L'Histoire (la grande !)

Guillaume le Conquérant 2/3 : l’invasion de l’Angleterre

Préambule

Cet article fait suite au premier volet de ce petit retraçage historique de la vie de Guillaume le Conquérant, que vous pouvez retrouver sur ce blog. Nous y évoquions la jeunesse tourmentée de Guillaume, jusqu’à son accession au trône du duché de Normandie, et avons passé en revue tous les obstacles qu’il aura dû surmonter pour asseoir son autorité et pacifier son duché… ce qui est chose faite fin 1065.

Afin de tout saisir de la crise de succession suivant la mort d’Edouard le Confesseur (dont nous allons néanmoins longuement parler ici même, dans la première partie de cet article), je vous invite en outre à découvrir également :

Mais sans plus attendre, attachons-nous à décortiquer les événements précédant immédiatement (et moins immédiatement, d’ailleurs) l’une des plus célèbres batailles de l’Histoire médiévale : la bataille d’Hastings…

1 – La Genèse du conflit

a.       Edouard le Confesseur

Edouard, dit « le Confesseur » en raison de sa grande piété (et de sa chasteté), est le fils du roi anglo-saxon Æthelred II et d’Emma de Normandie (sœur du duc Richard II… et donc grand-tante de Guillaume, Richard II étant le grand-père de Guillaume).

Edouard monte sur le trône d’Angleterre en 1042, après avoir passé près de trente ans en exil à la cour du duc de Normandie (celle de Richard II, puis de Richard III, puis de Robert le Magnifique, et enfin de Guillaume, même si celui-ci est encore mineur à l’époque). En effet, durant les premières décennies du XIe siècle, la guerre fait rage autour du trône d’Angleterre entre les Danois de la maison de Jelling (le roi Sven à la Barbe Fourchue, puis son fils Knut le Grand, et après lui ses deux fils Harold Pied-de-Lièvre et Hardeknut) et les traditionnels rois anglo-saxons de la maison de Wessex, Æthelred le Malavisé et son fils Edmond Ironside. Mais pendant trente ans les Danois ont nettement le dessus : ils ravissent le trône en 1013-1014, puis de 1016 à 1042.

Edouard et son frère Alfred, fils d’Æthelred, grandissent donc à l’abri mais à l’écart, dans la famille de leur mère Emma, en Normandie.

Mais à la mort d’Hardeknut, Edouard (son demi-frère par sa mère… c’est une histoire un peu compliquée, que j’explique dans mon article sur les derniers grands raids danois en Angleterre, si ça vous intéresse !) peut enfin rentrer en Angleterre et récupérer le trône. En fait, Hardeknut aurait même proposé à son demi-frère de corégner avec lui à partir de 1040, mais ce n’est vraiment qu’à sa mort en 1042 qu’Edouard accède au pouvoir. Un roi presque improbable, pourrait-on dire, un étranger en son propre pays, qu’il à quitté à neuf ans, où il n’a guère d’alliés, d’armée ou de partisans, et où il revient après presque trente ans d’absence (si l’on exclut une ou deux mini tentatives de « come back » çà et là).

b.      La famille de Godwin

Une famille lui pose tout particulièrement problème : celle du dangereux Godwin, alors l’homme le plus puissant du royaume d’Angleterre (après le roi). Sa famille a connu une ascension fulgurante sous le règne de Knut le Grand, peut-être (entre autres raisons) du fait de son mariage avec Gytha Thorkelsdóttir, une Danoise (proche de la famille royale ?), et des nombreux enfants par lesquels ils entendent étendre leur emprise sur l’Angleterre.

Malgré le mariage d’Edouard dès 1045 avec Edith, l’une des filles du couple Godwin-Gytha (et la sœur du futur Harold de Wessex) pour se réconcilier avec le clan anglo-danois (qui, rappelons-le – si vous n’avez pas lu mon article sur le sujet, a tout de même tué son jeune frère Alfred…–), la guerre est presque ouverte entre Edouard et Godwin jusque dans les années 1050.

La rébellion Godwin arrive finalement à son terme en 1052-53 : en 1051, Godwin doit finalement donner son plus jeune fils Wulfnoth en otage à Guillaume de Normandie (il demeurera « l’hôte » du duc de Normandie toute sa vie, jusqu’à sa mort en 1094 !), venu aider Edouard d’Angleterre à préserver son trône (c’est peut-être à cette occasion qu’Edouard, en remerciement, lui aurait promis pour la première fois son trône…). Puis, en 1052, Sven, le fils aîné de Godwin, meurt ; son père le suit dans la tombe dès l’année suivante. Edouard et la famille de Godwin se réconcilient enfin.

Harold, second fils de Godwin et de Gytha, devient le nouveau comte de Wessex et pousse aussitôt ses frères en avant : la famille Godwin devient archi-puissante et pour ainsi dire incontournable : Harold fait de son frère Tostig le comte de Northumbrie en 1055, de Gyrth le comte d’Est-Anglie en 1057 et donne à Leofwine des comtés voisins de Londres.

Même si les relations s’apaisent, les Godwinson demeurent dangereux : dans les années 1050, ils demeurent plus riches que le roi ! (Leurs domaines leurs rapportent 6500 livres par an contre 6000 pour ceux du roi !)

c.       Edouard et les Normands

Tandis que certains riches Anglo-saxons lui cherchent donc querelle, Edouard reste fort attaché à la Normandie qui l’a si chaleureusement accueilli pendant toutes ces années. Rappelons que, déjà en son temps, Robert le Magnifique (le père de Guillaume), estimant que le royaume d’Angleterre revenait à Edouard (de la maison de Wessex), digne héritier de la longue lignée de roi anglo-saxons d’Angleterre, avait envisagé de débarquer en Angleterre et de rendre de force le trône à son hôte… Si l’invasion n’eut finalement jamais lieu, la flotte n’en fut pas moins réunie… et préfigura sans doute l’invasion, quelque trente ans plus tard, de son fils Guillaume !

Edouard se sent donc proche des Normands (après tout, la moitié de sa famille, celle du côté maternel, s’y trouve), s’entoure de conseillers et de gardes normands, parle français, s’entend fort bien avec son petit-cousin Guillaume… et souhaite probablement de tout cœur récompenser cette branche de sa famille qui l’a si bien accueilli durant son exil.

Aussi promet-il peut-être dès 1051 à Guillaume de faire de lui son héritier à sa mort, peut-être à l’occasion d’un séjour de Guillaume à sa cour, et pour le remercier de l’avoir lui-même aidé à vaincre la rébellion de Godwin jusqu’en 1052. Une promesse qui ne tombera pas dans l’oreille d’un sourd, on s’en doute…

Le problème qui se posera néanmoins à la mort d’Edouard sera le suivant. En fait, il sera double :

  • D’une part, Edouard n’avait peut-être pas l’autorité nécessaire pour faire une telle promesse… (en effet, selon la tradition saxonne, l’élection-désignation du roi relevait de l’autorité du Conseil, ou Witan, ou Witenagemot, l’assemblée des notables… et non du roi en place…)
  • D’autre part, il aurait eu la fâcheuse manie de promettre un peu sa couronne à tout-va… (c’est-à-dire, à au moins trois personnes, nous le verrons) : c’est d’ailleurs un des facteurs qui contribuera à mettre le feu aux poudres le jour J.

