Littérature, amour & érotisme

L’humanisme en bref

Petite histoire de la littérature française

Premier mouvement : l’humanisme


Introduction

Hier, je vous annonçais, dans mon petit article d’introduction, une série d’analyses sur les grands mouvements de l’Histoire de la littérature française. Voici donc quelques mots sur le premier grand mouvement de cette (longue) synthèse de notre histoire littéraire : l’humanisme. (Pour rappel, un ou des articles sur la littérature médiévale suivront sans doute un jour cette série d’articles sur l’Histoire de la littérature française moderne et contemporaine – voir mon petit article d’introduction.)

On désigne généralement sous le terme d’« humanisme » le mouvement littéraire et intellectuel européen de la fin du XVe siècle et du XVIe siècle tout entier (1450-1590 environ), une ère correspondant à la période historique, culturelle et artistique connue sous le nom de « Renaissance », qui marque la sortie du Moyen Âge et le début de l’époque dite « moderne ».

L’Europe connaît alors d’importantes transformations accompagnées d’un renouveau intellectuel certain, l’humanisme, dont nous sommes, aujourd’hui encore, les héritiers.

Les humanistes nomment eux-mêmes « Renaissance » cette ère nouvelle qui s’ouvre (la leur) car ils considèrent qu’enfin la culture « renaît »… après des siècles d’obscurantisme, d’aveuglement et même – n’ayons pas peur des mots – de régression : ceux du Moyen Âge, qui hérite alors, en dépit de sa richesse, de sa diversité et de ses mille années d’inventions, de changements et de progrès (476-1453, selon les dates traditionnellement retenues pour désigner son commencement et sa fin), de ce qualificatif de « moyen » : en somme, un âge médiocre, stagnant… obscur.

Après quelques mots sur la Renaissance en tant que contexte général de cette ouverture vers l’ère moderne, nous nous pencherons un peu plus en détails sur les grandes caractéristiques de l’humanisme qui domine alors la pensée, l’écriture et la culture intellectuelle de l’époque.

Quelques mots sur la Renaissance

C’est au cœur des Flandres (Anvers, Louvain, Bruges, Utrecht…), le long de l’axe rhénan (Cologne, Mayence, Heidelberg, Bâle, Nuremberg, Strasbourg…) et dans le nord fort prospère de l’Italie (Rome, Urbino, Sienne, Venise, Padoue, Ferrare, Mantoue, Vérone, Milan, Florence, Pavie…) que naît ce mouvement artistique et culturel nouveau qui rompt avec la tradition médiévale.

Bientôt, le mouvement se diffuse en France (notamment à la faveur des guerres d’Italie de François Ier) et l’on retrouve à Paris, à Fontainebleau et le long de la Loire (les fameux châteaux du roi François, qui fera venir Léonard de Vinci d’Italie) de nouveaux foyers et de nouveaux joyaux architecturaux renaissants ; le mouvement gagne également le reste de l’Europe, faisant d’Augsbourg, de Prague, de Dresde, de Madrid, de Londres, de Poznan, de Cracovie, de Lisbonne et de tant d’autres villes européennes de grands centres artistiques faisant honneur à la Renaissance.

Cette période artistique est notamment marquée par :

