Littérature, amour & érotisme

Le Siècle des Lumières en bref

Enfin, « en bref »… « Titre abusif » ! entends-je déjà les moins valeureux d’entre vous crier. Car, certes, et je le reconnais d’emblée, cet article s’annonce plutôt loin… d’être bref, en fait^^. Aussi vais-je vous proposer de le couper en deux (un minimum, me direz-vous, au vu de sa longueur !). Pour ma défense, il faut dire qu’il s’agit d’un mouvement particulièrement important de la littérature (/philosophie) française (et européenne)… et qu’à l’inverse de tous les autres mouvements que cette Petite Histoire de la Littérature française abordera, il se sera étendu au point de couvrir un siècle de littérature dans son intégralité, tout de même ! Tout le XVIIIe !

Bon, vous me direz, ce n’est pas le cas du Romantisme (mouvement suivant), sur lequel je n’ai pas pu m’empêcher d’en mettre des tartines aussi (que voulez-vous ! c’est mon chouchou). Mais ! promis ; les suivants seront abordés avec un peu plus d’esprit de synthèse (ce qui, je l’avoue, n’a jamais été mon fort – demandez à mes profs de lycée, qui suaient à grosses gouttes sur mes dissertations de 12 ou 14 pages ! écrites en pattes de mouche, cela va sans dire…)

Bref ! Je m’égare. Sans attendre (davantage), voici donc la première partie de cette longue synthèse consacrée au très célèbre mouvement des Lumières ; vous pouvez en retrouver la seconde partie ici.

L’ouverture du siècle des Lumières

C’est une véritable libération pour la France que la mort du Roi-Soleil en 1715 et, avec, lui de l’austère régisseur du classicisme… et de la lourde moralité rigoureuse de la fin du XVIIe siècle.

Louis XIV a tenu seul la France d’une main de fer pendant plus de cinq décennies (sur 72 ans de règne, si l’on inclut ses années de minorité soutenues par Mazarin), mais il est devenu trop vieux, ses principes trop rigides, sa poigne trop dure : depuis 1685 (et la révocation de l’Edit de Nantes), son règne est en déclin : épidémies, guerres européennes, guerre de Succession d’Espagne, famines, persécutions et intolérance religieuses, radicalisme…

Si bien qu’au crépuscule de son règne, le Roi-Soleil a fini par être dépassé par les évolutions sociales, intellectuelles, culturelles, morales et économiques qui couvent sous la cendre… et qui marquent l’ouverture du XVIIIe siècle. En 1715, alors qu’il rend son dernier souffle, la France, enfin, respire.

En outre, Louis XV, son arrière-petit-fils, n’a que cinq ans : une nouvelle régence s’annonce donc (sous la forme d’une période de grande liberté), suivie d’un règne bien plus souple que celui de son prédécesseur.

La prose connaît alors un essor sans précédent, sous forme de traités, de dialogues, d’essais, de monologues, de dictionnaires, d’ouvrages scientifiques et historiques, mais aussi de formes plus légères : le conte philosophique, les histoires orientales, le roman épistolaire, le roman d’apprentissage, le roman satirique, des opuscules journalistiques, analytiques et critiques portant sur des faits d’actualité (procès, massacres, politique)… Une infinité de types d’ouvrages se prêtent aux fourmillements de cette prose d’idées où s’exposent et se discutent toutes sortes de questions ; on recherche une pensée libre et conquérante.

C’est en effet le « Siècle des Lumières » qui s’ouvre et, avec lui, un tout nouveau monde qui se crée, fondé sur des valeurs nouvelles comme la liberté et la justice, un monde neuf qui éclate après la fin d’un règne solide mais interminable ; en bref, c’est un monde nouveau qui remet en question les valeurs et les fondements d’un régime qui, déjà, commence à paraître ancien.

Le XVIIe siècle a en effet été le siècle de l’autorité (celle du monarque en politique, de la religion en morale, des règles en littérature), de la rigueur, des lignes droites et de la rectitude du classicisme. Le XVIIIe siècle, au contraire, sera le siècle de l’ouverture, de la libération et de l’émancipation de l’esprit.