Une chose demeure certaine : Edouard aurait promis sa couronne à Guillaume à au moins une reprise au cours de son règne, et l’affection qu’il avait pour lui et pour la Normandie rendent tout à fait crédibles et compréhensibles cette promesse précoce…

d.      Le serment

Tant et si bien que, selon les historiographes normands de l’époque, Edouard aurait envoyé Harold Godwinson, l’un de ses plus proches conseillers anglo-saxons (depuis sa réconciliation avec la famille de Godwin) en Normandie en 1064 pour renouveler cette promesse auprès de Guillaume. En réalité, le débat fait rage quant au motif réel de cette expédition, mais commençons par la version « normande »… et donc, « officielle », puisque ce sont toujours les vainqueurs, n’est-ce pas, qui ont le privilège d’écrire l’Histoire…^^

En 1064, donc, Edouard le Confesseur, désireux de faire de son petit-cousin Guillaume son successeur pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, aurait envoyé Harold, chouchou de la cour, comme émissaire pour aller le prévenir. Mais, en raison d’une tempête l’amenant à faire naufrage, Harold s’échoue sur côtes picardes (le bateau aurait été en ce cas fort dévié de sa course…) et se retrouve prisonnier du seigneur local, Guy de Ponthieu, qui le capture et qui, bien décidé à profiter de son droit de bris et naufrage, exige une rançon.

Prévenu (probablement par certaines de ses espions – la tapisserie de Bayeux figure un serviteur à demi caché derrière une colonne, qui s’éloigne furtivement), Guillaume intervient et, moyennant finance, parvient à le faire libérer. Effort bien stratégique : quel que soit le motif de son voyage sur le continent, le puissant Harold de Wessex lui est désormais redevable…

Guillaume offre l’hospitalité à l’envoyé de son ami Edouard, et peut-être même la main de sa fille, en consolation de ses déboires…

Puis il l’emmène avec lui guerroyer en Bretagne contre le duc Conan II, d’où il sort victorieux (les Normands prennent à cette occasion Dinan et Rennes) et, selon les sources, Guillaume aurait même rendu hommage au courage et aux fiers services d’Harold sur les champs de bataille en l’armant chevalier ou en lui donnant un titre nobiliaire normand… ce qui fait de lui son homme lige ! Nouvelle redevabilité, nouveau lien de sujétion à Guillaume ! Peut-être cette excursion en Bretagne était-elle d’ailleurs une occasion pour Guillaume de « tester » son invité…

En tout état de cause, de fil en aiguille, Harold se retrouve pieds et poings liés : lorsque Guillaume lui demande de lui prêter serment, et de jurer de l’aider à s’emparer du trône à la mort d’Edouard, Harold n’a d’autre choix que de s’exécuter. « L’opération » a lieu dans la cathédrale de Bayeux, devant une foule de témoins soigneusement rassemblés par Guillaume (pas folle, la guêpe !). Cerise sur le gâteau, et dont Harold n’a, d’après les sources, peut-être pas conscience sur le moment, Guillaume lui fait prêter serment sur de saintes reliques, rendant par là son serment sacré… et rendant Harold redevable de sa promesse devant Dieu, la papauté et l’Eglise…

Une chose demeure certaine : le prévoyant Guillaume aura tout fait pour mettre soigneusement en scène le serment d’Harold : et tout ce qu’Harold a vécu aux côtés de Guillaume depuis son rachat à Guy de Ponthieu n’était peut-être qu’un long prologue qui atteint son point culminant à ce moment précis et fatidique : le serment sur l’Evangile et deux reliquaires, l’un d’eux renfermant certainement les insignes ossements des martyrs Raven et Rasilphe, conservés en la cathédrale de Bayeux. Une main tendue sur chacun d’eux, Harold aurait été plus ou moins contraint de prendre cet engagement sacré, de reconnaître Guillaume comme successeur légitime d’Edouard et de s’engager à lui fournir assistance tant politique que matérielle à la mort de celui-ci.

Harold est ensuite comblé de présents, mais Guillaume, bien décidé à ne pas relâcher la pression, lui recommande encore de bien tenir sa promesse avant que Harold n’appareille pour rentrer en Angleterre faire son rapport à Edouard…

Fin politique, Guillaume connaît l’importance de ce genre de serments aux yeux de l’Eglise et du peuple ; il a bien assuré ses arrières et sa future légitimité…

Selon la thèse normande, c’est d’ailleurs pour couper court aux prétentions d’Harold, qu’il devine très ambitieux (Edouard se méfie d’ailleurs toujours de cette famille aux dents particulièrement longues – les Godwinson…), qu’Edouard le Confesseur aurait décidé de l’envoyer lui-même en Normandie renouveler sa promesse auprès de Guillaume.

e.      La version anglo-saxonne

Selon les sources saxonnes, la raison véritable raison du voyage d’Harold en Normandie aurait été toute autre… et toute personnelle : il souhaitait en réalité racheter la liberté de son frère Wulfnoth (et de son neveu Hakon), « otages » du duc de Normandie depuis la crise de 1051 ! D’ailleurs, Guillaume acceptera de lui remettre Hakon…

D’autres sources mentionnent encore une partie de pêche qui aurait tourné au drame avec la tempête… (moins probable, cependant !) ou encore, qu’Harold cherchait à se rendre en Flandre pour négocier une alliance avec Baudouin contre le menaçant Harald Hardrada (qui en 1064 menaçait déjà d’envahir l’Angleterre…).

En tout état de cause, ce serment (réel ou fictif) coûtera fort cher à Harold… qui deviendra parjure aux yeux de l’Eglise à peine plus d’un an plus tard, au moment même où, en dépit de sa promesse, il trahira Guillaume pour se faire ceindre lui-même de la couronne d’Angleterre…

f.        Harold de Wessex se parjure

Au cours des dix dernières années du règne d’Edouard, le comte Harold Godwinson de Wessex (le fils du terrible Godwin, donc !) devient le véritable tenancier du pouvoir en Angleterre. Peu à peu revenu dans les bonnes grâces du souverain (après la fin de la rébellion de la famille Godwinson contre Edouard au début des années 1050), Harold est devenu le pilier du royaume, et ce d’autant plus facilement qu’Edouard aurait volontiers délégué un certain nombre de tâches liées à la gouvernance du royaume… et qu’à la fin de sa vie, il finit très malade.

Très populaire en Angleterre, Harold devient très vite le champion du parti saxon et anti-normand de l’entourage d’Edouard, dont il s’évertue à écarter les conseillers venus de Normandie. A la fin du règne d’Edouard, Harold est devenu tant l’homme fort du pays que le chef de l’aristocratie anglo-saxonne et le porte-étendard des anti-normands. Chef de guerre de renom, il a en outre déjà plusieurs fois dirigé l’armée d’Angleterre au nom du roi Edouard qui, faible et chaste, lui a déjà, dans les faits, délégué une bonne partie du pouvoir.

Quelles qu’aient été les véritables intentions et dernières paroles d’Edouard avant de mourir, il n’est donc guère surprenant qu’à la mort de ce dernier, ce soit Harold que le Witenagemot (=Conseil, Witan, Assemblée des notables et représentants politiques de l’aristocratie, pour rappel) élit comme roi le 6 janvier 1066, le lendemain même de la mort d’Edouard. Sans hésitation, Harold accepte. Il est couronné dans l’abbaye de Westminster.

Pour légitimer son couronnement, Harold soutiendra qu’Edouard, sur son lit de mort, et dans un bref moment de conscience, lui a confié « la protection de la reine et du royaume ». Nul ne sait si, par ces mots, Edouard comptait véritablement faire de lui son successeur, ou s’il entendait autre chose par là (comme de préserver son royaume en attendant l’arrivée de Guillaume…), mais selon la tradition saxonne, une parole prononcée à l’article de la mort prévaut sur toutes les volontés antérieures…

g.       Le rôle du Witan

En tout état de cause, selon la tradition saxonne également, en Angleterre le choix d’un roi était soumis à l’avis du Witanagemot (tradition héritée de Scandinavie), et ne dépendait nullement du bon vouloir du roi régnant, fût-il sur le point d’expirer. Qu’il ait promis son trône à Guillaume, à Harold (ou à d’autres, comme nous le verrons), Edouard n’était pas en mesure de faire de telles promesses. Car s’il pouvait nommer un candidat et exprimer une préférence, un roi anglo-saxon n’avait pas vraiment le pouvoir de désigner lui-même successeur…

Le Conseil avait déjà commencé à délibérer avant même la mort d’Edouard (déjà très malade fin 1065) et décidé que son successeur devrait être anglais, de lignée royale et noble de caractère ; Harold, fidèle partisan d’Edouard de surcroît, remplissait tous ces critères. Comte de Wessex, un des hommes les plus puissants du pays, bon chef de guerre, bon combattant (il s’est illustré par sa vaillance en combattant les Gallois au cours des années 62-63), issu de la famille de Knut le Grand, sa candidature remporta une telle adhésion des membres du Witenagemot qu’aucun autre candidat ne fut envisagé.

