Introduction
Cette petite histoire de l’Ecosse médiévale, pour éviter de faire trop long, se concentrera sur ce qu’on a coutume d’appeler plutôt le Moyen Âge central écossais, de la fondation du royaume d’Alba, traditionnellement datée de 843, au début des guerres d’indépendance écossaises contre l’Angleterre, en 1296. Pour mieux saisir la longue série d’événements ayant conduit à la création du royaume d’Alba réunissant pour la première fois sous une seule couronne les deux grands peuples fondateurs de l’Ecosse, les Pictes et les Scots, je vous invite à consulter les 3 articles suivants :
A lire aussi :
- Mon article sur les Celtes, ces premiers grands Européens
- Mon article sur les Pictes & Calédoniens, premiers peuples d’Ecosse
- Mon article sur les Scots, ces envahisseurs gaëls qui donnèrent leur nom à l’Ecosse
Ces 3 articles vous permettront, je l’espère, de tout saisir de la protohistoire, de l’Antiquité et du Haut Moyen Âge écossais, des origines à cette fameuse union des Pictes et des Scots en un seul royaume, au IXe siècle. Cet article portant sur le Moyen Âge central de l’Ecosse pourrait être considéré comme la suite logique de ces 3 premiers volets de l’Histoire écossaise.
Pour ce qui est de la suite de l’Histoire médiévale écossaise, je vous invite à lire mon article traitant spécifiquement des guerres d’indépendance contre l’Angleterre : « De William Wallace à Robert Bruce, les guerres d’indépendance écossaises ».
Les débuts du royaume d’Alba
En 843, Kenneth MacAlpin, roi des Scots de Dalriada (royaume comprenant les Hébrides et le sud-ouest écossais de l’Argyll au Lochaber), unit Scots et Pictes de l’Est (mais pas les Pictes du royaume de Moray, dans l’extrême-nord) en fondant le royaume d’Alba, nom médiéval de l’ancien royaume d’Ecosse. Pour de nombreux historiens, cette « union » constitue l’acte de naissance de l’Ecosse (« Alba » restant le nom gaélique de l’« Ecosse » tout au long du Moyen Âge et celui que crie William Wallace, alias « Braveheart », alias Mel Gibson, au moment de mourir pour la liberté et l’indépendance de sa patrie, dans le film de 1995…). A noter : certains auteurs utilisent le terme de Scotia.
Cette union, selon la légende, se serait faite au prix d’une cruelle trahison de la part de Mac Alpin, qui aurait profité de l’affaiblissement des forces pictes face aux Vikings pour lancer un raid contre le Pictland (ou « Pictavia »), puis de sa victoire pour convier les nobles pictes à un banquet diplomatique de négociation à Scone, puis de ce banquet pour les faire assassiner et pour réclamer le royaume picte de Fortriu (qui aurait à cette époque occupé la partie est de l’Ecosse, le royaume de Moray occupant le nord…)
En réalité, la réelle genèse du royaume d’Alba, qui émerge à cette époque, reste inconnue, et la figure de Kenneth Mac Alpin largement indéterminée, voire en partie légendaire… Quant à la fameuse trahison, il s’agirait très vraisemblablement d’un mythe de conquête permettant à la nouvelle élite écossaise d’expliquer sa gaélicisation. Certains pensent que Kenneth aurait tout simplement eu accès au trône picte par le biais de la transmission matrilinéaire de celui-ci, comme d’autres étrangers avant lui. Mac Alpin n’en aurait pas moins transféré les reliques de St Colomba à Dunkeld (près d’Edimbourg), faisant de cette ville de l’est la capitale de ce nouveau royaume. Mais ce sera Donald II qui, à la fin du IXe siècle, sera le premier à porter véritablement le titre de « roi d’Alba »…
En tout état de cause, on peut reconnaître aux Vikings, qui depuis la toute fin du VIIIe siècle ravagent les îles et les côtes écossaises (tout comme le reste de la Grande-Bretagne et l’Irlande de l’époque), le mérite d’avoir, ici comme ailleurs, su provoquer la création de ce nouveau royaume en incitant les peuples locaux à unir leurs forces contre l’envahisseur nordique (qui en 839 encore infligeait une défaite cuisante aux futurs Ecossais au cours d’une bataille sanglante qui devait rester dans les mémoires comme un formidable désastre pour les Pictes comme pour les Scots).
