L'Histoire (la grande !)

Petite histoire de l’Irlande 1/3

Introduction générale

Comme pour chacun de mes romans, une intense phase de recherches a précédé l’écriture de L’Irlandais (parution : automne 2024). Comme pour chacun de mes romans également, j’en ai profité pour rédiger, sous forme d’articles destinés à ce blog, une synthèse « maison » en 3 parties de l’histoire du pays concerné par mon ouvrage (l’Irlande, donc), accompagnée de 2 articles supplémentaires concernant des thématiques spécifiques :

Amoureux d’histoire, amoureux de l’Irlande, amoureux de culture celtique ou simples curieux, je vous laisse sur-le-champ découvrir la belle (mais très douloureuse) histoire de ce magnifique pays pétri de contes, de chants, de sang et de légendes : l’Irlande.

PARTIE I – Des premiers peuplements au joug anglais

Aux origines

Lors de la dernière glaciation, l’Irlande est couverte de glace, et donc a priori inhabitée (aucune trace de peuplement humain retrouvée à ce jour).

Comme pour les autres îles de l’archipel britannique (ou « îles anglo-celtes », si vous préférez), l’histoire de l’Irlande commence donc avec l’arrivée de peuples d’Europe continentale (et de la future Angleterre) durant la Préhistoire, aux alentours de – 9 000, – 10 000 (soit après cette dernière glaciation).

Après une culture de chasseurs-cueilleurs dominante pendant quelques millénaires (mésolithique), une culture mégalithique, puis néolithique se met en place à partir de – 4 500 (agriculture, élevage, migrations de nouvelles populations venues de l’Ouest européen, céramique, poterie, pierre polie, tombes mégalithiques, tumuli, cairns, dolmens…) ; l’Irlande ne compte pas moins de 800 dolmens et des centaines de menhirs… Le plus célèbre de ces monuments demeure le tumulus de Newgrange, témoin des connaissances astronomiques étonnantes de ces anciens peuples celtes, comme à Stonehenge, en Angleterre…

Puis s’ouvre l’âge des métaux avec l’arrivée de nouvelles populations européennes ; exploitation des mines de cuivre, production de bronze (alliage de cuivre et d’étain), introduction d’une nouvelle hiérarchie sociale, d’une nouvelle religion, fabrication d’armes et d’outils en bronze et en or, tumuli ronds, sépultures individuelles, sites fortifiés, forteresses…

Ainsi, avant même l’arrivée des Celtes, puis de la christianisation de l’île, on distingue 3 périodes différentes au sein de l’Histoire primitive de l’Irlande : le Mésolithique, le Néolithique et l’Âge des Métaux (Bronze en l’occurrence).

L’arrivée des Celtes

L’île est ensuite celtisée vers 700-500 av. JC ; les Celtes qui arrivent en Irlande apportent avec eux la civilisation dite de la Tène et partagent donc de très nombreux traits culturels avec les autres peuples celtes du centre et de l’ouest de l’Europe, notamment :

  • ceux de la péninsule ibérique (on pense que certaines vagues de peuplement de l’Irlande en seraient originaires – voir mon article sur les Celtes – et la mythologie celtique a elle-même conservé le souvenir de cette « origine espagnole » puisque, selon le Lebor Gabála Érenn (Livre des Conquêtes d’Irlande), les Milesiens (c’est-à-dire les Gaëls) sont dits fils de Míl Espáine. Il est à noter qu’avant l’introduction de la civilisation de La Tène (second âge du fer), l’histoire d’Erin est largement mythique (voir les quelques mythes que j’évoque dans mon roman L’Irlandais)
  • et ceux de la future Grande-Bretagne.

