Littérature, amour & érotisme

Nana: tentation, prostitution, destruction

Introduction

Neuvième tome de la série des Rougon-Macquart, Nana est l’un des plus célèbres romans de Zola aux côtés de quelques autres ouvrages fameux également tirés de cette série : Au Bonheur des Dames, L’Assommoir, Germinal, Le Ventre de Paris et La Bête humaine (pour ne citer qu’eux).

L’ouvrage est d’abord publié sous forme de feuilleton dans Le Voltaire en 1879 et 1880 avant d’être édité chez Georges Charpentier en 1880. Suite de L’Assommoir, dans lequel on voit grandir la fameuse « Nana » (de son vrai nom Anna Coupeau) dans la fange des bas quartiers, entre deux parents alcooliques sombrant peu à peu dans la déchéance humaine la plus complète, Nana traite du thème de la prostitution féminine à travers le parcours de cette jeune lorette, puis cocotte, dont les charmes auront affolé les plus hauts dignitaires du Second Empire, pour mieux les tirer avec elle dans cette boue de son enfance dont, finalement, elle n’aura jamais su s’extraire.

Erotisme, prostitution, vénalité, vie mondaine, mais aussi jalousie, possessivité, bisexualité, passion, désir, argent, ruine et débauche sont les principaux thèmes de ce chef-d’œuvre naturaliste où, comme toujours, Zola prétend montrer la société telle qu’elle est, dans toute la noirceur de chacune de ses catégories sociales. Le fait que ce sujet (le monde des courtisanes, des libertins et des noceurs) s’avère aussi scandaleux n’est pas non plus anodin dans le choix que fait Zola de le traiter de fond en comble : il fait vendre !

L’histoire commence en 1867, peu avant la deuxième exposition universelle, et s’achève avec le début de la guerre franco-allemande de 1870 qui marquera la fin du Second Empire.

Quant au personnage de Nana, il aurait été principalement inspiré à Zola par Blanche D’AntignyMéry Laurent, Berthe (son premier amour), mais aussi Valtesse de La BigneDelphine de LizyAnna DeslionsHortense Schneider et Cora Pearl.

Résumé de l’éditeur

« Zola brûlait d’écrire Nana. « Je crois que ce sera bien raide. Je veux tout dire, et il y a des choses bien grosses. Vous serez content de la façon paternelle et bourgeoise dont je vais peindre les bonnes filles de joie. » écrit-il.
En fait de joie, l’actrice, Nana, dévore les hommes, croque les héritages et plonge les familles dans le désespoir. Belle et prodigue, elle mène une danse diabolique dans le Paris des lettres, de la finance et du plaisir. En se détruisant elle-même, elle donne le coup de grâce à une société condamnée, détestée par Zola.
Neuvième volume de la série des Rougon-Macquart, Nana est le plus enivrant d’érotisme et de passion déchaînée. »

Résumé (plus complet) du roman (sur Wikipédia) : par ici : Nana

Résumé personnalisé

Prémisses de l’histoire de Nana, découverte enfant dans L’Assommoir.

Née dans le ruisseau, Nana fuit très vite le domicile parental, où ses parents, Gervaise Macquart et Coupeau (dont l’histoire est narrée dans L’Assommoir), tous deux alcooliques, sombrent peu à peu dans la plus noire déchéance (boisson, injures, violences conjugales, avilissement le plus total…). Tout juste adolescente, elle comprend très vite comment vivre de ses charmes et se met à fréquenter ses hommes plus vieux, par lesquels elle parvient avec plus ou moins de bonheur à se faire entretenir. Ses débuts sont irréguliers ; sans domicile fixe, elle doit plusieurs fois revenir coucher au cœur de la noirceur du foyer parental, pour fuir de nouveau la misère à peine quelques semaines plus tard, et tenter de se trouver un nouveau protecteur.

On remarquera le talent avec lequel Zola, dès le septième tome des Rougon-Macquart, décrivait une enfant tyrannique, capricieuse, autoritaire, entourée de sa cour, et en qui l’on discerne très tôt, bien avant l’adolescence, le vice et un certain nombre de prédispositions « perverses ».

L’ouverture de Nana

L’histoire de Nana à proprement parler, en tant que neuvième roman du cycle des Rougon-Macquart, débute en avril 1867, lors de la première représentation de la « Vénus Blonde » dans un théâtre parisien. Nana, mi-courtisane, mi-actrice, détient le rôle principal. Elle n’a aucun talent mais elle réussit à séduire le public par sa beauté, sa sensualité, son naturel et son audace, et surtout son corps presque nu sur scène. Nana choque, Nana fait rire, Nana fascine, Nana, presque nue sur scène, attise déjà les convoitises. Elle a tout juste quinze ou seize ans.

Déjà entretenue, elle jouit d’un bel appartement et mène un train de vie agréable. Fille-mère, elle a déjà un enfant d’un père inconnu, Louis, dont sa tante s’occupe. Nana reçoit, donne des dîners (proches de l’orgie), entretient sa cour. Elle a des rivales, des amies, des concurrentes, des soupirants et des admirateurs toujours plus nombreux. Parmi eux : un banquier, un comédien, un comte, un marquis, un journaliste…

Ses débuts sont un peu difficiles et transparaissent dans le descriptif que Zola fait de son appartement : « Cela sentait la fille lâchée trop tôt pour son premier monsieur sérieux, retombée à des amants louches, tout un début difficile, un lançage manqué, entravé par des refus de crédit et des menaces d’expulsion. »

L’élévation

Néanmoins, désirée chaque jour un peu plus, Nana s’élève et devient peu à peu le « rêve de Paris ». Entretenue désormais principalement par le banquier Steiner, elle continue de fréquenter plusieurs hommes à la fois, dont le jeune Georges, puis le comte Muffat, qui éprouve d’entrée de jeu une grande jalousie et finira dévoré par la passion, ruiné et littéralement détruit par sa passion pour Nana.

Bref intermède dans cette vie de courtisane : Nana s’enamoure de Fontan, un comédien avec qui elle a partagé plusieurs fois l’affiche, et qui finit par la battre. Soumise, matée, Nana se laisse totalement dominer par un homme qu’elle doit entretenir, qui la trompe et qui la violente bientôt chaque soir… avant de finir, tout bonnement, par la jeter à la rue, non sans avoir rongé toutes les économies de la jeune femme… (traitement qu’elle finira elle-même par infliger, en juste retour des choses, à tous les hommes qu’elle se choisira par la suite). Ruinée, en pleine chute, Nana retourne faire le trottoir.

Nana renoue avec le comte Muffat, à qui elle accepte de jurer fidélité en échange de largesses sans limites. Elle devient enfin « chic ». De fait, en échange de sa « fidélité », Muffat met sa fortune à ses pieds, cède à tous ses caprices, lui sacrifie son honneur et va jusqu’à subir les pires infamies. Il lui offre un hôtel particulier où elle se met peu à peu à tyranniser ses domestiques (qui la volent allègrement en retour), à recevoir de nouveaux amants (en secret tout d’abord, puis en plein jour), et même à vivre ouvertement une relation amoureuse avec son amie Satin. Le comte, ignorant tout d’abord de cette folle vie de débauche, dépense sans compter pour assouvir tous les désirs de sa belle, qui de son côté vit simultanément au crochet de toujours plus de galants : Georges toujours (qui est revenu dans sa vie), Philippe (le frère aîné de celui-ci), Vandeuvres, puis la Faloise, Foucarmont, Fauchery, Steiner (de nouveau)… et jusqu’au vieux marquis de Chouart.