  • Une mise en valeur par l’art de la culture et de la tradition religieuse chrétienne, mais sous un angle résolument distinct de l’approche médiévale : en matière de peinture et de sculpture, par exemple, on notera le souci de réalisme, le sens du détail, le travail de la perspective, l’étude du corps humain et des détails anatomiques (notamment grâce aux nouveaux apports de la science et de la dissection, qu’on commence à pratiquer sous le manteau), le soin apporté aux nuances, aux couleurs, aux drapés, aux ombres, aux muscles, aux textures, au rendu du grain de peau, aux distances, aux dimensions, aux mesures, une rigueur presque mathématique, l’apparition de paysages en arrière-plan des peintures religieuses en lieu et place des fonds bleus et or, l’apparition du clair-obscur et de la technique du sfumato (brumes, floutés)… Autant de nouveautés qui l’emportent sur le style médiéval, à tendance plus « simpliste », symbolique et géométrique. Le souci de vraisemblance, de véracité, de beauté, de conformité à la réalité, priment dans l’art renaissant, quand l’art médiéval donnait la priorité à la symbolique et au sens religieux.
  • Un retour à l’Homme et aux sujets profanes : on ne délaisse pas la religion, nous l’avons vu, mais on se permet d’aborder plus souvent les sujets non religieux et nombre d’œuvres trahissent cette volonté nouvelle de représenter la vie, le mouvement… On se permet donc de plus en plus de représenter des scènes du quotidien non sacrées (négoce, familles, portraits, époux, batailles, statues équestres, paysages, natures mortes, nus masculins imités de l’art romain…).
  • La valorisation de l’artiste qui, soutenu par de riches mécènes (notables, dirigeants ecclésiastiques, aristocrates…), familier des cours princières, a un statut reconnu, répond à des commandes, voit son génie loué et glorifié, fréquente les grands, les rois, les princes, le pape. L’artiste n’est plus un simple artisan anonyme comme au Moyen Âge : il signe désormais ses œuvres et certains deviennent des célébrités connues de tous.
  • Une politique de mécénat très active, en conséquence. Parmi les mécènes les plus connus : François Ier pour la France… et les Médicis en Italie (notamment Cosme l’Ancien et Laurent le Magnifique).
  • L’ouverture de grands chantiers royaux en France comme en Italie (châteaux de la Loire de François Ier, puis chantiers de Henri II ; courses aux chantiers, aux palais et aux églises entre villes rivales en Italie…)
  • Pour les artistes comme pour les intellectuels (philosophes, penseurs, savants…), le traditionnel voyage en Italie, terre antique par excellence (ruines romaines etc.) et berceau précoce de la Renaissance.
  • En architecture, l’effacement de la fonction défensive des châteaux et édifices (fonction primordiale au Moyen Âge) au profit du raffinement esthétique, du confort et du symbolisme politique.
  • Un retour au style antique (colonnades, frontons, coupoles…) au détriment du gothique médiéval (le terme de « gothique » faisant d’ailleurs explicitement référence aux Goths, ces barbares des temps anciens… « Les temps étaient encore ténébreux, ils sentaient l’infélicité et la calamité des Goths, qui avaient ruiné toute bonne littérature », écrira Rabelais dans Gargantua…)
  • De nombreux progrès techniques profitant directement aux arts (amélioration de la métallurgie du bronze, mise au point de la peinture à l’huile en Flandre, développement de l’art de la fresque et du tableau sur toile et chevalet, progrès des savoir-faire des ingénieurs en matière d’architecture – coupoles etc –…)

Quelques grands noms d’artistes de la Renaissance :

Léonard de Vinci, Raphaël, Titien, Michel-Ange, Le Tintoret, Véronèse, Botticelli, Dürer, Corrège, El Greco, Caravage, Pieter Bruegel l’ancien, Arcimboldo, Donatello, Brunelleschi, Uccello, Piero della Francesca, Bramante, Hans Holbein, Jan Van Eyck, Masaccio…

Un contexte favorable à un renouveau intellectuel

Au XVe siècle, l’Occident sort peu à peu des malheurs qui l’ont frappé à la fin du Moyen Âge : la Guerre de Cent Ans (1337-1453), les épidémies de peste à répétition, dont certaines particulièrement meurtrières au XIVe siècle… Une nouvelle ère semble s’ouvrir, l’économie redémarre, la prospérité revient, les famines se font plus rares, la population augmente de nouveau : c’est dans ce climat de confiance et d’espoir qu’un mouvement intellectuel et artistique trouve l’occasion d’émerger…

En outre, le XVe et le XVIe s. sont caractérisés par une série d’événements propices à la propagation des idées, à la redécouverte des auteurs et des richesses de l’Antiquité, à la mise en commun des savoirs et à la découverte de nouvelles cultures par l’intermédiaire des voyages. C’est le début des grands voyages transocéaniques et l’époque de nombre de grandes inventions.

En 1453, en Allemagne, Gutenberg met au point l’imprimerie et publie sa première Bible : les idées et les savoirs vont pouvoir se diffuser à plus large échelle, les ateliers typographiques se multiplient, le lectorat peut enfin croître à bien plus grande vitesse qu’à l’époque des ateliers de copie manuelle des manuscrits dans les monastères. Le XVe siècle est à la fois le siècle de l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles (par Gutenberg) et du perfectionnement de la technique de production de papier (connue en Chine depuis déjà de nombreux siècles et introduite en Occident par les Arabes) : au cours du XVe siècle, le papier remplace enfin le parchemin et permet l’application des techniques d’impression. Des imprimeurs apparaissent à Paris, à Venise, à Lyon, à Bâle, à Anvers…

La même année, la Guerre de Cent Ans opposant la France et l’Angleterre prend fin : les relations entre intellectuels continentaux et penseurs des îles anglo-saxonnes vont pouvoir reprendre.