Une civilisation qui se caractérise, entre autres, par :

  • une organisation clanique
  • une structure sociale tripartite (aristocratie guerrière / agriculteurs-producteurs-artisans-éleveurs / druides-bardes-vates, 3 classes auxquelles il convient d’ajouter, à l’occasion, les prisonnier de guerre et les esclaves)…
  • des pratiques druidiques et magiques
  • une économie agricole, pastorale et artisanale
  • une grande liberté laissée à la femme (à tel point qu’on aura parfois parlé de matriarcat)
  • un calendrier celtique ponctué par quatre grandes fêtes religieuses et saisonnières : BeltaineImbolcLugnasad et Samain (toujours célébrées aujourd’hui)
  • toute une mythologie (dieux, héros, mythes des origines, grandes batailles, aventures guerrières, mythes fondateurs, rois et peuples légendaires, royaumes, capitales et villes mythiques, bansidh et autres créatures aujourd’hui considérées comme folkloriques…)

… et une civilisation qui dominera l’Irlande au point d’y être exclusive pendant plus de mille ans… Jusqu’à l’arrivée des Vikings, en fait.

Les rois (au sein de tuaths : des centaines de mini-royaumes) ne sont alors bien souvent que des chefs au pouvoir incertain et aux successions problématiques.

C’est au sein de cette culture, où l’on parle ce qui deviendra le gaélique, que les premiers poètes composent des chants et légendes qui constitueront le patrimoine autochtone et la mythologie celtique.

Parmi les nombreux peuples celtes identifiés en Irlande, on recense (noms latins) les Attacotti (aussi attestés en Ecosse), les Brigantes (homonymie avec les Brigantes de « l’île de Bretagne »), les Iberni, les Eblani, les Darini, la Vodiae… (pour une liste complète des peuples celtes d’Irlande, c’est ici).

Source carte : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/23/Keltoi_Tribes.PNG

Ces clans et royaumes fusionnent progressivement pour constituer quatre grands royaumes (qui donneront naissance aux provinces traditionnelles et actuelles) : l’Ulster, le Leinster, le Munster et le Connacht (Connaught) (on compte parfois aussi le Meath). Ces royaumes s’affrontent pour le contrôle total de l’île, bien sûr, autant de luttes magnifiées par les légendes et épopées traditionnelles irlandaises (dont, encore une fois, celles que j’évoque dans L’Irlandais). Au début du Ve siècle, un Ard rí Érenn (roi suprême d’Irlande) domine l’île tout entière (Conn aux Cent Batailles sera le premier). Il siège à Tara, dans le Meath, et les autres rois lui doivent le boroma, tribut payable en bétail – son non-paiement entraîne des guerres et razzias dont la mythologie locale se fait l’écho.

 Les Celtes d’Irlande constituent ainsi divers clans particulièrement belliqueux ; les Romains, qui occupent la province de Britannia (Angleterre actuelle – voir ma Petite Histoire de l’Angleterre), n’occuperont jamais l’Irlande (qu’ils appellent Hibernia), peuplée de populations trop difficilement assimilables et trop loin du cœur de l’Empire. A l’instar des Highlands d’Ecosse (voir mon article sur le sujet), l’Irlande échappera ainsi à l’influence culturelle et à la domination politique romaine. Ainsi, à l’inverse de la Gaule ou du sud de l’île de Bretagne (= future Angleterre), l’Irlande (tout comme la future Ecosse) échappe à la romanisation et conserve toute sa spécificité celtique. A ce titre, elle constituera un véritable conservatoire de la culture celtique originelle, largement balayée en Gaule et en « Bretagne » (actuelle Grande-Bretagne) par l’empreinte romaine.

Pour plus de détails, voir :

Les Scots et le royaume de Dalriada en Ecosse

Parmi les nations celtes présentes en Irlande, les Scots ont laissé une trace tout particulière dans l’Histoire d’un pays voisin : l’Ecosse. Ils auraient constitué un peuple celte (plus précisément gaël = irlandais) originaire du nord-est de l’Irlande et attaquant régulièrement la côte ouest de la Bretagne (au sud comme au nord du mur d’Hadrien, donc la province romaine de Britannia autant que les terres calédoniennes-écossaises-pictes et brittoniques du nord) aux IIIe, IVe et Ve siècles après JC. Après le départ des Romains en 410, ce peuple, conquérant et expansionniste, s’établit en divers points de la côte ouest de l’île de Bretagne : le Galloway (juste au nord du mur d’Hadrien), le Devon et le Pays de Galles actuels (en province de Britannia), puis, surtout, en Argyll et dans les Hébrides, donc dans le sud-ouest des Highlands écossaises actuelles.

