L'Histoire (la grande !)

Pictes et autres Calédoniens, les premiers Ecossais

Aux origines

Les peuples du nord de l’île de Bretagne (=la Grande-Bretagne actuelle) n’entrent dans l’Histoire écrite qu’avec les premiers textes d’explorateurs grecs et, surtout, l’arrivée des Romains. Comme nombre d’autres peuples de la protohistoire (l’Histoire avant l’Histoire, c’est-à-dire l’Histoire avant l’arrivée de l’écriture localement, donc la période coincée entre la Préhistoire et l’Histoire proprement dite), les premiers habitants de l’île de Bretagne, au nord comme au sud, restent méconnus.

Il est probable que les territoires de l’Angleterre, de l’Ecosse, du Pays de Galles et de l’Irlande actuels aient été peuplés pour la première fois lors de la dernière glaciation, à l’époque où l’Angleterre était entièrement rattachée au continent européen par ce qu’on appelle le Doggerland, au niveau du sud de la mer du Nord (la Grande-Bretagne ne devint île que vers -9000 : fin de la dernière ère glaciaire, fonte des glaciers). Plusieurs vagues de migrations successives, tant pendant la glaciation qu’après, auraient alors formé la première population de l’archipel.

Certains pensent néanmoins que le peuplement de l’Ecosse ne serait survenu qu’en -8000 ou -7000, donc après la fin de l’ère glaciaire, et se serait donc faite par voie de mer. La principale question qui agite encore les cercles d’historiens reste : s’agissait-il de peuples proto-celtes ? ou proto-germaniques ? ou était-ce finalement la même chose, si l’on considère les cultures germaniques comme faisant partie du monde celte ?

Comme sur bien d’autres points de la protohistoire brittonique (voir mon article sur les Celtes), l’incertitude demeure. Certains excluraient même ces premiers habitants du monde indo-européen ! (fait très peu probable, quand on étudie leur culture de plus près, à moins que celle-ci n’ait été ultérieurement celtisée par acculturation… mais bon…)

Une seule chose est certaine : bien avant l’arrivée des Romains, il existe en Grande-Bretagne des peuples mégalithes (= qui érigèrent, entre -2000 et -1000, cairns, dolmens, menhirs et autres cercles de pierre et qui, plus tard, entre 800 et 300 av. JC, construisirent des forts circulaires, les brochs, les maisons rondes et les crannogs qui continuèrent de se construire ensuite pendant le Deuxième Âge du fer), préceltiques ou prégermaniques, de tradition orale, répartis en diverses tribus. Tout d’abord chasseurs-cueilleurs, ils finissent, comme ailleurs en Europe, par développer l’agriculture et l’élevage durant le Néolithique.

Dans l’ordre chronologique, ils érigent des maisons de terre et de pierre et des tombes collectives recouvertes de tertres (les fameuses chambered tombs écossaises, des chambres funéraires souterraines, particulièrement nombreuses dans les îles (Orcades, Hébrides, Shetland), le Caithness et le Galloway – petit clin d’œil à mon roman Shaena, qui évoque ces nombreuses constructions préhistoriques !) puis commencent à lever les fameuses pierres qui constituent les grands ensembles de monolithes (alignés, en cercle…) que l’on admire encore aujourd’hui (et que l’on croit souvent – à tort ! – plus tardifs #Obélix), avant de construire les premiers brochs (à la fois lieux de défense et habitation) qui seront construits et utilisés de nombreux siècles durant.

Avant les Romains également, probablement entre le IVe et le Ier s. avant JC (période de La Tène), d’autres tribus celtes migrent depuis le continent : des tribus belges (les Catuvellauni, les Atrebates…) mais aussi, probablement avant elles, des tribus gauloises (des noms de peuples brittoniques rappellent étrangement des noms gaulois, comme les Parisii, situés aussi bien autour du Lutèce (Paris) de l’époque que dans l’est de l’île de Bretagne !).

On suppose que l’arrivée de ces nouveaux Celtes aurait repoussé vers le nord les peuples plus anciens (ceux que les Romains appelleront « Calédoniens » et tribus assimilées). Mais la controverse demeure (certains refusant même de faire des Bretons (= les Brittoniques = les Britannii, en latin = terme désignant ces Celtes de Grande-Bretagne) des Celtes, et encore moins des Celtes continentaux ayant migré outre-Manche (reste à savoir si ces rechignements sont purement scientifico-objectifs ou teintés d’une petite pointe de subjectivisme nationaliste !)

Bref ! Toujours est-il que, en résumé :

  • Avant l’arrivée des Romains, l’île de Bretagne est peuplée de nombreuses tribus (ça, c’est incontestable) ;
  • Que les peuples du sud de l’île partageaient de (très) nombreux points communs avec les Celtes du continent, que les noms de plusieurs tribus rappelaient des noms belges et gaulois, et que l’immense majorité des spécialistes s’accordent à dire qu’ils appartenaient au large monde des Celtes, avec langue et culture celtiques à l’appui ;
  • Que les peuples du nord de l’île relevaient d’un peuplement plus ancien ayant érigé tous les mégalithes de Grande-Bretagne (que les Celtes « tardifs » se réapproprieront certes pour célébrer leurs cultes druidiques, ce qui fait qu’on leur attribue souvent à tort l’érection de ces pierres – comme Obélix qui transporte ses menhirs au temps de Jules César : faux ! l’érection des menhirs etc., c’était bien avant) ;
  • Que les peuples tant d’Ierne (nom grec pour l’lrlande déjà identifiée par les premiers explorateurs – les latins disaient Hibernia) que d’Albion (nom grec de l’île de Bretagne) ou encore des Orcas (probablement les Orcades) échangeaient déjà à cette époque (Deuxième Âge du fer) avec le continent, et peut-être même les Romains ;
  • Et que, même dans le nord, nombre de traits culturels étaient semblables à la culture celtique du continent de la période de La Tène : chars à deux roues, agropastoralisme, druidisme, sites fortifiés placés sur des collines, métallurgie, sidérurgie…

Les Romains débarquent…

Lorsque César le premier débarque en Bretagne, il nomme les habitants du sud « Bretons » (Britannii) et ceux du nord Calédoniens (Caledonii). Bien sûr, ces termes recouvrent une réalité plus complexe et, surtout, de très nombreuses tribus différentes (des dizaines). Quant aux Celtes s’étant établis en Irlande, ce sont les Gaëls (des sources disent aussi Scotii ; a priori, les autochtones se seraient dits « Gaëls » et les Romains les auraient appelés « Scotii »).