Enfin, 1453 est également la date de la prise de Constantinople par les Ottomans : c’est la fin de l’Empire byzantin (aussi dit Empire romain d’Orient) ; de nombreux « Grecs », comme on les appelait, fuient l’est méditerranéen et se réfugient en Occident, apportant avec eux des textes philosophiques et scientifiques antiques depuis longtemps oubliés en Occident : on assiste alors à un renouveau intellectuel sans précédent !

En outre, la navigation progresse : les Européens possèdent la boussole et le gouvernail depuis le XIIIe siècle, l’astrolabe permet désormais de mieux calculer sa position, notamment la longitude, les Arabes ont apporté des progrès significatifs aux navigateurs d’Occident et les Portugais, peuple naturellement tourné vers la mer, feront franchir un cap décisif à l’Europe en mettant au point un nouveau type de navire plus facile à manœuvrer et susceptible de braver la haute mer : la caravelle. La cartographie progresse, notamment sous l’impulsion de grands princes comme le Portugais Henri le Navigateur.

Ainsi, dès le début du XVe siècle, les premiers grands voyages européens voient le jour et on découvre de nombreux « Nouveaux Mondes » avec :

  • Le Portugais Dinis Dias qui atteint le Cap Vert en 1444
  • Le Portugais Bartolomeu Dias qui atteint le Cap de Bonne-Espérance (pointe sud de l’Afrique) en 1487
  • Le Portugais Vasco de Gama qui, en 1498, atteint l’Inde, après avoir doublé ce même Cap de Bonne-Espérance et traversé l’océan Indien, ouvrant ainsi la route maritime orientale vers les Indes, grâce à laquelle les épices et merveilleuses richesses de l’Asie vont pouvoir transiter jusqu’en Europe
  • Le Génois Christophe Colomb qui, en 1492, « découvre » les Antilles et l’Amérique du Nord (en réalité, les Scandinaves vers l’an 1000, et peut-être les Chinois au début du XVe s., auraient touché les côtes de l’Amérique bien avant lui…)
  • Le Florentin Amerigo Vespucci (au service des Médicis, puis de la Castille et du Portugal), qui traverse l’Atlantique plusieurs fois et est le premier à comprendre que Colomb a en fait découvert un nouveau continent (c’est donc bien lui qui, bien sûr, donnera donc son nom à l’Amérique)
  • Le Génois Jean Cabot (au service d’Henri VIII d’Angleterre) qui, en 1497, découvre Terre-Neuve, au large du Canada (il croit, comme Colomb, avoir atteint l’Asie)
  • L’Anglais Richard Chancellor qui, au début du XVIe s., explore l’Atlantique Nord, recherche le « passage du Nord-Est », découvre de ce fait la mer Blanche en contournant la Scandinavie par le Nord, établit des relations commerciales avec le tsar de Russie Ivan le Terrible
  • Le Portugais Magellan qui part en 1519, découvre le détroit qui porte son nom (entre l’Amérique du sud et la Terre de Feu), ainsi que de (très) nombreuses autres terres, îles et mers (Pacifique, Océanie, Asie…) inconnues des Européens, et réussit le premier tour du monde, démontrant ainsi par là… la rotondité de la Terre !
  • Le Français Jacques Cartier qui, en 1534, découvre le Saint-Laurent et explore ce qui deviendra le Canada
  • Le Hollandais, Willem Janszoon, qui explore la côte ouest de l’Australie (nommée Nouvelle-Hollande) en 1606

C’est le début de l’âge des navigateurs, des explorateurs et des grands capitaines et pilotes qui risquent tout au nom des diverses couronnes pour que le partage du monde ne se fasse pas sans leur souverain. Les cartes du monde se dessinent, les informations sont méticuleusement collectées et répertoriées, les limites du monde connu des Européens sont repoussées. L’Espagne et le Portugal devancent largement l’Angleterre, la France et la Hollande dans ce mouvement aventurier, exploratoire puis colonial (ils détiendront et contrôleront pendant des siècles l’Atlantique sud, le contournement de l’Afrique par le sud et l’Océan Indien).