Celui qu’on appellera le « mouvement des Lumières » prend donc forme dès le tout début du XVIIIème siècle (qu’il marquera en entier), et même dans les dernières décennies du XVIIe siècle avec quelques grands précurseurs (Spinoza, Leibniz, Newton, Locke, Bayle, Fontenelle, Bacon, Fénelon…), mais il connaîtra sa véritable apogée avec la parution de L’Encyclopédie.

Les grands auteurs du XVIIIe siècle

Principaux auteurs et philosophes du siècle

On ne les présente plus : nombre d’entre eux figurent parmi les auteurs les plus étudiés au lycée :

Côté français : Voltaire, Montesquieu, Rousseau, Diderot, Beaumarchais, Marivaux, d’Alembert, Condorcet, le chevalier de Jaucourt, Alexis de Tocqueville, Condillac…

Pour l’étranger : Kant, d’Holbach, Hume, Helvétius, Benjamin Franklin, Beccaria, Adam Smith, Mary Wollstonecraft (dont je parle longuement dans mon roman James, d’ailleurs !^^)

+ les grands précurseurs cités en introduction, bien sûr : Spinoza, Leibniz, Newton, Locke, Bayle, Fontenelle, Bacon, Fénelon

Qui sont-ils ?

Les écrivains et philosophes du XVIIIe siècle ne constituent pas un groupe social homogène. Certains, comme Saint-Simon, appartiennent à la noblesse d’épée ; d’autres, comme Montesquieu, à la noblesse de robe ; d’autres encore, au clergé (l’abbé Prévost). Mais, nouveauté de l’époque : un nombre croissant d’auteurs (comme Beaumarchais, Rousseau et Diderot…) sont d’extraction roturière et provinciale.

Les plus chanceux sont riches (aristocrates) ou bénéficient d’une place à la cour du roi (ou d’un monarque étranger, d’ailleurs) ; mais la plupart des hommes de lettres doivent chercher leurs moyens de subsistance dans le mécénat, le secrétariat, le journalisme ou une activité professionnelle annexe.

Néanmoins, certains d’entre eux parviennent, peut-être pour la première fois, à vivre intégralement de leur plume, c’est-à-dire des revenus que leur procurent leurs ouvrages. Même s’ils vivent modestement et qu’il n’est point question pour eux de faire fortune, ces auteurs, premiers véritables écrivains « professionnels », constituent une force d’opposition ou de critique non négligeable sur laquelle il faut compter : ils « survivent » en effet en parfaite autarcie, sans le moindre mécène… et donc la moindre relation de dépendance…

Ainsi, peu à peu, le métier d’écrivain se professionnalise, s’officialise et se détache (en partie, du moins) de la pratique du mécénat. En 1777, sous l’impulsion de Beaumarchais, la propriété littéraire est même reconnue ! Pour la première fois de l’Histoire de France, un droit spécifique sur son travail est reconnu à l’auteur !

Souvent polyvalents, les penseurs de l’époque s’attachent à ne pas séparer leurs activités de savants, de chercheurs et d’intellectuels (curiosité technique, scientifique, historique, recherches philosophiques, linguistiques etc.) de leur production d’écrivains. Nombre d’entre eux ont plusieurs casquettes et excellent dans plusieurs disciplines.

Qu’il soit par ailleurs scientifique ou non, le philosophe du mouvement des Lumières est à la fois penseur, auteur, chercheur, mais également esprit mondain et honnête homme, homme d’action et libertin (au sens d’ « esprit critique et libre de penser »), homme de dialogue, homme de vertu, homme de contestation et apôtre d’une révolution pacifique.

De nombreux français…

S’ils sont fortement influencés par les libres penseurs anglais (Locke, Newton, Bacon…), il est à noter que de très nombreux penseurs français s’illustrent dans ce mouvement ; le français s’impose d’ailleurs à cette époque, peut-être plus que jamais, comme la langue de la culture, de l’érudition, de l’élite, des grandes cours et des échanges diplomatiques. Paris fait figure de capitale intellectuelle de l’Europe tout au long du XVIIIe siècle… même si, peu à peu, l’Angleterre (avec sa monarchie parlementaire…) commence à tirer son épingle du jeu et, politiquement et économiquement du moins, à occuper le devant de la scène…

Les femmes et les Lumières

Les salons tenus par des femmes (de l’aristocratie) sont, à cette époque encore, nombreux. Ceux de Madame du Deffand, de Madame Necker, de Madame de Tencin, de Madame Geoffrin, de Mademoiselle de Lespinasse, de la duchesse du Maine et de la marquise de Lambert sont restés célèbres.