Les quelques expéditions de César (avant JC) n’aboutiront pas à une colonisation en règle. Ce n’est qu’en 43 après JC que les Romains envahissent véritablement l’île (de Bretagne) et y fondent la province de Britannia, qui couvrira la partie sud de l’île, jusqu’au futur mur d’Hadrien (très approximativement la limite entre Ecosse et Angleterre aujourd’hui) : thermes, forums, villes, théâtre, routes, fonctionnaires, pax romana, la totale (même si on n’atteindra jamais en Angleterre le degré de romanisation de la Gaule). Quant à la Calédonie (Caledonia), la partie nord, et malgré plusieurs tentatives et incursions romaines… elle ne sera jamais conquise et ne fera jamais partie de l’Empire romain.

En 122, l’empereur Hadrien vient en Britannia et fait ériger le long mur qui porte son nom pour consolider la frontière avec la Calédonie (les Calédoniens se montrent particulièrement virulents et ne cessent de harceler le nord de la province romaine). Nombre de portions du célèbre mur d’Hadrien demeurent aujourd’hui encore visibles et coïncident avec une bonne partie de la frontière scotto-anglaise en reliant le Firth of Solway et la mer du Nord. Cette fortification de pierre et de tourbe courait sur toute la largueur du nord de l’actuelle Angleterre et marquait le limes (frontière de défense) romain (#TheWall #WinterIsComing – sérieusement ! Regardez bien les cartes géographiques du monde de Games of Thrones, vous comprendrez tout de suite ! La Grande-Bretagne, le continent européen, le Mur… Westeros, le Nord, tout ça… Comparez, vous verrez).

Pendant des siècles, Romains et Calédoniens se défient. Les Romains romanisent les Bretons (au sud du mur), font le tour de l’île en bateau, confirmant par là le caractère insulaire de la Bretagne, envahissent régulièrement le sud et l’est côtier de ce qui deviendra l’Ecosse, harcèlent les Lowlands, tentent d’y établir des camps de marche, des avant-postes et des forts, affinent leur connaissance géographique de l’Ecosse et de ses îles (Orcades, Hébrides), mais ne restent jamais longtemps et finissent toujours par se replier au sud du mur. Quant aux montagnes intérieures de la future Ecosse (les Highlands), les Romains ne s’y aventureront jamais et, d’ailleurs, leur connaissance des lieux reste très approximative, les Romains n’arrivant pas à y pénétrer et devant probablement se contenter d’observations depuis la mer et de témoignages de seconde main).

Finalement, la frontière se stabilise autour du mur (117 km de long) qui marque la limite entre monde romain (les Bretons du sud se romanisent et devienne les Britto-romains, à l’instar des Gallo-romains de Gaule) et monde autochtone (celtique, a priori), au nord.

Mais peu après, l’empereur Antonin décide d’aller à l’encontre de la politique de son prédécesseur (une politique de maintien des positions) et décide de conquérir l’équivalent des Lowlands (Basses-Terres) écossaises : il attaque les tribus situées juste au nord du mur et vers 140 est érigé un second mur, dit d’Antonin, entre le Firth of Forth et le Firth of Clyde, soit un peu au nord du mur d’Hadrien, sur 60 km de large. L’idée est de faire de la zone comprise entre les deux murs une zone-tampon, peuplée de tribus (Damnoniens, Votadines, Novantes, Selgovae) peu à peu subjuguées, permettant de sécuriser le périmètre (les tribus du nord ne cessant d’attaquer le mur d’Hadrien, de le déborder ou de contrecarrer les ambitions romaines en refoulant les envahisseurs vers le sud). Cette zone-tampon correspond aux actuelles Lowlands (Basses-Terres) et Southern Uplands (massif montagneux) du sud de l’Ecosse.

Les tribus des Lowlands (qui auraient formé la confédération des Maètes pour s’unir contre Rome) auraient été ainsi coupées de leurs alliés du nord et imposées. Mais, surtout, cette zone-tampon permettait à Rome d’isoler plus efficacement sa province, Britannia, des rebelles calédoniens, et donc de rendre quasiment impossible toute entrée en contact de sujets éventuellement déloyaux de l’Empire avec les Calédoniens pour fomenter une révolte. Néanmoins, jamais les « Lowlanders » de l’époque n’auront été assimilés par les occupants : point de villes, point d’implantation d’une quelconque population britto-romaine ici : seulement des forts, des légions et un contrôle militaire. Le latin est et demeure une langue étrangère, seulement nécessaire, ici ou là, aux relations avec les troupes romaines, mais les Romains laissèrent nécessairement davantage de traces ici qu’au nord du mur d’Antonin.

Quant au « Grand Nord », il est abandonné aux « Barbares ».

Finalement, le mur d’Antonin est abandonné dès 160, donc très peu de temps après la fin de sa construction, mais les tribus situées juste au nord du mur d’Hadrien, donc entre les deux murs, restent des tribus-tampons.

Malgré nombre d’expéditions militaires au nord des murs (cf. le film Le Roi Arthur avec Clive Owen) et les velléités de divers chefs romains au fil des décennies et des siècles, y compris quatre véritables tentatives de colonisation, la frontière revient toujours du côté du mur d’Hadrien et finit par s’y stabiliser (malgré une brève tentative romaine de réoccupation du mur d’Antonin autour de 197). L’influence romaine sur la culture locale sera donc très limitée et de courte durée : les troupes romaines finiront toujours par revenir stationner au sud du Solway Firth et du mur d’Hadrien.

Il est possible que les coûts nécessaires à une conquête en règle du nord de la Bretagne aient été jugés supérieurs à l’intérêt économique et politique d’y procéder, et que cela ait contribué au désintérêt des Romains pour la région ou, en tout cas, ne les ait pas motivés à s’y consacrer de façon assidue et pérenne : à chaque fois qu’un grand chef progressait, puis était rappelé à Rome pour une raison X ou Y, ses avancées étaient perdues en quelques années à peine.

Pourtant, les Romains auront parfois pénétré loin dans les terres écossaises (presque jusqu’à Inverness en longeant la côte orientale !) et l’Ecosse est alors la région d’Europe qui possède le plus de forts et d’avant-postes romains ! En vain, semble-t-il.

La Calédonie (Caledonia) désigne donc alors, à peu de chose près, les territoires de l’actuelle Ecosse, soit le nord de l’île de Bretagne, toutes les terres situées au-delà des murs, rebelles et non romanisées. Dans la culture gréco-romaine antique, l’Écosse passe alors d’ailleurs pour une région périphérique, sauvage, farouche, indomptable et à l’écart des avancées provenant du monde méditerranéen. Y vit une confédération de peuples insoumis qui mènent la vie dure aux Romains. On ignore toujours si ces premiers habitants de la Grande-Bretagne étaient d’origine proto-celtique ou proto-germanique mais on trouve les racines étymologiques du nom « Calédoniens » (Caledonii en latin), caled- et -one dans nombre d’autres peuples celtes (aussi bien brittoniques que gaulois) de l’époque (Calètes, Ancalites, Ligons, Santons…), mais aussi dans nombre de toponymes, anthroponymes et théonymes (noms de lieux, d’hommes et de dieux) celtiques.

