Littérature, amour & érotisme

Le classicisme français. Zoom sur… le théâtre

classicisme - théâtre classique

Petit complément à mon article sur le classicisme… (qui commençait à devenir vraiment, vraiment long^^)

NB : si vous ne l’avez pas encore lu, je vous invite à commencer par jeter un œil à mon article introductif sur le mouvement classique, ce « zoom » rapide n’ayant pour but que d’apporter quelques compléments d’information sur un genre particulièrement prisé à la fin du XVIIe siècle en France : le théâtre.

Ainsi, pour une introduction plus générale (mais complète !^^) au classicisme français dans son ensemble… commencez donc par cette première synthèse !

Introduction

Tandis que la poésie est relativement rare à l’époque classique (œuvres de Racine et de La Fontaine mises à part), et que le roman demeure un genre jugé (très) mineur (au point qu’on ne s’avoue que rarement auteur de romans et que la plupart de ces œuvres romanesques sont publiées anonymement, surtout quand elles sont écrites par des aristocrates… et a fortiori par des femmes… #MmedeLaFayette…), le théâtre, pour sa part, est un genre particulièrement prôné par Louis XIV et fort prisé à la cour.

En effet, l’art dramatique demande rigueur, maîtrise et vérité et sert à des fins politiques et morales. A ce titre, il est particulièrement utilisé comme vecteur de messages et comme outil de « propagande » (terme légèrement anachronique, je l’admets)…

Deux genres se distinguent très rapidement : la comédie… et la tragédie, bien sûr.

Le théâtre classique : quelques rappels

Un genre rigoureusement codifié

A l’instar des autres genres classiques, le théâtre est codifié par de nombreuses règles et normes contraignantes et se trouve surveillé par trois instances majeures :

  • Le pouvoir politique (censure, contrôle, protection de certains auteurs participant à la gloire des grands, mécénat, commandes littéraires…)
  • L‘Eglise, qui veille farouchement à ce qu’on ne représente rien de sanglant ni de vulgaire sur scène, à ce que ni le Mal ni les passions ne puissent triompher… (le théâtre étant, à ses yeux, un art par définition immoral, tendancieux, subversif, donc à surveiller)
  • Les doctes (notamment ceux de l’Académie française…), qui veillent à ce que l’on respecte les règles jugées importantes, celles d’Aristote, d’Horace…

Les règles encadrant le genre sont nombreuses et comprennent notamment:

  • la règle de vraisemblance (illusion du vrai)
  • la règle de bienséance (ne pas choquer le lecteur ou le spectateur, ne pas montrer de sang ni la mort sur scène au théâtre, ne pas représenter le vulgaire…)
  • la règle des 3 unités :
    • Unité de temps = l’action (l’histoire) doit se dérouler en moins de 24 heures.
    • Unité de lieu (= en 1 seul lieu), plutôt neutre (ex : un palais, une salle, un hôtel particulier bourgeois…)
    • Unité d’action (= une histoire, une cohérence – vs. le foisonnement des péripéties baroques). En matière de classicisme, point d’intrigues secondaires multiples. L’action doit être complète, linéaire, articulée autour de quelques personnages seulement, avec un commencement, un milieu et une fin, point.

Plaire et instruire

Le théâtre se veut divertissant mais aussi didactique et utile sur le plan social : comme (et peut-être plus encore que) les autres genres, il a pour fonction de plaire et d’instruire à la fois. Les dramaturges s’accommodent donc des règles édictées pour offrir des spectacles où les exigences de la morale (bon goût, bienséance, rigueur de la langue, équilibre, modération…) vont de pair avec une moralité certaine, l’éducation du public et une satire modérée du pouvoir, de certaines groupes ou de la société tout entière.

La séparation des genres

Enfin, le théâtre est particulièrement marqué par l’impératif de séparation des genres qui se met en place à l’époque: on ne saurait mélanger le tragique et le comique, le grotesque et le sublime (comme le permettait le baroque, et comme s’en targuera le romantisme). Les règles classiques y sont rigoureusement appliquées, surtout en matière de tragédie (la comédie, en tant que genre mineur, retient un peu moins l’attention des théoriciens, et reste de ce fait un peu plus libre…).

