Sans attendre, poursuivons notre petite analyse du Romantisme… (pour retrouver la première partie de cet article, c’est ici).
PARTIE II – LES GRANDS COMBATS ROMANTIQUES
A – Les contestations politiques (et esthétiques…) véhiculées par le Romantisme
• Contre l’Ancien Régime, les contraintes et l’oppression de la liberté :
« La liberté littéraire est la fille de la liberté politique. Ce principe est celui du siècle, et celui qui prévaudra. » écrivait Victor Hugo.
De fait, le Romantisme revendique une liberté totale dans le processus créatif, ainsi que la modernité, en opposition à l’archaïsme et aux carcans antiques classiques.
→ Traduction en termes artistiques et littéraires : « Le romantisme, c’est le libéralisme en littérature » (Hugo, préface d’Hernani). C’est donc clairement une littérature d’opposition à l’Ancien Régime qui émerge et qui se revendique comme telle, une opposition au goût et à la tradition classiques (symboles de l’Ancien Régime). Les Romantiques veulent libérer les genres littéraires de l’écorce rigide qui les enveloppait et les contraignait sous l’Ancien Régime (comme la Révolution a libéré le peuple), libérer les genres littéraires des règles fixées par la tradition, les libérer du carcan académique et classique, à la fois sur le plan formel et dans le contenu. D’où le mélange des registres (notamment comiques et tragiques, sublimes et grotesques, et le rejet :
■ du rationalisme et du (froid) bon sens, de la raison imposant par trop des limites à l’imagination – d’où, a contrario, une imagination débridée, au spectre d’action étendu dans le temps comme dans l’espace, ce à quoi nous reviendrons tout à l’heure plus en détail, dans la troisième partie. On préfère au bon sens, au rationalisme et à la morne existence journalière l’atmosphère romanesque propice aux rêves, l’imagination, le spectaculaire, l’idéal, l’intense, la passion, la sensibilité…
■ de l’impersonnalité, d’où l’émergence du culte du moi, c’est-à-dire la mise en valeur de l’individu, de sa personnalité, de ses sentiments, de ses états d’âme, de ses passions, de ses aspirations personnelles, de sa singularité et de son individualité ; exaltation du Moi, de l’intériorité, de l’intimité de chaque être humain ; expression des souffrances, des douleurs, des sentiments profonds de l’individu. C’est là la source majeure et presque unique de l’inspiration poétique des Romantiques. On préfère le cœur à la raison, les impressions aux argumentations, et la parole de l’intériorité à la glose et à la rhétorique classiques. Rupture avec toute production considérée comme froide, archaïque, incapable de tout exprimer (alors que tout doit être mis dans l’art) et impersonnelle. Fleurissent ainsi les ouvrages écrits à la première personne, mémoires, journaux intimes, confessions, romans épistolaires, romans autobiographiques… Tantôt épanchement élégiaque, tantôt exaltation douloureuse, l’expression du Moi est omniprésente.
■ de la bienséance (qui interdisait par exemple au XVIIe siècle de représenter sur scène la mort, le sang, la vulgarité)… Pour Victor Hugo, TOUT doit pouvoir s’exprimer au théâtre et dans la poésie, tout doit pouvoir être représenté.
■ des règles, des limites, des modèles, des contraintes, des autorités, toutes ces choses encombrantes dont le classicisme a entravé l’expression poétique, bridant et réprimant ainsi tant l’expression des sentiments que les excès de la passion, la part du rêve, l’originalité, la révolte, la laideur, la démesure, l’anormal…
■ de la mesure et de la modération classiques, par l’utilisation d’un langage hyperbolique
A travers cette rupture littéraire et artistique, c’est clairement une rupture politique qui est reflétée, une rupture contre l’ancien, contre le démodé, contre le dépassé (esthétiquement et politiquement parlant). Ce qui ne manquera pas d’attirer les foudres des fervents défenseurs du classicisme, qui n’hésiteront pas à parler de « secte romantique », à l’origine d’un véritable « schisme littéraire » (Auger, de l’Académie française) ; c’était tout bonnement accuser les Romantiques d’hérésie !