Toutes ces découvertes, tous ces nouveaux mondes remettent considérablement en question tout ce que l’on croyait savoir sur la Terre, le monde, l’Univers, et notamment… les enseignements de l’Eglise (géocentrisme, anthropocentrisme…).

Parmi les grands facteurs ayant poussé toutes les principales puissances européennes à entreprendre ces voyages figuraient :

  • Le désir de se procurer les produits orientaux, devenus rares, chers et difficiles à se procurer depuis l’expansion de l’Empire Ottoman, qui fait barrage (pour rappel, prise de Constantinople par les Turcs en 1453)
  • Le désir, également, de s’affranchir du monopole vénitien sur le commerce avec l’Orient, et de pouvoir aller chercher soi-même, de France, du Portugal, d’Espagne ou d’Angleterre, les produits orientaux (soie, épices…)
  • La croissance démographique
  • Les conflits religieux (fuite de protestants persécutés, notamment vers l’Amérique du Nord)
  • Un souci d’évangélisation des autres peuples du monde (volonté des papes successifs…)
  • Un esprit de croisade et la recherche d’alliés pour lutter contre l’islam en pleine expansion
  • La recherche d’or qu’on espère pouvoir trouver en Afrique, en Asie, au cœur de nouvelles contrées exotiques… (ce sera le cas en Amérique du Sud…)
  • Enfin, on l’a vu, les progrès en matière de navigation

Côté monarques et dirigeants de renom, la Renaissance, c’est l’époque de François Ier, de Charles Quint, de Philippe II d’Espagne, d’Henri VIII en Angleterre, d’Elisabeth Iere (en Angleterre aussi), des Médicis en Italie…

L’humanisme

Le courant de pensée, de réflexion et d’écriture qui émerge alors et accompagne ces nombreux changements est marqué par :

Une curiosité et un intérêt prononcés pour tous les domaines de la science…

…qu’elle soit expérimentale ou théorique, tournée vers l’homme ou vers la nature. C’est l’époque des premières dissections (l’interdit de l’Eglise est enfin levé en 1482), de progrès significatifs de la médecine, des croquis et inventions par centaines de Léonard de Vinci (visitez le Clos Lucé, à Amboise : une merveilleuse caverne d’Ali Baba… version génie humaniste !!!), de l’héliocentrisme avec Copernic, de Giordano Bruno qui envisage un univers infini (évidemment, il finira sur le bûcher…), de Galilée ensuite (qui conteste, lui aussi, le géocentrisme), d’Ambroise Paré (docteur en chirurgie !)…

Le rejet du Moyen-âge

Hommes de la Renaissance, les humanistes dénigrent tout ce qui provient du Moyen Âge qu’ils considèrent comme une période de décadence, de déclin, de déchéance, de dégradation de la culture et d’obscurantisme religieux. Mouvement de réaction, l’humanisme condamne d’un bloc tout l’ensemble du millénaire qui sépare le XVIe siècle de l’Antiquité et de la grandeur de la civilisation gréco-latine.  On s’oppose à la fois aux valeurs, aux modes de pensée, aux modes d’enseignement et aux croyances du Moyen-âge.

L’admiration de l’Antiquité et des auteurs antiques

Si le regard que les humanistes portent sur cet âge ayant précédé le leur (âge qui, nous sommes bien d’accord, pour avoir couvert quelque dix siècles, ne méritait guère d’être traité, dédaigné et rejeté de la sorte, et aurait certes pu être divisé en plusieurs époques distinctes) est particulièrement négatif, leur vision de l’Antiquité est, au contraire, pétrie d’idéalisme et d’admiration. Les humanistes renouent avec nombre de traditions et de courants antiques et s’inspirent abondamment des maîtres grecs et latins classiques, tant dans l’esprit que dans le style.

