Littérature, amour & érotisme

Le Siècle des Lumières (suite et fin)

Et voici la 2e partie de ma synthèse sur l’incontournable Mouvement des Lumières…

Vous pouvez en retrouver la première partie ici. Vous y retrouverez les informations suivantes :

  • La mort du Roi-Soleil et l’ouverture du Siècle des Lumières
  • Les grands auteurs du XVIIIe (principaux auteurs et philosophes du siècle, les auteurs français, la place des femmes dans le mouvement, les despotes éclairés…)
  • L’idéal des Lumières
  • La pensée des Lumières en quelques mots (grands combats, grands idéaux, mots d’ordre, thèmes de prédilection, grands principes scientifiques…)
  • Quelques citations fameuses
  • L’engouement pour les voyages au XVIIIe siècle
  • La circulation des idées
  • Les progrès des sciences, des techniques et du matérialisme
  • Le développement des sciences humaines (Histoire, politique, économie…)
  • Les grands genres à la mode

Ce second article a pour but de braquer la focale sur 3 sujets complémentaires, incontournables lorsque l’on aborde le Siècle des Lumières : la monumentale Encyclopédie, la censure… et le lien entre Lumières et Révolution française… (et américaine, d’ailleurs !)

Zoom sur… l’Encyclopédie

Impossible de parler des Lumières sans évoquer cette publication gigantesque en 28 volumes (17 de textes, 11 de planches, 60 000 articles au total) couvrant tous les domaines de l’époque (métiers, artisanat, science, politique, histoire naturelle, arts, lettres…)

Aussi dit « Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers » (son sous-titre), son but officiel était de faire connaître les progrès des sciences et de la pensée dans tous les domaines, de dévoiler les secrets du monde du travail et des corporations, de faire le jour sur les notions morales et philosophiques de l’époque etc. ; en somme, de mettre à plat toutes les connaissances artistiques, intellectuelles, techniques, industrielles, professionnelles, artisanales et scientifiques de l’époque sous forme de classement (à la manière d’un dictionnaire) et de façon illustrée (pour être accessible au plus grand nombre).

Avec ses quelques 60 000 entrées, l’Encyclopédie introduit ainsi ses lecteurs dans le monde de la mine, de l’agriculture, des manufactures, des ateliers, de la pensée philosophique…

La cheville ouvrière de l’ouvrage ? Diderot, qui recrute de nombreux auteurs et ses nécessaires collaborateurs et entreprend une grande enquête technique jusqu’au cœur des ateliers artisans d’artisans.

Œuvre collective, elle regroupe des articles d’auteurs aussi variés que d’Alembert, le chevalier de Jaucourt, Turgot, Saint-Lambert, d’Holbach, Voltaire, Montesquieu, Marmontel, Questnay, Cordillac, Damilaville, Helvétius… En tout, ce sont plus de cent cinquante savants, philosophes et spécialistes de toutes disciplines qui participeront au projet encyclopédiste entre 1751 et 1772.

Mais, en réalité, Diderot cherche à dissimuler, sous le sérieux d’un dictionnaire la hardiesse de sa pensée parfois fortement subversive, teintée aussi bien d’érudition que de rationalisme, afin de faire triompher la raison tout en contournant la censure, et sans alerter ses opposants.

En effet, le système de présentation et de structuration de l’œuvre et des informations délivrées sous forme d’articles organisés par ordre alphabétique, à la manière d’un simple dictionnaire garni de nombreuses entrées, offrait des ruses permettant de masquer, sous la couverture de titres anodins et en apparence neutres, des contenus audacieux, des remises en question périlleuses, des messages virulents, par un véritable labyrinthe de renvois et de traits philosophiques. Le même sujet se trouve repris et traité en divers endroits, parfois de façon objective, parfois de manière plus virulente, et sous divers éclairages, parfois même contradictoires…

Bien qu’elle se présente comme un recueil de connaissances universelles, l’Encyclopédie contient donc un certain nombre d’articles de nature plus ou moins explicitement argumentative et reflétant les grands combats des Lumières. S’y retrouvent, en filigrane, la dénonciation de l’esclavage, la critique du fanatisme, la contestation de l’absolutisme, le rejet de l’arbitraire, la recherche de la liberté, la défense des droits individuels, la demande de l’émancipation des derniers serfs français, la lutte pour la tolérance, l’abolition de la peine de mort, la lutte contre la torture, l’importance du savoir, de la raison et de l’éducation, le combat contre les préjugés, le refus de la domination de l’Eglise, le réexamen et la critique des doctrines de l’Eglise, la défense du libéralisme économique, le refus des privilèges fiscaux et fonciers, la critique de la société d’ordres etc.

