Littérature, amour & érotisme

Le Romantisme en bref (1/3)

INTRODUCTION

Après des mois de digressions, de publications prioritaires et d’articles plus divers, je crois qu’il est grand temps de reprendre (et de boucler !) ma Petite Histoire de la Littérature française, commencée il y a déjà plusieurs mois.

Pour rappel, nous avions alors passé en revue les grands mouvements littéraires (français et européens) des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles : l’Humanisme, la Pléiade, le Baroque, le Classicisme et Les Lumières (voir la section Littérature, amour et érotisme de ce blog). Il est temps à présent de nous attaquer aux grands (et fort nombreux !) mouvements du XIXe siècle : le Romantisme tout d’abord (mon petit chouchou, vous vous en doutez je pense – au vu des grandes thématiques de ce blog et de mes romans…^^ -, ce qui lui conférera un petit traitement de faveur en… pas moins de 3 parties !), puis:

  • le Réalisme, le Naturalisme et le Fantastique d’une part (avec pour genres de prédilection : le roman et la nouvelle)
  • et le Symbolisme et le Parnasse d’autre part (avec pour genre de prédilection : la poésie)
  • Et ensuite seulement, les 3 grands mouvements du XXe siècle, des années 1900 à 1970 : le Surréalisme, l’Absurde et le Nouveau Roman.

Autant de grands courants, rappelons-le, au programme du bac de français (cela peut toujours servir !^^)

Aujourd’hui, petit zoom, donc, sur le Romantisme…

A l’instar du Baroque, le Romantisme puise ses racines dans un contexte douloureux, au tournant d’un siècle. En effet, si le Baroque trouvait ses origines dans le contexte tragique des guerres de religion de la fin du XVIe siècle, pour commencer à y émerger et fleurir finalement au cours des premières décennies du XVIIe siècle, le Romantisme français trouve les siennes au cœur de la Révolution française.

Il connaît ses premiers précurseurs à la toute fin du XVIIIe siècle et au tournant du XIXe (André Chénier, J-J. Rousseau – le premier à véritablement écrire sur soi avec Les Confessions –, Chateaubriand – le premier à inventer un personnage romantique –, Benjamin Constant, Etienne de Senancour et Mme de Staël – qui introduit en France les idées du Romantisme allemand –) et, influencé par les tendances littéraires et artistiques germaniques et anglaises, explose littéralement au cours de la première moitié du XIXe siècle, pour connaître son apogée au cours des années 1820, 1830 et 1840.

Véritable vision du monde qui traverse tous les domaines de la culture et de la société, le Romantisme s’ancre dans des réalités et un contexte historique précis, celui des Révolutions (politiques et industrielles), des premiers remous républicains et syndicalistes et des grands empires coloniaux européens…

Nous nous attarderons dans cette première partie sur l’analyse de cet enracinement du Romantisme dans un terreau d’agitation, de tourments, de grands changements et d’aspirations nouvelles ; dans une seconde, nous étudierons plus en profondeur les grands combats romantiques et, dans une troisième, les grands genres, les modes d’expression et les grands thèmes privilégiés par les Romantiques.

Nous étudierons donc en particulier dans ces trois articles ce à quoi le contexte politico-économico-social des années 1789-1840 aura poussé les jeunes générations à aspirer, à quoi ce tout nouveau mouvement servait de réaction… sans insister outre mesure sur les nuances entre les vogues romantiques des différents pays européens touchés par ce phénomène (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie…) ni sur les prémisses du Romantisme au XVIIIe siècle, afin de nous concentrer sur ce programme (un peu ambitieux de ma part, certes !^^) que sont le terreau du Romantisme, ses combats majeurs et sa quintessence : en bref, les principaux enjeux du Romantisme… à l’échelle européenne (et surtout française, bien sûr).

Je m’efforcerai pour ce de montrer les impacts et reflets du contexte socio-politique et des grands débats esthétiques de l’époque sur la littérature, afin de voir comment les conditions de production et le climat politique instable de l’époque se sont traduits en termes artistiques et littéraires.