Le triomphe, la destruction et la ruine

Bientôt, richissime, plus courtisée qu’aucune autre, Nana triomphe du tout-Paris et atteint le sommet de sa gloire, symbolisé par le grand prix hippique auquel assiste Napoléon III. Une jument, nommée en son honneur par son amant, le comte Xavier de Vandeuvres, court et remporte la course. La foule, comme atteinte d’un délire pathologique, scande « Na-Na » dans un délire proche de la frénésie. Pour Nana, c’est la consécration.

Fou de jalousie, Muffat ne peut bientôt plus ignorer ses infidélités et sa propre infortune (il surprend plusieurs fois Nana en flagrant délit d’« adultère ») mais, amoureux, possédé, manipulé, aliéné, il subit sans cesser jamais de donner.

De son côté, Nana entretient sa compagne Satin qui, aussi dépensière qu’elle, ruine ainsi doublement le comte et les autres amants de Nana qui, un à un, finissent ruinés, et aussitôt mis à la porte.

Peu à peu, l’hôtel particulier de Nana se transforme pour ainsi dire en bordel ; les hommes défilent à une allure folle, se croisent dans les couloirs, donnent et financent à tour de bras, la demandent en mariage, se font jeter, rabrouer. Peu de personnages masculins présents dans le roman échappent finalement au lit de Nana. Nana parade dans le beau monde, couchant partout, s’amourachant de n’importe qui, se débauchant pour vaincre l’ennui, ruinant les hommes les uns après les autres.

La jeune femme prend, ruine et abandonne successivement tous ses amants. Le comte de Vandeuvres se suicide en mettant le feu à ses écuries, Philippe Hugon est emprisonné pour avoir volé pour elle dans les caisses de sa caserne, Georges se tue dans sa chambre quand il comprend que la femme dont il est éperdument amoureux couche également avec à son frère…etc. Bref, à son contact, les hommes perdent tout bon sens, tout discernement, leur fortune, leur honneur, leur santé mentale et jusqu’à la vie.

Quant au comte de Muffat, il se trouve définitivement ruiné et finit par s’effondrer de chagrin. Nana, alors incapable de rembourser ses dettes, disparaît : elle vend tout et fuit à l’étranger. La chute de ses amants, dont dépendait entièrement son existence avait, de la sorte, en quelques sorte préfiguré la sienne.

Quelques mois plus tard, elle revient à Paris voir son fils atteint de la variole. Elle contracte à son tour la maladie et en meurt défigurée en juillet 1870. Zola clôture son roman par un portrait cruel de l’ancienne sex-symbol du Paris des années 1860 :

« Elle partit, elle ferma la porte. Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. Un oeil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert, s’enfonçait, comme un trou noir et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue, envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil, coulaient en un ruissellement d’or. Vénus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venait de lui remonter au visage et l’avait pourri. »

Quelques mots d’analyse

Préparation du roman

Avec « Les Rougon-Macquart », Zola veut, un peu à la manière de « La Comédie Humaine » de Balzac (dont il s’inspire), retracer « l’histoire naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire » : celle des Rougon-Macquart, suivie sur cinq générations au fil des vingt ouvrages de l’ensemble couvrant la période 1851 (coup d’état de Napoléon III – celui que Hugo appelait « Napoléon le Petit ») – 1870 (défaite de la France à Sedan).

Pour ce faire, Zola aura préparé chacun de ses romans par de minutieuses recherches faites à la fois sur le terrain et via des ouvrages spécialisés. Chef de file du naturalisme, méticuleux, rigoureux, soucieux de précision et de fidélité à la réalité des êtres, des lieux et des choses, Zola, pour préparer Nana, visite ainsi l’hôtel particulier d’une « cocotte », Valtesse de la Bigne, assiste à un dîner en compagnie de demi-mondaines, visite les coulisses du théâtre des Variétés, assiste à la course du Grand Prix en 1879, se fait fidèlement rapporter des détails de leur vie par Henri Céard et Ludovic Halévy, qui côtoient le demi-monde et, en tant que journaliste, publie La Cloche un article sur les rafles faites par la police sur les filles de rue en septembre 1872… Il lit aussi le Paris-guide de 1867 ou L’Année littéraire de Vapereau, entre autres ouvrages de préparation.

Projet et thématiques de l’œuvre 

Comme chacun de ses romans (le monde des mines pour Germinal, le chemin de fer pour La Bête humaine, l’alcoolisme pour l’Assommoir…), Nana se concentre sur une thématique simple précise : la prostitution, l’attrait et le pouvoir du sexe. « Le sujet philosophique est celui-ci : toute une société se ruant sur le cul. Une meute derrière une chienne qui n’est pas en chaleur et qui se moque des chiens qui la suivent. Le poème des désirs du mâle, le grand levier qui remue le monde. Il n’y a que le cul et la religion. » ; « Il faut que le livre soit le poème du cul et la moralité sera le cul faisant tout tourner » (extraits de l’ébauche du roman par Zola).

Dans les faits, cette étude du sexe (et de son pouvoir) se concentre sur trois thématiques particulièrement présentes dans le roman : la prostitution, l’homosexualité et le désir masculin (à travers le monde des noceurs).

La prostitution

Au XIXe siècle, les études sociologiques et médicales sur les « déviances » féminines (hystérie, homosexualité, prostitution…) se développent. De leur côté, les romanciers naturalistes, proches de la mouvance scientifique et positiviste de leur temps, font de leurs héros et de leurs héroïnes de véritables sujets d’étude, presque des cas cliniques, à travers lesquels ils transposent de façon romanesque l’état d’avancement des recherches dans le domaine médical à cette époque tout en restituant fidèlement l’approche sociologique et psychologique de ces déviances dans une société encore hautement conservatrice.

Bien au-delà de la provocation littéraire (même si, bien sûr, Zola sait par avance que le sujet fera vendre, lui qui n’a jamais rechigné à l’idée de choquer le public…), Nana se veut donc être l’étude des marges les plus scandaleuses de la société : celles du demi-monde et de la prostitution sous toutes ses formes, du trottoir aux salons luxueux. Aussi, si Zola n’a rien contre le fait de passionner le public et de déchaîner la critique à l’occasion, il a pour objectif principal d’analyser scientifiquement le monde de la prostitution et cette forme de déviance sous son angle médical et psychiatrique, conformément aux études menées à cette époque afin déterminer scientifiquement les causes et les effets de tels comportements. Roman expérimental, Nana permet à Zola d’étudier, fidèle aux théories déterministes, les tenants et les aboutissants de ces pratiques jugées si amorales et, surtout, de briser les tabous. Avec Nana, Zola s’érige, une fois de plus, en maître pour dire l’indicible.