En réalité, et pour rentrer dans le détail, les Caledonii n’auraient été qu’un de ces peuples du Nord (vivant peut-être le long du Loch Ness). Autour d’eux, dans les Highlands et les Lowlands de l’est :

  • les Vacomagi, les Decantae, les Creones, les Carnonacae, les Caereni, les Lugi, les Cornavii, les Smertae, les Epidii etc., (pour les Highlands du centre et du nord),
  • les Taexali, les Venicones (pour les Lowlands de l’est)…

Et, parmi les peuples situés entre les deux murs (=tout le sud de l’Ecosse actuelle, les Lowlands du sud et les Southern Uplands, c’est-à-dire, pour ceux qui connaissent, la zone couvrant le Galloway, le Dumfriesshire, l’Ayrshire, le Lothian, le Berwickshire etc.) : les Otadini (ou Votadini), les Selgovae, les Novantae, les Damnonii… NB : il s’agissait peut-être là de peuples plutôt bretons, comme ceux de la Britannia (donc des Celtes de « seconde vague »).

Petite carte présentant tous ces peuples :

Petite carte présentant les 4 grandes tribus des Lowlands :

On l’a vu, certains auteurs (de l’époque) parlent des « Maètes » comme de l’ensemble de ces peuples du sud de l’Ecosse (les Lowlands du sud, entre le mur d’Hadrien et le mur d’Antonin), et des « Calédoniens » comme de l’ensemble des peuples du nord, rebelles. Quant au terme de « Pictes », il aurait désigné la confédération de tous les peuples du nord et l’est (=donc les Calédoniens au sens large) à partir du IIIe siècle… et jusqu’au Xe siècle, époque où la culture picte fusionnera avec la culture scots (mais j’anticipe). Par le terme de « Pictes » (Pictii), les auteurs latins font référence aux peintures corporelles (peut-être des tatouages) dont se parent nombre de ces tribus, notamment pour combattre. C’est ce terme qui est de plus en plus favorisé à partir de la fin du IIIe siècle et du début du IVe s. ap. JC.

On peut voir dans cette division entre peuples des Lowlands du sud (à moitié soumis et romanisés, et pour certains coopératifs à l’égard des Romains) et peuples des Highlands (farouches et particulièrement belliqueux, au nord du mur d’Antonin), donc entre « confédération maète » et « confédération calédonienne », une des premières causes et origines de l’opposition et l’ « inimitié » traditionnelle entre Highlanders et Lowlanders. Car il faut noter que, même si les tribus des Lowlands du sud, entre les deux murs, n’appartenaient pas à la province de Britannia, et appartenaient donc à la Caledonia « insoumise » et barbare, dans les faits, il y avait tout de même un distinguo entre les « vrais » Calédoniens (au nord du mur d’Antonin) et les peuples plus au sud, situés entre les deux murs, à demi-subjugués, et en contact permanent avec les troupes romaines. Enfin, comme mentionné précédemment, il y pourrait y avoir des différences culturelles entre Maètes-Lowlanders (britons, au même titre que les Britons du sud ?) et les Calédoniens-Highlanders (issus de peuplements plus anciens, pré-celtiques ou pré-germaniques ?).

J’espère que vous me suivez toujours…^^

Dans tous les cas, ces pré-Ecossais, sont décrits par les auteurs comme de purs barbares (ils ne seront pas les seuls, on le sait). Pour l’exemple, voici les propos tenus à leur sujet par Dion Cassius, vers 230 ap. JC, dans son Histoire romaine : « « Il y a en Bretagne deux nations très importantes, les Calédoniens et les Maètes, et c’est à eux que se rapportent les noms, pour ainsi dire de tous les autres peuples. Les Maètes demeurent le long de la muraille qui divise l’île en deux parties, les Calédoniens sont derrière eux ; les uns et les autres habitent sur des montagnes sauvages et arides, ou des plaines désertes et marécageuses, sans murailles, ni villes, ni terres labourées, ne mangeant que de l’herbe, du gibier et du fruit de certains arbres ; car ils ne goûtent jamais de poisson bien qu’ils en aient en quantité innombrable. Ils passent leur vie sous des tentes, sans vêtements et sans chaussures, usant des femmes en commun et élevant tous les enfants qui naissent. » (Histoire Romaine, livre 76, chapitre 12). Bon ; tout ceci est à relativiser, bien sûr…

Source photo – image tirée du film Le Roi Arthur, avec Clive Owen et Keira Knightley

Il est en tout cas probable que tous ces peuples du Nord (les Calédoniens) aient parlé une langue commune (sûrement avec des variantes locales), peut-être appelée « pritennique » à l’Âge de fer, peut-être d’origine celtique, et peut-être l’ancêtre du picte ; tandis que les peuples situés entre les deux murs auraient parlé une langue brittonique (d’où dérivera le cambrien par exemple)…

Néanmoins, plusieurs remarques s’imposent :

  • on ignore la localisation exacte de la frontière sud de la Calédonie, puisque celle-ci aurait oscillé entre le mur d’Hadrien et le mur d’Antonin ; l’appartenance ou non des tribus des Basses-Terres à cette « Calédonie » rebelle est donc ambiguë selon les époques et auteurs (vous l’aurez d’ailleurs sans doute déjà déduit de toutes les explications précédentes)
  • le nom par lequel les Calédoniens (au sens large) se désignaient eux-mêmes est inconnu (Caledonia, Caledonii etc. étant des termes latins)
  • on ignore toujours s’ils étaient bien d’origine préceltique (ou s’ils étaient plutôt d’origine prégermanique… ou si c’était la même chose, d’ailleurs)
  • il est plus que probable que la notion d’un territoire commun ou d’une unité quelconque ait été totalement absente de l’esprit de ces peuples avant les tentatives d’invasion romaines et les nécessaires alliances et coalitions qu’elles provoquèrent (un peu comme en Gaule : la Gaule ne fut qu’une construction politique de César : avant lui, il est bien évident que les 80 peuples, 10 à 15 millions d’habitants et quelque 500 tribus n’avaient absolument pas conscience – ni l’impression, ni rien du tout – de former un ensemble quelconque). Idem pour les « Calédoniens » : l’Ecosse n’était alors peuplée que d’une mosaïque de peuples qui s’affrontaient joyeusement les uns les autres à l’occasion. Ce n’est qu’avec l’arrivée des Romains qu’ils s’unirent (peut-être les Calédoniens d’un côté – au nord – et les Maètes de l’autre – au sud –, si l’on suit le découpage de Dion Cassius) pour résister encore et toujours à l’envahisseur… tout comme les peuples gaulois s’uniront derrière Vercingétorix pour résister à César… et tous les Ecossais pour faire face aux Vikings… mais j’anticipe !