PARTIE I – TERREAU ET ORIGINES

A – “Le XIXe siècle a une mère auguste, la Révolution française. Il a ce sang énorme dans les veines” (Victor Hugo).

Selon Victor Hugo, toute la littérature du XIXe siècle, et en particulier le mouvement romantique (dont il fut en quelque sorte le chef de file), découle du mouvement révolutionnaire, se pense et se construit à partir de cette fracture, perçue à la fois comme légende et comme mémoire, comme énigme et comme point de départ. Dans William Shakespeare, « Le dix-neuvième siècle » (1864), Hugo consacre avec véhémence cette filiation :

« … avouons notre gloire, nous sommes révolutionnaires. Les penseurs de ce temps, les poètes, les écrivains, les historiens, les orateurs, les philosophes, tous, tous, tous, dérivent de la Révolution française. Ils viennent d’elle et d’elle seule. De 89 est sortie la Délivrance, et de 93 la Victoire. 89 et 93 ; les hommes du XIXe siècle sortent de là. C’est là leur père et leur mère. Ne leur cherchez pas d’autre filiation, d’autre inspiration, d’autre insufflation, d’autre origine. Ils sont les démocrates de l’idée, successeurs des démocrates de l’action. Ils sont les émancipateurs. L’idée Liberté s’est penchée sur leur berceaux. Ils ont tous sucé cette grande mamelle ; ils ont tous ce lait dans les entrailles, de cette moelle dans les os, de cette sève dans la volonté, de cette révolte dans la raison, de cette flamme dans l’intelligence. […] Les écrivains et les poètes du XIXe siècle ont cette admirable fortune de sortir d’une genèse, d’arriver après une fin de monde, d’accompagner une réapparition de lumière, d’être les organes d’un recommencement. »

En effet, en véritable tempête, la Révolution française de 1789 a chamboulé l’Occident et fracturé l’équilibre européen ainsi que toutes les certitudes de l’époque moderne. Par la suite, elle va donc, en toute logique, occuper une place considérable dans les discours et les œuvres, et s’ériger en mythe des origines. C’est à travers elle que le monde nouveau auquel elle a donné naissance va essayer de reconstruire son identité, de se renouveler, de se réinventer. Elle va devenir la matrice, la source des révolutions politiques, sociales, esthétiques et littéraires qui s’accomplissent tout au long du siècle, par le formidable branle-bas de combat qu’elle aura soulevé, la Terreur et les guerres napoléoniennes, autant d’évènements, rappelons-le, qui marqueront l’Europe entière, voire le monde bien au-delà des océans (ex : l’Amérique du Sud).

Quant à l’état d’esprit romantique, en matière d’art et de littérature, il s’avèrera, de ce fait, éminemment contestataire : dès le début du XIXe siècle, il interroge le présent et récuse tout état social et moral annihilant les ambitions et contraignant l’imagination : à ce titre, les anciennes règles classiques, on s’en doute, se retrouveront très vite vivement contestées… C’est une nouvelle querelle des Modernes (Romantiques) et des Anciens (de l’Académie) qui s’ouvre… (nous y reviendrons).

B – Les aléas de la vie politique en France et en Europe dans le premier tiers du siècle

Après les incertitudes et le déséquilibre hérités de la période 1789-1815 (marquée par la Révolution, la Terreur et la flambée napoléonienne), la Restauration donne à toute une génération le sentiment d’un monde bloqué, incapable d’avancer, d’une société vieille et racornie, incapable de fédérer les jeunes énergies, de progresser et de donner foi en l’avenir.

C’est donc un monde instable et fortement perturbé qui va voir éclore le mouvement romantique. La Grande-Bretagne même, malgré son insularité (qui lui aura valu d’échapper aux invasions napoléoniennes), n’échappera pas aux impacts de ces temps troublés.