On y pratique l’art de la conversation, on y échange des idées, on y parle politique, mondanités, littérature. Certaines riches hôtesses soutiennent matériellement les auteurs de leurs amis qui en ont besoin (Mme Geoffrin qui soutient Diderot alors qu’il travaille à la monumentale Encyclopédie, Mme d’Epinay qui aide Rousseau…)

Certaines femmes seront d’ailleurs elles-mêmes philosophes ou savantes, telle Emilie du Châtelet, première femme scientifique de France, qui traduisit l’œuvre de Newton, et dont le rêve était de devenir l’égale des hommes… et Mary Wollstonecraft (déjà évoquée), qui dénonçait les abus de la société patriarcale et l’oppression (juridique, entre autres) des femmes (y compris au sein de l’institution du mariage) et rêvait d’une éducation féminine égale à celle des hommes !

Les despotes « éclairés »

Plusieurs philosophes nouent des liens privilégiés (demeurés célèbres) avec des monarques européens, comme Descartes l’avait fait avec Christine de Suède au siècle précédent.

C’est ainsi que Voltaire est l’invité de Frédéric II de Prusse, et Diderot celui de Catherine II de Russie. Ces monarques aux pouvoirs souvent absolus (mais néanmoins fortement influencés par les idées progressistes des Lumières) seront souvent qualifiés de « despotes éclairés » : au siècle des Lumières, bien des rois recherchent ainsi la caution des philosophes.

L’idéal des Lumières

Le but ouvertement poursuivi par les philosophes des Lumières est d’éclairer les esprits à la lueur de la raison et, par l’introduction de la celle-ci dans les parcours personnels comme universels de l’humanité, d’apporter justice, équilibre, mesure, modération, structuration, logique, équité et clarté en tout un chacun, pour atteindre le bonheur collectif et individuel par l’exploration et l’exploitation des diverses voies de l’esprit.

En somme, permettre le bonheur et la liberté de chacun.

Les Lumières veulent aussi, par la connaissance, la recherche, la sagesse et l’expérience, faire reculer les conduites de peur et de superstition et conduire à un assainissement de la pensée et de la morale.

Bientôt, ils ne se contentent plus de chercher à aménager le monde au mieux en corrigeant telle ou telle de ses imperfections, de ses déficiences ou de ses abus, mais vont radicalement remettre en question les valeurs sur lesquelles leur société tout entière est fondée (l’Ancien Régime, la religion, la monarchie absolue de droit divin…).

Le XVIIIe siècle semble donc avoir appartenu à des esprits véritablement éclairés et éclairants ; des guides, des savants, des maîtres à penser : les « Lumières », qui donneront lieu à un mouvement profondément humaniste plaçant l’Homme au cœur de ses préoccupations et posant le bonheur de celui-ci en priorité absolue. Dieu n’intervient plus sur les destinées humaines ; l’Homme seul doit devenir artisan et le maître de son bonheur sur Terre. On renoue là avec l’humanisme du XVIe siècle, un humanisme fondé et axé sur la valeur de l’individu.

La pensée des Lumières, en quelques mots ?

Parce qu’une longue liste peut valoir mieux qu’un long discours, quelques mots-clés résumant les grands idéaux des Lumières :

Grands principes scientifiques :