A travers cette œuvre monumentale, véritable emblème du siècle des Lumières et ouvrage aussi bien théorique que pratique, les encyclopédistes seront ainsi parvenus à faire passer leur idéal philosophique en évitant la censure, et à diffuser auprès du plus grand nombre un savoir libre de tout préjugé et de toute superstition, et fournissant un matériel pour « changer la façon commune de penser » (Diderot).

Zoom sur… la censure

Ne nous y trompons pas : la censure est encore très présente, en particulier sous Louis XVI (qui revient à davantage de rigueur et d’austérité que son prédécesseur) ; tout ouvrage doit obtenir de l’administration royale un « privilège » ou une « permission » et s’avérer conforme aux normes religieuses, politiques et morales en vigueur pour pouvoir être publié. Peuvent ainsi être sévèrement punis, y compris par la peine de mort, les auteurs, éditeurs, imprimeurs ou colporteurs d’ouvrages tendant à attaquer la religion, à porter atteinte à l’autorité du roi et à échauffer les esprits par des idées subversives.

Auteurs et éditeurs multiplient donc les ruses et les astuces pour éviter les interdictions qui menacent les ouvrages et les pensées trop audacieux : les livres les plus subversifs sont souvent édités clandestinement ou à l’étranger, comme à Londres, à Genève ou à Amsterdam (véritable refuge de la liberté de publication). Quant à Beaumarchais, c’est à Kehl, en Allemagne, qu’il entreprend la republication intégrale de tous les volumes produits par le très subversif Voltaire… La clandestinité s’accompagne ainsi de trafics, de contrefaçons et d’un commerce souvent très prolifique.

D’autres moyens de contourner la censure concernent les textes mêmes : le recours aux paraboles, à l’ironie, à l’implicite, aux contes orientaux, aux récits de voyages, à l’argumentation indirecte, aux dialogues philosophiques, aux lettres fictives, aux recueils de lettres et aux romans épistolaires… Autant de moyens d’éviter plus ou moins subtilement (et efficacement) la censure, en habillant sa pensée de formes plaisantes, séduisantes, trompeuses et chatoyantes.

Enfin, certains auteurs bénéficient de la protection de grands seigneurs, de ministres ou de souverains d’Europe qui s’intéressent de près à leur œuvre et leur apportent leur puissant soutien.

Néanmoins, si l’on ne parle plus alors de bûcher, cette « liberté de blâmer » en conduit plus d’un en prison… ou en exil. Voltaire et Diderot eux-mêmes passeront quelque temps derrière les barreaux, à l’instar de nombreux autres éditeurs, auteurs et libraires, à Vincennes ou à la Bastille. Ce qui, quelque part, contribuera, par effet inverse aux résultats escomptés… à accroître la curiosité du public.

De fait, les emprisonnements retentissants, les révocations bruyantes de privilèges, ces œuvres si choquantes qu’on en emprisonne les auteurs… fascinent le public et, d’une certaine façon, confèrent à ces écrivains une publicité fracassante : on se passionne pour ces écrits qui sapent les fondements politiques, religieux ou sociaux de la monarchie, on se dispute leurs œuvres éditées sous le manteau ou venues de l’étranger…

L’Encyclopédie elle-même, sera à plusieurs reprises frappée d’interdit et menacée de disparaître ; sa création et le long combat de Diderot pour lui permettre de voir le jour seront, en quelque sorte, également une bataille de portée générale pour la liberté d’expression.

Les Lumières et la Révolution

Le rôle des Lumières dans le déclenchement de la Révolution française est aujourd’hui encore âprement disputé.