Les autres prétendants (Guillaume et Harald de Norvège, auxquels nous reviendront bientôt) ne manqueront certes pas d’avancer qu’Harold a ainsi « volé » leur couronne, mais aux yeux de la loi anglo-saxonne, Harold était un successeur parfaitement légitime… et choisi par ses pairs, l’élite du pays, en vertu de la loi saxonne.

Pour Guillaume, il n’en reste pas moins un parjure, qui a signé son arrêt de mort au moment même où, oubliant son serment de 1064, il accepte la couronne que le Witan lui propose…

La comète de Halley qui, dans l’ouest de l’Europe, fut visible en avril de cette année-là, fut d’ailleurs interprétée par tous comme un funeste présage pour Harold, qui dès lors aurait eu le pressentiment d’une flotte s’approchant de ses rivages…

h.      Harald Hardrada, « l’Eclair du Nord » (et énième prétendant au trône d’Angleterre)

En fait, la première flotte qui déferlera sur les rivages d’Angleterre seront, non pas celles de Guillaume de Normandie, à l’invasion duquel Harold s’attendait, mais celle d’Harald III de Norvège, celui que l’Histoire surnomma tantôt « l’Eclair du Nord », tantôt « le dernier Viking »…

En effet, Guillaume de Normandie n’est pas le seul à estimer avoir des droits sur l’Angleterre. Les prétentions du roi de Norvège, elles, s’appuient sur un traité qui aurait été conclu entre son neveu Magnus le Bon (roi de Norvège) et Hardeknut (le fils de Knut, demi-frère d’Edouard, et dernier roi d’Angleterre avant lui) en 1038, en vertu duquel le premier à mourir était censé léguer ses domaines à l’autre.

Hardeknut étant mort sans laisser d’enfants en 1042, Magnus lui avait succédé au Danemark, mais pas en Angleterre, où les Saxons avaient profité de la mort du dernier représentant de la maison de Jelling pour remettre sur le trône un fils de la maison de Wessex, Edouard (peut-être même, on l’a vu, sur désignation finale d’Hardeknut !). Magnus avait bien envisagé d’aller envahir l’Angleterre d’Edouard en 1045 pour faire valoir ses droits, mais il avait été détourné de son projet par des troubles avec Sven Estridsen au Danemark (juste avant le retour d’Harald dans le Nord).

Selon une certaine logique, Harald se considère (en tant que successeur de Magnus en Norvège), comme l’héritier légitime de cet ancien accord. Et donc, le digne successeur d’Hardeknut (plus de vingt ans après sa mort). Il est donc grand temps de refermer cette petite parenthèse anglo-saxonne édouardienne et de ramener l’Angleterre aux mains des Scandinaves. Harald s’en serait d’ailleurs volontiers occupé plus tôt si ses campagnes danoises ne l’avaient pas retenu plus longtemps au pays… (voir mon article sur la vie de Harald).

Mais pour accéder au trône, il va falloir en écarter Harold Godwinson qui, nous venons de le voir, s’est empressé de l’occuper, au lendemain même de la mort du roi, faisant fi de ce vieux traité scandinave (tout comme de la parole donnée à Guillaume bien des années plus tôt, d’ailleurs).

Tandis que, depuis son duché de Normandie, Guillaume planifie (de nombreux mois durant) son invasion de l’Angleterre par le sud, Harald projette d’en faire autant par le nord. Ce sera à qui envahira l’Angleterre le premier…

i.         Harald attaque le premier

Les vents du nord en décideront pour eux (et décideront, par là même, sûrement aussi du sort de l’Angleterre) : c’est Harald qui, avec sa flotte de trois cents navires, prend le premier la mer en septembre 1066. (En réalité, Guillaume l’aurait peut-être volontairement et stratégiquement laissé attaquer le premier, nous verrons cela plus tard). Harald fait escale aux Shetland et aux Orcades (possessions norvégiennes) où il lève des troupes, puis en Ecosse, où le roi Malcolm III, en bon Ecossais, lui accorde deux mille hommes en soutien. Il est alors rejoint par Tostig, le frère d’Harold Godwinson, qui se révolte qui son frère (qui en 1065 avait été contraint de lui retirer le comté de Northumbrie, dont les sujets étaient fort mécontents de lui).

Finalement, c’est à la tête de 8 à 15 000 hommes qu’Harald se présente sur les côtes nord du royaume (en Northumbrie). Il ravage le pays et prend plusieurs villes, avant de remonter l’Humber. Là, il écrase les troupes anglaises des comtes Edwin de Mercie et Morcar (le nouveau comte de Northumbrie, fils, en réalité, de celui qui avait précédé Tostig à cette charge) à Fulford Gate avant de s’emparer d’York, le 20 septembre.

j.        La bataille de Stamford Bridge

Mais ce succès dans le Yorkshire sera de très courte durée : malgré l’aide de Tostig, les Scandinaves manquent de repères et une partie de leur équipement est demeuré à bord des navires lorsque Harold Godwinson les attaque par surprise avec son armée à Stamford Bridge, cinq jours plus tard.

En effet, en apprenant le débarquement norvégien et la cuisante défaite de Fulford, le roi d’Angleterre n’a d’autre choix que de se porter vers le nord pour défendre la Northumbrie. Les Vikings, qui savourent leur victoire (et ne s’attendent certes pas à ce que Harold et son armée de 15 000 hommes franchissent 300km en quatre jours seulement, traversant le pays jour et nuit à marche forcée), sont pris au dépourvu à quelques kilomètres au nord-est d’York : la plupart se détendaient, d’autres chassaient…

Si les troupes anglaises sont épuisées, les Vikings ne sont pas prêts à livrer bataille. Six mille hommes meurent de chaque côté. Tostig, le demi-frère d’Harold, qui s’était allié à Hardrada, meurt. Harald l’Impitoyable succombe lui aussi, d’une flèche dans la gorge. Et son armée, victime de son excès de confiance, et fort cruellement meurtrie par son manque d’armures de corps quand le mur de bouclier, après de longues heures de combat, finit par se disloquer, est décimée : de ses 300 navires, seuls 24 suffiront à ramener les survivants en Norvège !

C’est la fin de « l’Eclair du nord ». Ne reste en lice qu’un seul rival pour Harold : Guillaume, le Bâtard de Normandie.

Qui, en fin stratège qu’il est, a patiemment attendu son heure tout au long de l’été…

2 – Guillaume envahit l’Angleterre

a.       Préparatifs : les troupes

Car, du jour même où il a appris qu’Harold avait usurpé « son » trône, Guillaume a préparé son invasion. Nous l’avons vu précédemment (voir mon premier article sur Guillaume), le comte d’Anjou et le roi de France, ses ennemis jurés depuis quelques années, sont morts, et leurs successeurs bien jeunes ; le tuteur du roi n’est autre que son beau-père Baudouin, le comte de Flandre ; et son duché est pacifié. Il peut donc se consacrer entièrement à la préparation de son nouveau projet : l’invasion de l’Angleterre.