C’est là, dans le sud-ouest de l’Ecosse, qu’ils s’installeront durablement : au cours du Ve siècle, ils colonisent donc des terres picto-calédoniennes : les îles situées entre l’Irlande et l’Ecosse (Islay, Jura, Mull…), puis le sud-ouest de l’Ecosse (péninsule de Kintyre, Argyll, Bute, Lochaber…), puis d’autres Hébrides intérieures et y fondent, au tournant du VIe siècle, un royaume, Dalriada, du même nom que le royaume irlandais qu’ils quittent (également le nom de leur clan) : ce royaume s’étale donc de part et d’autre de la mer et gardera une unité culturelle relativement longtemps.

Les Scots amènent avec eux leur langue (celtique), le gaélique (aussi nommé « erse »), bientôt parlé dans toutes les Highlands. Cette langue demeure, aujourd’hui encore, très proche du gaélique irlandais. (NB : je mentionne ce royaume scot dans mon roman Pour l’amour d’une Sasunnach, le héros trouvant ses origines dans ces envahisseurs gaëls). Il s’agit donc alors d’un royaume comprenant des terres à la fois dans le nord-est de l’Irlande et dans le sud-ouest écossais.

Cela mis à part, on connaît plutôt mal l’histoire interne de ce royaume aux VIe, VIIe et VIIIe siècles : une chose est sûre : une dynastie domine, celle de Fergus, et les Scots se tapent régulièrement dessus avec les Pictes, les Angles et les Bretons voisins.

Malgré quelques tentatives d’évangélisation romaines du temps de la province de Britannia, ce sera avec les moines scots que la christianisation des Pictes (et donc de la future Ecosse) aura vraiment lieu. Mais j’anticipe !

Pour plus de détails, voir :

Saint Patrick et le christianisme

Si l’Irlande échappe à la romanisation, elle n’échappera pas, quelques siècles plus tard, à la christianisation, qui marque la fin de la mythologie celtique sur place. Selon la tradition, l’île est christianisée par le très célèbre (et très loué) Saint Patrick ou « Padraig », un fonctionnaire britto-romain, ainsi que par d’autres missionnaires chrétiens au cours du Ve siècle après JC. Dans le faits, il est probable que l’évangélisation de l’Irlande ait commencé plus tôt, mais cette période reste mal connue et les catholiques irlandais considèrent Saint Patrick comme le père fondateur de l’Eglise insulaire.

Saint Patrick est souvent représenté en train de discuter avec les druides, tentant de les convaincre que sa foi en Dieu est plus puissante que la « magie druidique ». Il aurait expliqué le principe de la Trinité par la feuille de trèfle (le concept de triade étant très répandu dans la mythologie celtique), d’où le symbole de l’Irlande d’aujourd’hui.

Ainsi, la conversion du pays se fait relativement pacifiquement (vs d’autres régions d’Europe, où la conversion se sera faite par la force – pensons notamment aux contrées scandinaves…), par l’intermédiaire de la classe sacerdotale celtique traditionnelle, celle des druides, des vates et des bardes.

