Littérature, amour & érotisme

Le Romantisme en bref (3/3)

(Pour retrouver la première partie de cet article, « Terreau et origines du Romantisme », c’est ici ; et pour la seconde, « Les Grandes Batailles Romantiques », c’est là !^^)

Sans attendre, attaquons-nous à la troisième et dernière grande section de cet article sur le mouvement romantique.

Partie III – DES FOLLES ESPERANCES… AU TEMPS DES DESILLUSIONS

A – L’envolée lyrique

Outre tous ceux déjà mentionnés au cours des parties précédentes (le Mal du Siècle, l’Histoire, le nationalisme, la Révolution…), voici les plus grands thèmes abordés dans les œuvres romantiques :

Le temps :

Thème abordé sous plusieurs angles:

  • Un engouement certain pour le charme des époques révolues (Lorenzaccio de Musset), la chevalerie chrétienne, l’amour courtois, le Moyen Âge, la Renaissance (Notre-Dame de Paris de Victor Hugo)… C’est au XIXe siècle en effet que plusieurs période de l’Histoire, longtemps oubliées, sont redécouvertes et remises au goût du jour : le Moyen Âge en général, notamment, fera partie de ces périodes de l’Histoire longtemps méprisées, et tout à coup revisitées (on l’a vu : l’art gothique, la civilisation viking, les « invasions » barbares, l’époque des châteaux forts…) C’est aussi à cette époque qu’émergent la « Celtomanie » (=le goût (jusqu’à la passion), encore vivace aujourd’hui, pour les cultures et héritages dits « celtiques ») mais aussi la recherche d’un héritage particulier pour la France : celui des Gaulois, à travers, entre autres, le personnage redécouvert, revisité et bientôt glorifié, de Vercingétorix.
  • Un goût particulier pour la nature et ses différentes saisons, donc la temporalité naturelle : évocation de l’automne, symbole de déclin et du deuil, du printemps, symbole du renouveau, de la mort…
  • Et le temps qui fuit, le temps qui passe, le temps des souvenirs, de la nostalgie, des regrets, de la mélancolie, des remords, de l’enfance et de la mémoire… Le thème de l’éphémère, le goût pour le passé…

Mais l’imagination s’étend également considérablement dans l’espace :

L’étranger, l’exotisme et l’appel du lointain : intérêt pour les pays étrangers, le Nouveau Monde, les pays d’Orient (Les Orientales de Victor Hugo), les pays du Nord (Allemagne), les pays méditerranéens (l’Italie notamment, terre romantique par excellence, caractéristique qui lui vaut, plus que la production artistique de ses ressortissants, faible en termes de Romantisme d’ailleurs, d’être comprise dans les pays dits « de Romantisme », justement), l’Afrique, même… L’Italie sera visitée par de nombreux Romantiques, anglais notamment, mais également par de nombreux voyageurs. Les Romantiques sont en quête de nouveauté, d’émerveillement, d’insolite ; ils ont le goût du voyage, du dépaysement, du pittoresque, des périples, des lieux éloignés et de l’exotisme (ex : poèmes « Parfum exotique » et « Invitation au voyage » de Baudelaire ; Les Orientales de Victor Hugo, Voyage en Orient de Lamartine…). Les Français voyagent de plus en plus ; le développement du rail, de la navigation à vapeur et l’aventure coloniale les jettent littéralement sur les routes du monde. Tous rêvent d’un ailleurs somptueux, voluptueux, exotique, salvateur, consolateur, idéal et apaisant. Leurs voyages les amène à réfléchir sur leur propre civilisation, sur la disparition de certaines valeurs occidentales, sur la relativité des coutumes et des notions morales…

Ce goût pour l’exotisme, les voyages et les mœurs exotiques correspond aussi à un véritable besoin d’évasion, à l’envie d’explorer de nouveaux paysages intérieurs.

La communion avec la nature : c’est un thème d’inspiration et d’interrogations inépuisable. La nature occupe une place prépondérante dans l’imagerie romantique où, contradiction supplémentaire de ce mouvement, elle est représentée de plusieurs façons radicalement différentes, selon l’humeur du poète :

■ tantôt, elle permet à l’individu de se ressourcer, de retrouver l’harmonie du moi avec le monde, de s’apaiser, de se retrouver soi-même, de se sentir en communion avec la nature, d’éprouver même des sentiments primitifs de fusion totale avec l’environnement naturel. C’est le Romantisme des plaines vallonnées, du printemps, de la douceur, des tendres couleurs… C’est la nature consolatrice, la terre mère, le giron de la terre, la nature vue comme refuge, comme berceau, comme complice. La nature se fait alors refuge contre la dureté de la vie.