  • Scepticisme
  • Esprit critique
  • Rigueur
  • Recherche
  • Observation
  • Expérimentation
  • Vérification
  • Analyse
  • Examen
  • Méthode
  • Logique
  • Déduction
  • Utilisation pratique de la connaissance
  • Recherche de la vérité
  • Idéaux philosophiques et sociétaux :
  • Foi en le progrès
  • Modernité
  • Affranchissement des contraintes et des illusions qui pèsent sur l’esprit d’investigation
  • Empirisme (=connaissance par l’expérience)
  • Rationalisme
  • Raison
  • Exploration
  • Enquête
  • Libre pensée/Libre examen
  • Erudition/savoir/connaissance
  • Progrès
  • Perfectibilité
  • Mission
  • Bonheur
  • Amélioration des conditions de vie
  • Recherche d’un bonheur collectif et individuel
  • Ambition novatrice et libératrice
  • Philosophie
  • Sagesse de vie
  • Prise de conscience
  • Civilisation
  • Culture
  • Relativisme culturel
  • Ouverture d’esprit
  • Curiosité intellectuelle
  • « tout examiner, tout remuer »=le maître mot des encyclopédistes
  • Culte du livre
  • Travail (en opposition avec l’oisiveté de la noblesse)
  • Mérite
  • Contestation
  • Esprit militant
  • Polémique
  • Ecriture engagée
  • Dénonciation
  • Revendications
  • Liberté
  • Justice
  • Egalité (entre les hommes… et même, chez Laclos par exemple, entre hommes et femmes)
  • Tolérance
  • Liberté de penser
  • Séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (Montesquieu)
  • Satire, ironie, humour et argumentation, tant direct qu’indirecte, comme vecteurs d’idées
  • Souveraineté du peuple

Les grands combats des Lumières

Inversement, voici en quelques mots ce contre quoi les philosophes des Lumières, chacun à leur manière, se seront érigés :

En matière de politique :

  • L’autoritarisme
  • Le despotisme
  • La monarchie absolue
  • L’injustice
  • Les privilèges (de la noblesse)
  • La concentration et la centralisation des pouvoirs
  • Les inégalités sociales
  • Les bases idéologiques et politiques du Vieux Monde
  • La violence/La brutalité
  • Les abus de pouvoir/L’usage de la force
  • La répression
  • L’oppression
  • La propriété privée
  • La société d’ordre
  • Le système castique
  • La guerre
  • La barbarie
  • L’esclavage (pour rappel, la traite négrière occidentale aurait concerné quelque 18 millions d’Africains)
  • La torture
  • La peine de mort
  • La censure

En matière de religion :

  • Les dogmes chrétiens
  • Le catholicisme sectaire
  • Le cléricalisme
  • L’hypocrisie religieuse
  • L’intolérance
  • Les explications métaphysiques du monde par la théologie (principalement concentrées dans les écrits bibliques et textes sacrés comme La Genèse)
  • L’obscurantisme
  • Le fanatisme
  • Les chimères, les superstitions, les préjugés, les fables
  • La crédulité/L’ignorance
  • Le manque d’esprit critique
  • La dépendance
  • Le respect aveugle de la tradition sans réflexion personnelle antérieure et examen critique
  • L’irrationalité

Quelques citations :

« Le peuple soumis aux lois en doit être l’auteur. La puissance législative appartient au peuple, et ne peut appartenir qu’à lui » Rousseau, Le Contrat social, 1762

« Lorsque le pouvoir législatif est réuni au pouvoir exécutif, dans la ou les mêmes personnes, il n’y a pas de liberté : on peut craindre que le même monarque ou la même assemblée ne fasse des lois tyranniques pour les appliquer tyranniquement » Montesquieu, De l’Esprit des lois, 1748

« Naturellement, tous les hommes naissent libres, c’est-à-dire qu’ils ne sont pas soumis à la puissance d’un maître, et que personne n’a sur eux un droit de propriété », Encyclopédie (1751-1766)

« L’homme n’est superstitieux que parce qu’il est craintif ; il ne craint que parce qu’il est ignorant » D’Holbach, La Contagion sacrée, 1768.