Guillaume convainc ses vassaux normands et des mercenaires et soldats étrangers de rallier sa cause ; ils affluent de partout, attirés par le butin probable car le royaume d’Angleterre est riche et attise les convoitises. Les soldats ne manqueront pas à Guillaume ; il offre une forte solde, le droit de pillage sur l’Angleterre à tout homme prêt à s’enrôler pour lui, et nombre de jeunes hommes et de nobles (des cadets, notamment) attendent l’occasion de se distinguer et de conquérir des terres, à l’instar de ceux qui, depuis le début du siècle, sont déjà partis en Sicile et en Italie du Sud pour s’y distinguer et s’y tailler des fiefs. Guillaume rallie ainsi à lui non seulement des nobles et chevaliers normands, mais encore des Flamands, des Bretons, des Français, des Boulonnais, des Manceaux, des Poitevins, des Angevins, des Picards, des mercenaires d’un peu partout, y compris d’outre-Rhin… et même des Normands de Méditerranée ! (voir mon roman La Demoiselle d’Arundel)

b.      Préparatifs : le matériel

L’estuaire de la Dives est choisi comme lieu de rassemblement des hommes, de leurs chevaux, des équipements, du matériel et des navires nécessaires à la traversée d’une armée. Guillaume ordonne la construction d’une véritable flotte de guerre, et tout le long de la forêt normande, les arbres tombent sous les haches de bûcherons ; les embarcations sont mises à flot par tout un système de poulies et de cordages et s’alignent sur les rivages de la Dives et des plages alentour.

Les Normands gardent de leurs origines vikings une grande connaissance de la navigation et du commerce ; les navires ainsi construits ont tout du langskip de leurs ancêtres, avec proues et parfois poupes sculptées !

Les navires sont chargés de tonneaux, de vivres, d’armes, de casques, de cottes de mailles, de boucliers, de vin, de chevaux et même de forts préfabriqués en pièces détachées !…

c.       Préparatifs : politique et diplomatie

Pendant des mois d’efforts diplomatiques, Guillaume dispatche ses émissaires et s’assure du soutien ou, à tout le moins, de la neutralité de personnages influents :

  • Le comte de Flandre et tuteur du roi, bien sûr (qui, en digne beau-père, le soutient évidemment – pour rappel, Baudouin de Flandre est le père de Mathilde, épouse de Guillaume)
  • L’empereur germanique (neutre)
  • Et surtout, surtout : le pape, dont le soutien moral et symbolique est, pour une telle entreprise, absolument crucial : Guillaume a Dieu de son côté !

Le pape, en effet, choisit de soutenir Guillaume : non seulement parce que les Normands installés dans le sud de l’Italie depuis déjà de nombreuses années (voir mon article à ce sujet) le soutiennent désormais, se sont mis à son service et l’aident à expulser Byzantins (=chrétiens d’Orient) et Sarrasins (=musulmans) de l’Italie et de tous les territoires entourant Rome et le Saint-Siège… mais aussi, et surtout, parce qu’Harold a jadis juré allégeance à Guillaume… sur de saintes reliques. Héhé ! Nous y voilà !

Le pape Alexandre II n’a donc d’autre choix que d’excommunier Harold et d’envoyer à Guillaume une bannière de l’Eglise romaine (=, le « Vexillum Sancti Petri », l’étendard de Saint-Pierre, un drapeau blanc sur lequel est brodée une croix d’or) ainsi que des reliques de l’apôtre, légitimant ainsi définitivement la volonté de conquête du duc de Normandie.

Guillaume est donc persuadé que Dieu est à ses côtés, et la bannière du pape flottera au plus haut mât de la Mora, son vaisseau commandeur. Avec le soutien du pape, l’entreprise de Guillaume prend des airs de guerre sainte, de croisade contre l’usurpateur et le parjure, d’autant qu’il a promis, en retour, de remettre l’Eglise d’Angleterre dans le droit chemin (déjà à l’époque, le primat d’Angleterre, l’archevêque de Canterbury, un peu intrigant sur les bords d’ailleurs, ne filait pas droit, et l’Eglise anglaise avait une fâcheuse tendance, plusieurs siècles avant Henri VIII, à s’écarter du chemin papal !) Sans compter qu’Harold a eu le culot (ou le mauvais goût) de se faire couronner par ce dernier, l’évêque Stigand, naguère condamné par le pape Léon IX pour s’être emparé indûment de l’archevêché de Canterbury !

En bref : l’Eglise anglaise a besoin d’être réformée et ramenée dans giron de l’église romaine, et Guillaume, pieux certes, mais surtout malin et fin diplomate, se poste en champion de cette sainte entreprise… Il reçoit même des fonds, des hommes et des navires de l’Eglise !

Prévoyant, Guillaume organise aussi la régence en son absence, et la confie à son épouse Mathilde, sur laquelle il n’aura cessé de compter pendant ses cinquante-deux années de règne…

d.      Les chiffres

A la mi-août, toute la flotte est prête et regroupée dans l’embouchure de la Dives (une large baie, non loin de Caen, idéale pour accueillir une large flotte) et dans les ports voisins.

Nul ne sait exactement combien d’hommes et de navires sont ainsi réunis. Selon les sources, on parle de :

  • 400 bateaux, et 8 à 10 000 hommes, seigneurs, valets, hommes d’armes… et même pêcheurs, des pêcheurs se joignant avec leurs barques à l’expédition, motivés sans doute par les promesses de libre pillage des côtes !
  • 1000 navires, 8000 hommes et 3000 chevaux
  • 500 bateaux et 12000 hommes d’armes
  • Dans Dives même 50 000 hommes (en comptant probablement tous les artisans, charpentiers, menuisiers, bûcherons etc), 3000 bateaux, 1000 chevaux, mais aussi des machines de guerre et de siège embarquées…
  • 7000 hommes en comptant les services
  • 400 bateaux pour les hommes (chevaliers, archers et fantassins), 600 pour les chevaux 
  • 700 navires et 7000 hommes
  • 7000 hommes et 6000 chevaux
  • 1000 navires, 4000 chevaux, du personnel de cuisine et de ravitaillement…
  • 8000 hommes et 3000 cavaliers
  • 1000 archers, 4500 fantassins, 3000 cavaliers
  • 450 vaisseaux de guerre construits pour l’occasion, 7000 hommes, 700 chevaux
  • 15 000 hommes, 1000 navires, 3000 chevaux
  • 12 à 15 000 hommes…
  • 10 000 soldats, 4000 chevaux et 5000 hommes de personnel…

Bref ! Entre celles qui incluent les bateaux vivriers, les hommes de service, les lourds navires de transport et les légers patrouilleurs, les sources qui exagèrent, celles qui se veulent réalistes… c’est un joyeux mélange ! Mais, quels qu’aient été les chiffres exacts de l’armée de Guillaume, il s’agit en tout cas d’une véritable armada qui voit le jour, et d’une expédition minutieusement (mais extrêmement rapidement !) préparée. Un travail titanesque, de janvier à la fin de l’été 1066. Plus de 500 navires ont été construits pour l’occasion, sans compter toutes les barques (de pêche etc) et tous les navires réquisitionnés, jusqu’en Aquitaine !

e.      L’attente

L’armée de Guillaume est donc prête à la mi-août 1066 (selon certaines sources : dès juillet). Il faut désormais attendre des vents favorables, des vents du sud, car pour l’instant les vents demeurent contraires !

En réalité, selon certains historiens, les navires de Guillaume auraient été parfaitement capables de traverser la Manche sans l’aide de vents du sud ; et il ne se serait agi là que d’un prétexte, pour Guillaume, pour attendre le retour de ses espions envoyés sur le sol anglais… et guetter le bon moment : celui où Harold serait contraint de lever les garnisons qu’il a postées sur la côte sud, et où Harald viendrait faire diversion en l’attaquant par le nord… (Guillaume, tout comme Harald sans doute, se doutait que dans cette course au trône, le premier à attaquer serait défavorisé, puisqu’il affronterait des troupes anglo-saxonnes fraîches et en pleine forme ; mais ils savaient tous deux aussi qu’en raison du climat favorable de la Normandie, Guillaume serait avantagé : il pourrait attendre plus longtemps… ; de fait, Harald finit par attaquer le premier, mi-septembre…)

Mais, en attendant, les troupes s’impatientent (et puis, plusieurs milliers d’hommes, il faut les nourrir et les occuper, en attendant le feu vert ! D’autant que Guillaume leur a interdit de ravager l’arrière-pays). Le doute et l’inquiétude commencent à s’immiscer parmi les troupes ducales.