Le rituel chrétien roman se celtise (ou plutôt, le rite celte se retrouve imprégné par les usages chrétiens et monastiques…), favorisant l’émergence d’un monachisme très particulier, doté de nombreux centres spirituels d’importance, et qui deviendra une référence en Europe. Et c’est d’Irlande que saint Colomba, après avoir fondé le monastère de Derry, partira fonder l’abbaye d’Iona (Hébrides – Ecosse), qui deviendra la base de départ de l’évangélisation de l’Ecosse (il ira ensuite dans les Vosges y fonder Annegray, Fontaines et Luxeuil !!! Puis en Rhénanie, en Italie…). C’est également d’Irlande que partira saint Aidan, qui fondera le non moins célèbre monastère de Lindisfarne, dans le Northumberland (selon la tradition, le premier à être pillé par un raid Viking en 793, une date qui marque traditionnellement le début des raids vikings, tant cette expédition aura marqué les esprits !), saint Gall, qui fondera le monastère qui porte son nom en Suisse, et saint Kilian, qui ira chez les Germains (qui finiront par le tuer – exemple moins heureux de tentative d’évangélisation)…

Les moines venus d’Irlande et d’autres contrées celtiques seront nombreux à migrer en Europe de l’Ouest pour évangéliser les dernières populations païennes et fonder des monastères. Le monachisme celtique s’exportera donc en Ecosse, en Bretagne, en Gaule et même en Germanie. La pénitence de l’exil volontaire pouvant être imposée aux moines sera l’une des causes de cette expansion tout à fait étonnante du monachisme irlandais.

Les monastères de Clonard, de Clonmacnoise, de Clonfert, de l’île d’Aran, de Bangor ou de Glendalough, entre autres, sont des centres importants de culture et de spiritualité. De fait, les tentatives de créations d’évêchés se soldent par un échec relatif, et c’est plutôt sous la forme originale du monachisme que l’Eglise irlandaise se développe et connaît son extraordinaire mouvement d’expansion. La hiérarchie épiscole s’en retrouve absente d’Irlande ; le christianisme y vit en vase clos, de façon régulière (vs. séculière), sans grand contact avec le reste de la Chrétienté et le pape de Rome. Des communautés monastiques féminines comme celle de Kildare, œuvre de sainte Brigitte, viennent s’ajouter aux fondations masculines. Les monastères les plus importants peuvent alors compter plusieurs milliers de moines !

Du VIe au VIIIe siècle, l’Irlande connaît ainsi un magnifique apogée culturel. Les copistes irlandais vont reproduire de nombreux textes anciens en même temps qu’ils vont mettre par écrit les grands mythes et les grandes épopées irlandaises antérieures à la christianisation (l’écriture latine, plus pratique que l’écriture ogham – utilisée par les druides – permettra en effet la transmission de cet héritage antique : sans les moines copistes irlandais, les œuvres anciennes rédigées en ogham, mais aussi transmises uniquement à l’oral, auraient sans aucun doute été définitivement perdues). Littérature profane celtique primitive et littérature chrétienne font ainsi bon ménage, et les œuvres de bardes anciens purent passer à la postérité.

Non contente d’avoir permis la transmission de cette culture celtique ancienne, quelque part, la culture chrétienne irlandaise aura aussi préparé la « Renaissance carolingienne » en assurant la continuité de la « culture » au sens large et sa transmission, en cette période où, partout ailleurs, l’Empire romain, ravagé par les grandes migrations/invasions barbares, se disloque : demeurée hors de l’influence latine, c’est l’Irlande qui va contribuer, pendant tout ce temps, à maintenir le flambeau de la culture…

C’est par l’art de l’enluminure que le génie chrétien irlandais trouve alors sa plus belle expression. Avec les moines irlandais, l’iconographie chrétienne s’enrichit de toute la richesse décorative née de l’imagination propre à l’univers celtique (livres de Lindisfarne, de Kells et de Durrow). Poètes, miniaturistes, savants, les moines irlandais défendent l’idée de la sphéricité de la Terre, pendant que de nombreux marins (et certains moines) irlandais sillonnent l’Atlantique et découvrent les Açores, les Canaries, l’Islande (avant les Vikings) et peut-être même l’Amérique. Dans ce qu’on a encore coutume d’appeler « la nuit du Haut Moyen Âge », en ce temps sombres de migrations « barbares », de violences et de dislocation de l’Empire romain, l’Irlande est un des rares endroits où se maintient la flamme de la culture et où se prépare le futur réveil de l’Occident (celui qui aura lieu avec Charlemagne).

