleterre coupée du continent
L’Angleterre a perdu une immense partie de son empire normanno-angevin, elle retrouve sa nature insulaire, se coupe du continent, se replie sur elle-même et ne garde plus que l’Aquitaine (à laquelle elle s’accrochera pendant encore près de deux siècles et demi, et qu’elle ne finira par perdre qu’à la fin de la Guerre de Cent Ans, en 1453). La Manche retrouve sa vocation de frontière…
Quant au roi d’Angleterre, il ne résidera désormais plus sur le continent ; il n’y a plus de « Normands » parmi ses barons, uniquement des « Anglais ».
Avec le règne de Jean sans Terre puis de son fils Henri III, on assiste donc à un affaiblissement du pouvoir royal anglais des Plantagenêt, après la gloire du couple Henri-Aliénor (et un peu aussi en partie à cause de leurs luttes conjugales permanentes : quand on est reine et qu’on cherche à tout prix à faire éliminer son mari au profit de ses fils, et quand on fait emprisonner sa femme… ça n’augure rien de bon pour la stabilité du royaume et la puissance de la dynastie !)…
Le nouvel ordre français
Quant à la Normandie, elle se tourne désormais vers Paris et devient peu à peu le canal par lequel la capitale du royaume de France s’approvisionne en sel, en laine, en vin (via la Seine) et, plus tard, en produits exotiques, à l’époque moderne.
Peu confiant dans la fidélité des Normands, le roi de France Philippe Auguste installe des administrateurs français dans sa nouvelle possession et construit une puissante forteresse, symbole du pouvoir royal, le château de Rouen (fait intéressant : c’est exactement la même politique, méfiante vis-à-vis des Gascons et des Bordelais, que le roi de France Charles VII aura en 1453, à la fin de la Guerre de Cent Ans, lors de la reconquête définitive de l’Aquitaine sur l’Angleterre)…
La page glorieuse de l’histoire normande est tournée mais, habile et diplomate, Philippe Auguste veille à conserver et confirmer les institutions et spécificités normandes.
Mais la province de Normandie survit surtout par l’installation intermittente d’un duc à sa tête. En effet, le roi de France confie parfois cette portion de son royaume à un membre proche de sa famille (qui lui prête ensuite hommage), sous forme d’un apanage. Au XIVe siècle, par exemple, Philippe VI de Valois nommera ainsi son fils aîné (le futur Jean II le Bon) duc de Normandie ; Jean II y nommera à son tour son fils, le dauphin Charles V, futur roi dit « le Sage ».
Au XIIIe siècle, la région connaît une certaine prospérité économique (agriculture, défrichements, commerce, croissance urbaine, foires, établissement d’un arsenal dans le port de Rouen…), et le roi jongle habilement entre préservation des traditions normandes, réformes, affirmation du pouvoir royal et intégration au royaume de France.
Conclusion
A l’aube du XIIIe siècle, après plusieurs années (pour ne pas dire décennies… ou siècles) de convoitise (car, finalement, les velléités royales de récupérer ce puissant duché se manifestèrent dès le Xe siècle), le royaume capétien a donc enfin repris possession de la Normandie. A partir de là, l’histoire de cette belle (et grosse !) province rejoint l’histoire du royaume de France dans son ensemble…
Jusqu’en 1453, elle restera néanmoins, avec l’Aquitaine, au cœur des affrontements entre Français et Anglais. Les Anglais y débarquent aussi souvent qu’à Bordeaux pour mener leurs grandes chevauchées (celles du duc de Lancastre, du Prince Noir…) contre le roi de France et c’est de là que le roi Philippe VI de France lui-même envoie des raids ravager la côte sud de l’Angleterre dans les années 1340, au tout début de la Guerre de Cent Ans. Pendant des décennies, les Anglais disputeront aux Français de grandes villes de Normandie aussi souvent que Calais, Brest ou Bordeaux.
Et c’est évidemment à Rouen, on s’en souvient, que Jeanne d’Arc sera brûlée vive par les Anglais (qui s’y sont fermement réimplantés) en 1431, peu avant la fin de la Guerre de Cent Ans…
En 1453, avec la bataille de Castillon, fin Guerre de Cent Ans : l’Aquitaine est reprise… et la Normandie restera définitivement française.
Bientôt sur ce blog : la suite des aventures normandes !
Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : blason disponible ici et symbole bateau libre de droit (Pixabay)
A lire aussi :
Tous mes articles en lien avec la Normandie, Guillaume le Conquérant, les Normands en Méditerranée etc., et donc mon roman La Demoiselle d’Arundel :
- Les Vikings en France
- Des Vikings aux Normands – la naissance du Duché de Normandie
- L’héritage norrois en langue française
- Guillaume de Normandie 1/3 : du Bâtard au Conquérant
- Guillaume de Normandie 2/3 : à la conquête de l’Angleterre
- Guillaume de Normandie 3/3 : l’Angleterre anglo-normande
- La Tapisserie de Bayeux
- L’Histoire de la Normandie 1 : Antiquité et Haut Moyen Âge
- Harald l’Impitoyable : le dernier Viking
- Les derniers raids vikings en Angleterre
- Les Normands, l’Italie, la Sicile et la Méditerranée
- Les Vikings, le rouge dans toute sa splendeur (Spirale Dynamique)
- L’Histoire de l’Angleterre (en 4 parties)
- La Demoiselle d’Arundel : le roman
- Les Bonus de La Demoiselle d’Arundel
- Les coulisses du roman (le making-of ! Y figurent notamment tous les lieux importants que j’ai visités et que je vous recommande !!)
- Les cartes géographiques correspondantes
Mais aussi : tous mes articles précédents sur les Vikings :
- Petite histoire des Vikings 1 – les Danois
- Petite histoire des Vikings 2 – les Norvégiens
- Petite histoire des Vikings 3 – les Suédois
- Petite histoire de la Suède médiévale
- L’Histoire de l’Islande
- etc.
Mes romans « vikings » :
- L’amour, la mer, le fer et le sang
- Comme une aurore dans la brume
- Les Routes de l’Est (Série Amours Slaves, tome 1)
- Les Yeux de Mila (Série Amours Slaves, tome 1)
- Shaena
Pour aller plus loin : quelques sources et vidéos :
Les Normands, une dynastie de conquérants – Premières invasions 1/3
Les Normands, une dynastie de conquérants – Royaumes de Méditerranée 2/3
Les Normands, une dynastie de conquérants Un nouvel âge 3/3
Article détaillé : Rattachement de la Normandie au domaine royal français.