Au mois d’août, Guillaume quitte son château de Bonneville pour venir soutenir le moral de ses troupes et vivre parmi eux. Puis, pour calmer leur impatience, et profitant de vents soufflant de l’ouest, Guillaume fait remonter le 10, le 11 ou le 12 septembre les navires en louvoyant jusqu’à St-Valery, à l’embouchure de la Somme (une autre large baie, qui les rapproche de l’Angleterre et raccourcit la traversée à venir) ; selon certains, la traversée aurait en réalité voulu être lancée, mais une tempête aurait obligé les navires à se rabattre sur la baie de Saint-Valery-sur-Somme. D’ailleurs, plusieurs bateaux coulent, noyés par leur charge, mais les hommes qui en ont été témoins ont l’interdiction expresse par le duc d’en souffler mot à quiconque et de répandre la panique… sous peine de mort.

Pendant deux semaines, il faut encore attendre… Tempêtes, pluies… Le duc, dit-on, a les yeux rivés sur la girouette de l’église. Il aurait fait porter les reliques de Saint-Valery en procession pour en appeler à Dieu et à un temps plus clément. Plus de deux semaines s’écoulent ainsi, l’armée bloquée sur les côtes picardes. Enfin, le 27 septembre, un vent du sud recommence à souffler, certains crient au miracle (ou bien : les espions sont enfin revenus, et l’informent que le moment est propice : Harold est dans le nord du pays, très occupé à régler leurs comptes aux troupes norvégiennes d’Harald Hardrada ! Ils sont eux-mêmes épuisés, leur armée est gravement amputée !)

Guillaume donne aussitôt l’ordre d’embarquer. Pendant douze heures, dans un branle-bas de combat général, on embarque tonneaux d’eau et de vin, armes, armures, chevaux, équipements, des forteresses de bois démontées numérotées à remonter une fois en Angleterre…

Enfin, on met les voiles.

f.        La traversée

La traversée s’effectue (cette fois) sans problème (enfin, presque : la légende veut qu’une tempête ait dispersé les navires et que la Mora se soit retrouvée seule, au matin, en vue des côtes anglaises, loin devant le reste de l’armée, et que Guillaume, pour apaiser ses hommes, ait fait donner un grand banquet à bord de son navire-amiral en attendant que le reste de la flotte arrive !).

Enfin, les navires se regroupent…

On n’avait encore jamais vu pareille armada traverser la Manche.

Guillaume le Conquérant, docufiction de Frédéric Compain (source ici)

g.       Le débarquement

Et c’est en toute tranquillité que Guillaume et ses troupes débarquent dans la baie de Pevensey, dans le Sussex (la même plage que celle où aurait débarqué César, quelque mille ans plus tôt !), le 28 septembre au matin (ou, selon les sources, le 29), donc la veille ou le jour même de la Saint-Michel, le Saint Patron des Normands (qui y voient là un heureux présage ! Voulu par Guillaume ?…)

Avant même de se précipiter vers le nord, Harold, le 8 septembre, par manque de vivres pour entretenir son armée, avait fini (comme Guillaume l’escomptait peut-être) par lever les troupes qui gardaient la côte : l’hiver approchait, il ne croyait déjà plus à une invasion du pays par Guillaume pour 1066 : il avait ainsi démobilisé sa garde côtière avant même de se ruer sur les troupes norvégiennes (qui, pour leur part, avaient bénéficié de tous ces vents soufflant du nord !), pensant la saison déjà trop avancée pour une telle entreprise. De toute façon, dès le 20, il avait besoin de toutes ses troupes avec lui, dans le Yorkshire.

Les Normands débarquent donc sans encombre sur la plage de Pevensey, alors qu’Harold se trouve encore à l’autre bout du pays. Les premiers à débarquer sont les archers qui couvrent le débarquement des chevaux, mais aucun ennemi ne se manifeste, tout est calme, et l’on débarque non loin de l’ancien camp romain où Guillaume a décidé de passer la nuit.

h.      L’installation : en attendant Harold…

Puis l’on se déplace vers l’est, vers le bourg d’Hastings où Guillaume a décidé de se retrancher pour attendre Harold. On fortifie le sommet de la falaise d’Hastings (palissades, fort, fossé, tour d’observation, fortifications en bois et en terre) et les alentours… et, évidemment, on se ravitaille : déjà, les chevaliers de Guillaume raflent la nourriture, pillent et brûlent maisons, incendient des villages, ravagent la campagne alentour, la population fuit… Les Normands entretiennent la réputation qui leur vient de leurs ancêtres scandinaves, et que leurs compatriotes, à l’époque, s’attachent à répandre partout autour de la Méditerranée…

Les cavaliers galopent à travers la campagne désertée par les habitants et les fourrageurs rapinent porcs, bœufs et moutons ; le camp prend forme, ainsi que cette « redoute fortifiée » (où l’on veut pouvoir se réfugier en cas d’attaque surprise), ce château de bois à la normande inventé par Guillaume lui-même (le premier château normand construit en Angleterre !) et dont les éléments avaient fait partie du chargement des navires… On s’entoure de fossés, on se prépare.

On brûle aussi les manoirs saxons gênant la visibilité, et l’on se prépare tranquillement à affronter les Anglais.

i.         Harold rapplique à toute vitesse

Ce n’est qu’aux premiers jours d’octobre qu’Harold a connaissance du débarquement normand. Il est alors encore à York !

Il rapplique à Londres à marche forcée, mais doit laisser une partie de ses troupes dans le Nord (plusieurs barons du Nord lui font défection et il y a de nombreux blessés) et il doit se contenter d’une armée réduite, amputée, fatiguée, peut-être de 7000 ou 8000 hommes. Il a perdu un tiers de ses effectifs, nombre de ses hommes sont encore en train de panser leurs plaies, et il doit leur faire parcourir au pas de charge 400km vers le sud avec leurs lourdes armes et armures.

Il se précipite donc vers le sud pour se porter à la rencontre de Guillaume et livrer bataille, passe par Londres pour lever de nouvelles troupes, mais continue de filer jusqu’à la côte sud sans avoir pleinement reconstitué son armée. Il rejoint Guillaume le 13 octobre au soir, ses hommes ont eu moins de trois semaines pour se remettre de Stamford Bridge. Mais Harold, galvanisé par sa victoire contre les Vikings, est bien décidé à rejeter les Normands eux aussi à la mer.

Harold estimait peut-être que sa victoire éclatante et épique à Stamford Bridge allait sceller son statut de roi, mais en réalité, elle allait précipiter sa chute : car si son armée est épuisée de ses récents combats, les Normands, eux, sont plutôt frais et dispos ; et ils ont eu deux semaines pour prendre leurs marques, se ravitailler et élaborer une stratégie, tandis qu’Harold a dû épuiser ses troupes en les portant au pas de course tout d’abord plein nord, puis plein sud à peine quelques jours plus tard.

Harold voulait prendre Guillaume par surprise (comme il avait surpris les Vikings à Stamford Bridge) mais les éclaireurs de Guillaume le repèrent. Il décide donc de prendre position sur une colline, celle de Senlac, à quelques kilomètres d’Hastings, et d’attendre Guillaume en sécurité, depuis sa position fortifiée, en hauteur. Une position avantageuse, tactique, aux flancs protégés par des marécages. La ligne d’affrontement sera étroite, c’est parfait pour la tactique saxonne (héritée des scandinaves) du mur de boucliers.