Ce n’est qu’au VIIe siècle que le synode de Whitby rejettera la liturgie irlandaise et les rites celtes au profit de la liturgie romaine (certains usages celtiques se maintiendront néanmoins jusqu’au XIIe siècle).

Mais c’est surtout l’arrivée des Vikings qui viendra anéantir ce magnifique essor culturel dès la toute fin du VIIIe siècle : pas un seul monastère irlandais n’échappera à la cupidité et à la violence des « Hommes du Nord ».

La « barbarie » a enfin rattrapé l’Irlande…

Pour en savoir plus, voir ces articles (extéireurs) sur :

Les raids vikings

À partir d’environ 800, l’île est, à l’instar de toutes les côtes de l’Europe occidentale, harcelée par les Vikings, dont les raids et diverses implantations vont profondément modifier la culture monastique et influencer les différentes dynasties régionales de l’île.

L’île est alors divisée entre près de cent cinquante tuatha (clans), chacun dirigé par un  (roi), ces chefs étant eux-mêmes assujettis au roi d’une des cinq provinces, UlsterConnachtMunsterLeinster et Meath, le Ard rí (roi suprême) dominant le tout de façon symbolique et plus honorifique que concrète.

Néanmoins, et malgré les nombreuses dissensions internes entre les nombreux chefs autochtones, ces diverses structures et institutions se révèlent assez fortes pour survivre et, peu à peu, assimiler les envahisseurs, qui ne prendront jamais totalement possession de l’île et finiront par se fondre dans la population locale. Car si, dès 820, le tour de l’île est accompli par les Scandinaves, et s’ils n’auront de cesse :

  • de multiplier raids et razzias (fondant notamment sur les églises et les riches monastères… l’Irlande vit alors un véritable âge d’or sur le plan spirituel du fait du dynamisme de ses institutions religieuses);
  • de piller les côtes, de remonter les fleuves et de ravager l’intérieur des terres;
  • et de se doter même de places fortifiées pour hiverner et mieux reprendre leurs expéditions au printemps (DublinAnnagassan, WexfordCorkLimerick, pour ne citer que quelques établissements… C’est le début de l’installation et de la colonisation de l’île par les Vikings),

… les rois celtes parviennent néanmoins à endiguer la menace nordique, à empêcher leur installation définitive et à garder le contrôle de l’île. Facile à piller, l’île s’avère donc beaucoup moins facile à coloniser…

Cela n’empêche pas les Vikings de mener la vie particulièrement dure aux Gaëls, qui se replient à l’intérieur des terres et doivent, bien souvent, leur laisser le littoral. L’économie et le commerce gaëls en pâtissent.

Le roi celte Brian Boru parvient finalement, autour de l’an Mil, à imposer sa suprématie sur l’ensemble de l’île ; le roi du Leinster, Mael Morda, conteste son autorité et s’allie avec les Vikings pour le renverser. Le conflit culmine lors de la bataille de Clontarf en 1014 ; Brian Boru triomphe mais y trouve la mort, assassiné par un Viking au sortir de la bataille. Clontarf marque donc la fin de deux ères : celle, longue de deux siècles, de la terreur semée par les Vikings, et le règne du premier (et, quelque part, dernier et seul) roi celte suprême d’Irlande.

Dès lors, les Vikings se soumettent aux rois d’Irlande et ne gardent qu’un peu d’autonomie dans leurs villes côtières de Dublin, Waterford, Limerick, Wexford et Cork (autant de comptoirs que je cite dans mes romans L’amour, la mer, le fer et le sang et Comme une aurore dans la brume). Ils seront progressivement assimilés dans la population gaélique. La succession de Brian Boru s’avère difficile (on s’en doute), de nombreux rois se la disputant (classique). C’est finalement son principal rival, Mael Sechnaill, qui lui succède jusqu’à sa mort en 1022.