Bref ! Reprenons. Malgré des siècles d’occupation du sud de la Bretagne par les Romains, ceux-ci ne parviendront jamais à conquérir le Nord. Agricola au Ier siècle (sous Titus, autour des années 80), puis Urbicus (sous Antonin, au IIe siècle), puis les Sévères (fin IIe-début IIIe s.), mèneront les plus prometteuses campagnes en territoire calédonien, mais aucune n’aboutira à une installation durable des Romains. On renforce le mur d’Hadrien, on lance des offensives, on érige des forts, on les abandonne, mais toujours l’envahisseur se trouve refoulé au sud (ou bien le départ d’un grand chef pour le continent ruine ses efforts et laisse la place à un homme moins organisé, ou moins intéressé par ces contrées sauvages).

Au IIIe siècle, après la mort de Septime Sévère en 211, plus aucune tentative d’occupation de l’Ecosse ne verra le jour : les incursions romaines se réduisent généralement à « des campagnes de repérage dans la zone tampon entre les deux murs, des contacts commerciaux, des pots-de-vin versés pour acheter des trêves avec les habitants du pays et, plus tard, de campagnes de conversion au christianisme » (rares et peu concluantes, ajouterai-je) (Wikipedia, article « L’Ecosse au temps de l’Empire Romain »)

Voici une carte des campagnes d’Agricola, qui résume assez bien les territoires que les Romains parvinrent à plusieurs reprises à envahir, sans jamais réussir à y rester. On voit bien qu’aucune incursion ne toucha les Highlands et que les Romains ne s’aventurèrent jamais dans les montagnes (ou n’y parvinrent pas).

Et les Pictes, alors, dans tout ça ?

Les Pictes seraient en fait, on l’a dit (et a priori), les descendants des Calédoniens en tant que confédération de tribus vivant au nord du Forth et de la Clyde (= l’équivalent du mur d’Antonin). Encore une fois, « Pictii » aurait été le nom que les Romains donnèrent à ces hommes « peints » ; la manière dont ces différents peuples se nommaient ne nous est pas parvenue, pas plus que leurs rapports avant leur association, ou encore la manière dont la formation de cette union eut lieu, même si la progression et la menace de l’Empire Romain y furent probablement pour quelque chose.

Une petite remarque, à ce stade : nous avons vu que nombre de tribus brittoniques du sud portaient des noms similaires à des peuples du continent (Parisii, Catuvellauni, Atrebates…), renforçant la thèse de migrations celtes du continent vers la Bretagne durant la période de La Tène. Impossible de ne pas souligner ici qu’il existe une autre étrange coïncidence : celle de l’existence d’un peuple gaulois, nommé Pictones, dans l’actuel Poitou. Les Pictes n’auraient-ils, à l’origine, été qu’un autre de ces peuples celtes venus du continent, puis refoulés vers le nord par d’autres peuples, avant de donner leur nom, à l’instar des Caledonii, à toute la confédération du Nord ?…

En effet, certaines sources font des Pictes non pas les simples « successeurs » des Calédoniens au sens large, mais un peuple gaulois bel et bien venu du Poitou (où, on l’a dit, on trouvait alors la tribu celte des Pictes / Pictones / Pictaves…) au début de l’ère chrétienne ; ils seraient arrivés en Irlande (après être passés par l’Espagne du nord, selon ces sources…), auraient traversé l’île sur « conseil » des Gaëls, et auraient gagné le nord de l’île de Bretagne… (en se mélangeant à des peuples autochtones prégermaniques, les fameux Calédoniens ??)… Ils auraient alors fait partie de la « seconde vague » (enfin, d’une des « secondes vagues ») de migration celtique vers la Grande-Bretagne ou l’Irlande, au même titre que d’autres tribus belges et gauloises (qui donneront les Bretons/Brittons). Ils seraient passés par l’Irlande avant de s’installer en Ecosse au Ier siècle après JC, s’adjoignant peut-être à une population beaucoup plus ancienne (prégermanique, préceltique, non indo-européenne… : bref, les fameux Calédoniens d’« origine » auxquels les Pictes se seraient ajoutés tardivement…).

Dans cet esprit, certains pensent que les Pictes auraient été, au début de l’ère chrétienne, l’ensemble des peuples autochtones d’Ecosse issus du Néolithique (=souche préceltique ou prégermanique) dominés par une classe guerrière issue de ces Celtes envahisseurs plus récents (Pictons gaulois tout juste arrivés d’Irlande) ; cette hypothèse semble vraisemblable à beaucoup.

Mais le mystère demeure. Car, finalement, on raconte un peu tout et n’importe quoi au sujet des Pictes… et au sujet de leur langue, le picte (langue issue du pritennique des premiers habitants du Grand Nord…). En effet, pour les uns, le picte aurait été une langue celtique partageant des points communs avec le gallois, le gaulois (je vous renvoie à mon article sur les Celtes) et, finalement les langues brittoniques en général : il se serait donc agi d’une forme de celtique insulaire (plutôt rattachée aux langues brittoniques qu’aux langues gaéliques) ; d’autres cependant lui voient des points communs avec le gaélique écossais (ce qui n’est de toute façon pas absurde puisque les langues gaéliques appartiennent aussi à la grande famille des langues celtiques) ; mais d’autres parlent plutôt d’une langue germanique venue de Scandinavie, qui serait l’ancêtre du scots moderne (langue parlée dans les Lowlands, à l’est et au sud – attention, rien à voir avec le peuple des Scots venus d’Irlande dont on a déjà parlé et dont on reparlera ! Oui, oui, je sais, c’est tordu – voir mon article sur les Scots). Enfin, comme il me semble l’avoir dit plus tôt, certains affirment même que ç’aurait été une langue non indo-européenne… (mystère et boule de gomme, comme dirait l’autre).

Les Pictes et la fin de la présence romaine en Bretagne

En tout état de cause, le terme de « Picte » se serait vraisemblablement peu à peu substitué à celui de « Calédonien » pour désigner les mêmes 12 peuples du Nord (au nord du Firth et du Clyde) lors des deux derniers siècles de la présence romaine en Bretagne, tandis que l’histoire primitive des Pictes, on l’a vu, demeure particulièrement obscure. Ils sont surtout mentionnés dans les sources de la fin de l’occupation romaine en tant que confédération réunissant plus ou moins l’ensemble des peuples de Calédonie. Belliqueux, ils se seraient enhardis au fur et à mesure que l’influence romaine en Bretagne décroissait (dislocation progressive de l’Empire romain, troubles sur le continent, grandes migrations barbares attaquant l’Empire de toutes parts…)

De fait, ce sont les Pictes (donc les Calédoniens, puisque ces termes semblent renvoyer à peu près à la même réalité…) qui, outre-Manche, harcèlent le plus l’Empire (avec les Scots, qui attaquent la Britannia depuis l’Irlande). Non seulement ils refoulent systématiquement les troupes romaines débordant le mur, mais ils font eux-mêmes de plus en plus d’incursions au sud du mur d’Hadrien, donc en Britannia, notamment au cours du IVe siècle (raids menés tant par voie de terre que par voie de mer). A la fin de l’Empire, les Pictes et les Scots sont considérés comme les plus menaçants et les plus barbares de tous les ennemis de l’Empire dans la liste de Vérone !