Harold a gonflé ses rangs en passant par Londres, mais ses troupes sont tout juste égales, en nombre, à celles des Normands.

Et il a face à lui l’une des machines de guerre les plus impressionnantes d’Occident : l’armée normande, son infanterie, ses archers, ses mercenaires et, surtout, sa célèbre cavalerie.

Le combat promet d’être rude.

3 – Hastings

a.       A l’aube…

Très tôt le 14 octobre au matin, donc, Guillaume entend la messe et communie ; d’ailleurs son armée tout entière assiste, elle aussi, à l’office célébré en plein air par l’évêque Odon (demi-frère de Guillaume, qui l’a accompagné outre-Manche). Sûr de son droit et de la protection de Dieu, Guillaume a proposé à Harold de résoudre leur différend en combat singulier, et d’épargner leurs armées. Mais celui-ci, furieux, a pour toute réponse décidé de rappliquer avec toute son armée. L’affrontement est inévitable, il aura lieu aujourd’hui.

Guillaume prie donc avec, autour du cou, de petits morceaux des saintes reliques sur lesquelles Harold avait prêté serment… Pieux, mais aussi désireux de placer son entreprise sous de bons auspices, il jure de faire construire une abbaye sur le lieu de la bataille s’il en sort vainqueur.

Puis il prononce la harangue habituelle du chef de guerre à ses troupes, conformément aux usages du temps ; il ordonne à ses hommes de lutter vaillamment, virilement, mais avec sagesse et discipline.

A 9 heures, il fait sonner la charge. De l’issue du combat dépendra le sort de toute l’Angleterre… pour les années et les siècles à venir.

Harold, on l’a vu, a pris position au sommet de la colline de Senlac. On ignore pourquoi Guillaume (pourtant là et prêt depuis plus de deux semaines) lui a laissé prendre cette position avantageuse.

b.      Les forces en présence

L’armée d’Harold est constituée :

  • de ses célèbres housecarls (unité guerrière d’élite, héritée de la tradition danoise, constituée de vigoureux combattants armés d’une redoutable hache maniée à deux mains – pour le reste, ils sont équipés un peu comme les Normands, casque à nasal, bouclier éventuellement planté dans le sol, cotte de mailles/hauberts…). On dit de ces terribles « axe-men » qu’ils sont capables de trancher d’un seul coup la tête d’un cheval et son cavalier… C’est la colonne vertébrale de l’armée saxonne.
  • du « fyrd », constitué de paysans pauvrement équipés, levés en hâte sur la route et sur place

Celle de Guillaume compte :

  • des archers (nombreux)
  • des fantassins
  • la célèbre et redoutable chevalerie normande, fleuron de son époque et élite sociale et militaire de la Normandie

D’un côté, nous avons donc la meilleure infanterie d’Europe (les housecarls). De l’autre, la meilleure cavalerie d’Occident. Et, surtout, de nombreux descendants des Vikings ! (housecarls danois et Normands, eux aussi d’origine scandinave !) Le combat promet de faire rage…

Au total, probablement 7 ou 8000 hommes de chaque côté (entre 7 et 12 000 pour Guillaume, et entre 5 et 13 000 pour Harold, selon les sources) ; des forces à peu près égales, car si l’armée de d’Harold a l’avantage de la position défensive en hauteur, elle est littéralement épuisée… (Pour rappel, elle n’a eu que 3 semaines pour se remettre de Stamford Bridge et franchir les 400km la séparant de Guillaume ; sans compter les 320km parcourus entre le 20 et le 24 septembre pour combattre les Vikings dans le Nord !) Toutefois, les Anglais, galvanisés par leur première victoire à Stamford Bridge, demeurent confiants. Harold a positionné ses housecarls en première ligne de son mur de boucliers et, ainsi fermement campé, compte bien repousser un à un tous les assauts normands.

Guillaume met donc ses troupes en mouvement et s’apprête à monter à l’assaut de la colline tenue par Harold. Il divisé son armée en 3 contingents : les Bretons, Angevins et Manceaux (sous Alain de Bretagne) occupent le flanc gauche, les Français (d’Ile-de-France, principalement) et Flamands le flanc droit (sous Robert de Beaumont et Eustache de Boulogne), et lui et ses Normands occupent le centre, l’étendard papal flottant glorieusement au-dessus de leur tête…

En face de lui, au centre, les housecarls (face aux Normands) et, de part et d’autre de cette unité d’élite, les gens du fyrd (face aux Bretons et aux Franco-Flamands).

c.       Le déroulement de la bataille…

1 – A 9 heures du matin, donc, les trompettes résonnent sur le champ de bataille et les Normands lancent l’offensive. Guillaume engage ses archers afin d’éclaircir les rangs adverses. Mais le mur de boucliers offre une excellente défense aux hommes d’Harold et la position en contrebas ne favorise guère ses archers.

2 – Il envoie donc l’infanterie, qui monte à l’assaut de la colline sous une pluie de flèches saxonnes, mais parvient tout de même à engager un corps-à-corps. La ligne de combat est étroite, 800 mètres de large seulement (marécages de part et d’autre).

3 – Guillaume engage alors sa cavalerie pour épauler l’infanterie, dans plusieurs assauts successifs qui se heurtent violemment au solide mur de boucliers saxon.

4 – L’aile gauche (bretonne) faiblit et rompt. En plus, la rumeur se met à courir que Guillaume serait mort ! (De fait, trois chevaux tomberont sous Guillaume, qui chaque fois aura dû se faire amener un nouveau cheval pour poursuivre la lutte !). Bientôt, c’est la débâcle côté Bretons, qui reculent dans le désordre le plus total. Galvanisés par ce qu’ils croient être le début de la victoire, les Anglais s’engouffrent dans la brèche et les poursuivent, rompant ainsi leur propre ligne de défense.

5 – Averti du mouvement de panique qui commence à secouer ses troupes parce qu’on le croit décédé, Guillaume retire son casque et circule hardiment parmi les rangs, montrant son visage pour couper court aux rumeurs et exhortant ses hommes au combat. Les fuyards font demi-tour et affrontent les Saxons qui les ont pourchassés et, ce faisant, qui se sont imprudemment exposés… Guillaume lance de nouveau sa cavalerie et fait tailler les assaillants imprudents en pièces. Très peu parviennent à remonter la colline pour rejoindre les rangs d’Harold et le rassurant mur de boucliers.

6 – Plusieurs heures durant, les assauts normands se succèdent. En vain. Le mur de boucliers tient bon. Les chocs sont terribles, mais chaque fois les attaques normandes sont repoussées.

7 – Une brève trêve est convenue pour se reposer à midi. Guillaume en profite pour tirer profit de ce qu’il a constaté : quand les Anglais se dispersent, ses hommes – et notamment sa cavalerie – ont nettement le dessus. Il élabore une nouvelle stratégie et la met en pratique peu après la reprise des combats.

8 – Par deux fois au cours de l’après-midi, Guillaume fait donc sonner une fausse retraite. Les Saxons tombent dans le piège et se mettent à poursuivre les « fuyards ». Les troupes normandes font alors volte-face et massacrent leurs poursuivants. Peu à peu, le mur de boucliers se fragilise. Fin tacticien, Guillaume a trouvé comment venir à bout de ce mur humain : l’amener à se disloquer de lui-même !

9 – Le duc, qui n’a pas son pareil pour changer de tactique au pied levé et profiter des opportunités créées, fait intervenir de nouveau ses archers, cette fois-ci de façon beaucoup plus efficace : tandis que les uns procèdent à des tirs en cloche, contraignant les housecarls à lever leurs boucliers au-dessus de leurs têtes pour se protéger, d’autres effectuent des tirs tendus (=directs), visant ainsi les abdomens exposés.