Selon certains, les idées des Lumières auraient atteint les couches populaires à partir du début des années 1780, jouant ainsi un rôle majeur dans le déclenchement de la crise qui secouera le pays à la fin du siècle.

Selon d’autres, la rupture devrait être attribuée aux agissements secrets de certains philosophes de façon clandestine dans les sociétés de pensée ou les loges maçonniques.

Selon d’autres encore, il est difficile de soutenir l’idée d’une mentalité révolutionnaire portée par les pensées des Lumières, tant l’analphabétisme est encore important en France.

D’autres analystes encore s’attachent à souligner que les revendications des philosophes eux-mêmes étaient, en soi, diverses et multiples. Mais force est néanmoins d’admettre que certains auteurs contestaient explicitement, et avec une certaine véhémence, l’ordre établi, et qu’au sein même des rangs des révolutionnaires, il existera une bohème littéraire et journalistique (Marat, Restif de la Bretonne, Desmoulins, Hébert, Maréchal, Linguet…) diffusant sous le manteau, à coups de pamphlets, de diatribes, de libelles ou d’affiches, des idées particulièrement subversives (diffamation, injures, attaques directes contre la monarchie, l’aristocratie, la royauté et le clergé…)

Enfin, certains estiment que les Lumières n’ont pas directement enfanté la Révolution ; mais qu’à l’inverse, celle-ci s’est, après coup, cherché une légitimité dans les textes fondateurs et les grands penseurs du XVIIIe.

Si l’on ne peut affirmer avec certitude que les grands philosophes des Lumières, leurs combats et leurs œuvres ont un lien organique direct avec le déclenchement de la Révolution, force est de constater, en revanche, que les fondements idéologiques de l’Ancien Régime sont, avec eux, minés bien avant la prise de la Bastille du 14 juillet 1789.

Néanmoins, impossible de voir en la Révolution Française, et notamment en la forme qu’elle revêtira (Terreur, guillotine, règlements de compte, pillages, massacres…) une œuvre directe des Lumières, qui luttaient précisément contre tout ce qui constituera les méthodes de la Révolution puis de la Terreur, violence, torture, barbarie, peine de mort, autant de méthodes en tous points opposées aux grands idéaux de tolérance, de justice et de paix des Lumières. Aucun philosophe des Lumières n’aurait et n’a prescrit les solutions brutales adoptées par les révolutionnaires. Si la critique de leur temps était parfois féroce, nombre d’entre eux se contentaient d’encourager une régénération, une réforme du système monarchique, et non son éradication pure et simple… par la voie de la décapitation, qui plus est !

Une certitude demeure : avec les Lumières, c’est une aspiration au changement et une exigence de réformes qui a vu le jour tout au long du XVIIIe siècle. Mais il convient de ne pas en oublier pour autant les innombrables autres causes directes ayant peu à peu conduit le peuple à prendre en main son destin : mauvaises récoltes, banqueroute de l’Etat, famines, guerres (de Succession d’Autriche, de Sept Ans, coloniales…), scandales entourant la famille royale (et notamment la reine Marie-Antoinette), croissance et triomphe de la bourgeoisie, exemple anglais…

Alors, oui ! Sans nul doute, ce furent les conceptions des Lumières qui, en matière de politique, ouvrirent la voie aux Révolutions américaine et française, et s’il est difficile d’établir une filiation directe entre une série d’idées et des événements politiques concrets, on admet généralement que les philosophes français du XVIIIe siècle ont néanmoins creusé un sillon dans lequel a été semé le grain de la future Révolution… qui, pour avoir des origines, entre autres, intellectuelles, n’en est pas moins un événement historique à part entière, avec sa propre dynamique, sa propre histoire, ses propres causes multiples et variées, qui interdisent de l’enferme dans une simple genèse intellectuelle, idéaliste et philosophique.

Roger Chartier, pour sa part, va jusqu’à renverser la question, et se demander si ce ne serait pas la Révolution elle-même qui, a posteriori, et soucieuse d’enraciner sa légitimité dans un corpus de textes fondateurs, aurait « inventé » les Lumières, ce groupe d’hommes « unis » dans la préparation d’un nouveau monde et de la rupture avec l’ancien. N’est-ce pas la Révolution elle-même qui, après coup, se serait « approprié » les Lumières ?