Il y a alors chez eux une réelle volonté de faire revivre à travers leur propre production, leurs propres écrits, la grandeur de la civilisation gréco-romaine (et de la culture biblique). Les humanistes prônent un retour aux textes antiques comme modèle de vie, d’écriture et de pensée. Ils reprennent les auteurs antiques comme modèles, s’inspirent de leurs œuvres et de leurs thèmes. La perfection ayant, selon eux, été atteinte dans l’Antiquité, le bon goût et la qualité consistent, en conséquence, à imiter au mieux les Anciens, à les étudier, les analyser, les relire… Cet engouement s’accompagne de fouilles (par exemple de vestiges romains, en Italie), de créations de collections (d’objets antiques) et de bibliothèques, de voyages, d’ouvertures de collèges et d’universités pour étudier les auteurs antiques directement dans la langue…

Le retour aux sources

Les humanistes entendent porter un regard neuf et critique sur les auteurs de l’Antiquité, qu’ils soient connus ou récemment redécouverts. Avec les savants byzantins fuyant l’avancée ottomane, on redécouvre les auteurs grecs, bien moins connus en Occident (voire oubliés de longue date, pour certains) en plus des auteurs latins que l’on maîtrise déjà mieux.

Dans bien des cas, les humanistes préfèrent lire les textes philosophiques, théologiques et scientifiques dans leur langue d’origine (latin, grec, hébreu, chaldéen, arabe) et les traduire eux-mêmes, estimant qu’au fil des siècles, des générations et des traductions, nombre de ces textes ont été dénaturés et que les versions traduites disponibles se sont considérablement éloignées des textes originaux. On lit donc Aristote, Sénèque, Lucrèce, Cicéron, Virgile, Plutarque, Platon et tous les grands auteurs gréco-latins dans la langue, on les commente, on les analyse, on les traduit, on les réédite, on les imprime.

Une effervescence intellectuelle

Elle est notamment marquée et reflétée par :

  • L’importance de la réflexion personnelle ;
  • L’importance de l’empirisme, de l’expérimentation, de la méthode expérimentale, la mise au point de la méthode scientifique moderne (hypothèses, observation, recherche des causes, expériences, déductions, démonstration mathématique, logique, investigation…) ; un esprit qui trouvera son plein aboutissement au XVIIIe siècle (celui des Lumières !) ;
  • Un souci de transmission du savoir ;
  • La mobilisation, la redécouverte et l’approfondissement de la science antique ;
  • La curiosité, l’ouverture d’esprit et une fascination certaine pour les mystères de l’univers et une tentative de compréhension exhaustive du monde ;
  • Une remise en cause de la supériorité et de la mainmise traditionnelles de l’Eglise sur les champs du savoir (mainmise persistant tout au long du Moyen Âge) : on refuse désormais que l’Eglise détienne le monopole du savoir, que seuls les sujets religieux soient abordés et que les questions de science soient subordonnées à la religion : comme en matière artistique, on veut pouvoir s’affranchir du regard de l’Eglise et aborder des sujets profanes.
  • L’élaboration d’ouvrages politiques (L’Utopie de Thomas More, Le Prince de Machiavel…) ;
  • La création de grandes bibliothèques et collections de manuscrits rares et précieux par des princes, le pape ou de riches particuliers, et donc l’encouragement du savoir à travers ces bibliothèques particulières garnies d’annales, de chroniques, d’histoires, d’ouvrages de langue, de livres de jurisprudence et de médecine… Certains humanistes soutiennent également l’idée de créer des bibliothèques publiques et d’encourager le développement des écoles.
  • Des progrès et de grandes découvertes dans tous les domaines, la médecine, le droit, l’histoire, la géographie, les mathématiques, l’astronomie, la philosophie… ;
  • Les réformes religieuses : nulle surprise, c’est à cette époque qu’émergent les différents courants du protestantisme (calvinisme depuis Genève, luthérianisme depuis Wittenberg…) qui critiquent le christianisme tel qu’il est pratiqué jusqu’alors et tel qu’il a peu à peu évolué (dévié) au cours des siècles (= sous la forme du catholicisme) : on remet en question le rôle du clergé, on cherche à revenir aux textes d’origine, à lire directement la Bible, à se passer de prêtres et d’intermédiaires, à se reconnecter directement à sa foi, à épurer la religion, à développer son esprit critique vis-à-vis des textes sacrés, à revenir à une morale plus proche des valeurs de pauvreté, de chasteté et de prière, à trouver une piété plus pure, à pratiquer l’austérité (versus le clinquant ostentatoire de l’Eglise catholique), à dire les messes en langue nationale, à traduire les textes sacrés (jusque-là uniquement disponibles en latin) en langue vernaculaire afin que chacun puisse y avoir accès sans dépendre du clergé, à vivre la foi de façon plus personnelle et plus authentique, à lire et méditer individuellement directement les Ecritures, à se libérer des dogmes et des liturgies de la tradition catholique issue du vieux Moyen Âge… On critique la vente des indulgences, la richesse et le luxe de l’Eglise, la morale chancelante, les vices, les abus, la conduite indigne et le mode de vie de certains membres du clergé, les erreurs d’interprétation de la Bible, l’importance des rites au détriment du sens, l’éducation parfois très limitée des prêtres, l’incompétence de certains prélats, le culte (et le trafic) des reliques… Au milieu du XVIe siècle, le schisme se produit : la religion protestante veut s’affranchir du catholicisme dominant ; naissent l’Eglise luthérienne, l’Eglise calviniste et, avec Henri VIII d’Angleterre, l’Eglise anglicane. L’Eglise catholique, bien sûr, réagit, au moyen d’une Contre-Réforme (mise en place au Concile de Trente en 1545 en réaction contre la Réforme protestante) : naissent de nouveaux ordres religieux (ex : jésuitisme) destinés à combattre les hérétiques, ainsi que la fameuse institution… de l’Inquisition. C’est le début des guerres de religion, qui ravageront la France et l’Europe. Le mouvement baroque, tout d’abord au service de la Contre-Réforme, naîtra dans ce contexte houleux de la fin du XVIe siècle.
  • De grandes inventions : la lunette astronomique, le télescope, le microscope… ce qui permet de nouvelles découvertes et la remise en cause de nombreux dogmes de l’église (notamment concernant la place de la Terre dans l’Univers…)