Finalement, rappelés sur le continent pour défendre des possessions de l’Empire jugées bien plus importantes que la province britannique (comme la Gaule), les Romains quittent définitivement l’île de Bretagne en 410.

Plusieurs raisons sont avancées pour justifier l’échec romain (long de plusieurs siècles !) concernant la Bretagne du nord (surprenant, au premier abord, quand on voit la vitesse et l’intensité avec lesquelles les peuples de la Gaule et de la Bretagne du sud auront été assimilés) :

  • la géographie montagneuse des Highlands
  • un climat austère et froid (donc peu engageant)
  • la (quasi) absence de terres arables et fertiles, de vastes terrains d’élevage, de terres à blé… (faible valeur agricole et faible intérêt économique des lieux)
  • un manque de motivation, en conséquence, résultant en une insuffisance des troupes romaines affectées à ces campagnes : « la conquête des hautes terres de la Caledonia aurait exigé un effort militaire financier disproportionné par rapport à l’intérêt de l’opération » ; « rien qui justifiât, du point de vue des empereurs de Rome, une guerre longue et coûteuse, alors que tant d’autres terrains d’opérations requéraient la présence des troupes sur le Rhin, le Danube et l’Euphrate » – Michel Duchein)
  • le mode de combat picto-calédonien, tenant plus de la guérilla que de la bataille rangée à la romaine
  • le caractère particulièrement rebelle, hostile, farouche et férocement indépendant des Calédoniens
  • l’impossibilité de tenir des sièges (spécialité romaine) comme en Gaule, du fait de l’absence de grandes villes

Au final, l’Ecosse n’aura jamais été sous contrôle romain ; et la présence romaine en Ecosse n’aura duré, en tout et pour tout, que 40 ans (toutes campagnes militaires mises bout à bout).

Les Romains n’auront légué que cinq choses à l’Ecosse, plus ou moins indirectement :

  • leur alphabet pour la mise par écrit des langues locales
  • des vestiges archéologiques, traces de leur passage (forts, camps…)
  • la religion chrétienne (par l’intermédiaire des Lowlands mais aussi de l’Irlande, christianisée avant l’Ecosse, même si l’Irlande n’aura jamais été romanisée non plus – mais ses premiers missionnaires seront des Britto-romains venus de Britannia)
  • finalement, le latin pénètrera lui aussi en Ecosse… par l’intermédiaire de l’Eglise, et des décennies après le départ des Romains ! Il deviendra, et pour des siècles, la langue religieuse et politique de la future Ecosse… sans y avoir jamais été importé ou imposé du temps des grandes invasions romaines !
  • le mur d’Hadrien, dont la ligne définit approximativement aujourd’hui encore la frontière entre Angleterre et Ecosse (même si le mur ne servira plus jamais politiquement ou militairement après le départ des Romains)

William Hanson de conclure : « La présence romaine en Ecosse n’a été rien de plus qu’une suite de brefs interludes dans un ensemble bien plus vaste de développement indigène ». Quant à Michel Duchein, il fait de l’épisode romain en Ecosse « une ride à la surface de la mer »… On peut tout de même ajouter que la conquête romaine aura, d’une certaine façon, contribué à façonner l’Ecosse, en excluant ses populations des limites de son Empire, en construisant ses murs… et en les poussant à se liguer contre Rome. Néanmoins, quelques années à peine après le départ des troupes romaines, il ne reste quasiment rien de leur culture : « les mentalités et les mœurs [des autochtones] restent inchangées » (Michel Duchein).

Source – image tirée du film Centurion
Source – Keira Knightley dans le film Le Roi Arthur opposant Pictes et Romains également

Les Pictes, les Scots et le Haut Moyen-Âge écossais

Avec le départ des Romains, le mode de vie de l’Âge de fer celtique, perturbé par les velléités romaines depuis quelques siècles, mais guère mis à mal, retrouve toute sa vigueur. Les Romains laissent la place à de nouveaux envahisseurs, d’une part les Scots venus d’Irlande, qui conquièrent le sud-ouest écossais, et d’autre part les Angles, les Jutes et les Saxons – peuples germaniques venus du sud du Danemark et du nord de l’Allemagne actuels –, qui envahissent le sud de la Bretagne : le Moyen Âge s’ouvre, des peuples migrent, des royaumes se créent, de nouveaux ensembles se dessinent.

Plus ou moins livrés à eux-mêmes avec le départ des troupes impériales, les Britto-romains du sud (Bretons romanisés) doivent à la fois se gouverner et se défendre contre les peuples du nord et de l’ouest (Pictes et Scots), assez véhéments. Selon certaines traditions historiques, ce seraient eux qui auraient fait appel aux Angles, aux Jutes et aux Saxons pour se défendre. Ces peuples venus du continent seraient néanmoins très vite passés du statut de « sauveurs » à celui d’envahisseurs…

Une autre tradition veut que ces peuples proto-germaniques fassent tout simplement partie (et sans « appel » de la part des Bretons) des peuples « barbares » ayant migré à cette époque (Ve-VIe s.) et contribué à l’effondrement de l’Empire Romain (avec les Goths, les Alamans, les Francs, les Vandales etc).

En tous les cas, une certitude : c’est au Ve s., au moment du (ou juste après le) départ des Romains, que les Anglo-Juto-Saxons débarquent et fondent les 7 royaumes ayant constitué ce qu’on a appelé l’Heptarchie : les Sussex, Essex et Wessex des Saxons, le Kent des Jutes et la Northumbrie, la Mercie et l’Est-Anglie pour les Angles (pour rappel, contexte de mon roman L’amour, la mer, le fer et le sang !^^)

Un système qui perdurera – tant bien que mal, on s’en doute – pendant des siècles.