En tout cas, Rousseau l’avait vue venir (et il n’était pas le seul) : « Nous approchons de l’état de crise et d’un siècle de Révolution », écrivait-il. Une Révolution et une crise qui secoueront toute la fin du XVIIIe siècle… et ouvriront directement la voie à un nouveau mouvement directement issu de cette période de crise et de perte des anciens repères : le Romantisme.

Conclusion :

Période fondamentale de l’histoire et de la culture européenne marquée par le rationalisme philosophique, la critique de l’ordre établi et l’exaltation des sciences, le siècle des Lumières se caractérise à la fois par :

  • un fort vent de remise en question
  • une revendication croissante de la liberté de penser
  • les progrès et la curiosité scientifiques
  • l’affaiblissement de la monarchie en France
  • le déclin de l’Ancien Régime et des dernières traces de féodalité
  • le refus des hiérarchies et des idéologies politiques et religieuses au nom d’un humanisme axé sur la valeur de l’individu
  • la montée de la bourgeoisie
  • la fin, peu à peu, de la suprématie française en Europe (si évidente au XVIIe siècle, notamment sous Louis XIV) et le début de la prépondérance de l’Angleterre, pays qui s’éveille certes plus vite que la France à la vie moderne en marche.

Le but des Lumières est simple : asseoir le règne de la raison et libérer l’homme de tout ce qui l’empêche d’agir et de penser selon la raison : les croyances, la religion, les superstitions, l’ignorance, le fanatisme…

Deux images communément répandues illustrent cette notion de progrès qui imprègne l’intégralité de ce mouvement culturel :

  • Celle de la croissance : l’Homme, jusqu’alors un enfant, vivait dans l’ignorance, et  le développement des sciences et des connaissances le fait (enfin) accéder à l’âge adulte.
  • Et celle de la Lumière : l’humanité est maintenant en marche vers une clarté nouvelle, les esprits s’éclairent.

Quelques œuvres :

  • Candide ou l’Optimisme, Voltaire,
  • Micromégas, Voltaire
  • Zadig ou la Destinée, Voltaire
  • L’Ingénu, Voltaire
  • Lettres philosophiques, Voltaire
  • Traité sur la tolérance, Voltaire
  • Du contrat social, Rousseau
  • Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité entre les hommes, Rousseau
  • L’Encyclopédie ou le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Diderot et d’Alembert (entre autres)
  • Manon Lescaut, l’Abbé prévost
  • Réflexions sur l’esclavage, marquis de Condorcet
  • Le Mariage de Figaro, Beaumarchais
  • Le Barbier de Séville, Beaumarchais
  • De l’esprit des lois, Montesquieu
  • L’esclavage des nègres, Montesquieu
  • Lettres persanes, Montesquieu
  • La mère coupable, Beaumarchais
  • Le fils naturel, Diderot
  • Qu’est-ce que les Lumières ? Kant
  • Traité des femmes et de leur éducation, Pierre Choderlos de Laclos
  • Les Liaisons dangereuses, Pierre Choderlos de Laclos
  • Premier Mémoire sur l’instruction publique, Condorcet
  • Lettre sur la tolérance, Locke
  • Dictionnaire historique et critique, Bayle
  • Pensées diverses sur la comète, Bayle
  • Supplément au voyage de Bougainville, Diderot
  • Entretiens sur la pluralité des mondes, Fontenelle
  • De l’Origine des Fables, Fontenelle
  • Histoire des Oracles, Fontenelle
  • Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, Diderot
  • Rêve de d’Alembert, Diderot
  • Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence, Montesquieu
  • Les Confessions, Rousseau
  • Julie ou la Nouvelle Héloïse, Rousseau
  • Emile, ou de l’Education, Rousseau

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Bonne lecture à tous !

Texte : ©Aurélie Depraz
Illustration (tableau) : LOUIS XVI DONNANT SES INSTRUCTIONS À LA PÉROUSE, 29 JUIN 1785 (oeuvre de MONSIAU Nicolas André (1754 – 1837)
Photo ©  RMN – Grand Palais (château de Versailles) / Gérard Blot
Source : https://histoire-image.org/de/etudes/expedition-perouse

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