A cet égard, la légendaire « bataille d’Hernani » est tout à fait représentative de cette lutte littéraire contre le bastion académique du classicisme et, à travers lui, contre la rigueur de l’Ancien Régime. La condamnation de l’hérésie romantique par le directeur de l’Académie française, Auger, le 24 avril 1824, apparaît alors comme une déclaration de guerre. Cet enjeu politique est d’autant plus mis en avant par le fait que la France est un pays où le politique entretient un rapport spécial avec la littérature, notamment par l’existence d’institutions culturelles d’Etat depuis le XVIIe siècle (L’Académie Française fondée par Richelieu en 1635). Cette bataille esthétique se confond ainsi avec celle de la jeune génération post-révolutionnaire. Tout cette portée politique du Romantisme est justifiée par le fait que le classicisme était étroitement lié à l’idéologie absolutiste. Suite à la bataille d’Hernani, la pièce, sans être en elle-même un grand succès, devint cependant la pièce-étendard du Romantisme, car c’est au cours la fameuse soirée de sa « première » à la Comédie Française que naquit ouvertement une lutte d’influence qui fera finalement gagner le clan romantique.
« (…) la bande à Hugo répandue par petites escouades et facilement reconnaissable à ses ajustements excentriques et à ses airs féroces (…). Il suffisait de jeter les yeux sur ce public pour se convaincre qu’il ne s’agissait pas là d’une représentation ordinaire ; que deux systèmes, deux partis, deux armées, deux civilisations, même, ce n’est pas trop dire, étaient en présence, se haïssant cordialement, comme on se hait dans les haines littéraires, ne demandant que la batille, et prêts à fondre l’un sur l’autre. (…) et il n’était pas difficile de voir que ce jeune homme à longs cheveux trouvait ce monsieur à face bien rasée désastreusement crétin et ne lui cacherait pas longtemps cette opinion particulière », racontera Théophile Gautier dans son Histoire du Romantisme, en faisant le récit exalté de cette soirée devenue mythique de par l’énorme scandale provoqué par la présence agitée et bruyante de tous les jeunes Romantiques aux côtés du chef de file, Victor Hugo.
On assiste donc à une véritable revendication de la liberté de l’esprit créateur. Désormais, l’artiste veut créer selon sa force intérieure qui lui donne le droit de transgresser les normes morales, esthétiques ou rationnelles. L’imagination se libère, refuse tous les carcans et révèle les aspirations, les doutes, les craintes, les rêves de l’humanité. L’artiste est maître de sa création autant qu’il peut l’être de son esprit ou de son âme. A partir de ce principe, aucune barrière, qu’elle soit culturelle, religieuse, politique, normative ou plastique, ne peut imposer de limite à la création. C’est une véritable révolution artistique, un bouleversement de la conception même de l’art. Lamartine écrit à ce sujet : « je n’imitais plus personne, je m’exprimais pour moi-même. » Avec lui et ses Méditations poétiques, le Romantisme se veut détaché de tout contrainte formelle car « aucune loi ne le domine ». La poésie romantique revient à l’étymologie du verbe grec « poiêsis » qui signifie créer : elle consiste dans l’acte de toujours pérenniser « le faire », de toujours pérenniser la création. C’est en ce sens qu’elle s’oppose au classicisme aussi, qui n’est que l’écoute des poètes anciens, qui demeure figé dans son époque, en vrai fossile, qui ne peut apporter aucun renouveau à la littérature du XIXe siècle alors que la « littérature romantique est la seule qui soit susceptible encore d’être perfectionnée, parce qu’ayant ses racines dans notre propre soi, elle est la seule qui puisse croître et se vivifier de nouveau » (Alfred de Vigny), être sans cesse renouvelée, revivifiée, rafraîchie. La multitude d’ingrédients qui compose dès lors les œuvres romantiques fait donc aussi du Romantisme le mouvement de la totalité.
• Contre l’invasion militaire et littéraire de l’Europe par la France (pour les pays étrangers) :
→ Traduction en termes artistiques et littéraires : dans ce cas également, c’est une réaction contre le classicisme qui permet de matérialiser cette réaction, mais cette fois au classicisme en tant qu’incarnation de la domination culturelle française en Europe aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est le point de vue tout particulièrement manifeste en Allemagne et en Grande-Bretagne.