Les Bretons, ainsi pris entre trois feux (les Pictes au nord, les Scots et autres Celtes irlandais à l’ouest et les tribus germaniques qui déferlent sur les côtes est) :

  • se replient, pour les uns, au nord de l’Angleterre actuelle et dans le sud des Lowlands écossaises pour fonder divers royaumes (royaume d’Alt Clut, royaume de Gododdin, Bernicie brittonique ; puis à leur place le Strathclyde, la Bernicie angle, puis la Northumbrie, une fois la Bernicie rattachée à la Deira située juste au sud…)
  • se replient, pour d’autres, à l’ouest, dans les Cornouailles et le Pays de Galles
  • fuient, pour les derniers, leur « Grande » Bretagne natale, prennent la mer… et se réfugient sur les côtes armoricaines du continent… La nouvelle et « Petite » Bretagne est née…

En Ecosse, le sud-ouest est colonisé au Ve siècle par des Gaëls venus du nord-est de l’Irlande (Ulster) : les Scots. Au tournant du VIe siècle, ils fondent un royaume qui porte le nom de Dalriada et couvre, à son apogée, en 600, le nord-est de l’Irlande et tout le sud-ouest de l’Ecosse puis, bientôt, toute la côte ouest écossaise et l’intégralité des Hébrides intérieures (je mentionne ce royaume scots dans mon roman Pour l’amour d’une Sasunnach, le héros trouvant ces origines dans ces envahisseurs gaëls). Il s’agit donc alors d’un royaume gaël s’étendant de part et d’autre de la mer d’Irlande, comme on le voit sur la carte ci-dessous.

Côté pictes, les anciennes unions destinées à repousser les Romains sont oubliées et des diverses tribus et chefferies, on passe à l’organisation de royaumes. Du Ve au IXe siècle, le « Pictland » ou « Pictavia » (=nord et est de l’Ecosse, l’ouest étant passé aux mains des Gaëls) va évoluer et passer d’une multitude de petits royaumes à une centralisation croissante.

Aux VIe et VIIe siècles, c’est donc une multitude de petits royaumes (avec, parfois, des sous-rois) qui émerge ; ce qui n’est pas le cas chez les Scots, dont le royaume de Dalriada est, en comparaison, très uni autour d’une longue et stable dynastie – ce qui fera peut-être toute leur force le moment venu… (mais patience !)

En fait, l’histoire des royaumes pictes manque cruellement de clarté :

  • certaines sources parlent de deux royaumes, celui des Pictes du Nord et celui des Pictes du Sud
  • d’autres, de 7 royaumes, répartis entre les 7 fils du roi mythique Cruithne, le « père des Pictes » : Cait, Ce, Circinn, Fib, Fidach, Fotla et Fortriu
  • les emplacements de ces divers royaumes sont très discutés
  • d’autres petits royaumes sont parfois mentionnés
  • il aurait aussi existé un royaume picte dans les Orcades
  • certaines sources parlent aussi de 4 royaumes pictes…
  • en raison de la matrilinéarité du système de succession royale des pictes, plusieurs rois des pictes auraient été angles, gaëls, scots, norrois…
  • certains parlent d’une multitude de royaumes pictes, avec un ou deux « sur-rois » plus puissants
  • le royaume de Fortriu aurait été particulièrement puissant, ayant tendance à dominer les autres… mais son emplacement est encore plus disputé que la localisation des autres royaumes ! Selon certains, il aurait été centré autour de Dunkeld et de Scone (près d’Edimbourg) ; selon d’autres, autour de la région de Moray (et donc Inverness) ; selon d’autres encore, il aurait été plutôt au nord-est du pays ; ou encore ailleurs… Voyez plutôt ces diverses cartes (ci-dessous) ! ça reste un sujet fort controversé.
  • selon d’autres sources encore, c’est plutôt le royaume de Fife (ou Fib) qui, autour de Scone, aurait été le plus puissant… Bref ! un joyeux fouillis !

En résumé, quel qu’ait été le nombre exact de royaumes, leurs emplacements et leurs noms, la nation picte n’était pas unie et chaque roi ne gouvernait qu’un nombre restreint de chefferies. Sans doute y eut-il, au fil des siècles, des émergences et des disparitions de royaumes et de dynasties locales, des fusions, des divisions… 

Ce n’est qu’à la fin du VIIe siècle, voire au VIIIe siècle que les Pictes seraient unifiés sous un seul et unique roi ; au VIIIe siècle, le roi picte Oengus I aurait exercé une sorte de suprématie sur l’ensemble des Pictes. Au IXe siècle, il en va de même pour le roi Oengus II.

Quelques cartes pour situer le monde picte par rapport aux autres puissances de l’époque :

Pendant cette période que l’on appelle, en historiographique anglaise, « the Dark Ages » (« l’Âge Sombre », Ve-Xe s.), la Grande-Bretagne n’est donc qu’un ensemble morcelé composé de nombreux royaumes :

  • Le Strathclyde et le Gododdin brittoniques (Bretons d’origine, au niveau des Lowlands – le Gododdin, devenu Bernicie, sera bientôt absorbé par la Northumbrie angle)
  • La Northumbrie, l’Est-Anglie et la Mercie angles
  • Le Sussex, le Wessex, l’Essex saxons
  • Le Kent jute
  • Les royaumes pictes au nord (Ecosse du nord-est)
  • Le Dalriada des Scots venus de l’Ulster (Irlande du nord), au sud-ouest de l’Ecosse

La future Ecosse est plus particulièrement concernée par 4 peuples :

  • les Scots et les Pictes pour les Highlands et les Lowlands de l’est
  • les Bretons/Britons et les Angles pour les Lowlands du sud et les Southern Uplands (Strathclyde et Bernicie-Nortumbrie)

Ces populations s’affrontent, commercent, s’allient, se tapent joyeusement dessus, se vassalisent les unes les autres et entretiennent des relations diplomatiques, selon l’humeur du moment. Les Anglo-Saxons auront bien tenté une percée vers le nord mais, comme les Romains bien avant eux, seront bloqués, puis refoulés dans les Lowlands du sud. Ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de l’alternance entre périodes d’expansion et périodes de repli, entre avancées et reculs, domination et soumission de chacun de ces 4 peuples (sans compter qu’au sein même de chaque peuple, l’unité était loin de régner : multiplicité des royaumes, dissensions claniques, trahisons…)

Petite remarque : pendant ce temps, la religion chrétienne s’est imposée à tous. Les Gaëls d’Irlande sont christianisés les premiers (par l’intermédiaire de missionnaires britto-romains venus de l’ancienne Britannia après avoir traversé la mer d’Irlande). la christianisation de l’Ecosse, elle, commence au Ve siècle avec l’arrivée de saint Colomba, venu d’Irlande, sous la protection du royaume de Dalriada, encore très lié à l’Irlande (il font la très célèbre abbaye d’Iona, près de m’île de Mull, Hébrides intérieures) Les Pictes sont peu à peu christianisés au VIe siècle. Evidemment, la religion chrétienne (encore polyforme à cette époque : Eglise romaine, Eglise colombaine…) coexistera longtemps avec les anciennes pratiques païennes, ce qui aboutira à une forme de synchrétisme celtico-chrétien, puis à une chrétienté tout à fait spécifique (notamment en Irlande). Comme en de très nombreux autres endroits en Europe, l’Eglise a certainement joué un rôle majeur dans l’évolution des Pictes vers la construction d’un royaume unique.