■ tantôt, c’est la nature du chaos, des tourments, de l’implacabilité du destin, de la fatalité et de la soumission totale de l’homme aux phénomènes et aux cataclysmes naturels ; alors les Romantiques insistent sur le désordre, le mouvement, les paysages tourmentés, chaotiques, fracturés, et mélancoliques : la mer, la montagne, la tempête, l’orage, l’ouragan, les forêts enténébrées, les paysages sauvages… C’est la nature reflet de l’hostilité du monde, de la fatalité du destin et des aléas de la vie. Alors la nature cache (ou révèle!) des forces obscures.

■ La nature peut aussi, par sa splendeur, symboliser la puissance divine, la présence divine au contact de l’homme. C’est le fait des paysage grandioses, immenses, infinis, mystiques. Elle inspire au poète subjugué admiration, foi et piété.

■ Enfin, la nature peut se faire invitation à la méditation, à la philosophie et au stoïcisme : le rythme des saisons invite à réfléchir sur la fuite du temps ; le spectacle des ruines, sur la mort et la vanité… ex : le très célèbre tableau romantique de Caspar David Friedrich : Le voyageur seul au-dessus d’un lit de nuages : le jeune homme en noir se détache au premier plan et semble méditer, seul, face aux forces de la nature. La vue devant lui et le vent dans ses cheveux semblent refléter son esprit tourmenté. Parfaite expression de la solitude, du sublime, de l’impuissance de l’homme face à son destin, de la soumission de l’homme aux forces de la nature, mais aussi de la supériorité intellectuelle et de l’originalité de l’artiste romantique sur ses semblables.

En fait, par ses innombrables nuances et changements, la nature se fait la confidente et le miroir de la sensibilité du poète.

Le lyrisme : l’expression et l’exaltation du « moi », des sentiments personnels, des émotions, des états d’âme. L’épanchement des états d’âme du poète trouve son écho dans l’affectivité du lecteur. Par le « Je » omniprésent, le poète fait de l’écriture une sorte de miroir dans lequel, en se racontant, en se souvenant, en s’exprimant, il s’observe et s’analyse. Même logique en peinture (ex : tableau Le Désespéré de Gustave Courbet : seul face à lui-même, l’artiste observe son visage dans une glace et tente de fixer sur la toile ses traits hallucinés ; cette démarche d’introspection le conduit peu à peu sur les sentiers vertigineux de l’angoisse, comme si le peintre prenait conscience, en s’observant scrupuleusement, à la fois de son écrasante solitude dans la création et de l’immense étendue de sa liberté et de sa puissance créatrice. Intimiste, la littérature romantique recueille les confidences, les expériences, le vécu, les échecs et les déceptions de l’auteur.

Grands sentiments régulièrement mis à l’honneur : mélancolie, espoir, désespoir, enthousiasme, ennui, désillusion, nostalgie, amour (y compris impossible), passion, solitude, vertige du temps qui passe, angoisse, foi, tristesse…

De la Révolution française, le Romantisme a hérité de cette notion centrale, essentielle, presque nouvelle : celle d’« individu » et, avec elle, d’individualité, d’originalité, d’intimité et de singularité de chaque être humain, autant de notions que l’esprit romantique compte bien mettre à l’honneur.

Tout doit donc exploser, jaillir du moi, être excessif et regorger de passion. Être romantique, c’est se montrer profondément humain, donc profondément utopique et profondément sentimental. Le romantique est en quelque sorte un explorateur à la recherche des terres inconnues, où pullulent les sensations et les pulsations nouvelles.

La femme et la beauté : avec l’amour, bien sûr (l’un des derniers refuges possibles, selon certains romantiques), vient l’exaltation romantique des passions, de la beauté féminine, de la femme faite muse… Le personnage féminin, cependant, s’enrichit et se pluralise : on n’hésite pas à représenter également la courtisane, la femme sans cœur, l’ambitieuse… mais aussi (et surtout ?) la femme que l’on a perdue.