A noter que la prostitution est alors étudiée dans d’autres ouvrages de l’époque :

  • Boule de suif, Maupassant
  • De la prostitution dans la ville de Paris, Alexandre Parent-Duchâtelet 
  • L’étude Les Filles de noces, misère sexuelle et prostitution aux XIXe et XXe siècles, Alain Corbin
  • La Prostitution, du radical Yves Guyot

De fait, la prostitution est alors un sujet qui captive et se retrouve au cœur de nombre de débats hygiénistes et médicaux de l’époque (essor des travaux sur l’hygiène et les pulsions sexuelles, entre autres choses) : la prostituée a-t-elle une particularité anatomique et une dégénérescence psychologique qui la pousseraient à embrasser une telle activité ? et, question sociale : doit-on ou non tolérer les maisons closes ?

Le saphisme

Un second tabou est également soulevé dans ce roman, beaucoup plus discrètement, ne faisant parfois que l’objet d’allusions ou de sous-entendus : l’homosexualité de Nana et de Satin. Il est en effet beaucoup plus rare à cette époque d’aborder le sujet de l’homosexualité (qui demeure un tabou majeur) que de la prostitution. Objet de tous les fantasmes masculins, le saphisme se donne à lire comme un voyeurisme porteur de bien des désirs.

Néanmoins, Zola ne fonde pas son roman sur ce thème (le mot même ne sera jamais prononcé, pas plus que celui d’« homosexuelle »), qui n’est découvert qu’en filigrane et de façon sporadique tout au long du roman, avec une montée en puissance certaine, mais qui ne détrônera jamais le thème central de la prostitution.  

A noter d’ailleurs que la montée de l’homosexualité chez Nana se fait très lentement, de manière quasi insidieuse, sans qu’elle-même ne se rende compte de quoi que ce soit, et en étroite réaction aux déceptions successives qu’elle rencontre avec les hommes : c’est parce qu’elle ne peut plus souffrir les hommes rustres et violents aux manières machistes qu’elle s’attache au jeune et fragile Georges (qu’elle déguise en fille), et c’est parce que Fontan la rend profondément malheureuse qu’elle envisage pour la première fois d’aller se consoler dans les bras de son amie Satin. Et c’est avec cette femme que, pour la seconde et dernière fois (la première étant avec Fontan), Nana, d’ordinaire dominatrice dans ses relations avec les hommes, est dominée, possédée, manipulée, exploitée, soumise.

En outre, Zola n’omet pas de présenter le saphisme comme objet de fantasme masculin, l’homosexualité féminine étant à de nombreuses reprises analysée du point de vue des amants de Nana.

Enfin, malgré une volonté patente de garder une certaine neutralité (indissociable de la théorie littéraire du naturalisme), Zola n’est pourtant pas si objectif qu’il y paraît : la simple mention du mot « vice » lorsqu’il évoque la liaison qui s’établit entre Nana et Satin montre son implication directe dans le jugement de son personnage.

Le monde des noceurs et le désir masculin

Avec Nana, Zola, une fois de plus, décide de taper fort : il s’agit avant tout de mettre l’accent sur les tabous d’un milieu si lisse en apparence et toutefois si plein de contradictions, de décrire et de dénoncer cette société bourgeoise, imbécile et hypocrite qu’il déteste tant (à l’instar de Flaubert…) et d’analyser les tenants et les aboutissants de ce vaste marché du sexe qu’est le demi-monde (que côtoient allègrement d’innombrables hommes de la « haute », aristocratie et bourgeoisie confondues).

A cet égard, Zola dénonce finalement le demi-monde dans son ensemble. Car, si Nana ne tient clairement pas le beau rôle (vénale, irrésistible, croqueuse d’hommes, elle incarne le sexe comme ferment de dissolution sociale et conduit les hommes à la ruine, à la déchéance charnelle et, parfois même, à la mort) et jouit pleinement de l’emprise sexuelle qu’elle a sur la gent masculine, si elle sombre dans la débauche la plus totale à la fin du roman, si son sexe semble partout enivrant, envahissant, envoûtant, et si l’homme paraît plus d’une fois présenté dans le roman la proie sans défense de la sensualité féminine, l’auteur n’en rétablit pas moins plusieurs fois l’équilibre des torts, notamment à travers la bouche de son héroïne même : « Est-ce moi qui les poussais ? n’étaient-il pas toujours une douzaine à se battre pour inventer la plus grosse saleté ? Ils me dégoûtaient, moi ! » ; « Eh ! va donc, cochon ! Je suis moins sale que toi ! » ; « Nom de Dieu ! ce n’est pas juste ! La société est mal faite. On tombe sur les femmes, quand ce sont les hommes qui exigent des choses… » ; « C’est trop dur de ne pas être comprise, de voir des gens se mettre contre vous, parce qu’ils sont les plus forts… » ; « ils étaient tous pendus après mes jupes, et aujourd’hui les voilà qui claquent, qui mendient, qui posent tous pour le désespoir… »

Après tout, ces hommes se sont eux-mêmes introduits dans le demi-monde ; ce sont eux qui dépensent des fortunes pour mettre une jeune femme de moins de vingt ans dans leur lit, pour voir cette jeune fille mineure nue sur les planches d’un théâtre, pour se partager sa couche. Plusieurs d’entre eux voient même dans le fait de coucher avec Nana (alors au faîte de son triomphe) un moyen d’atteindre la gloire, de voir leur nom dans les journaux, d’être du dernier chic. Ainsi, si Nana croque les hommes, les envoûte, les piétine et les conduit invariablement à leur perte au gré de ses caprices de gamine gâtée, de véritable femme-enfant (qui n’a que quinze ou seize ans lorsqu’on l’expose nue sur les planches de Paris), ces bourgeois et aristocrate n’en sont pas moins responsables de leur propre déchéance et de la férocité de leurs vices.

Nana, le personnage

Le personnage de Nana fait partie de la 4e génération des Rougon-Macquart, dont vous pouvez retrouver toute la présentation ici, à partir de la 2’30 :

Un personnage naturaliste

Comme les autres personnages des romans du cycle des Rougon-Macquart, Nana est victime à la fois des fatalités sociales et des lois de l’hérédité. En effet, d’après les théories naturalistes, l’homme est conditionné par trois facteurs :

  • la race (l’hérédité : déterminisme biologique – « L’hérédité a ses lois, comme la pesanteur », écrit Zola dans sa seconde préface au cycle des Rougon)
  • le milieu (la société : déterminisme social)
  • et le moment (l’Histoire, le contexte politique dans lequel il évolue : déterminisme historique)

On retrouve tout cela en Nana. Résultat de quatre ou cinq générations d’ivrognes, en elle coule un sang « gâté ». Elle a grandi parmi les immondices, été témoin bien trop tôt de l’adultère de sa mère (et même, pour ainsi dire, du ménage à trois consenti par son père), vu et entendu des adultes s’accoupler, été pervertie dès son plus jeune âge. La future prostituée, comme tous les personnages zoliens, s’explique donc par une loi héréditaire implacable, une forme de déterminisme biologique et social que Zola ne cesse de rappeler par une forte présence du champ lexical de la misère et de la pourriture reflétant cette « longue hérédité de misère et de boisson ». L’équation sociale zolienne est donc très claire : le personnage de Nana est la conséquence directe d’un milieu social misérable, malsain et en décomposition et de l’alcoolisme omniprésent dans sa famille. Pour Zola, la misère revêt la forme d’une fatalité aussi implacable que l’hérédité biologique.