Un recentrage sur l’homme (d’où le nom d’ « humanisme »)

L’homme est replacé au centre des préoccupations et au centre du monde (place qu’occupaient Dieu et la religion jusqu’alors). On s’oppose au système du Moyen Âge où Dieu et la religion (chrétienne), omniprésents, étaient au centre de tout, pour opérer un retour vers l’homme, lourdement nié dans son individualité au cours de la période médiévale. Les humanistes éprouvent le besoin de s’interroger, de savoir par eux-mêmes, de connaître, d’étudier, d’apprendre, d’ouvrir leur esprit, de s’éclairer, de se forger une culture, de remettre en question, d’élargir leur vision du monde. L’humanisme développe une nouvelle image de l’homme libre et épanoui ; il a foi en l’homme, en ses facultés de jugement, de réflexion et de discernement, en sa bonté, aussi ; et en toutes ses possibilités intellectuelles (capacité à prendre en main son destin etc.) La religion est réformée et, en quelque sorte, reléguée au second plan ; l’homme, l’être humain est mis à l’honneur, on veut lui rendre liberté, libre-arbitre, pouvoir personnel, individualité, personnalité unique, identité ; le corps même est réhabilité. Chacun doit être libre de penser et de croire en ce qu’il veut, indépendamment des volontés du roi et de l’Eglise. A noter cependant : il n’est point là question (pour l’instant) de s’éloigner de Dieu, mais plutôt de prendre du recul par rapport à la religion et au clergé ; Dieu ayant fait l’homme à son image, étudier l’homme permet, d’une certaine manière, de se rapprocher de Dieu… mieux encore que par l’intermédiaire traditionnel des prêtres ! On observe donc non pas fondamentalement un éloignement de Dieu, mais un changement dans la manière dont les humanistes envisagent leur relation au divin : une relation plus directe qu’au Moyen Âge, plus personnelle, et construite directement à partir de la parole de Dieu et d’une compréhension personnelle des textes sacrés. La réforme protestante sera, au XVIe siècle, l’aboutissement de cette devotio moderna apparue à la toute fin du Moyen Âge.

L’éducation humaniste

Conséquence de tous ces idéaux (et notamment du dernier point ci-dessus), l’éducation est primordiale. Le propre de l’homme, pour les humanistes, et l’essence même de son humanité est d’être un être civilisé, cultivé, éduqué, un être culturel et non seulement naturel : en conséquence l’homme a pour devoir moral de s’élever par la culture, il a un devoir de perfectionnement : étant un être doué de raison, d’une certaine intelligence et d’une faculté de jugement, il a un devoir d’éducation et d’élévation spirituelle et intellectuelle afin de tirer un maximum de ses capacités. Si l’animal est conditionné par la nature de ses instincts (déterminisme), l’Homme, lui, jouit de la liberté, de la faculté de juger et d’un certain discernement : à lui, par l’éducation, d’apprendre à en faire bon usage (cf. De la Dignité de l’homme, de Pic de la Mirandole).