La nuit et les rêves : thèmes profondément romantiques (« Les Nuits » de Musset). A défaut de trouver leur satisfaction dans un environnement trop marqué à leur goût par le souci de la réussite matérielle (eh oui, déjà à l’époque…), les Romantiques cherchent refuge dans le rêve, la réminiscence, l’onirisme, le merveilleux et le fantastique, la croyance en des vies antérieures…

En outre, loin d’être un état inférieur à la veille (=conscience), le rêve est l’occasion d’une lucidité plus aiguë et le lieu d’une révélation, d’un voyage vers l’ailleurs, d’une exploration des profondeurs de l’être et du temps, d’une prise de conscience plus aiguë encore (vs la rêverie à la Rousseau, qui n’est qu’abandon). La rêverie est, pour les Romantiques, le moyen d’accéder au monde invisible ; un phénomène presque divin, une porte vers la lumière, vers la connaissance, une ouverture vers les mystères de la vie et du monde, un moyen de se reconnecter à ce langage symbolique, au souffle divin de la création, de comprendre les choses et de redonner du sens à la totalité du monde. Vision, contemplation, le rêve donne, à ce titre, au poète un pouvoir prophétique.

Quant au rêve qui devient cauchemar, il permet de légitimer les extravagances de l’imagination et une certaine complaisance envers l’inspiration macabre.

Nerval, Aloysius Bertrand et Nodier, souvent considérés comme les précurseurs du Symbolisme et même du Surréalisme (on parle parfois de « symbolisme romantique » ou de « surnaturalisme »), manifestent un goût tout particulier pour les facultés créatrices non maîtrisées que recèlent les rêves et les réminiscences (autant de forces irrationnelles de l’âme), pour cette ouverture vers la vie intérieure et les forces secrètes du monde que le sommeil (mais aussi les hallucinations, les fièvres et autres troubles de la perception…) rendent possible… (on voit là clairement les racines du futur Surréalisme). « Caprices des rêves », « fantaisies du poète endormi » (expressions d’Aloisius Bertrand), symbolique des songes, richesse du passage de l’état de veille à l’état de sommeil et vice-versa, tout est bon pour nourrir la création poétique.

Le mystère, le fantastique et le merveilleux : en lien direct avec le thème précédent : le mystère de l’Inconnu, les ombres, les êtres surnaturels, le côté obscur de la chrétienté (avec ses créatures diaboliques) et le fantastique (Les Rayons et les Ombres, de Victor Hugo) ; l’influence du Moyen Âge (fort pourvu en mysticisme et en déviances ésotériques de toutes sortes) et des univers nordiques (en matière de créatures surnaturelles, par exemple) se font fortement ressentir.

Le « Spleen » de Baudelaire : une façon toute personnelle de désigner son propre « Mal du Siècle » ; un état douloureux mêlant la mélancolie, la solitude du moi, le découragement, le dégoût du monde, les tourments, la nostalgie, le souvenir des mille blessures que lui a infligées la vie, une certaine angoisse existentielle, le poids implacable de l’existence, la colère, les regrets, cette profonde dysharmonie de l’être, cette impression d’être usé avant l’âge, ce sentiment de vieillesse précoce, de temps qui passe trop vite, de mort imminente, un ennui profond, une intense détresse de l’homme vaincu par la destinée, une sorte d’étouffement, l’idée d’un bonheur perdu… Le spleen est même, pour Baudelaire, cette tendance qu’a l’homme de descendre vers les Enfers, de se laisser entraîner par Satan, par sa propre animalité, par sa tendance à la mélancolie et à la déchéance (vs l’aspiration à l’idéal et la spiritualité, qui l’élèvent vers Dieu).

L’humanité sous toutes ses formes : enfance et adolescence (âges négligés jusqu’alors, et brusquement perçus comme porteurs d’espoir, comme une promesse, comme l’aube de la vie), la condition humaine, la succession historique des générations, le rapport de l’homme à Dieu, l’évolution de la foi, la fragilité humaine face à l’éternité de la nature et à la toute-puissance divine, l’humanité en marche, la destinée humaine, la politique, la société, la civilisation… Humanitaire, sociale, politique, historique, métaphysique, philosophique, la littérature romantique s’intéresse à l’Homme sous toutes les coutures.

La religion : la spiritualité, la foi ou le mysticisme se font le refuge des âmes tourmentées. La foi fait partie des sentiments fréquemment exaltés.

Le peuple : véritable objet littéraire aux yeux des Romantiques (mais aussi des Réalistes et des Naturalistes après eux), le peuple est mis à l’honneur, en particulier dans les romans. Emeutes, révolutions, révoltes, exode rural, classes laborieuses, conditions de vie du prolétariat urbain et industriel nouveau, monde paysan, peuple des villes, peuple des campagnes, mutations subies par la paysannerie, révoltes des nations opprimées, peuple à guider vers la lumière, peuple acteur ou spectateur de l’Histoire, peuple vu comme le héros collectif de l’épopée moderne, foule révolutionnaire, peuple impuissant face aux événements, insurgés annonçant la germination d’une société nouvelle, misère ouvrière, socialisme, pauvreté, injustices, héroïsme tragique, mines, banlieues, bas-fonds… sont autant d’angles sous lesquels le thème du « peuple » est abordé dans le roman romantique, puis réaliste.