Un personnage réaliste

S’inscrivant dans la veine naturaliste, Zola fait de son personnage un portrait très réaliste, inspiré de femmes réelles : Berthe, son premier amour, mais aussi des mondaines, comme Blanche D’Antigny, Valtesse de La Bigne, Delphine de Lizy, Anna Deslions, Hortense Schneider ou Cora Pearl, dont il a étudié la vie. De nombreuses descriptions (notamment de son corps et de sa sensualité de femme) ponctuent le récit.

Une Vénus, un corps, un idéal de beauté

Véritable personnage de tableau, Nana est à de nombreuses reprises comparée à Vénus, une « Vénus grasse » et rousse à la Botticelli, ce qui la place dans la lignée des déesses mythologiques. Le vocabulaire employé pour la décrire est extrêmement mélioratif, correspond aux canons de beauté de l’époque et met en évidence la vigueur et la jeunesse de son corps, la rondeur de ses formes, l’éclat de son teint et l’extrême féminité de l’ensemble.

Extraordinairement sensuelle, Nana est dotée d’une apparence toute féline, comme le montre la métaphore récurrente de la lionne (« poil de lionne », « fauve » et « bête d’or »).

Incarnation même de la beauté, dotée d’un teint de lait sans pareil, de cuisses grasses, d’une gorge généreuse, d’une chevelure flamboyante, Nana, égoïste, un peu cruche, dépourvue du moindre talent artistique (elle ne sait ni chanter, ni danser, ni jouer correctement au théâtre) tient les hommes dans sa main par la seule puissance de son sexe et de son incomparable sensualité.

La tentatrice

Actrice, courtisane, prostituée, fille de bordel, poule de luxe, « marquise des hauts trottoirs » et bientôt « rentière de la bêtise de l’ordure des mâles », Nana tient les hommes par le sexe, les ruine par ses caprices, les rend fous de désir et attise comme nulle autre entre eux les pires vices de l’homme : possessivité, jalousie, rage, pulsions suicidaires.

Tantôt fille des rues, tantôt cocotte millionnaire, tantôt habituée des bordels, tantôt courtisane de haut vol, entretenue jusqu’à jouir du luxe le plus indécent, tentatrice, diablesse, Nana, sous des apparences un peu niaises, organise l’ensauvagement de la société par le corps et sa lecture parfaite du langage et des codes de celui-ci.

De fait, si l’héroïne zolienne est stupide, inculte, limitée, dénuée de tout talent artistique, elle n’en maîtrise pas moins parfaitement un langage : celui du corps et de sa sensualité, par lequel elle démontre sa toute-puissance et déchaîne jusqu’aux foules les plus nombreuses (cf. le final de la course hippique).

Véritable drogue pour messieurs, Nana sait se rendre addictive, jusqu’à la destruction. Pour Muffat, homme pieux et dévoré d’amour pour elle, elle incarne le péché même et génère en lui d’innombrables cauchemars. Diablesse, créature cauchemardesque, mi-femme, mi-bête, ne cessant de rappeler les monstres antiques, elle est moult fois présentée sous la forme d’un animal (« duvet », « croupe », « fauve ») et d’une humaine parfaitement indécente, aux appétits insatiables, proches de la voracité d’un prédateur (« bouche goulue).

Comme pour aller au bout de sa logique, Zola fait de son héroïne une rousse à la crinière fauve moult fois évoquée. (#sorcière #lionne #succube #péché …)

Véritable fléau se propageant tel un virus, créature infernale venue des « ténèbres » pour s’emparer de son corps et de son âme, Nana est pour Muffat une redoutable menace : il compare le désir qu’il a pour elle à une sorte de maladie nocive (« gâté », « ce ferment », « pourri », « corrompu »). Evidemment, la vision particulièrement négative qu’il a des femmes, empreinte de « dégoût » et d’« horreur » lui est dicté par sa croyance religieuse ainsi que le révèle sa référence à l’« Ecriture », c’est-à-dire la Bible.

La femme-enfant

Très jeune au début du roman, Nana sort tout juste d’une enfance viciée par la misère des faubourgs où elle a grandi. Dans L’Assommoir, Zola distillait déjà des indices quant à sa future « perversion » : la petite Anna y a déjà sa cour, elle se conduit en petite maîtresse, on voit déjà en elle se profiler la futur « roulure » hantant les bordels, les trottoirs, les salons mondains et les maisons de passe de Paris.

Elle garde de cette enfant corrompue trop tôt des comportements puérils, l’amusement là où il n’a pas lieu d’être, la superficialité, les caprices et une forme de narcissisme frappant (selon l’égoïsme inhérent aux enfants, elle explore avec un plaisir narcissique son corps de « jeune fille » en pleine métamorphose au début du roman, totalement « absorbée » par l’image d’elle-même).

Monstre d’égoïsme, de stupidité et de vénalité, Nana s’avère bientôt aussi puérile qu’insupportable. Capricieuse, égocentrique, lunatique, impulsive, irréfléchie, souvent vulgaire, elle agit presque exclusivement à l’instinct et embrase tout sur son passage.

Impudente, frivole, insouciante, elle est régulièrement « reprise de ses curiosités vicieuses d’enfant », retourne « à des goûts de gamine », se prend de subites envies de « boire du lait en plein milieu de la nuit », danse, chante, rit pour un rien (et souvent hors de propos) et retrouve régulièrement « une joie d’enfant [qui] la faisait battre des mains ».

Pourtant, les hommes tombent dans ses bras, parfois même en toute conscience, et ne peuvent s’empêcher de la trouver à la fois désirable… et terriblement attachante.

Le choix même du prénom Nana, diminutif d’Anna, peut également suggérer son aspect enfantin.

Pourtant, notre héroïne est loin d’être aussi innocente que son âge et son comportement le laissent supposer : elle s’affiche avec impudeur, dévoilant les parties les plus intimes de son être dont elle est parfaitement consciente de la charge érotique ; elle maîtrise parfaitement cette danse de séduction à laquelle elle s’adonne régulièrement et ses motivations s’avèrent tout aussi ambigües que son rapport au corps, dont on ne sait si la contemplation qu’elle en fait régulièrement reflète une pure fascination d’elle-même ou une tentative consciente et efficace d’exaspération du désir masculin…

Nana, vengeresse du peuple malgré elle

Fille de Gervaise (L’Assommoir), demi-sœur de Claude Lantier (L’œuvre), d’Etienne Lantier (Germinal) et de Jacques Lantier (La Bête humaine), Nana va se faire inconsciemment l’héroïne vengeresse de la misère de ses origines : elle va fouler au pied tout ce que le Second Empire compte alors de forces dirigeantes, bourgeoises et aristocratiques (journalistes, marquis, comtes, bourgeois) jusqu’à ce que ce même Second Empire s’effondre face à l’armée prussienne.