L’enseignement prend de nouvelles formes (en opposition à celles du Moyen Âge, où l’on pratiquait et privilégiait l’apprentissage par cœur, les cours magistraux, les châtiments corporels, la sévérité, l’intimidation… cf. ce qu’en dit Erasme dans son Eloge de la Folie) : la discussion, la dissertation, l’échange, le questionnement, l’interaction, l’appel à l’esprit critique de l’élève, à son discernement, à sa réflexion, les temps de « relâche », une approche ludique, les discussions libres avec le maître, une tentative d’abolition des classes sociales, une grande attention accordée aux élèves…

L’éducation se veut en outre complète, exhaustive, ludique et totale : elle inclut les langues savantes (latin, grec, arabe, hébreu, chaldéen…), des langues vivantes (anglais…), la géométrie, l’arithmétique, la musique, les sciences dites « dures » (zoologie, biologie, botanique, minéralogie, géologie, géographie, alchimie, astronomie, médecine, anatomie…), le droit, l’histoire et la philosophie, les arts (peinture, dessin…)… et la religion, bien sûr, via la lecture directe des Saintes Ecritures. L’esprit humaniste se veut donc encyclopédique. Des dictionnaires, les traductions, les manuels de grammaire, tout est mis à disposition des étudiants et des hommes de la bonne société désireux de se cultiver.

Mais l’éducation humaniste inclut également la danse, la lutte, l’équitation, le maniement des armes, la course à pied, l’art de la chevalerie… l’objectif de cette éducation étant de façonner un gentilhomme, un honnête homme et non seulement un esprit. Cet idéal tient en la devise « mens sana in corpore sano », un esprit sain dans un corps sain. Il s’agit ici de façonner un homme dans sa globalité par l’éducation, qui permet de valoriser les facultés humaines (jugement, discernement, réflexion, invention…) et de doter l’élève d’un esprit réflexif et érudit à la fois. L’éducation humaniste inclut également les bonnes manières et le respect des convenances, indispensables à tout esprit éclairé et à tout gentilhomme.

Notre système éducatif est encore l’héritier de cette vision de l’éducation.

Le développement des langues nationales

Le latin et le grec sont loués comme langues savantes mais les langues nationales ne sont pas moins encouragées et développées par les humanistes (traduction de textes, notamment sacrés, en langues dites « vulgaires » ; français rendu obligatoire dans tous les actes officiels par François Ier en 1539 ; édiction de règles grammaticales, néologismes, enrichissement des langues nationales…). Leur but ? Que le savoir puisse se diffuser plus largement. Nous retrouverons ce point dans le mouvement de la Pléiade (article suivant).

De grandes valeurs

Les humanistes sont pour la paix, l’entente entre les princes chrétiens, la tolérance, l’égalité, l’épanouissement de l’individu… Fervents philosophes, les humanistes s’intéressent de près aux questions politiques et sociétales. Nous retrouverons ces valeurs deux siècles plus tard, chez d’autres humanistes, en quelque sorte les héritiers des penseurs de la Renaissance : les Lumières…

Mots-clés de ce mouvement

La philologie, l’imprimerie, le savoir, l’éducation, les sciences, l’intelligence, la relecture des textes antiques, un recentrage sur l’homme, le questionnement, la faculté mentales, la promotion de l’art, le souci de la transmission du savoir, la recherche de la perfection, l’expression d’une nouvelle sensibilité artistique, l’imitation de la nature, la tolérance, l’ouverture, la justice, la paix, la raison, la connaissance, la curiosité, l’indépendance, l’esprit critique, la relativité des mœurs, de la morale et des valeurs, le relativisme culturel, la découverte de l’autre/de l’étranger, la liberté de penser, la satire, l’étude de l’humain, l’esprit encyclopédique, la recherche du Beau et du Vrai, le rejet du fanatisme, de la violence, de l’intolérance et de la tyrannie, goût pour la mythologie gréco-romaine et pour le profane, l’inspiration gréco-latine, l’héritage antique, la simplification et l’épuration de la religion, une foi plus personnelle, le mécénat, la lecture directe des textes sacrés, un contact individuel avec les Ecritures, l’intérêt pour l’homme et pour son corps, la recherche du beau (idées néoplatoniciennes), le retour au sens et au vrai…