D’abord bercée par l’épopée napoléonienne puis terrassée par la vacuité et la stérilité, les impasses et la vanité du présent, la jeune génération va trouver dans la tendance romantique qui émerge alors un écho à la mélancolie et aux angoisses qui l’assaillent. C’est donc cette révélation, la découverte et l’inauguration de ce mouvement nouveau en adéquation avec les aspirations du moment qui vont séduire un public désireux, lui aussi, d’épancher son âme, et qui va trouver dans ces œuvres l’écho de ses propres déchirements et de ses aspirations personnelles. Ceux qui réclamaient de nouvelles formes artistiques ont enfin une réponse, et la jeune génération un miroir.

C – « Alors il s’assit sur le monde en ruine une jeunesse soucieuse »

(Musset, La Confession d’un enfant du siècle, 1836)

C’est Musset qui, le mieux, va dresser le portrait moral et émotionnel de cette génération dans son roman autographique La Confession d’un enfant du siècle (1836). Il va dévoiler les causes historiques aussi bien que les symptômes physiques de ce que l’on a, depuis, appelé le « Mal du siècle », un état d’insatisfaction, d’incertitude fébrile et d’anxiété diffuse, une sorte de « vague à l’âme », une alternance entre chagrin et enthousiasme, mélancolie et exaltation, inquiétude et angoisse, indécision et nostalgie, ennui et insatisfaction, désir et déception, solitude et désespoir, un languissement, une soif d’absolu, bref, un véritable malaise existentiel né du décalage entre les aspirations, les espoirs et les attentes des jeunes générations romantiques… et la réalité historique.

« Trois éléments partageaient donc la vie qui s’offrait alors aux jeunes gens : derrière eux un passé à jamais détruit s’agitant encore sur ses ruines, avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme ; devant eux l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir ; et entre ces deux mondes… quelque chose de semblable à l’Océan qui sépare le vieux continent de la jeune Amérique, je ne sais quoi de vague et de flottant, une mer houleuse et pleine de naufrages, traversée de temps en temps par quelque voile lointaine ou par quelque navire soufflant une lourde vapeur ; le siècle présent, en un mot, qui sépare le passé de l’avenir, qui n’est ni l’un ni l’autre et qui ressemble à tous deux à la fois, et l’on ne sait, à chaque pas que l’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris. Voilà dans quel chaos il fallut choisir alors ; voilà ce qui se présentait à des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution. […] Il leur restait donc le présent, l’esprit du siècle, ange du crépuscule, qui n’est ni la nuit ni le jour ; ils le trouvèrent assis sur un sac de chaux plein d’ossements, serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant d’un froid terrible. L’angoisse de la mort leur entra dans l’âme à la vue de ce spectre moitié momie, moitié fœtus. » La Confession d’un enfant du siècle, 1836.

Ainsi, c’est une génération perdue, errante, dépouillée des repères des sociétés de l’Ancien Régime et encore en quête de nouveaux points d’attache qui médite sur les ruines d’un monde qui a vécu et qui condamne la société nouvelle qui en est née, inauthentique, décevante, corrompue. C’est une jeunesse tourmentée, perturbée, insatisfaite, déboussolée, sans repères, qui ne sait au juste ce à quoi elle tend, et sait d’ailleurs à peine à quoi elle peut aspirer : il semble lui être interdit de pouvoir croire en quoi que ce soit, tous ses espoirs se sont avérés vains, toutes ses illusions se sont envolées, les perspectives glorieuses n’existent plus (Restauration = désenchantement total) : tout ce qui est proposé aux jeunes générations est de vivre dans l’ombre des héros révolutionnaires et napoléoniens, sous ces régimes médiocres et ô combien décevants que seront la Restauration et la Monarchie de Juillet, percées de « Révolutions » stériles.