En 1052, le roi scandinave de Dublin est finalement chassé ; se substituant à Tara, Dublin devient la capitale de fait de l’Irlande.

Voir aussi mes divers articles sur les Vikings.

L’influence anglo-normande

Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, conquiert l’Angleterre en 1066, ouvrant ainsi l’ère anglo-normande de l’Histoire de l’Angleterre, trois siècles de royauté française outre-Manche (la maison de Normandie, puis celle des Plantagenêts, via son petit-fils (par sa mère) Henri Plantagenêt, alias Henri II d’Angleterre).

En Irlande, de nombreux rois se disputent encore l’autorité du pays. Et c’est lorsque l’un d’eux, Diarmait MacMurrough (ou « MacMurchada »), roi de Leinster chassé d’Irlande, en appelle finalement à l’aide d’Henri II d’Angleterre, qu’il rencontre en 1166-1167 en Aquitaine (l’Aquitaine, rappelons-le, apportée par son épouse Aliénor à Henri, fait alors partie de l’immense empire Plantagenêt, qui court de la frontière écossaise aux Pyrénées – voir ma petite histoire de l’Angleterre…) que l’immixtion de l’Angleterre dans les affaires irlandaises commence véritablement… pour ne plus jamais cesser pendant plus de 700 ans…

En effet, le très avide Henri II ne peut manquer de voir dans les vœux de loyauté du roi de Leinster une occasion de conquérir l’Irlande. Trop occupé à ce moment-là par sa guerre contre le roi de France, il offre à MacMurrough de demander de l’aide à un de ses vassaux, Richard FitzGilbert de Clare, dit « Strongbow », qui accepte d’aider MacCullough à retrouver son rang en Irlande à condition d’obtenir la main de sa fille aînée et de devenir ainsi son héritier au trône.

Le premier débarquement normand a lieu en 1167 mais c’est en 1169 que débarque le gros des troupes ; les principaux rois irlandais sont rapidement défaits et l’influence normande grandit. Henri II, considérant le développement d’un royaume normand indépendant en Irlande comme un danger pour l’Angleterre, s’en mêle finalement dès 1171 ; il débarque à son tour en Irlande avec une imposante armée et institue son fils cadet John comme seigneur d’Irlande. L’autorité d’Henri est reconnue, et dès 1175 le paiement d’un tribut au souverain Plantagenêt est imposé aux royaumes irlandais : à cette date, le traité de Windsor consolide l’influence normande en Irlande.

L’Irlande devient la seigneurie d’Irlande (en irlandais : Tiarnas na hÉireann ; en anglais : Lordship of Ireland) à partir de 1171… et jusqu’en 1541, date à laquelle Henri VIII d’Angleterre prendra le titre de « roi d’Irlande », faisant de l’Irlande un royaume par le biais du « Crown of Ireland Act », voté par le Parlement la même année. La raison ?  La seigneurie avait été accordée à la monarchie normande par la papauté ; le roi Henri est en conflit avec l’Église catholique, il divorce de plusieurs de ses épouses, fait annuler d’autres de ses mariages et fonde l’église anglicane ; le titre de seigneur d’Irlande pouvait donc lui être contesté et même retiré par le Saint-Siège à tout moment : il est temps de changer son titre irlandais… En outre, Henri souhaitait que l’Irlande devînt un véritable royaume, afin de susciter plus de loyauté chez ses sujets irlandais…

Bref ! En somme, en 1169-75, les Anglais font aux Irlandais le coup… qu’il feront un siècle plus tard (en 1295 plus exactement) aux Ecossais, qui auront le malheur (ou plutôt la mauvaise idée) eux aussi d’en appeler à l’intervention et à la royauté anglaise pour régler les différends internes !! (voir mon article sur les guerres d’indépendance écossaises)

Cette influence anglaise en Irlande connaîtra des heures plus ou moins triomphantes :