Mais aussi : Paris, Napoléon, l’engagement politique et social (on l’a vu…), la mort, les « paradis artificiels » (drogue, alcool, amours lubriques, vices etc) par lesquels le poète tente d’échapper au « spleen », la vie moderne et ses souffrances, la solitude…

Quant au héros romantique… Prince ou paria, comte ou forçat, dandy ou bossu, le héros romantique reflète la dualité de l’esprit de son temps : il porte en lui à la fois la tristesse infinie de l’homme livré à l’instabilité des choses de ce monde… et la quête enthousiaste de l’absolu. Ironique, mélancolique, cynique, exalté, sensible, lyrique et déchiré tout à la fois, il est représentatif d’une génération, voué à un destin tragique… et tout à l’image de son créateur, dont il partage les tourments, les espoirs, les déceptions et les aspirations. Isolé, solitaire, insatisfait, incapable de s’intégrer à la société, marginal, incompris, mal aimé, persécuté, être d’exception, en quête d’amour et de bonheur mais condamné à l’échec, le héros romantique, pas vraiment exemplaire, se révèle éminemment humain.

B – Les genres de prédilection des Romantiques :

Au théâtre 

Naît le drame romantique. Les préfaces aux pièces théâtrales de l’époque romantique sont en général frappantes par leur longueur : elles contiennent en fait les revendications, les justifications des dramaturges, qui expliquent leurs choix esthétiques. Avant tout, c’est à la dramaturgie classique que s’en prennent les Romantiques : entre autres, ils dénoncent plusieurs règles qui leur paraissent absurdes et démodées (on l’a vu).

La première d’entre elles est la règle des 3 unités de temps, de lieu et d’action : l’intrigue devait se dérouler en 24h, en un lieu unique du début à la fin et se devait de se concentrer sur une seule action.

Une autre règle, celle de la bienséance, consistait à ne pas choquer le public ; il ne fallait donc sur scène ni sang, ni vulgarité, ne pas aller au-delà des limites de la décence etc. Avec le drame romantique : retour des dagues et des épées, ce qui contribuera, entre autres, au scandale d’Hernani.

Toutes ces règles sont perçues comme une entrave à la liberté d’expression et sont donc réductrices. Selon Hugo, le drame romantique est une forme inédite qui se veut être la somme de tous les genres théâtraux, de toutes les époques, tous les lieux, toutes les pensées, tous les registres, du moment que toutes les intrigues secondaires se relient à une intrigue principale. C’est l’aboutissement ultime de la notion de totalité que nous avons vue tout à l’heure en opposition au classicisme. Ex de mélange des registres : le légendaire alliage du « sublime et du grotesque » (Hugo), du beau et du laid, du tragique et du comique. C’est par exemple le sublime de la cathédrale Notre-Dame de Paris abritant le grotesque du personnage de Quasimodo. Pour Hugo, la séparation des genres comiques et tragique ne se justifie pas : le drame doit mêler le grotesque et le sublime car « tout ce qui est dans la nature est dans l’art ». Il faut pouvoir peindre la vie dans toute sa vérité, dans sa totalité, sans filtres, sans censure, sans tabous. C’est également ce qu’il revendique dans la préface de Cromwell.

En somme, l’unité d’ensemble doit suppléer à l’unité d’action.

En poésie

Hymnes, élégies, poèmes épiques, poésie personnelle… C’est tout naturellement la poésie qui se trouve être le genre de prédilection de la jeune génération romantique : « La poésie est le réel absolu. Plus une chose est poétique, plus elle est vraie. », écrit Novalis.

Pour Victor Hugo, le poète romantique doit être un « rêveur sacré », un mage, un voyant, un visionnaire, qui doit déchiffrer les signes, interpréter la vie profonde et les mystères de l’univers, guider le peuple et remplir une mission (civilisatrice, philosophique, voire politique). On trouve là les racines futur mouvement du Symbolisme, mais aussi toute la force du militantisme social des Romantiques.

C’est aussi la vision du poète dans sa tour d’ivoire ; un être marginal, mal aimé, mal compris, isolé des autres hommes, parfois maltraité par eux (« L’Albatros » de Baudelaire). « Je suis seul ; (…) me voilà dans le monde, errant, solitaire au milieu de la foule, qui ne m’est rien. » (Senancour, Oberman). Sentiment d’isolement d’autant plus vif que le poète se sent inadapté à un monde médiocre que commencent à diriger l’industrie et la technologie (nous sommes en pleine Révolution industrielle, rappelons-le).