« Que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos corps, entre nos langages, entre nos usages, entre nos lois, entre toutes nos opinions, entre nos conditions… ne soient pas des signaux de haine et de persécution. » Voltaire, Traité sur la tolérance, 1763

« Aucun homme n’a reçu de la nature le droit de commander aux autres… (…) Le prince ne peut donc pas disposer de son pouvoir et de ses sujets sans le consentement de la Nation », Diderot, Article « Autorité », Encyclopédie

« Toute loi que le peuple n’a pas ratifiée est nulle… » Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, 1762

« Ô femmes ! Approchez et venez m’entendre. (…) Venez apprendre comment, nées compagnes de l’homme, vous êtes devenues son esclave ; comment tombées dans cet état abject, vous êtes parvenues à vous y plaire, à le regarder comme votre état naturel ; comment enfin, dégradées de plus en plus par une longue habitude de l’esclavage, vous en avez préféré les vices avilissants mais commodes aux vertus plus pénibles d’un être libre et respectable. » Choderlos de Laclos, Traité des femmes et de leur éducation, 1783

« L’égalité naturelle est le principe et le fondement de la liberté. Tous les Hommes naissent, croissent, subsistent et meurent de la même manière » Chevalier de Joncourt, Encyclopédie

Petite citation qui vaut son pesant de cacahuètes :

« Les prêtres sont les ennemis de la raison et les fauteurs de l’ignorance. Ils sont très riches et très dangereu. Ils infectent votre nation avec leurs mensonges. Ces orgueilleux et inutiles fainéants coûtent à l’Etat des sommes immenses pour brailler dans un édifice et nous assourdir de leurs cloches » Diderot, Discours d’un philosophe à un roi, 1774

Malgré la censure et les nombreux subterfuges développés au XVIIIe siècle… force est de constater qu’on ne mâche pas toujours ses mots !!!

L’engouement pour les voyages

Le contexte économique, politique et géographique de l’époque est propre à encourager un certain engouement pour les voyages. En effet, entre :

  • la volonté politique de s’approprier les nouvelles voies de commerce (vers les Amériques, les Indes, en contournant l’Afrique…)
  • les besoins croissants, en termes de consommation, de denrées exotiques (coton, soie, maïs, cacao, café, sucre…)
  • les ambitions commerciales et économiques des grandes nations européennes
  • la volonté missionnaire (=évangélisation)
  • la découverte d’innombrables autres cultures
  • et les progrès de la navigation

… les grands penseurs de l’époque ne pouvaient qu’être tentés de voyager, eux aussi – et de partir à la rencontre de ces nouveaux peuples, ô combien fascinants parfois, dont on parle avec tant d’émotion dans les grands salons…

A l’instar des colonisateurs, des négociants, des commerciaux, des marchands, des aventuriers en quête de terres nouvelles ou des simples curieux, les penseurs commencent donc à sillonner le monde, aussi bien européen que lointain.

L’Inde, la Chine, l’Orient, l’Arabie, la Perse, l’Afrique et le Nouveau Monde (Amérique) fascinent tout particulièrement l’élite intellectuelle. On retrouve là, bien sûr, de nombreux points communs avec l’époque de la Renaissance (à laquelle remontent les premières grandes découvertes, les premiers grands voyages, les premiers grands navigateurs), à ceci près que, cette fois, l’élite intellectuelle se met plus activement à voyager elle-même, notamment outre-mer.

Dès lors, le récit de voyage ouvre le lecteur à la diversité des usages, des cultures, des mœurs, des coutumes, des pratiques quotidiennes, des modes vestimentaires et alimentaires, des réalités matérielles, des croyances, des religions, des traditions, des mentalités, des valeurs morales, et suscite non seulement l’étonnement, mais aussi la réflexion par la force de ses comparaisons. De là naît l’idée d’une vérité toute relative et non absolue et universelle.

Fonctions reconnues par les penseurs au voyage :

  • l’enrichissement personnel : le voyage est formateur
  • le travail sur le relativisme : le voyage est une source de réflexion sur les différences. A l’ethnocentrisme commence à faire concurrence une attitude nouvelle : le relativisme culturel.
  • L’alimentation d’une réflexion sur le rapport entre nature et culture par le biais des notions de civilisation, de barbarie, de droit naturel et d’esclavage.

Cet engouement pour les voyages et les contrées « exotiques » se trouve également renforcé par les récits et les romans de Tavernier, de Chardin et de Bernier qui mettent l’Orient et les mondes lointains à la mode, mais aussi par la traduction des Mille et Une nuits, qui contribue à accentuer la vogue de l’orientalisme.