10 – La cavalerie charge de nouveau et parvient enfin à contourner le mur de boucliers (réduit et fragile) en l’attaquant par les deux flancs simultanément.

11 – Les deux frères d’Harold, Leofwine et Gyrth, sont morts, mais Guillaume veut la tête d’Harold lui-même. Les causes exactes de la mort du roi anglo-saxon ne sont pas claires : la tradition veut qu’il soit mort d’une flèche dans l’œil (la mort d’une flèche entre les deux yeux étant, traditionnellement, celle des traîtres) ; mais selon d’autres sources, Harold serait mort des coups d’épée d’un commando de quatre chevaliers envoyés par Guillaume derrière les lignes ennemies pour le tuer. Le premier l’aurait frappé au cou, le 2nd à la poitrine, le 3e lui ouvre ventre et 4e lui ampute de cuisse…

En tout état de cause, Harold meurt. Et, avec lui, la cause anglo-saxonne…

12 – Nombre de Saxons fuient dans les bois environnants, poursuivis par les Normands (un vrai carnage). Mais les plus fidèles et valeureux guerriers danois et saxons, les housecarls, se battent jsuqu’à leur mort (malgré celle du roi).

13 – A 17 heures, la colline est aux mains de Guillaume.

d.      Bilan

Un homme sur deux meurt à Hastings. Une boucherie, qui a duré toute une longue et interminable journée (un exploit, pour l’époque : la plupart des batailles médiévales ne duraient guère plus d’une heure !) Guillaume, une fois de plus, a démontré son génie militaire : ses feintes successives ont eu raison de la solide défense saxonne, il a parfaitement su utiliser chacun des contingents et chacune des unités (archers, chevaliers, fantassins…) qu’il avait à sa disposition, son stratagème a parfaitement fonctionné et son rival, l’usurpateur, est mort – et ses frères avec lui. La victoire est totale !

La fratrie de Wessex n’est plus ; et, avec elle, sur le champ de bataille d’Hastings jonché de cadavres, c’est toute la société saxonne qui se retrouve décapitée. On dit que, des années après Hastings, des corps semaient encore le versant de la colline !

La victoire est totale, mais elle n’a pas été facile : l’affrontement a été terrible et Guillaume, lui aussi, a perdu beaucoup d’hommes. Hastings laisse environ 6000 hommes sur le carreau… en une seule journée de combat… (probablement 2500 Normands et 3500 Saxons).

Harold était incontestablement un chef de guerre de talent, comme le montre sa capacité à tenir ses troupes unies, ordonnées et soudées pendant de nombreuses heures et à résister aux assauts normands incessants (les hommes qui auraient plusieurs fois poursuivi les Normands l’auraient fait en dépit de ses ordres, qui étaient de tenir leur position). Mais son armée était épuisée et il manquait d’archers. Plus encore que la force militaire normande, c’est sûrement son intelligence qui, en le faisant attendre qu’Harald de Norvège s’occupe de fatiguer le premier les troupes saxonnes, lui a permis de sortir vainqueur de cette guerre de succession…

Guillaume aurait dit, à la mort de Harold : « la comète, terreur des rois, qui brilla peu de temps après ton élévation, fut le présage de ta ruine ». Malgré tout, il aura fallu toute une journée de combats acharnés à Guillaume, et faire appel à tout le génie de sa stratégie, pour venir à bout d’Harold.

Hastings demeure, encore à ce jour, la plus longue bataille de toute l’histoire de l’Angleterre… et la dernière invasion réussie du pays…

4 – De la victoire au sacre

a.       Guillaume marche sur Londres

Mais la partie est encore loin d’être gagnée : il reste tout un pays à soumettre. Guillaume fait enterrer Harold sur la côte, dans un endroit secret pour empêcher tout culte ou pèlerinage, puis décide de se porter à la conquête de divers points (ports et villes) stratégiques : Douvres, port ouvert sur la Manche et point de contrôle tourné vers la Normandie, tombe le 21 octobre. Canterbury, siège de l’archevêché d’Angleterre, le 29. Villes et villages sont pillés et brûlés sur le passage des Normands.

Mais lorsqu’il s’approche de Londres, Guillaume a la désagréable surprise de voir que les Saxons, dans une ultime tentative pour mettre l’un des leurs au pouvoir, tentent de lui opposer leur dernier candidat (un peu par défaut) : Edgar Ætheling.

b.      Le dernier Saxon : Edgar Aetheling

Edagar Atheling ? Qui c’est, encore, celui-là ?

Hélas ! Peut-être un énième prétendant légitime au trône (probablement le plus légitime de tous, en fait, et bien avant Guillaume !), à qui Edouard aurait même promis sa couronne (ou plutôt, il l’aurait promise à son père…) bien des années plus tôt. Et pas n’importe quel prétendant : l’ultime héritier direct de la lignée de Wessex !

Allons, allons, pas de panique ! Je rembobine.

Comme évoqué dans mon article sur les derniers grands raids vikings sur l’Angleterre, le roi Æthelred le Malavisé meurt en avril 1016 face aux attaques répétées du roi danois Knut le Grand. Son fils aîné et héritier (les deux plus âgés étant morts), Edmond Côte-de-Fer (non, non, chers fans de la série « Vikings » : pas Björn ! Edmond !), organise vaillamment la résistance anglo-saxonne, mais meurt à peine quelques mois plus tard : Knut monte sur le trône.

Le fils d’Edmond, Edouard, bientôt dit « l’Exilé », se réfugie en Hongrie. Edouard le Confesseur, qui finit par hériter (grâce à sa mère, la seconde femme de Knut) du trône d’Angleterre après les deux fils de celui-ci (Harold Pied-de-Lièvre et Hardeknut, dont nous avons déjà beaucoup parlé dans plusieurs articles – voir la liste de recommandations à la fin de celui-ci), n’est autre que l’oncle de cet autre Edouard (l’Exilé), puisqu’il était le demi-frère d’Edmond Côte-de-Fer, en tant que fils, lui aussi, d’Æthelred, dans le cadre de son 2e mariage (si vous me suivez encore à ce stade, chapeau !).

Et, en 1057, le Confesseur (qui aurait eu la fâcheuse manie de promettre sa couronne à tout-va, on commence à le croire…), après l’avoir promise à Guillaume en 1051, et bien avant de la remettre (peut-être) à Harold de Wessex sur son lit de mort en 1066, eh bien… la propose, tout simplement, à son neveu Edouard l’Exilé (qui, après tout, en tant que fils du fils aîné d’Æthelred, et donc petit-fils direct d’Æthelred par la branche aînée de ses fils, aurait presque dû hériter de la couronne avant lui, Edouard le Confesseur, qui n’est né que du second mariage d’Æthelred !)

Bref, bref. Si, là encore, vous êtes toujours avec moi… c’est soit que vous avez un bel ordinateur généalogique dans la tête, soit que vous avez lu tous mes autres articles et que vous êtes rodés !

Pour aider ceux qui seraient plutôt visuels :^^

En 1057, donc, Edouard le Confesseur invite son homonyme l’Exilé à résider à sa cour (et donc revenir au pays) ; mais deux jours après son retour en Angleterre… Edouard l’Exilé meurt assassiné (par les turbulents et déjà très ambitieux Godwinson ?…) Il meurt… mais a ramené avec lui son jeune fils Edgar (Ah ! le voilà !), né en Hongrie et âgé de 5 ou 6 ans…

En 1066, Edgar a donc probablement une petite quinzaine d’années. Il est encore bien jeune, un peu falot, il est né à l’étranger et n’a que peu de partisans sur le sol anglais : c’est donc un bien piètre rival à opposer au massif et vigoureux Guillaume, qu’on dit gigantesque, monstrueusement fort, cavalier émérite et fort valeureux au combat, mais il reste le petit-neveu d’Edouard le Confesseur, l’héritier direct d’Æthelred et de tous les rois anglo-saxons avant lui… et, de toute façon, c’est tout ce que le Witenagemot a désormais sous le coude.