• Contre les mouvements rationalistes et criticistes de la seconde moitié du XVIIIe siècle
= contre le mouvement des Lumières (ou « Aufklärung » en allemand, « The Enlightment » en anglais). Réaction contre la froideur et la neutralité de la raison qui fossilise les sentiments.
• Contre une société industrielle, monétaire et bourgeoise :
Les Romantiques, tout comme leurs héros, ont l’impression de vivre dans une société matérialiste et conformiste, qui refuse la marginalité, l’originalité et les élans du cœur. Le Romantisme devient ici une protestation culturelle contre la civilisation capitaliste moderne au nom de certaines valeurs du passé.
Ce que le Romantisme refuse dans la société industrielle, bourgeoise et moderne, c’est avant tout l’avènement d’un monde entièrement prosaïque, c’est le déclin ou la disparition de la religion, de la magie, de la poésie, du mythe, c’est l’avènement d’un monde à ses yeux entièrement prosaïque, utilitariste et marchand. Le Romantisme proteste contre la mécanisation, la rationalisation abstraite et froide, la réification, la dissolution des liens communautaires et la quantification des rapports sociaux. Cette critique se fait au nom de valeurs sociales, morales ou culturelles prémodernes et constitue, à de multiples égards, une tentative désespérée de réenchantement du monde.
→ Traduction en termes artistiques et littéraires : tous les thèmes magiques, poétiques, humains, en opposition à ce siècle qui semble de plus en plus voué au mercantilisme et à l’utilitarisme, et à l’argent qui semble devenir la nouvelle religion de la monarchie bourgeoise au roi-citoyen. Protestation par le lyrisme.
B – Le romantisme comme base d’une refondation nationaliste en Allemagne
En Allemagne, le Romantisme va être exploité à d’autres fins politico-sociales encore : il va être employé comme vecteur d’une identité culturelle. C’est ainsi que le Romantisme allemand va avoir un sens et une importance historiques, nationaux et politiques plus grands encore qu’en France ou en Grande-Bretagne, en ce sens qu’il va être investi d’une charge supplémentaire : celle de construire une véritable conscience nationale. Dans un pays où il n’y a pas encore d’Etat pour fédérer une population dans un cadre commun, c’est la culture qui doit jouer ce rôle, d’où le sens particulier du mot “Kulturnation” en Allemand. C’est un nationalisme de type culturel qui va se mettre en place : le “nationalisme romantique”. Un nationalisme fondé à la fois sur une hostilité à l’égard de la France napoléonienne et sur la promotion de la langue allemande et la recherche d’une “germanité”. C’est donc moins le penchant individualiste du mouvement qui va s’exprimer en Allemagne qu’un mouvement collectif de confraternité, de renaissance spirituelle communautaire et de reconstruction d’un passé gothique authentiquement allemand (époque de la redécouverte de la culture viking, de la culture celtique, des peuples germaniques etc).
C – L’engagement social et humanitaire des Romantiques
En digne fils de la Révolution, le Romantisme s’attache tout particulièrement à la défense du peuple, à l’expression de ses aspirations et à son engagement pour la liberté. Ex : Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Le dernier jour d’un condamné (Victor Hugo, le plus engagé des Romantiques, qui ne cessera de l’être tout au long du siècle): des ouvrages cherchant à toucher le lecteur, à peindre les aspirations du peuple, la misère, l’injustice qui frappe les indigents… Défense des peuples opprimés au nom de la liberté et préoccupations humanitaristes dominent.
Ainsi, les sujets des œuvres doivent être modernes et avoir une mission sociale : le théâtre romantique a une portée politique, morale ou philosophique, d’où la fréquente censure. La fonction du théâtre n’est plus de distraire mais d’accomplir une mission sociale et humaine.
→ Traduction en termes artistiques et littéraires : le roman social.
Les Misérables de Victor hugo (1862), La Mare au Diable (1846) de George Sand… Il s’agit là de prendre en compte les nouvelles données de la réalité socio-historique de ce demi-siècle. Les écrivains sont engagés et militants, et offrent les prémisses d’une littérature populaire : le peuple entre dans le roman et c’est une réelle nouveauté. George Sand professe le pacifisme, la solidarité des classes ou l’équité dans le partage des terres.