Enfin, c’est la vision du poète maudit, une expression inventée par Verlaine pour désigner un poète sensible à l’excès, incompris, marginalisé, mal aimé, en grave manque affectif, parfois orphelin, en proie à un intense sentiment de vide, d’incomplétude ou de révolte et à de lourdes difficultés matérielles, un poète malheureux qui a soif d’absolu, qui rejette les valeurs de la société, désapprouve la société bourgeoise, se sent animé d’une force mystique, se conduit de manière provocante, asociale ou autodestructrice (consommation abusive de drogue ou d’alcool), qui n’hésite pas à s’exprimer de manière crue, blasphématoire, libertaire, déréglée et, en général, meurt avant que son génie n’ait été reconnu. Villon, Mallarmé, Verlaine, Rimbaud, Nerval, Baudelaire, Aloysius Bertrand Edgar Allan Poe … seront autant de poètes maudits du XIXe siècle, qui vivront souvent misérablement, avant de mourir jeunes dans des conditions tragiques – folie, suicide, syphilis… (voir la section sur le « Mal du Siècle » de la 2e partie de cette analyse). Souffrance, solitude, culpabilité, hypersensibilité, inquiétude, fébrilité, marginalité, incompréhension, pureté, monstruosité et grandeur sont le lot de ces poètes du XIXe siècle, tant romantiques que symbolistes ou parnassiens.

Les romans :

Sont particulièrement à la mode :

 le roman social (on l’a vu)

 le roman historique (on l’a vu)

 le roman d’éducation : le « Bildungsroman » d’Allemagne + René de Chateaubriand + Wilhem Meister Goethe (1796) + Adolphe de Benjamin Constant.

 le roman autobiographique : dans les années 1800-1820 apparaissent les « romanciers du moi » : les romanciers parlent à la première personne et s’attachent à décrire les émois et les passions de leur héros. Le roman se concentre sur l’évocation du drame intérieur du personnage et se livre à l’analyse et au miroir de son âme. C’est la conscience du héros qui s’exprime. Voilà pourquoi d’ailleurs nombre de romans de l’époque ont pour titre un prénom. Ex : René de Chateaubriand (1802) ; La Confession d’un enfant du siècle de Musset (1836), Adoplhe de Benjamin Constant.

 le roman gothique en Angleterre

L’autobiographie en général

Goût pour les journaux intimes, les mémoires, les récits personnels, les confessions, les romans épistolaires… (ex : Mémoires d’Outre-tombe, Chateaubriand).

La littérature populaire

Grande caractéristique de l’époque (mais aussi du siècle tout entier) : le développement d’une littérature accessible à un vaste public et tirant son inspiration de ce public même. La presse connaît une croissance extraordinaire, l’éducation s’améliore (loi Guizot en 1833), de nombreuses écoles s’ouvrent, l’analphabétisme recule, la littérature développe de nouveaux moyens de se rendre accessible à tous, par l’invention du feuilleton (romans populaires publiés par petits morceaux dans la presse – Dumas en sera un grand pratiquant). Le précurseur de la série ou du roman-feuilleton télévisé modernes, conclus par « la suite au prochain numéro (ou épisode !) ».

Jusque-là, le « peuple » n’avait accès à la lecture que par le biais d’ouvrages diffusés par le colportage ou par celui des prêts consentis par des cabinets de lecture. Les livres demeuraient chers, des produits rares et luxueux, que seules les franges les plus riches de la société pouvaient s’offrir. D’ailleurs, elles seules avaient en général reçu l’éducation nécessaire pour savourer ce produit élitiste.

Mais grâce aux progrès de l’enseignement, à l’invention du roman populaire diffusé par voie de presse, à la montée en puissance de cette dernière et aux baisses régulières des coûts d’impression, la littérature, enfin, devient accessible… à presque tous ! Nous sommes bel et bien en route vers la société moderne… telle que nous la connaissons aujourd’hui.

C – Le temps du désenchantement : le dégoût des hommes et du monde

La monarchie de juillet, comme la Restauration, va s’avérer nulle et stérile en termes de germes porteurs du renouveau républicain tant attendu par les jeunes Romantiques. Très vite, elle va virer vers une monarchie de bourgeois capitalistes qui s’empressent d’oublier les valeurs de liberté et d’égalité qui ont si bien porté leur mouvement de soulèvement contre Charles X et ses tendances absolutistes.