De fait, on l’a vu, tout concourt pour faire de cette jeune femme une irrésistible pomme de la tentation et de la discorde. La jeune Anna Coupeau, qui rêve de gloire et de faste, faisant pour tout pour parvenir à ses fins, se met très jeune à jouer de ses charmes, jusqu’à aboutir aux frasques, à la dépravation et aux excès les plus déréglés dans les tout derniers chapitres.

A l’instar de ces étoiles qui brillent si fort qu’elles finissent par tout détruire avant de se détruire elles-mêmes, Nana peu à peu détruit tout, les objets, les fortunes, les mariages, les hommes et les femmes de son entourage ; Philippe finit en prison, Georges se poignarde de désespoir, Satin devient folle, Muffat perd sa femme et se réfugie dans la religion, un autre encore doit quitter la France…

Dévorée par ses propres pulsions, Nana ne recule devant rien pour avilir les hommes, qu’elle piétine, qu’elle animalise, qu’elle asservit, qu’elle avilit et qu’elle perd sans le moindre état d’âme. Colères, rages, folie, jalousies terribles, désespoirs, violence, elle sème la destruction et même la mort sur son passage, sans jamais se remettre le moins du monde en question, se posant irrémédiablement en victime.

Nana et… la marquise de Merteuil

Je n’ai pas pu m’empêcher d’y retrouver là le souvenir d’un autre personnage féminin célèbre de la littérature française : la marquise de Merteuil. Car, bien que ces deux grandes héroïnes soient, à l’évidence, extrêmement différentes, force est de constater que, derrière les apparences, elles partagent plus d’un point commun.

De fait, si Nana est stupide, quand la marquise est brillante ; si la jeune courtisane est née dans le ruisseau, et la marquise dans un château ; si Nana carbure à l’instinct, aux pulsions, à ses désirs de « bête », quand la marquise se montre froide, stratégique, réfléchie, machiavélique et calculatrice ; c’est bel et bien par le sexe et la séduction qu’elles soumettent toutes deux les hommes ; c’est bel et bien dans leur féminité et dans leur sensualité qu’elles trouvent la source de leur pouvoir sur eux ; et c’est par la sexualité, les promesses et les caresses de chattes qu’elles vengent, pour l’une, le sexe faible dans son ensemble (la marquise de Merteuil) et, pour l’autre, le peuple miséreux des faubourgs.

La comparaison s’arrête là, sans doute : la vengeance de Merteuil est consciente, celle de Nana inconsciente ; impulsive, imprévisible, sanguine, Nana n’agit que par égoïsme, sans la moindre idéologie ; et si, petite « mouche d’or », elle venge ses origines et la misère du bas peuple en traînant avec elle les puissants dans la boue, c’est parfaitement inconsciemment : car tout ce qui compte consciemment, pour elle, c’est son plaisir, l’envie de triompher, la cupidité, l’avidité, ce besoin de combler un vide, ce besoin de gloire, même éphémère, de beauté, d’argent et de luxe. Tandis que la marquise de Merteuil, libertine consciente, érudite et parfaitement éclairée, calcule, anticipe, projette et conditionne.

Nana succombe à ses passions et à ses pulsions, qui la conduisent à sa perte ; la marquise les maîtrise parfaitement ; elle demeure maîtresse en toutes circonstances de ses bas instincts, de ses émotions et de ses sentiments mêmes. C’est son ambition, son narcissisme, sa hargne et son excès de vindicte qui la perdront.

Nana n’a aucune emprise sur elle-même ; la marquise jamais ne défaille. Nana subit les pulsions de son corps ; la marquise s’est depuis longtemps coupée de toute faiblesse charnelle.

Pourtant, toutes deux vengent, par le sexe et la manipulation de la gent masculine, une cause derrière le vernis de la luxure et de l’égoïsme.

Un personnage symbolique

Symbole tout autant que femme, Nana incarne également la décomposition de l’Empire. Après avoir été adulée de tous, défigurée par la petite vérole, elle meurt en juillet 1870, en même temps que le régime : avec elle, c’est une société mûre pour La Débâcle qui s’effondre, au son des cris scandés dans la rue « A Berlin ! A Berlin ! A Berlin ! », quand Napoléon III déclare la guerre à la Prusse, sonnant ainsi sans le savoir le glas du Second Empire.

Nana représente ainsi du même coup l’angoisse de la dégénérescence et de la contamination, si fréquente dans les écrits de Zola, en proie aux changements provoqués par le monde moderne.

Sa fin est, à ce titre, terriblement allégorique : ancienne déesse de beauté, son visage emblématique devient en quelques heures seulement une « boue informe » sous l’effet de la petite vérole, laquelle symbolise la corruption et la souillure.

Véritable « mouche d’or », elle incarne cette réalité pourrie de l’intérieur (par la corruption, la débauche, l’immoralité, la prostitution, la toute-puissance du sexe) derrière un vernis et une apparence fastes (la beauté, le luxe, la richesse, les mondanités, le mode de vie fastueux de la bourgeoisie et de l’aristocratie du Second Empire).

« La chronique de Fauchery, intitulée la Mouche d’Or, était l’histoire d’une fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple remontait et pourrissait l’aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. Et c’était à la fin de l’article que se trouvait la comparaison de la mouche, une mouche couleur de soleil, envolée de l’ordure, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat de pierreries, empoisonnait les hommes rien qu’à se poser sur eux, dans les palais où elle entrait par les fenêtres. » (Zola, extrait de Nana).

Ainsi, Nana n’est pas seulement le symbole de ce Second Empire en déclin, qui se dissout et meurt en même temps qu’elle, ou de la souillure et de la pourriture ; elle est aussi celui du peuple, un peuple miséreux et malsain, qui n’est responsable de son état mais se trouve à cette époque en passe de se révolter. Mais elle le représente bien malgré elle, tiraillée qu’elle est entre son désir de fuir et de renier ses origines et celui de les revendiquer haut et fort :

« Puis (…) elle s’emporta contre les républicains. Que voulaient-ils donc ces sales gens qui ne se lavaient jamais ? Est-ce qu’on n’était pas heureux, est-ce que l’empereur n’avait pas tout fait pour le peuple ? Une jolie ordure le peuple ! Elle le connaissait, elle pouvait en parler. » lit-on ici.

« Si vous avez honte de ma famille, eh bien, laissez-moi, parce que je ne suis pas une de ces femmes qui renient leur père et leur mère… Il faut me prendre avec eux, entendez-vous ! (…) Les yeux sur la table, tous quatre maintenant se faisaient petits, tandis qu’elle les tenait sous ses anciennes savates boueuses de la rue de la Goutte-d’Or, avec l’emportement de sa toute-puissance. Et elle ne désarma pas encore : on aurait beau lui apporter des fortunes, lui bâtir des palais, elle regretterait toujours l’époque où elle croquait des pommes. (…) Puis, son accès se termina dans un désir sentimental d’une vie simple, le cœur sur la main, au milieu d’une bonté universelle. »

Demi-mondaine (le terme est on ne peut mieux choisi), Nana est sans cesse tiraillée entre la boue de ses anciens trottoirs et l’appât du lucre et de la vie luxueuse dont elle réussit à se doter en échange de ses charmes.