Quand les Vikings débarquent…

Là-dessus, de nouveaux joueurs décident de s’inviter sur ce fragile échiquier. Et pas n’importe quels amateurs, s’il vous plaît ! Des guerriers venus du Nord, qui terrorisent la chrétienté, ravagent toutes les côtes d’Europe et font trembler les moines dans leurs monastères.

J’ai nommé : les Vikings, bien sûr.

Ce sont eux qui – bien indirectement, nous sommes d’accord – auront aidé l’Ecosse – comme bien d’autres : l’Angleterre, la France… – à se transformer en un royaume uni. En effet, la vague viking reste un phénomène qui contribua, peut-être plus que tout autre, à forger la naissance de l’Europe telle que nous la connaissons, ses grands royaumes, ses grands ensembles… Car, paradoxalement, en la bouleversant, en la ravageant, en la déséquilibrant et en la harcelant, les Vikings contribueront à créer certains royaumes/états (comme la future Russie, l’Islande…) et à en faire s’unifier d’autres (comme l’Angleterre) – lire aussi mes nombreux articles sur les Vikings aussi bien danois que norvégien, suédois ou islandais)

Mais vous me direz : en quoi les attaques vikings (surtout danoises, en l’occurrence, mais aussi norvégiennes) ont-elles contribué à faire émerger le royaume d’Ecosse à partir des précédents royaumes pictes et scots ?

Comme ailleurs, à partir de 793 et du sac de Lindisfarne (en réalité, à partir même de 789, à Portland, mais le sac du monastère de Lindisfarne a tellement frappé les esprits qu’il est traditionnellement retenu comme la date marquant le début de l’ère viking) les Vikings pillent et razzient les côtes du Royaume-Uni actuel (Angleterre, Ecosse, Pays de Galles, + l’Irlande), écument ses fleuves, incendient ses villes et détruisent ses monastères et abbayes. Date cruciale pour l’Ecosse : en 795, l’abbaye d’Iona est pillée.

Tandis que les Norvégiens s’en prennent au nord et à l’ouest du Royaume-Uni actuel (Shetland, Orcades, Hébrides intérieures, Hébrides extérieures, nord et ouest de l’Ecosse – Caithness, Galloway, Sutherland –, Irlande), les Danois harcèlent les côtes est et sud de l’île principale (Est-Anglie, Kent, Mercie, Northumbrie, Sussex…). Des régions entières sont conquises (archipels et côtes du nord de l’Ecosse, Est-Anglie, Northumbrie…), d’autres criblées de comptoirs commerciaux (Irlande). Ces grandes invasions vikings sont justement le cadre chronologique de ma 2e romance, L’amour, la mer, le fer et le sang, qui commence en Scandinavie pour se dérouler ensuite sur les côtes d’Est-Anglie, comme mentionné précédemment, et de ma 4e romance, Shaena, qui se déroule en 1214 dans le Caithness (extrême nord de l’Ecosse) et l’archipel des Orcades (alors toujours aux mains des Norvégiens).

En Ecosse, les Pictes (peuple celte d’origine, rappelons-le), résistent vaillamment aux Vikings (venus principalement de Norvège et d’Irlande, une fois les premiers Vikings implantés en Éire) mais ne peuvent s’opposer à leur installation sur les îles et les rivages septentrionaux et occidentaux de leur chère Calédonie. Très vite, les Vikings s’emparent des Hébrides, des Orcades, des Shetland et de toute la côte occidentale de la Calédonie.

Au sud, au niveau des Lowlands actuels, les Vikings (plutôt des Danois) s’emparent aussi de la Northumbrie, qui est intégrée à leur tout nouveau royaume d’York, ainsi que d’une partie du Galloway…

Voir aussi :

… l’Ecosse s’unit

En 839, le roi Eoganan (fils d’Oengus II), à la tête d’une coalition picte et scots, meurt face aux Vikings. Cette bataille est un tel désastre sur le plan humain que certains historiens la compareront à la défaite historique de Jacque IV contre les Anglais à Flodden en 1513, une défaite qui faillit bien avoir pour conséquence de voir le royaume d’Ecosse disparaître…

En 843, Kenneth Mac Alpin, roi des Scots de Dalriada, accède au trône picte et unit Scots et Pictes de l’Est (mais pas les Pictes du royaume de Moray, dans l’extrême-nord) en fondant le royaume d’Alba (aussi dit « Scotia », que je mentionne à de nombreuses reprises dans mon roman Pour l’amour d’une Sasunnach), nom médiéval de l’ancien royaume d’Ecosse (à l’origine, donc avant la fondation de ce royaume, ce terme gaélique d’« Alba » servait à désigner toute la Grande-Bretagne)

Pour de nombreux historiens, cette « union » constitue l’acte de naissance de l’Ecosse (« Alba » étant le nom gaélique de l’« Ecosse » et celui que crie William Wallace, alias Braveheart, alias Mel Gibson, au moment de mourir pour la liberté et l’indépendance de sa patrie, dans le film de 1995…)

A noter : cette union, selon la légende, se serait faite au prix d’une cruelle trahison de la part de Mac Alpin, qui aurait profité de l’affaiblissement des forces pictes face aux Vikings pour lancer un raid contre le Pictland (ou « Pictavia »), puis de sa victoire pour convier les nobles pictes à un banquet diplomatique de négociation à Scone, puis de ce banquet pour les faire assassiner et pour réclamer le royaume picte de Fortriu (qui aurait à cette époque occupé la partie est de l’Ecosse, le royaume de Moray occupant le nord…)

En réalité, la réelle genèse du royaume d’Alba, qui émerge à cette époque, reste inconnue, et la figure de Kenneth Mac Alpin largement indéterminée, voire en partie légendaire… Quant à la fameuse trahison, il s’agirait très vraisemblablement d’un mythe de conquête permettant à la nouvelle élite écossaise d’expliquer sa gaélicisation. Certains pensent que Kenneth aurait tout simplement eu accès au trône picte par le biais de la transmission matrilinéaire de celui-ci, comme d’autres étrangers avant lui. Mac Alpin n’en aurait pas moins transféré les reliques de saint Colomba à Dunkeld (près d’Edimbourg), faisant de cette ville de l’est la capitale de ce nouveau royaume (globalement, le pouvoir sera centré autour de Scone, Stirling et Dunkeld). Mais ce sera Donald II qui, à la fin du IXe siècle, sera le premier à porter véritablement le titre de « roi d’Alba ».

Effet collatéral déplorable : cette union rime très vite avec dissolution de la culture picte (au profit de la culture scots) : officialisation du gaélique (langue des Scots) comme langue de cour, scotisation du Pictland, annihilation de la culture picte… En effet, entre la fin du IXe siècle et la fin du Xe siècle, le terme de « Pictes » disparaît peu à peu, de même que leurs coutumes, héritages, caractéristiques principales… et jusqu’à leur langue, au XIIe s. Des historiens parlent néanmoins davantage d’une acculturation que d’une éradication en règle de la culture picte (même si celle-ci aura été considérablement mise à mal par les invasions vikings, les velléités chrétiennes et la domination scots).