En 1830, en effet, Charles X (au pouvoir depuis 1824), multiplie les signes de remise en question de l’héritage de 1789 et soutient une politique « ultra » qui renoue désagréablement avec les tendances de l’Ancien Régime. Un vaste mouvement d’opposition (bourgeois libéraux, ouvriers, artisans socialistes, étudiants républicains…) se constitue donc contre cette politique et remporte les élections de 1830. Mais, agacé par les attaques croissantes menées contre le régime de la Restauration, le roi dissout la chambre des députés. Bien mal lui prend : de nouvelles élections ont lieu, l’opposition libérale s’en trouve encore renforcée. En réponse, le roi durcit encore le ton et promulgue quatre ordonnances liberticides en juillet, dissout de nouveau l’assemblée et refuse toute évolution vers un système monarchique de type parlementaire. Ce « coup d’Etat » (ainsi est-il perçu) provoque les Trois Glorieuses qui composeront la Révolution de juillet, trois journées d’insurrection qui aboutissent à l’abdication de Charles X et à l’arrivée au pouvoir du duc d’Orléans, à qui la lieutenance générale du royaume est confiée. C’est la fin de la Restauration ; le duc d’Orléans est intronisé sous le nom de Louis-Philippe Ier, « roi des Français ».

Néanmoins, si cette nouvelle Révolution souligne l’échec de la Restauration et de la monarchie traditionnelle, elle en sera également un pour le mouvement républicain : d’une tentative de révolution en règle, on est revenu à un nouvel entre-deux, un nouveau compromis, un « juste milieu » sous un « roi bourgeois » (« roi-citoyen »). Chateaubriand résumera parfaitement l’amertume des jeunes révolutionnaires dans ses Mémoires d’Outre-tombe :

« Quoi, l’Europe bouleversée, les trônes croulant les uns sur les autres, les générations précipitées à la fosse le glaive dans le sein, le monde en travail pendant un demi-siècle, tout cela pour enfanter la quasi-légitimité ! On concevrait une grande république émergeant de ce cataclysme social. (…) La liberté n’est nulle part ; devenue l’objet de la dérision de ceux qui en faisaient leur cri de ralliement, cette liberté, étranglée (…) transformera par son anéantissement la Révolution de 1830 en une cynique duperie ».

Face à la désillusion politique qui accompagne les premières années de la monarchie de juillet (l’enterrement de l’idéal républicain dès les premières années du régime, qu’on surnommera en conséquence la « révolution confisquée »), certains jeunes auteurs multiplient les signes de révolte, de protestation et de désenchantement sur une tonalité à laquelle Balzac, dès 1831, donnera le nom d’ « école du désenchantement ». Les jeunes Romantiques prennent conscience de la stérilité de la situation et des impasses de l’Histoire.

Le jeune Nerval, ardent républicain qui avait célébré avec enthousiasme la Révolution de 1830, est violemment frappé par l’enfouissement de son idéal après la Révolution qui semble avoir accouché d’un régime de notables bourgeois, plus soucieux de faire fructifier leurs intérêts dans la société industrielle qui s’est mise en place que d’œuvrer à l’épanouissement de l’idée républicaine. Nerval exprime un profond dégoût pour la politique, « cette prostituée de tous les trônes absolus ».

Gautier, lui, affecte dans ses écrits du début de la monarchie de juillet une indifférence véhémente envers les agitations politiques et historiques du moment. Son détachement, son nihilisme traduisent également cette fracture entre l’artiste et le siècle. Néanmoins, certains extraits de son œuvre trahissent son véritable sentiment :

« Ô monde, que m’as-tu fait pour que je te haïsse ainsi ? […] qu’attendais-je donc de toi pour te conserver tant de rancœur de m’avoir trompé ? à quelle haute espérance as-tu menti ? quelles ailes d’aiglon as-tu coupées ? Quelles portes devais-tu ouvrir et qui sont restées fermées ? […] – je ne sens plus, à entendre le récit des actions héroïques, ces sublimes frémissements qui me couraient autrefois de la tête aux pieds. Aucun accent n’est assez profond pour mordre les fibres tendues de mon cœur et les faire vibrer… » Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin, 1835.

Hugo lui-même, avec les Chants du crépuscule (1835), laisse apparaître les couleurs sombres du doute et les traces des désillusions, à la fois politiques et spirituelles.

Musset, enfin, exprimait dans son poème « Les vœux Stériles » cette conscience de la vanité, de l’inutilité des engagements dans l’artiste dans une société qui prostitue les idéaux et les travestit en intérêts.