Finalement, à travers elle, c’est toute la société française du Second Empire qui se trouve gangrenée et corrompue moralement dans ce roman. Deux valeurs semblent alors régir la société, qui se rejoignent en elle : l’argent et les apparences. Pour cette fille qui tente de profiter au mieux de cette société de faux-semblants, les hommes ne représentent rien d’autre que l’argent et les plaisirs faciles, tandis que l’amour, la véritable passion, se dessinent sous les traits d’une femme, Satin, dont le nom même fait référence à la douceur, au luxe et aux fastes de la beauté extérieure, tout comme la société du Second Empire brille par son apparat en dissimulant ses vices derrière les dorures.

Incarnation même du régime, de son lucre, de sa folie, de sa superficialité et de sa déchéance, un régime mené par ces plaisirs et ces caprices dont Nana semble l’emblème, Nana, la prostituée, cette mouche venue des bas-fonds pour empoisonner « les hommes rien qu'[en] se pos[ant] sur eux», jette à bas l’ancien monde, celui d’une aristocratie déchue, en venant peu à peu le pourrir de l’intérieur, dans un dérèglement total qui trouve son apogée dans les derniers chapitres.

Une figure mythique

En montrant ainsi « une meute derrière une chienne qui n’est pas en chaleur et qui se moque des chiens qui la suivent », Zola rend tragique et glorieux le personnage de Nana, tout en l’élevant au rang de mythe : Nana n’est plus une femme anodine ou une prostituée quelconque, elle est LA femme, l’objet du désir, l’idole aux pieds de laquelle chaque homme se roule et se vautre dans un désir de possession brutal, animal, égoïste, symptomatique de la société malade toute entière de ses frustrations.

Femme-objet par excellence, cause de la corruption de l’homme, victime de son propre instinct sexuel (la fêlure qui peut transformer tout homme en « bête humaine »…), Nana est érigée en Vénus à de nombreuses reprises sous la plume de Zola (combien d’allusions à la Vénus de Botticelli dans ce roman ?)

« Nana tourne au mythe, sans cesser d’être réelle. Cette création est babylonienne. » Flaubert. Nana devient LA grande prostituée, un monstre qui triomphe de son ascension perpétrée sur les dos des hommes qu’elle monte, une abomination, qui corrompt les puissants et conduit la société à l’Apocalypse. Dans ses fiches préparatoires, Zola en fait « la mangeuse d’or, l’avaleuse de toute richesse ; » Il veut « [qu’elle] se rue aux jouissances, à la possession, par instinct. […]; [qu’]elle mange ce qu’on gagne autour d’elle dans l’industrie, dans l’agio, dans les hautes situations, dans tout ce qui rapporte. Et [qu’]elle ne laisse que des cendres ».

Un personnage éminemment complexe

Véritable paradoxe vivant, à la fois jeune fille encore enfant et femme au pouvoir érotique maîtrisé, conscient et sans pareil, à la fois monstre redoutable, lionne, diablesse et déesse mythologique des tableaux anciens, Nana jouit, par le sexe, d’une force de corruption incomparable. Réaliste, mythique, symbolique, métaphorique, son personnage est complexe, riche, profond.

Citations

(parce que nul autre que Zola ne pourra rendre aussi bien que lui ce qu’il a voulu faire de Nana) :

« Une fièvre de curiosité poussait le monde, cette curiosité de Paris qui a la violence d’un accès de folie chaude. On voulait voir Nana. »

«  Un des plaisirs de Nana était de se déshabiller en face de son armoire à glace, où elle se voyait en pied. Elle faisait tomber jusqu’à sa chemise ; puis, toute nue, elle s’oubliait, elle se regardait longuement. C’était une passion de son corps, un ravissement du satin de sa peau et de la ligne souple de sa taille, qui la tenait sérieuse, attentive, absorbée dans un amour d’elle-même. « 

« Peu à peu, Nana avait pris possession du public, et maintenant chaque homme la subissait. Le rut qui montait d’elle, ainsi que d’une bête en folie, s’était épandu toujours davantage, emplissant la salle. A cette heure, ses moindres mouvements soufflaient le désir, elle retournait la chair d’un geste de son petit doigt. »

« Nana était toute velue, un duvet de rousse faisait de son corps un velours ; tandis que, dans sa croupe et ses cuisses de cavale, dans les renflements charnus creusés de plis profonds, qui donnaient au sexe le voile troublant de leur ombre, il y avait de la bête » 

« Cette grosse fille qui se tapait sur les cuisses, qui gloussait comme une poule, dégageait autour d’elle une odeur de vie, une toute-puissance de femme, dont le public se grisait ».

« Un frisson remua la salle. Nana était nue. Elle était nue avec une tranquille audace, certaine de la toute-puissance de sa chair. »

 «Est-ce qu’une femme a besoin de savoir jouer et chanter? […] Nana a autre chose, parbleu! et quelque chose qui remplace tout.»

elle «n’est que [de] la chair», alors que la désorganisation de Paris se situe « entre [s]es cuisses de neige »

« Il [le Comte Muffat] grandissait, il vieillissait, ignorant de la chair, plié à de rigides pratiques religieuses, ayant réglé sa vie sur des préceptes et des lois. Et, brusquement, on le jetait dans cette loge d’actrice, devant cette fille nue. Lui qui n’avait vu la comtesse Muffat mettre ses jarretières, il assistait aux détails intimes d’une toilette de femme, dans la débandade des pots et des cuvettes, au milieu de cette odeur si forte et si douce. Tout son être se révoltait, la lente possession dont Nana l’envahissait depuis quelque temps l’effrayait, en lui rappelant ses lectures de piété, les possessions diaboliques qui avaient bercé son enfance. Il croyait au diable. Nana, confusément, était le diable, avec ses rires, avec sa gorge et sa croupe, gonflées de vices. »

« Un frisson de tendresse semblait avoir passé dans ses membres. Les yeux mouillés, elle se faisait petite, comme pour se mieux sentir. Puis, elle dénoua les mains, les abaissa le long d’elle par un glissement, jusqu’aux seins, qu’elle écrasa d’une étreinte nerveuse. Et rengorgée, se fondant dans une caresse de tout son corps, elle se frotta les joues à droite, à gauche, contre ses épaules, avec câlinerie (…) Alors, Muffat eut un soupir bas et prolongé. Ce plaisir solitaire l’exaspérait. Brusquement, tout fut emporté en lui, comme par un grand vent. Il prit Nana à bras-le-corps, dans un élan de brutalité, et la jeta sur le tapis. »

« Elle continuait à se balancer, ne sachant faire que ça. Et on ne trouvait plus ça vilain du tout, au contraire ; les hommes braquaient leurs jumelles. Comme elle terminait le couplet, la voix lui manqua complètement, elle comprit qu’elle n’irait jamais au bout. Alors, sans s’inquiéter, elle donna un coup de hanche qui dessina une rondeur sous la mince tunique, tandis que, la taille pliée, la gorge renversée, elle tendait les bras »

«Un bras derrière la nuque, une main prise dans l’autre, elle renversait la tête, les coudes écartés.»