Enfin, entre la fin du Xe et le XIIe siècle, Alba annexe petit à petit :

  • au sud-est de sa frontière, le nord de la Northumbrie (=région du Lothian)
  • au sud-ouest, le Strathclyde des Bretons (dont la moitié sud sera finalement reprise par l’Angleterre un peu plus tard, donc l’Ecosse ne s’empare in fine que de la partie nord du Strathclyde)
  • au nord, le royaume picte de l’extrême nord (Moray)
  • au sud, à nouveau, le Galloway

Au XIe siècle, Scots de l’ouest, Pictes du nord et de l’est, Bretons et Angles des Lowlands (anciens Strathclyde et Northumbrie) ont fusionné dans une monarchie stable. Orcades, Hébrides, Shetland, comtés de Caithness et Sutherland (extrême-nord) restent néanmoins aux Vikings (qui les ont ravis respectivement aux Pictes et aux Scots). Ce n’est qu’au XIIIe siècle que les Ecossais parviennent à récupérer les Hébrides, et au XVe seulement qu’ils récupèreront enfin les Orcades et les Shetland (voir encore une fois, mon roman Shaena).

Du IXe au XIIe siècle donc, le jeune royaume d’Ecosse impose son hégémonie sur la partie nord de l’île de Bretagne ; mais au sud, l’Angleterre s’est aussi formée et constituée. Puissante, elle convoitera très vite l’Ecosse dès la fin du Xe siècle et ne cessera de profiter des guerres civiles et des rivalités séculaires entre clans écossais pour tenter d’étendre son influence et de la tenir sous son emprise. Elle parviendra très vite à lui imposer une forme de vassalité (on en voit les premières traces dès 924 avec Constantin II face à Edward d’Angleterre, puis à la fin du siècle avec Kenneth II face à Edgar d’Angleterre !) ; une vassalité dont l’Ecosse (qui en raison de ces incessantes querelles et dissensions entre tribus et clans celtiques, ne réussira jamais à constituer un grand royaume unifié), ne parviendra jamais totalement à se libérer.

Conclusion :

L’Antiquité et le Haut Moyen-Âge écossais demeurent relativement mal connus, faute de traces écrites autochtones. L’Histoire primitive du nord de la Grande-Bretagne reste donc aujourd’hui encore très largement spéculative et les historiens sont loin de s’accorder en tous points. D’ailleurs, entre les variations orthographiques et lexicales d’un texte à l’autre, les contradictions entre les sources, comment affirmer quoi que ce soit en matière de protohistoire et d’histoire primitive ? On ignore comment la plupart de ces peuples se nommaient eux-mêmes, d’où ils venaient, l’origine de leur langue (faute de vocables suffisants nous étant parvenus pour pouvoir en juger)…

La magie des Pictes-Calédoniens, entre autres, c’est qu’une belle aura de mystère entoure à la fois leur émergence… et leur disparition ! On ne sait toujours pas de quelle origine ils étaient exactement (préceltique ? prégermanique ?), quel était leur degré de « celticité », et pourquoi et comment ils « disparurent » exactement au Xe siècle, hop, pouf, du jour au lendemain ou presque, au profit des Scots (probablement « absorbés » par les Scots et leur culture gaélique, mais tout de même : pourquoi ? comment ? après avoir été le cœur de la Calédonie antique pendant des siècles, les premiers occupants, la majorité du peuplement, comment ont-ils pu à ce point être acculturés ? alors qu’on ne parle même pas de génocide comme pour les Amérindiens ou les Aborigènes ? simple absorption ? simple acculturation ? really ?)

A bien des égards, les Pictes restent donc une énigme (comme bien d’autres peuples de la protohistoire ou de la pré-chrétienté). On n’arrive à déterminer ni leurs origines, ni leur type de langue, ni leur religion… Personne ne comprend leur langue, ni leur écriture, ni le sens des inscriptions qu’ils ont laissées gravées sur leurs stèles symboliques. On ne sait toujours pas avec certitude si leur nom de « Pictii » venait de tatouages ou de simples peintures (une chose semble certaine : leur couleur : bleu-vert – #BraveHeart #LeRoiArthur). Sans compter les innombrables autres détails qui ont contribué à faire émerger à leur sujet toute une mythologie fascinante : le fait que des femmes se seraient battues dans leurs rangs ; qu’ils auraient combattu (à moitié) nus (à l’instar d’autres peuples celtiques) ; que certaines femmes auraient même été chefs de clan ; que les Pictes auraient pratiqué la « communauté de femmes » et copulé en public ; etc.

Comme les Celtes en général, ils tiennent une belle place dans l’imaginaire littéraire, artistique, cinématographique et ludique d’aujourd’hui (BD – Astérix chez les Pictes – jeux vidéos, univers d’héroic-fantasy…)

Fait tout de même très étonnant (et suffisamment intéressant pour le relever) : au IXe siècle, au moment même où Pictes et Scots s’unissent pour former l’Ecosse médiévale, l’Angleterre, morcelée en de nombreux royaumes aussi bien anglo-saxons que scandinaves, est encore loin de l’unité d’aujourd’hui ; l’Empire carolingien est pour sa part divisé en 3 « Francia » (très précisément en 843, avec le traité de Verdun, donc pile au moment de l’union scotto-picte ! mais on est encore très loin de l’Allemagne et de la France actuelles) ; et l’Italie se dissout en de nombreuses principautés… Quant aux royaumes scandinaves, ils ne verront pas le jour avant l’extrême fin du IXe siècle, voire le Xe siècle ! Finalement, l’Ecosse aurait été un des premiers royaumes européens à se former… (phénomène pour lequel les spécificités géographiques et ethniques calédoniennes auront probablement été pour beaucoup).


Source image : https://monriftsamoi.over-blog.com/2016/09/le-mur-d-hadrien-et-les-pictes.html

terxte: (c) Aurélie Depraz

A lire aussi :

Quelques sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A1l_Riata

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_peuples_celtes_de_Grande-Bretagne

http://www.branche-rouge.org/les-articles/tous-les-articles/histoire-et-culture/les-iles-britanniques/pictes-gaels-et-scots

http://svowebmaster.free.fr/Histoire_Pictes2.htm

http://lheritagederagnarr.e-monsite.com/pages/contexte-historique-des-royaumes-pictes-et-scots.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_rois_des_Pictes

https://www.histoiredumonde.net/Pictes.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Bretons_insulaires

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cosse_au_haut_Moyen_%C3%82ge

http://terrescontees.free.fr/evenements/pictes_scots.htm

http://svowebmaster.free.fr/Histoire_Pictes_Ecosse.html

http://svowebmaster.free.fr/Histoire_Pictes.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cosse_au_temps_de_l%27Empire_romain

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