Peu à peu, cette génération déchantée oppose aux grands rêves humanistes d’un premier Romantisme utopique et triomphant la conscience aiguë, perçante et perspicace des impasses de l’Histoire post-révolutionnaire. Conscience des apories du siècle. Dans la Confession d’un enfant du siècle (1836), Musset parlait de « désespérance » ; « De même que ce soldat à qui l’on demanda jadis : A quoi crois-tu ? et qui le premier répondit : A moi ; ainsi la jeunesse de France, entendant cette question, répondit la première : A rien ». « Dès lors il se forma deux camps : d’une part, les esprits exaltés, souffrants, toutes les âmes expansives qui ont besoin de l’infini plièrent la tête en pleurant ; ils s’enveloppèrent de rêves maladifs, et l’on ne vit plus que de frêles roseaux sur un océan d’amertume. D’autre part, les hommes de chair restèrent debout, inflexibles, […] et il ne leur prit d’autre souci que de compter l’argent qu’ils avaient. »

Le Romantisme désenchanté, c’est donc la cristallisation dans l’art et la littérature de ce malaise, de cette profonde et maladive déception, de cette désorientation, de cette profonde détresse; la sensation des poètes et auteurs romantiques d’être coupés dans leur élan, de s’être fait couper leur ailes, de tomber à pic (épreuve du non-sens de l’existence).

D – L’automne du Romantisme

Sous la monarchie de juillet, les conditions de production et l’air du temps changent donc et les écoles du Classicisme tendent à reprendre le dessus, tandis que le Romantisme s’abîme au théâtre où les pièces d’Hugo sont mal reçues (même si leur auteur est reçu à l’Académie Française en 1841). On a coutume de dater de 1843 le renversement de situation : alors que les Burgraves d’Hugo sont un échec, François Ponsard, représentant du théâtre classique et de l’ « école du bon sens », triomphe avec Lucrèce.

CONCLUSION GENERALE

Même si le rejet du Classicisme et des Lumières, la Révolution française, le souffle révolutionnaire de 1789-1815 ayant porté Napoléon au pouvoir, les conquêtes napoléoniennes puis l’instabilité du pouvoir en France n’expliquent pas tout, notamment à l’échelle européenne, la conjonction des événements géopolitiques français (et notamment sa domination militaire sous Napoléon) auront engendré des changements de mentalité considérables partout en Europe, changements porteurs de ce produit nouveau de l’époque que sera le Romantisme. Un mouvement qui se doit donc d’être apprécié dans toute son épaisseur historique, politique et sociale.

Le Romantisme peut ainsi être compris comme la lutte de la jeune génération post-napoléonienne des années 20 qui cherche à s’imposer et à imposer à la fois ses rêves et ses valeurs aux générations précédentes, livrant ainsi une lutte à la fois politique, littéraire, esthétique et générationnelle à tout ce qui s’oppose à sa sensibilité profondément humaine. Un mouvement cosmopolite, aussi bien allemand, anglais, espagnol, italien que français.

Notons par ailleurs que si le Romantisme est évidemment visible et lisible pour tout contemporain « lettré » et cultivé de cette période, il ne fut pas nécessairement vu, et encore moins lu par tous. Ainsi la visibilité rétrospective incontestable du Romantisme ne doit-elle pas cacher « les structures mentales profondes de la société française moderne (de l’époque moderne) […] profondément marquées par le classicisme du XVIIe siècle […] et les Lumières du siècle suivant. » (Lyons). Ainsi, les best-sellers de cette première moitié de siècle sont toujours les chefs-d’œuvre de l’époque classique, comme les Fables de La Fontaine.

Aux règles, à la composition logique, à l’objectivité, à la raison, aux héros blancs et noirs (les bons, les méchants… = un découpage à forte valeur morale) et aux velléités universelles du Classicisme français et du mouvement des Lumières, les Romantiques préfères le hasard et la liberté de l’imagination créatrice, la spontanéité, l’originalité, la subjectivité, l’individualité, les sentiments, les héros profondément humains, à la fois subjectifs, déçus et déchirés, le lyrisme et l’unique.

Un courant donc contradictoire, qui se veut l’expression du libéralisme (valeur moderne) en littérature, mais qui refuse le capitalisme (autre forme de modernité), et qui refuse l’Ancien Régime (et ses principes classiques) mais ne cesse d’exprimer sa nostalgie du passé… ! D’où, peut-être, l’appellation allemande du Romantisme : « Sturm and Drang », mot à mot « orage et assaut ».

« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux
Et j’en connais d’immortels qui sont de purs sanglots »
Musset, La Nuit de Mai

Exigeant, contradictoire, contestataire, tantôt aristocratique et ultraroyaliste, tantôt libéral et plébéien, en tout cas pluriel et multiple, passionné dans le bonheur comme dans le malheur, l’esprit romantique demeure marqué par la recherche du bonheur, une énergie passionnée, une exigence de vérité, de liberté et de plénitude, mais aussi l’insatisfaction, l’espoir, la déception, la quête d’un épanouissement individuel, la méditation poétique, le désir de voyage, le rêve, la communion avec la nature, l’incertitude de l’avenir, l’inquiétude, la fébrilité, l’ambition, la désillusion, un esprit de défi et de révolte.

Mais, près les désillusions de 1830 puis de 1848, le Romantisme ne peut plus régner ; en réaction vont émerger plusieurs autres mouvements bien connus : le réalisme et le naturalisme, en matière romanesque… et le Parnasse et le symbolisme, en matière poétique.

Quelques œuvres :

  • Poésies, Musset
  • Contes d’Espagne et d’Italie, Musset
  • Lorenzaccio, Musset
  • On ne badine pas avec l’amour, Musset
  • Les Caprices de Marianne, Musset
  • La Confession d’un enfant du siècle, Musset
  • Les Nuits, Musset
  • Aurélia, Nerval
  • Chimères, Nerval
  • Odelettes, Nerval
  • Les Filles du Feu, Nerval
  • Le Voyage en Orient, Nerval
  • Ruy Blas, Victor Hugo
  • Préface de Cromwell, Victor Hugo
  • Cromwell, Hugo
  • Cinq-Mars, Alfred de Vigny
  • Les Rayons et les Ombres, Victor Hugo
  • Les Orientales, Victor Hugo
  • Les Contemplations, Victor Hugo
  • Les Châtiments, Victor Hugo
  • Notre-Dame de Paris, Victor Hugo
  • Les Misérables, Victor Hugo
  • Hernani, Victor Hugo
  • Lucrèce Borgia, Victor Hugo
  • Quatre-vingt-treize, Victor Hugo
  • La Légende des siècles, Victor Hugo
  • Jocelyn, Lamartine
  • Méditations poétiques, Lamartine
  • Les Harmonies, Lamartine
  • Préface de Mademoiselle de Maupin, Théophile Gautier
  • Le Comte de Monte-Cristo, Alexandre Dumas
  • Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas
  • La Reine Margot, Alexandre Dumas
  • La Mare au diable, George Sand
  • La Petite Fadette, George Sand
  • Les Destinées, Alfred de Vigny
  • Le Route et le Noir, Stendhal (romantique, mais aussi précurseur du Réalisme)
  • La Chartreuse de Parme, Stendhal (idem)
  • Racine et Shakespeare, Stendhal
  • Gaspard de la nuit, Aloysius Bertrand

Œuvres de quelques précurseurs et des tout premiers romantiques :

  • Adolphe, Benjamin Constant
  • Oberman, Senancour
  • Mémoires d’Outre-tombe, Chateaubriand
  • Les Confessions, J-J. Rousseau
  • De la Littérature, Mme de Staël
  • De l’Allemagne, Mme de Staël
  • Delphine, Mme de Staël
  • Corinne, Mme de Staël
  • René, Chateaubriand
  • Atala, Chateaubriand
  • Essais sur les Révolutions, Chateaubriand
  • Voyage en Amérique, Chateaubriand

Grands artistes :

En peinture (Français et Européens) : Delacroix, Géricault, Caspar David Friedrich, Courbet, Gros, Blake, Constable, Turner

En musique : Schubert, Schumann, Beethoven, Berlioz, Liszt, Wagner, Chopin, Verdi, Weber, Brahms…

Grands auteurs :

Français : Victor Hugo, Gérard de Nerval, Alfred de Musset, Alphonse de Lamartine, Théophile Gautier, Alfred de Vigny, Alexandre Dumas, George Sand (pseudonyme d’Aurore Dupin), Saint-Simon, Sainte-Beuve (critique littéraire), Charles Nodier

Historiens : Michelet, Guizot, Thierry…

Européens : Goethe, Heine, Schiller, sir Walter Scott, Wordsworth, Coleridge, Byron, Keats, Shelley, Novalis, Tieck, Hölderlin, Schlegel, les frères Grimm, Hoffmann, Richter, Blake

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Texte : (c) Aurélie Depraz
Tableau : « Le Voyageur contemplant une mer de nuages », Caspar David Friedrich, 1818. © Wikimedia Commons Huile sur toile, 94,8 × 74,8 cm, Kunsthalle, Hambourg.
Source : https://www.caminteresse.fr/culture/le-secrets-caches-du-tableau-le-voyageur-contemplant-une-mer-de-nuages-de-friedrich-11131088/