Bien souvent, cela rime avec un retrait de la sphère sociale, un exil volontaire, un refus des responsabilités. C’est l’éternel rengaine : « Je suis venu trop tard dans un monde trop vieux. » Les espoirs nés avec la Révolution se sont écroulés avec la Terreur puis l’échec du règne et des guerres napoléoniennes, et enfin avec la Restauration des Bourbons, de la monarchie et de l’Eglise ; la négation et la perte des valeurs considérées depuis des siècles comme indiscutables créent un malaise profond, faisant alterner exaltation enthousiaste de l’âme et repli douloureux sur soi, espoir et pessimisme, euphorie et désillusion. Le Moi cherche sa place, son sens, sa mission, son équilibre dans ce monde en mutation ; il s’interroge sur lui, mais également sur l’humanité toute entière, sur la condition humaine, sur sa propre destinée et celle de l’Homme en général. L’incertitude du moment présent, la perte des repères traditionnels, une nouvelle ère angoissante, tout contribue à renforcer ce « Mal du siècle » émergeant.

Un tourment, un mal-être bien illustrés par cet extrait du « Childe Harold » de l’Anglais Lord Byron (1812-1816) :

« Ciel, montagne, rivière, vents, lac, éclairs, vous tous,
Et aussi la nuit, et les nuages, et le tonnerre, et l’âme
Qui fait que ces choses sentent et qu’on sent, pouvez bien être
Des objets qui m’ont tenu éveillé : le roulement lointain
De vos voix expirantes est le glas
De ce qui en moi ne dort pas, si jamais je repose.
Mais où donc, ô tempêtes, où donc est votre terme ?
Etes-vous pareilles à celles qui agitent le cœur de l’homme,
Ou trouvez-vous enfin, comme les aigles, quelque nid sur les hauteurs ? »

Pèlerinage de Childe Harold, 1812-1816.

D – Un mal-être systématique aux répercussions notoires sur la vie de nombreux Romantiques…

Le « Mal du Siècle » se manifeste sous de très nombreuses formes et marque particulièrement la vie de certains célèbres Romantiques…

■ le suicide, forme extrême de la mélancolie, est dit « à la mode » chez la jeune génération.

■ les Romantiques anglais de la seconde génération, Keats, Shelley et Byron, meurent jeunes et de façon tragique : Keats meurt seul de la tuberculose à Rome à 26 ans ; Byron, de la fièvre lors de son équipée grecque, à 36 ans, et Shelley se noie en Italie à 30 ans.

■ ces mêmes Anglais accumulent les histoires d’amour difficiles : Byron avec sa sœur dans une relation incestueuse, Keats dans un amour impossible, et Shelley dans l’enlèvement de la femme qu’il aime.

■ pour la production de leurs œuvres, certains Romantiques ont recours aux effets de la consommation d’opium ou autres drogues (Quincey, Coleridge, Baudelaire).

■ la déchéance frappe la vie de certains qui sombrent dans l’alcoolisme ou dans une vie de débauche.

■ enfin, la folie frappera certains d’entre eux, comme Nerval.

On a donc vraiment la sensation d’une jeunesse ayant brûlé sa vie dans l’extrême, dans l’errance, dans le mal-être et dans l’ennui.

E – Le « Mal du siècle » et l’évolution du Romantisme

Ce « Mal du siècle » va donner naissance à deux forces contradictoires dans le mouvement romantique, à deux poussées antagonistes fondamentales à retenir :

→ d’une part, la puissance et l’énergie éclatantes des utopies, des espoirs exaltés et des chimères,

→ et d’autre part, la vague qui finira par l’emporter avec la révolution de 1830 puis de 1848, et à laquelle nous reviendrons à la fin de cette analyse, celle des visions de l’avenir nettement moins exaltées, du désespoir, de l’ennui, de l’impuissance, et du vertige du néant.

Rendez-vous dès maintenant ici pour lire la seconde partie de cette étude : les grands combats romantiques !

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Texte : (c) Aurélie Depraz
Tableau (illustration) : Le Désespéré, de Gustave Courbet
Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_D%C3%A9sesp%C3%A9r%C3%A9

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