  • En 1297, le Parlement d’Irlande est fondé.
  • Au cours du XIVe siècle, l’influence normande est fortement diluée par une recrudescence de la culture gaélique (l’Angleterre ne se soucie alors encore que peu d’imposer concrètement son autorité).
  • Des statuts (ceux de Kilkennyen 1366) votés par le parlement irlandais visent bientôt à :
    • séparer les deux populations (Irlandais et Normands, mariages mixtes interdits)contrecarrer la gaélicisation des populations normandes localesgarantir aux propriétaires anglais la pleine possession des terres acquises sur la côte estimposer le mode de vie anglo-normand à la population locale
    • et imposer une politique d’apartheid et d’exclusion qui déjà, provoquera la faim, la misère, la pauvreté et la colère, même si nombre de ces dispositions ne seront jamais réellement appliquées et si le phénomène d’assimilation des Normands à la population locale se poursuivra.
  • L’aire de domination normande se réduit peu à peu aux alentours de Dublin, sans que l’Angleterre, trop occupée par la Guerre de Cent Ans contre les Français, ne puisse intervenir.
  • L’Angleterre privilégie alors la solution de confier le gouvernement de l’Irlande aux chefs anglo-irlandais, à défaut de pouvoir faire pleinement régner la loi anglaise.
  • Mais un siècle plus tard, en 1494, la couronne anglaise réaffirme finalement sa domination sur toute l’île par la loi Poynings (ou statut de Drogheda) qui soumet le parlement irlandais à une totale obéissance à l’Angleterre (malgré une opposition irlandaise toujours forte, par exemple celle de la dynastie des Fitzgerald).
  • En 1536, Henri VIII fait voter par le Parlement irlandais l’Acte de Suprématie de 1534.
  • En 1541-42, Henri VIII d’Angleterre prendre enfin officiellement le titre de « roi d’Irlande. » L’Irlande devient un royaume distinct dominé par le roi d’Angleterre, puis de Grande-Bretagne, puis du Royaume-Uni, de 1541 à 1801 (la petite parenthèse cromwellienne, 1649-1659, mise à part). En cherchant à imposer la Réforme en Irlande, il greffera sur l’animosité ethnique et culturelle préexistante entre deux civilisations irréductibles et extrêmement différentes (irlandaise et anglaise) l’antagonisme de religion (entre catholicisme irlandais et église réformée d’Angleterre) qui se muera très vite, et pour des siècles, en une lutte à mort.
  • 15691573 : première rébellion des Geraldines du Desmond (Les Rébellions des Geraldines du Desmond eurent lieu dans le Munster, au sud de l’Irlande ; elles furent menées par la dynastie du comte de Desmond, (« Sud Munster », « Deasmumhain » en gaélique), la famille FitzGerald (d’où le nom de « Géraldines ») et ses alliés, contre le gouvernement anglais élisabéthain qui s’efforçait d’étendre son autorité sur le Munster. Ces révoltes furent provoquées au départ par la volonté d’indépendance de seigneurs féodaux à l’égard du monarque anglais, mais elles eurent aussi un aspect religieux, reflétant le conflit entre les catholiques et les protestants, vivace à cette époque).
  • 15791583 : deuxième rébellion des Geraldines du Desmond (l’échec de ces rébellions, comme d’autres, par la suite, provoquera la fuite des comtes irlandais et la colonisation par les Plantations – voir plus loin).
  • 15941603 : guerre de Neuf Ans (1594-1603), aussi dite « rébellion de Tyrone », qui vit l’affrontement des armées de plusieurs clans gaéliques aux forces élisabéthaines du gouvernement anglais du royaume d’Irlande. Née en Ulster, cette guerre s’étendit à tout le pays. Point culminant de la guerre : la bataille de Kinsale.

Pour découvrir sans tarder la suite de cette petite histoire de l’Irlande, c’est ici !


Texte (c) Aurélie Depraz
Illustrations : Pixabay