La circulation des idées

Fleurissent un peu partout les Académies parisiennes et provinciales (où se déroulent concours, réunions et enseignements en tout genre), les muséums, les observatoires, les salons tenus par de savantes aristocrates, les cafés où se les intellectuels aiment à se réunir (café Procope, café de la Régence, café de la veuve Laurent, café Gradot…), les cercles (ex : celui de l’Entresol), qui évolueront en clubs (notamment politiques) la fin du siècle, les cabinets de curiosité, les cabinets de lecture (ancêtres des bibliothèques), les sociétés d’agriculture, les loges de la franc-maçonnerie qui se préoccupent de débats politiques et sociaux, les institutions culturelles indépendantes, les Jardins du Roi… Autant de lieux de rencontre, de débats et d’échange, par lesquels les idées des Lumières se diffusent.

Le XVIIIe siècle est en outre le siècle de la presse, des loueurs de livres, de l’imprimé (gazettes, livres) et de l’explosion des formes d’ouvrage de vulgarisation scientifique (romans à thèse, contes philosophiques, opuscules, traités, encyclopédies…) = colossal travail de vulgarisation scientifique et de pédagogie via de nouveaux moyens de diffusion de la connaissance. Les Lumières s’attachent en effet à rendre la connaissance plus accessible et à la populariser ; les ouvrages se veulent plus accessibles, en langue nationale, et l’on intègre du contenu scientifique, philosophique ou politique à des formes littéraires traditionnelles comme le roman ou le conte pour le rendre moins hermétique.

On veille donc à n’employer ni un ton pédant, ni des termes obscurs, ni un style ampoulé ou ostensiblement réservé à une élite cultivée : on use de l’anecdote, de l’ironie, d’une certaine légèreté, des paraboles, des métaphores, du dialogue mondain, de genres brefs, de styles vivants, d’images, de surprises, de récits fabuleux, de contes arabes… pour rendre la connaissance et la réflexion plus digestes, plus accessibles, plus universelles.

Néanmoins, si la diffusion des idées des lumières a sans aucun doute favorisé la naissance d’une « opinion publique » et de contre-pouvoirs, et si elles ont sans aucun doute aussi contribué à politiser les élites, il convient de garder en tête que l’analphabétisme marque encore nettement la France du XVIIIe siècle et qu’environ les deux tiers des Français de cette époque ne savent pas lire. Cette « République des Lettres » s’adresse donc en réalité pour l’essentiel à une élite, la bourgeoisie et l’aristocratie lettrées.

Cependant, les progrès de l’alphabétisation et de la lecture permettent, dans le même temps, le développement d’un « espace public » dans lequel débordent les débats qui ne se cantonnent plus aux cercles restreints des salons mondains et des cafés littéraires. Les idées dépassent largement le petit cercle des élites et de l’administration, impliquant progressivement des secteurs de plus en plus larges de la société…

Le développement des sciences, des techniques et du matérialisme :

Tout comme au temps des humanistes de la Renaissance, le siècle des Lumières est marqué par de nombreuses avancées scientifiques et techniques.

Se développent tout particulièrement la botanique, la zoologie, la biologie en général, la chimie, l’astronomie, la physique, la géométrie, mais aussi les sciences humaines (voir section suivante). On attaque les explications religieuses du monde, on cherche à tout observer à travers le filtre de la science et de la raison. C’est le début du positivisme…

Les progrès techniques se multiplient, notamment à la fin du siècle (début de la Révolution industrielle) : machine à vapeur, paratonnerre, télescope, instruments de navigation, progrès de la médecine, thermomètre au mercure, acier au creuset, machine à écrire, extraction du sucre de la betterave, découverte du chlore, premier chemin de fer, sémaphore, montgolfière, recherches sur le magnétisme, sur l’optique… Pour plus de détails sur les grandes inventions du la fin du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, je vous renvoie à mon article sur la Première Révolution Industrielle, que vous pouvez retrouver ici.