Deux genres dominent donc ce théâtre, deux genres repris de l’Antiquité et adaptés au goût du jour : la comédie et la tragédie.

La comédie classique

Différents types de comédies sont en vogue à l’époque

(et particulièrement développés par Molière) :

  • La comédie de caractère (ex : L’Avare, Tartuffe) = comédie articulée autour d’un personnage principal (souvent éponyme) aux travers psychologiques mis en exergue.
  • La comédie de mœurs (ex : Les Précieuses Ridicules) = comédie s’attachant aux travers (vices, défauts…) d’une société ou d’un groupe, aux enjeux d’une époque ou au ridicule d’une mode, et fondant ainsi son comique sur la satire des mœurs contemporaines et de certains traits de la société.
  • La comédie à tiroirs = scènes rattachées autour d’un thème central.
  • La comédie d’intrigue = comédie enchaînant les péripéties et les stratagèmes (influence baroque) : son charme tient surtout dans la complication comique de l’action et ses rebondissements multiples (ex : Dom Juan, d’influence nettement baroque)
  • La comédie d’idées = comédie illustrant des idées plus ou moins philosophiques.
  • La farce = seul genre du Moyen Âge subsistant grâce à Molière. Gros rire. (ex : Les Fourberies de Scapin)

Toutes les formes de comique peuvent s’y retrouver :

  • Le comique de situation (quiproquos, malentendus, amant dans le placard, intrus sous la table ou sous le lit, méprises…)
  • Le comique de caractère (on exploite le filon des travers humains et des défauts poussés à l’extrême : avarice, misanthropie, naïveté, paranoïa, hypocrisie…)
  • Le comique de mœurs (on se moque des vices à la mode, des modes ridicules…)
  • Le comique de geste (coups de bâton, coups de pied au derrière, tarte à la crème dans la figure…)
  • Le comique de parole/de mots (jeux de mot, humour franc, cacophonies, calembours…)
  • L’ironie (usage du second degré, ce qui exige une certaine complicité avec le public et la capacité de celui-ci à décoder les sous-entendus…)
  • L’humour noir, qui plaisante sur des réalités macabres ou horribles (au XXe s., il se retrouvera notamment dans la presse satirique)
  • Le burlesque (voir mon article sur le baroque)
  • La parodie : le fait d’imiter un texte ou un personnage : le comique naît des déformations plaisantes que l’on fait subir au modèle (souvent en l’abaissant)

Buts et dénouement

Bien entendu, le but premier de la comédie est de faire rire, de divertir, d’amuser. Néanmoins, comme l’impératif didactique du classicisme n’est jamais loin, les œuvres comiques se doivent également d’édifier le lecteur et d’avoir une portée morale. Ainsi, la devise de Molière devient « castigare ridendo mores » = corriger les mœurs par le rire. L’idée est de plaire, de faire rire et de distraire tout en instruisant le public/le lecteur et en dénonçant les vices et les défauts de chacun.

Le dénouement est heureux, bien sûr (mariage, coup de théâtre permettant au tout de rentrer dans l’ordre, deus ex machina pour sauver le jeune couple d’amoureux du malheur…)

Thèmes de prédilection

Le mariage, l’argent, la famille, la vie quotidienne, les problèmes sociaux, l’opposition des classes, la bourgeoisie, le rapport maître-valet, traits de caractère caricaturaux…

Types de personnages

Bourgeois, domestiques (valets, servantes…), négociants, peuple ; quelques nobles également (souvent des rôles secondaires). On a souvent affaire à des personanges-types, l’avare, le bourgeois, le commerçant, le médecin, le père, le vieux barbon, les jeunes amoureux innocents, le valet rusé, le (faux) dévot…

Tons, registres, niveaux de langue

Sans grande surprise, registres ironique, satirique, comique, parodique (burlesque, héroï-comique)… dominent l’œuvre comique.