Les grands humanistes

On y trouve des savants, des penseurs, des théologiens, des philosophes, des hommes politiques, des intellectuels… Parmi les plus célèbres :

Montaigne, Rabelais, Marot, Erasme, Luther, Du Bellay, Jean Pic de la Mirandole, Etienne de la Boétie, Nostradamus, Ambroise Paré, Thomas More, Guillaume Budé, Etienne Dolet, Marsile Ficin… Un ensemble de grands noms qui constituent ce qu’on appelle alors, à l’apogée de l’humanisme, une véritable « République des Lettres ».

(voir aussi la liste des grands artistes de la Renaissance cités précédemment)

De grands humanistes (mathématiciens, médecins, scientifiques, physiciens, philosophes…) viendront continuer ce mouvement au cours des siècles suivants, Blaise Pascal et René Descartes en tête (au XVIIe siècle).

Conclusion

Mouvement intellectuel et culturel qui s’épanouit pendant la Renaissance, l’humanisme conduit à une nouvelle vision de l’homme, de la vie, du monde et de Dieu, à de nouveaux modes de connaissance et d’apprentissage et à une remise en cause des savoirs et des traditions existants. Véritable souffle intellectuel dépassant les frontières, l’humanisme a non seulement circulé dans l’Europe entière, mais aussi contribué à la création d’un sentiment européen : ses idées se propagent à la faveur des voyages et des correspondances, mais aussi grâce aux universités, aux nouveaux collèges… et à l’imprimerie, bien sûr.

Il est et restera l’un des plus grands mouvements de la pensée et de la science occidentales. Il sera à l’origine de la science et de l’esprit modernes, qui verront leur plein aboutissement au siècle des Lumières (XVIIIe) puis dans les révolutions scientifiques et industrielles des XIXe et XXe siècles. Il continue de vivre aujourd’hui encore et vise l’amélioration continue des conditions de vie de l’être humain et la défense de grandes valeurs comme la liberté, l’égalité, la tolérance, la dignité…

Mais s’il est ouvert dans l’optimisme et l’enthousiasme général au XVe siècle, il se termine à la fin du XVIe dans une atmosphère bien plus pessimiste : les guerres de religion font rage, l’instabilité politique se double de crises économiques et d’épidémies… Car si le XVIe siècle, siècle de transition entre le Moyen Âge et l’ère moderne, fut un siècle de grandes inventions techniques, de grandes prises de conscience, de grandes découvertes scientifiques et de progrès artistiques… il fut aussi le siècle du schisme religieux entre protestantisme et catholicisme et des grandes guerres de religion et.

C’est donc dans un climat de peur, de violence et d’angoisse (assassinats, massacres, crise dynastiques, conflits religieux, crises économiques…) que le XVIe siècle se termine. Une ambiance générale assez sombre, qui fera le terreau du mouvement suivant : le baroque, hanté par cette impression d’instabilité, d’incertitude et de fragilité humaine.

Quelques œuvres :

  • Les Essais, Montaigne
  • Gargantua, Rabelais
  • Pantagruel, Rabelais
  • Eloge de la Folie, Erasme
  • De l’éducation libérale des enfants, Erasme
  • Carnets, Léonard de Vinci
  • De la révolution des orbes célestes, Nicolas Copernic
  • De la dignité de l’homme, Jean Pic de la Mirandole
  • L’Utopie, Thomas More
  • Don Quichotte, Cervantes
  • Le Prince, Machiavel
  • Le Canzionere, Pétrarque
  • La Divine Comédie, Dante
  • L’Heptaméron, Marguerite de Navarre
  • L’œuvre de Du Bellay et de Ronsard (voir mon article sur le mouvement suivant, en quelque sorte un sous-mouvement de l’humanisme : la Pléiade)

Mouvements suivants à découvrir sur ce blog : la Pléiade, le Baroque et le Classicisme… A très bientôt !

Texte: (c) Aurélie Depraz
Image : Pixabay

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