Il est donc finalement choisi comme roi par le Conseil après la mort d’Harold dans une ultime tentative pour sauvegarder la lignée saxonne. Un conseil de régence s’organise hâtivement pour régner en son nom, et une petite armée est constituée à Londres pour résister à l’avancée de Guillaume et défendre la capitale. Mais, entre Stamford Bridge et Hastings, la noblesse anglo-saxonne est décimée et il reste bien peu de combattants à recruter.

Edgar et ses partisans parviennent tout de même à lever assez d’hommes pour bloquer le pont de Londres et, protégés par les eaux et les murs de la ville, tenir Guillaume en respect. Guillaume, bien décidé à prendre la ville, sans nécessairement toutefois se frotter directement à une capitale de 20 000 habitants, décide de la contourner, de l’encercler et de la contraindre à se rendre d’elle-même : il la contourne par le sud-ouest, puis l’ouest, puis le nord, laisse son armée saccager les zones environnantes, dans le Surrey, le Hampshire, le Berkshire, l’Oxfordshire, prend Winchester, pille, brûle, massacre sur son passage… et atteint Wallingford, où la Tamise peut être plus facilement traversée…

On lui ferme les portes de Londres ? Fort bien. Il répond par la terreur.

A présent, son armée s’approche de la capitale par le nord-est, semant terreur et destruction sur son passage, embrasant tout le Middlesex et le Hertfordshire, selon la politique de la terre brûlée.

La violence des attaques normandes dans les environs de Londres choque les aristocrates anglais et la plupart font finalement défaut à Edgar, qui tente à son tour de fuir la ville. Mais sa suite est arrêtée par les Normands à Berkhamstead, dans le Hertfordshire.

Edgar se rend, on le ramène à Londres, il ploie, il abdique (même s’il n’a jamais été couronné). Il aura quelque temps une place à la cour de Guillaume, mais fuira finalement quelques années plus tard en Ecosse et sa sœur Marguerite y épousera le roi Malcolm III, qui soutiendra peu après de nombreuses révoltes contre Guillaume dans nord de l’Angleterre.

Mais après la Grande Dévastation du Nord (nous y reviendrons dans le 3e volet de cette petite biographie de Guillaume), Edgar fuit en France, puis se joint à croisade de 1095 (comme nombre de Francs, d’Anglais et de Normands de l’époque). Il y commande la flotte de croisés anglais. Il reviendra combattre aux côtés de Robert Courteheuse (également un croisé), le fils aîné de Guillaume, qui affronte alors son frère Henri Ier Beauclerc qui s’est emparé du trône d’Angleterre en leur absence et louche sur la Normandie tenue par Robert. Ils échouent à la bataille de Tinchebray et Edgar se retire définitivement dans le sud de l’Angleterre. Il meurt en 1125, emportant avec lui le dernier espoir d’un anglo-saxon revenant conquérir le trône anglais.

c.       Guillaume le Conquérant, roi d’Angleterre

Voilà pour Edgar.

Revenons-en à Guillaume.

Le jeune Edgar hérite donc des prétentions de son père, mais doit s’incliner devant le redoutable Guillaume, qu’on ne tardera pas à appeler désormais « le Conquérant », et qui a donc pris le contrôle de tout le sud-est du pays, de façon à encercler peu à peu Londres et à contraindre les hauts dignitaires et aristocrates à venir se soumettre à lui plutôt que de tenter de prendre la ville de force.

Sa stratégie fonctionne et la ville n’a d’autre choix que de lui ouvrir les portes : Guillaume s’est contenté d’attendre que le fruit tombe, mûr à point (en lui faisant un peu peur quand même, histoire de le décider).

Guillaume est accepté pour roi, mais il se méfie de cette ville. Il fait donc immédiatement construire les bases de ce qui deviendra la Tour de Londres par une poignée de ses hommes qu’il envoie dans la ville (en terre et en bois tout d’abord, en pierre plus tard), histoire d’avoir un point d’appui fortifié au cœur de la ville…

Il est maintenant grand temps pour lui de se faire couronner avant qu’on ne tente de lui substituer un énième candidat. Guillaume hésite à se faire couronner sans Mathilde (qui est restée en Normandie) mais ses conseillers lui conseillent de ne pas laisser le trône vacant trop longtemps ; il accepte donc d’être couronné sans elle. Le sacre a lieu à la date symbolique du 25 décembre (le jour de Noël, comme Charlemagne !) en l’abbatiale de Westminster, là où se trouve la dépouille d’Edouard le Confesseur.

Quand l’archevêque d’York Ealdred et l’évêque Geoffroy de Montbray demandent, chacun dans leur langue, si Normands et Anglais acceptent Guillaume comme roi, les clameurs et acclamations qui s’élèvent affolent les chevaliers qui montent la garde à l’extérieur de l’abbaye, qui en entendant ces cris croient en une nouvelle révolte et tentent (dit-on…) de faire diversion en mettant le feu aux maisons voisines.

La cérémonie se termine de façon dramatique par la fuite de tous les assistants ; dans la panique générale, seuls les évêques et les clercs restent à l’autel pour couronner et sacrer le roi, lui-même fortement troublé…

Conclusion : un homme d’exception

Une preuve de plus, s’il en fallait, de l’incroyable force de caractère de Guillaume : alors que tant d’autres à sa place y auraient vu des signes funestes, il n’aura cessé de se battre contre l’adversité, de franchir les obstacles, d’avancer malgré tous les signes contraires. De sa bâtardise à son mariage frappé d’interdit, des tentatives d’assassinat dans sa jeunesse à l’éclatement de sa panse lors de son enterrement (authentique ! voir mon 3e et dernier article sur Guillaume et la fin de sa vie…), de son débarquement à Pevensey (il aurait trébuché et serait tombé dans le sable !) à son valet qui lui aurait enfilé sa cotte de mailles à l’envers juste avant la bataille d’Hastings… sans parler de l’incendie semant la panique à son couronnement… des vents contraires l’empêchant de prendre la mer à l’été 1066…

Allons, disons-le : Guillaume aurait eu moult raisons de se croire maudit, de reculer, d’abandonner, et de battre en retraite plus d’une fois dans sa vie, et bien d’autres à sa place auraient laissé tomber les armes !

Au lieu de cela, chaque fois, Guillaume se sera relevé, aura brandi haut son épée et sera revenu à la charge, trouvant parfois même le moyen de retourner l’imprévu à son avantage pour maintenir à niveau le moral de ses troupes !

Si bien qu’au 25 décembre 1066, à seulement 38 ou 39 ans, le « Bâtard de Normandie » est sacré roi d’Angleterre. Les vainqueurs d’Hastings demeurent persuadés que c’est Dieu qui a voulu Guillaume sur le trône d’Angleterre.

Mais, pendant vingt ans encore, Guillaume va continuer à se battre.

Sans relâche.

Pour découvrir la suite…

Découvrez sans plus tarder la suite des aventures de Guillaume le Conquérant, avec :

Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration de l’article (statue): Statue équestre de Guillaume le Conquérant à Falaise par Louis Rochet en 1851 (source)

A lire aussi :

Vous pouvez également retrouver sur ce blog tous mes articles en lien avec la Normandie, Guillaume le Conquérant, les Normands en Méditerranée etc., et donc mon roman La Demoiselle d’Arundel :

Mais aussi : tous mes articles précédents sur les Vikings :

Mes romans « vikings » :

3 vidéos pour le plaisir :

Déroulement de la bataille d’Hastings en 5 minutes :

Résumé de 12 minutes : « Guillaume : l’homme qui conquit l’Angleterre » 

Podcast « Au cœur de l’histoire »: Guillaume le Conquérant et la Bataille d’Hastings (Franck Ferrand) – Passionnant !