Elle « retomba dans la crotte du début. Elle roula, elle battit le pavé de ses anciennes savates de petit torchon en quête d’une pièce de cent sous »

« C’était un élargissement brusque d’elle-même, de ses besoins de domination et de jouissance, de son envie de tout avoir pour tout détruire. Jamais elle n’avait senti si profondément la force de son sexe (…) Nana se déshabilla dans le cabinet de toilette. Pour aller plus vite, elle avait pris à deux mains son épaisse chevelure blonde, et elle la secouait au-dessus de la cuvette d’argent, pendant qu’une grêle de longues épingles tombaient, sonnant un carillon sur le métal clair. » 

« Alors, il leva les yeux. Nana s’était absorbée dans son ravissement d’elle-même. Elle pliait le cou, regardant avec attention dans la glace un petit signe brun qu’elle avait au-dessus de la hanche droite; et elle le touchait du bout du doigt, elle le faisait saillir en se renversant davantage, le trouvant sans doute drôle et joli, à cette place. Puis, elle étudia d’autres parties de son corps, amusée, reprise de ses curiosités vicieuses d’enfant. Ça la surprenait toujours de se voir; elle avait l’air étonné et séduit d’une jeune fille qui découvre sa puberté. Lentement, elle ouvrit les bras pour développer son torse de Vénus grasse, elle ploya la taille, s’examinant de dos et de face, s’arrêtant au profil de sa gorge, aux rondeurs fuyantes de ses cuisses. Et elle finit par se plaire au singulier jeu de se balancer, à droite, à gauche, les genoux écartés, la taille roulant sur les reins, avec le frémissement continu d’une almée dansant la danse du ventre. »

 » Et elle guettait les mieux mis, elle voyait ça à leurs yeux pâles. C’était comme un coup de folie charnelle passant sur la ville. Elle avait bien un peu peur, car les plus comme il faut étaient les plus sales. Tout le vernis craquait, la bête se montrait, exigeante, dans ses goûts monstrueux, raffinant sa perversion. « 

« elle ne pouvait pourtant rester le cœur libre, ayant toujours quelque amant de cœur sous ses jupes, roulant aux béguins inexplicables, aux goûts pervers des lassitudes de son corps »

« il la sentait menteuse, incapable de se garder, se donnant aux amis, aux passants, en bonne bête née pour vivre sans chemise »

« c’étaient des abandons brusques derrière son dos, du plaisir pris dans tous les coins, vivement, en chemise ou en grande toilette, avec le premier venu. »

« des messieurs traînaient partout, on se cognait à chaque instant les uns dans les autres »

« il laissait Nana et Satin ensemble. Il l’aurait poussée à ce vice, pour écarter les hommes. Mais, de ce côté encore, tout se gâtait. Nana trompait Satin comme elle trompait le comte, s’enrageant dans des toquades monstrueuses, ramassant des filles au coin des bornes. Quand elle rentrait en voiture, elle s’amourachait parfois d’un souillon aperçu sur le pavé, les sens pris, l’imagination lâchée ; et elle faisait monter le souillon, le payait et le renvoyait. Puis, sous un déguisement d’homme, c’étaient des parties dans des maisons infâmes, des spectacles de débauche dont elle amusait son ennui »

« un duel pour Nana… Mais, cher monsieur, tout Paris se moquerait de vous. On ne se bat pas pour Nana, c’est ridicule »

« ce fut sa dernière révolte ; il se laissa convaincre, il assista dès lors au défilé des amis, de tous les hommes qui vivaient là, dans l’intimité de l’hôtel. Nana, en quelques mois, les mangea goulûment, les uns après les autres. Les besoins croissants de son luxe enrageant ses appétits, elle nettoyait un homme d’un coup de dent. »

« D’abord, elle eut Foucarmont qui ne dura que quelques jours. (…) Lorsque Nana le poussa dehors, il était nu. (…) Un homme ruiné tombait de ses mains comme un fruit mûr, pour se pourrir à terre, de lui-même. »

« Elle dévorait tout comme un grand feu (…) Cette fois, elle finit Steiner, elle le rendit au pavé, sucré jusqu’aux moelles, si vidé, qu’il resta même incapable d’inventer une coquinerie nouvelle »

« Alors Nana, tout de suite, entama la Faloise. Il postulait depuis longtemps l’honneur d’être ruiné par elle (…) Six semaines suffirent. (…) A chaque bouchée, Nana dévorait un arpent. (…) Nana passait, pareille à une invasion, à une de ces nuées de sauterelles dont le vol de flamme rase une province. »

« Ah ! çà, regarde-toi donc ! Est-ce que tu t’imagines que je t’aime pour tes formes ? Quand on a une gueule comme la tienne, on paie les femmes qui veulent bien vous tolérer… »

« C’était trop bête d’aimer, ça ne menait à rien. Puis, elle avait des scrupules, à cause du jeune âge de Ziei ; vrai, elle s’était conduite d’une façon pas honnête. Ma foi! Elle rentrant dans le bon chemin, elle prenait un vieux. »

« Il en arrivait maintenant à une passion exclusive, une de ces passions d’hommes qui n’ont pas eu de jeunesse. Il aimait Nana avec un besoin de la savoir à lui seul, de l’entendre, de la toucher, d’être dans son haleine. »

«Tout son être se révoltait, la lente possession dont Nana l’envahissait depuis quelque temps l’effrayait, en lui rappelant ses lectures de piété, les possessions diaboliques qui avaient bercé son enfance. Il croyait au diable. Nana, confusément, était le diable, avec ses rires, avec sa gorge et sa croupe, gonflées de vices.»

« C’était cela: en trois mois, elle avait corrompu sa vie, il se sentait déjà gâté jusqu’aux moelles par des ordures qu’il n’aurait pas soupçonnées. Tout allait pourrir en lui, à cette heure. Il eut un instant conscience des accidents du mal, il vit la désorganisation apportée par ce ferment, lui empoisonné, sa famille détruite, un coin de société qui craquait et s’effondrait. »

« il la savait stupide, ordurière et menteuse, et il la voulait, même empoisonnée»

Il «songeait à son ancienne horreur de la femme, au monstre de l’Écriture, lubrique, sentant le fauve»

« Au milieu de ces messieurs, de ces grands noms, de ces vieilles honnêtetés, les deux femmes, face à face, échangeant un regard tendre, s’imposaient et régnaient, avec le tranquille abus de leur sexe et leur mépris avoué de l’homme.»