L’écrivain porte ainsi un regard sur les événements historiques de son temps, commente l’histoire qui se déroule sous ses yeux, se fait juge et tire les enseignements de son siècle quant au présent et à l’avenir. Idéaliste, il dénonce les abus de pouvoir, la tyrannie, l’injustice. La notion de « poésie engagée » naît véritablement au XIXe siècle et atteint son apogée avec la publication du recueil Les Châtiments de Victor Hugo, qui fustige la politique de Napoléon III.
D – Les Romantiques, amoureux de l’Histoire
Avec les Romantiques, c’est un vif intérêt pour le passé et l’Histoire qui prend forme, peut-être plus fort que jamais. Besoin de comprendre le présent ? De retrouver des repères ? Des racines ? Des mythes fondateurs ? Des valeurs ? De se détourner d’un présent mal aimé ? D’en dénoncer les vices et les défauts à la lueur de comparaisons avec le passé ?
Une certitude : l’Histoire est à la mode. Cela se traduira, entre autres, par :
- La création du concept de « monument historique »
- Le lancement de grands chantiers de restauration
- La défense du patrimoine
- L’enrichissement des collections des musées
- La création d’une véritable science humaine basée sur la documentation, les archives, l’enquête, les témoignages, l’étude et la maîtrise des langues étrangères et anciennes, la recherche des effets de cause-conséquence, une démarche nouvelle qui se veut scientifique et la plus objective possible…
- L’apparition des premiers véritables « historiens » (souvent écrivains et/ou politiciens par ailleurs) : Jules Michelet, Guizot, Ernest Renan, Adolphe Thiers, Augustin Thierry, Alexis de Tocqueville, Hippolyte Taine…
- En matière d’art, le goût des sujets historiques
- En matière de littérature, un engouement certain pour les drames et les romans historiques
- Le goût pour les récits d’époques et les monuments témoins d’un autre âge
On considère généralement l’Ecossais Walter Scott comme le véritable fondateur du genre du roman historique. A sa suite, nombre d’auteurs de toutes nationalités s’essayeront au roman médiéval, et historique en général. Le Moyen Age et la Renaissance, époques héroïques par excellence aux yeux des Romantiques, sont alors particulièrement prisés, mais on ne dédaigne pas pour autant la période contemporaine (et notamment l’épopée napoléonienne). S’il est particulièrement friand de mythes et de légendes, l’auteur romantique, quelque part, se veut lui aussi créateur de légendes… Et il réussira !
Quelques romans historiques demeurés célèbres : Ivanohé (Walter Scott) ; Les trois mousquetaires (Alexandre Dumas) ; La reine Margot (Alexandre Dumas) ; Cinq-Mars (Alfred de Vigny) ; Notre-Dame de Paris (Victor Hugo), Quatre-vingt-treize (Victor Hugo)… Ce genre connaîtra l’apogée de son succès à partir de la parution de romans sous la forme de feuilletons.
Dans de nombreux pays d’Europe, le peuple prend conscience de son passé, de ses racines, et renoue avec ferveur avec son folklore national. Les auteurs et artistes eux-mêmes cherchent dans les mythologies, les contes, les légendes, les traditions et les récits locaux les ferments d’une identité nationale. C’est, à titre d’exemple, ce que feront (non sans brio) Walter Scott avec le folklore écossais (voir mon article sur sir Walter Scott) et les frères Grimm avec les vieux contes germaniques. C’est à cette époque également que la culture « viking » revient sur le devant de la scène et génère un véritable intérêt parmi les érudits, de même que tout ce qui se rapporte aux Celtes et autres « peuples barbares »…
Sans attendre, poursuivez votre découverte du Romantisme avec la 3e et dernière partie de cette courte étude, consacrée aux grands thèmes et genres de prédilection du Romantisme !
Voir aussi, en rapport avec cet article :
- mon article sur le Classicisme
- mon article sur le Baroque
- mon article sur les Lumières
- mon article sur Walter Scott
Texte: (c) Aurélie Depraz
Tableau : La liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix
Source : pixabay