Les grands ouvrages scientifiques (fondateurs de nos sciences modernes) se multiplient également. Quelques exemples :

L’Histoire, la Politique et l’Economie :

Les philosophes sont aussi amenés à s’intéresser à l’Histoire, à la politique et à l’économie : c’est l’époque du développement du capitalisme, du matérialisme, de l’industrialisation (début de la Révolution industrielle en Angleterre à la fin du siècle déjà), de l’agronomie, de la physiocratie (science de l’agriculture), du commerce, des mouvements théoriques de pensée économique (comme le malthusianisme en Angleterre)…

On commence à porter sur ces sciences de l’humain un nouveau regard. Ces matières deviennent un sujet d’analyse et d’observation rigoureuse, la source d’une réflexion critique et de moult interrogations. Non seulement on remet en question les valeurs d’un régime dont on conteste à la fois l’autoritarisme, le despotisme, l’obscurantisme, l’absolutisme et les faiblesses, mais en plus on s’attache à définir un système politique idéal, inspiré de la monarchie constitutionnelle et parlementaire anglaise, jugée plus libérale et plus tolérante (car désormais, aux vieux royaumes de droit divin et au catholicisme sectaire, comme la France et l’Espagne, s’opposent des nations protestantes comme la Hollande, l’Allemagne du Nord ou l’Angleterre…)

Impossible de ne pas mentionner ici L’Esprit des Lois de Montesquieu, dont la pensée résolument et étrangement moderne avant l’heure préfigurera la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, la Constitution américaine, la Constitution française, les institutions des gouvernements libéraux actuels… Dans cet ouvrage colossal, Montesquieu procède à une étude comparée des lois de nombreux pays et de nombreux peuples. Une entreprise titanesque, une analyse rigoureuse et méthodique et, surtout, le fruit de vingt années de voyages, d’observations, de visites, de lectures et de recherches qui ont permis à Montesquieu de comprendre à quel point les lois sont tributaires d’un ensemble de considérations à la fois géographiques, climatiques, physiques, humaines, sociales, économiques, culturelles et religieuses, qui déterminent leurs origines et leur nature.

Montesquieu aura ainsi passé sa vie à rassembler analyses, réflexions et synthèses, à voyager, à se déplacer, à chercher à se baser sur les faits, de façon à pouvoir procéder à une véritable analyse à l’échelle européenne (et même au-delà). En résulteront de nombreux principes de la politique contemporaine (dont la célèbre séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire) et la naissance d’une véritable science politique.

Genres majeurs du mouvement des Lumières:

La prose connaît un essor sans précédent, dans des textes d’apparences très variés (pluralité des genres):

  • La prose d’idées : traités, dialogues, lettres, dictionnaires, encyclopédies, essais, contes philosophiques, dialogues philosophiques, pamphlets, libelles, réquisitoires… = s’y discutent toutes sortent de questions. Cette prose favorise la discussion, l’échange, l’écoute, le partage des opinions, cherche à affûter les outils de la réflexion critique, donne matière à débat, nourrit force réflexions, s’efforce de détruire les obstacles s’opposant à une pensée libre et conquérante.
  • Les récits de voyages, réels ou imaginaires : pour ouvrir les esprits, alimenter le relativisme culturel alors en vogue dans les cercles intellectuels, provoquer des chocs culturels, inviter les âmes au voyage, inciter les lecteurs à relativiser…
  • Les romans épistolaires, dont les deux plus célèbres : Les Lettres Persanes (de Montesquieu), et Les Liaisons Dangereuses (de Choderlos de Laclos).
  • Le théâtre : comédies (Beaumarchais, Marivaux…)  et drames bourgeois (Diderot…) surtout.

A l’inverse, on notera un déclin considérable des genres poétiques qui avaient fait la gloire de certains mouvements précédents (baroque, Pléiade…)…

Petite pause…

Mais je crois qu’il est à présent grand temps de faire une petite pause… pour ceux qui auraient besoin de faire le plein de café ! Et je vous retrouve tout de suite ici pour la 2e partie de cet article (plus courte, plus courte !^^) qui mettra la focale sur 3 points incontournables lorsqu’on évoque les lumières :

A tout de suite !


Texte : ©Aurélie Depraz
Image (tableau) : Lecture de la tragédie « L’Orphelin » de la Chine » de Voltaire dans le salon de Madame Geoffrin
LEMONNIER Anicet Charles Gabriel (1743 – 1824)
© Photo RMN-Grand Palais – D. Arnaudet
Source : https://histoire-image.org/de/node/6258

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