Niveau de langue familier, courant, retranscription des patois locaux, des jargons professionnels: le langage de chaque personnage doit être adapté à son rang social (paysan, domestique, noble…), à sa profession…

La tragédie

C’est LE genre noble par excellence au théâtre à l’époque… (et pour des siècles, d’ailleurs…)

Buts et dénouement

A l’instar de son inspiratrice, la tragédie grecque, le principal objectif visé à travers les larmes et les souffrances représentées par la tragédie classique est la légendaire catharsis du public : la purgation des passions.

En effet, la tragédie, en montrant les désordres qu’entraîne la passion, les déchirements intérieurs des êtres partagés entre raison et passion, la mort des personnages qui ne parviennent pas à maîtriser leurs pulsions, les vices, les tendances et les excès humains… cherche à susciter en son public l’effroi, la terreur, la crainte, la pitié, le désespoir et les larmes.

 L’homme excessif se rend malheureux ; l’homme mesuré, raisonnable, sociable et courtois, s’en sort mieux face à l’adversité. Telle est la principale leçon de morale que l’on se doit de retenir de la tragédie. Par un savant processus d’identification puis de distanciation, le spectateur (ou le lecteur) est invité à se rendre compte des malheurs auxquels conduit la passion sous toutes ses formes et, par conséquent, à veiller à se purger de ses propres tendances au vice.

Le dénouement de la pièce tragique est funeste, bien entendu : mort d’au moins un des héros, amour impossible, renoncement, trahison, désespoir, assassinat…

Types de personnages

Rois, princes, héros, aristocrates, demi-dieux, guerriers fameux, ducs, comtes, membres des plus hautes sphères du pouvoir…

Des confidents, aussi : sœur, sœur de lait, servante, valet, homme de main, cousin, écuyer…

Thèmes de prédilection

La guerre, la mort, l’amour (de la patrie), l’amour (impossible), l’amour (passion), l’amour (interdit), le dilemme cornélien (tiraillement), le devoir, l’honneur, la fatalité, le destin, les dieux, la vengeance… Bien souvent, la tragédie s’inspire de l’Antiquité et de la mythologie. Les grands thèmes tragiques (historiques, antiques et mythologiques) seront d’ailleurs repris de nombreuses fois au fil des siècles (y compris au XXe siècle).

Tons, registres, niveaux de langue

Les registres dominantes sont le registre tragique (évidemment), épique, pathétique, lyrique…

Le langage est noble et soutenu.

Quelques oeuvres

Comédies de Molière (liste non exhaustive bien sûr)

  • Le Misanthrope
  • L’Avare
  • Le Malade imaginaire
  • Tartuffe
  • Le Médecin malgré lui
  • Les Précieuses ridicules
  • L’Ecole des femmes
  • Les Femmes savantes
  • Le Bourgeois gentilhomme
  • George Dandin ou le mari confondu
  • L’Impromptu de Versailles
  • Les Fâcheux
  • Le Dépit amoureux
  • La Jalousie du Barbouillé
  • Le Médecin volant
  • L’Ecole des maris
  • Sganarelle ou le cocu imaginaire
  • Les Fourberies de Scapin…

Tragédies de Racine (liste non exhaustive)

  • Phèdre
  • Andromaque
  • Iphigénie
  • Britannicus
  • Bérénice
  • Athalie
  • Esther
  • Mithridate
  • Alexandre le Grand…

Tragédies de Corneille (liste non exhaustive)

  • Horace
  • Cinna
  • Polyeucte
  • La Mort de Pompée.
  • Oedipe
  • Andromède…
  • (NB : Le Cid, œuvre antérieure, est en réalité une tragi-comédie… donc d’inspiration baroque) – les comédies de Corneille sont, quant à elles, dans l’ensemble plutôt d’inspiration baroque

Conclusion

Voilà pour ces quelques petites précisions complémentaires sur le théâtre classique.

A très bientôt pour le mouvement suivant… celui, bien évidemment, des très célèbres Lumières !!!

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Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : pixabay (image libre de droits)

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