« Moi t’épouser !… Ah bien ! Si cette idée me tourmentait, il y a longtemps que j’aurais trouvé un époux ! Et un homme qui te vaudrait vingt fois, mon petit… J’ai reçu un tas de propositions. Tiens ! compte avec moi : Philippe, Georges, Foucarmont, Steiner, ça fait quatre, sans les autres que tu ne connais pas… (…) Eh ! non, je ne veux pas !… Est-ce que je suis faite pour cette machine ? Regarde-moi un peu, je ne serais plus Nana, si je me collais un homme sur le dos… »

« N’est-ce pas ? c’est ça qui te chiffonne, toi ! tu ne peux plus épouser Nana… Quand ils sont tous à m’embêter avec leur mariage, tu rages dans ton coin… Pas possible, il faut attendre que ta femme claque… Ah ! si ta femme claquait, comme tu viendrais vite, comme tu te jetterais par terre, comme tu m’offrirais ça, avec le grand jeu, les soupirs, les larmes, les serments ! »

« d’un air de câlinerie féroce »

« comme il pâlissait, elle se pendit à son cou, en riant, en lui enfonçant d’une caresse chacune de ses cruautés »

« Muffat avait accepté les autres. Maintenant, il mettait sa dernière dignité à rester « monsieur » pour les domestiques et les familiers de la maison, l’homme qui, donnant le plus, était l’amant officiel. Et sa passion s’acharnait. Il se maintenait en payant, achetant très cher jusqu’aux sourires, volé même et n’en ayant jamais pour son argent, mais c’était comme une maladie qui le rongeait, il ne pouvait s’empêcher d’en souffrir. Lorsqu’il entrait dans la chambre de Nana, il se contentait d’ouvrir un instant les fenêtres, afin de chasser l’odeur des autres, des effluves de blonds et de bruns, des fumées de cigares dont l’âcreté le suffoquait. »

« Cette chambre devenait un carrefour, continuellement des bottes s’essuyaient sur le seuil »

« la cohue des mâles qui la traversaient »

« Elle cassait un chambellan comme elle cassait un flacon ou un drageoir, et elle en faisait une ordure, un tas de boue au coin d’une borne. »

« la chair (…) envahie d’un désir voluptueux d’anéantissement »

« La femme le possédait avec le despotisme jaloux d’un Dieu de colère, le terrifiant, lui donnant des secondes de joies aiguës comme des spasmes, pour des heures d’affreux tourments, des visions d’enfer et d’éternels supplices. (…) les mêmes humilités d’une créature maudite, écrasée sous la boue de son origine. »

« Et toujours, malgré les luttes de sa raison, cette chambre de Nana le frappait de folie, il disparaissait en grelottant dans la toute-puissance du sexe »

« Elle apportait d’instinct la rage d’avilir. Il ne lui suffisait pas de détruire les choses, elle les salissait »

« ce fut comme un vent de démence qui passa et grandit peu à peu dans la chambre close. Une luxure les détraquait, les jetait aux imaginations délirantes de la chair »

« c’était  (…) un peu de sa nudité délicate, c’était avec ce rien honteux et si puissant, dont la force soulevait le monde, que toute seule, sans ouvriers, sans machines inventées par des ingénieurs, elle venait d’ébranler Paris et de bâtir cette fortune où dormaient des cadavres.»

« C’était sa revanche, une rancune inconsciente de famille, léguée avec le sang »

« elle demeurait seule debout, au milieu des richesses entassées de son hôtel, avec un peuple d’hommes abattus à ses pieds. Comme ces monstres antiques dont le domaine redouté était couvert d’ossements, elle posait les pieds sur des crânes ; et des catastrophes l’entouraient, la flambée furieuse de Vandeuvres, la mélancolie de Foucarmont perdu dans les mers de la Chine, le désastre de Steiner réduit à vivre en honnête homme, l’imbécillité satisfaite de la Faloise, et le tragique effondrement de Muffat, et le blanc cadavre de Georges, veillé par Philippe, sorti la veille de prison. Son œuvre de ruine et de mort était faite, la mouche envolée de l’ordure des faubourgs, apportant le ferment des pourritures sociales, avait empoisonné ces hommes rien qu’à se poser sur eux. C’était bien, c’était juste, elle avait vengé son monde, les gueux et les abandonnés. Et tandis que, dans une gloire, son sexe montait et rayonnait sur ses victimes étendues, pareil à un soleil levant qui éclaire un champ de carnage, elle gardait son inconscience de bête superbe, ignorante de sa besogne, bonne fille toujours. Elle restait grosse, elle restait grasse, d’une belle santé, d’une belle gaieté. »

 « Une jeune fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande belle, de chair superbe ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple, remontait et pourrissait l’aristocratie. »

« Alors, Nana devint une femme chic, rentière de la bêtise et de l’ordure des mâles, marquise des hauts trottoirs. Ce fut un lançage brusque et définitif, une montée dans la célébrité de la galanterie, dans le plein jour des folies de l’argent et des audaces gâcheuses de la beauté. Elle régna tout de suite parmi les plus chères. Ses photographies s’étalaient aux vitrines, on la citait dans les journaux. Quand elle passait en voiture sur les boulevards, la foule se retournait et la nommait, avec l’émotion d’un peuple saluant sa souveraine ; tandis que, familière, allongée dans ses toilettes flottantes, elle souriait d’un air gai, sous la pluie de petites frisures blondes, qui noyaient le bleu cerné de ses yeux et le rouge peint de ses lèvres. Et le prodige fut que cette grosse fille, si gauche à la scène, si drôle dès qu’elle voulait faire la femme honnête, jouait à la ville les rôles de charmeuse, sans un effort. C’étaient des souplesses de couleuvre, un déshabillé savant, comme involontaire, exquis d’élégance, une distinction nerveuse de chatte de race, une aristocratie du vice, superbe, révoltée, mettant le pied sur Paris, en maîtresse toute-puissante. Elle donnait le ton, de grandes dames l’imitaient. »

Conclusion

A l’instar de Don Juan, le nom de « Nana » a évolué pour devenir un mot à part entière de la langue française désignant, tout d’abord, une cocotte ou une prostituée, et en particulier la maîtresse en titre d’un souteneur, puis, peu à peu, n’importe quelle femme ou jeune fille de nos jours, dans la langue populaire. Un terme aujourd’hui jugé ni élégant, ni particulièrement vulgaire, certes un peu lourd, un peu maladroit, mais fréquent. Ainsi n’est-il pas rare d’entendre autour de nous des hommes parler de « leur nana » ou d’une « chouette nana » avec leurs amis !

Quand on connaît l’origine du mot néanmoins, on est en droit de se demander s’il ne s’agit pas là d’un terme auquel, bientôt (et à juste titre peut-être), on voudra tordre le cou au nom de la bienséance et du tout-politiquement-correct. Vous le savez, je ne suis pas démesurément féministe ; mais il est certes intéressant de constater comment la langue française, quand on y regarde de plus près, et bien au-delà de la grammaire (et du masculin qui l’emporte sempiternellement sur le féminin), est encore loin d’être dépourvue de tout machisme inconscient ou sous-jacent !

Enfin, pour compléter cet article, ne manquez pas de retrouver sur ce blog l’analyse de ce même roman faite par mon amie Anne-Sophie, à l’œil précis et aux points de vue toujours très différents du mien (ce qui en fait tout l’intérêt !). C’est ici !

Pour finir, une petite analyse fun et punchy en 4 parties du roman :

Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : Image tirée du film Moulin Rouge, avec Nicole Kidman et Ewan McGregor (Source)

Tagged , , , ,