Néanmoins, cette union entre Pictes et Scots rime très vite avec dissolution de la culture picte (au profit de la culture scots) : officialisation du gaélique (langue des Scots) comme langue de cour, scotisation du Pictland, annihilation de la culture picte… En effet, entre la fin du IXe siècle et la fin du Xe siècle, le terme de « Pictes » disparaît peu à peu, de même que leurs coutumes, héritages, caractéristiques principales… et jusqu’à leur langue, au XIIe s. Des historiens parlent néanmoins davantage d’une acculturation que d’une éradication en règle de la culture picte (même si celle-ci aura été considérablement mise à mal par les invasions vikings, les velléités chrétiennes et la domination scots).
Cependant, l’Ecosse est encore loin d’avoir ses dimensions et ses frontières actuelles. Elle va s’en approcher peu à peu en annexant successivement, entre la fin du Xe et le XIIe siècle :
- au sud-est de sa frontière, le nord de la Northumbrie angle (=région du Lothian), un royaume anglo-saxon (entre 973 et 1018)
- au sud-ouest, le Strathclyde des Bretons (dont la moitié sud sera finalement reprise par l’Angleterre un peu plus tard ; l’Ecosse ne s’empare donc in fine que de la partie nord du Strathclyde, en 1018)
- au nord, le grand royaume picte du nord (Moray, vers 1130)
- au sud-ouest, à nouveau, le Galloway (tardivement, en 1160)
Au XIe siècle, Scots de l’ouest, Pictes du nord et de l’est, Bretons et Angles des Lowlands (anciens Strathclyde et Northumbrie) ont donc fusionné dans une monarchie stable. Orcades, Hébrides, Shetland, comtés de Caithness et Sutherland (extrême-nord) restent néanmoins aux mains des Vikings (qui les ont ravis respectivement aux Pictes et aux Scots). Ce n’est qu’au XIIIe siècle que les Ecossais parviendront à récupérer les Hébrides (1266), et au XVe seulement (1469) qu’ils récupèreront enfin les Orcades et les Shetland (voir mon roman Shaena etma petite histoire des Orcades). En attendant, ils parviennent dès le Xe siècle à prévenir toute expansion viking supplémentaire et à les cantonner à l’extrême-nord et aux archipels de la future Ecosse.
Au sud, le frontière scotto-anglaise est, à peu de chose près, déjà celle qu’on connaît.
La dynastie en place est alors celle des MacAlpin : Kenneth (fils du roi de Dalriada), puis Donald (frère ou demi-frère de Kenneth), puis Constantin (fils aîné de Kenneth)… Jusqu’en 1034, le trône reste aux mains des MacAlpin, qui se succèdent à la mode picto-gaëlle, tantôt de père en fils, tantôt d’oncle à neveu, tantôt de frère à frère, tantôt de neveu à oncle (!), d’une branche de la famille à l’autre… A part deux ou trois règnes longs (Constantin II, Malcolm II), cette période est (on s’en doute) marquée par l’instabilité, les dissensions internes et une succession de règnes courts (17 règnes au total en 843 et 1034, soit en deux siècles exactement) ; nombre de rois finissent exilés, assassinés, détrônés…
La crise de 1034… et Macbeth
En 1034, c’est la maison de Dunkeld (telle que l’appelle l’historiographie moderne) qui succède aux MacAlpin : Duncan Ier, petit-fils de Malcolm II (le dernier roi de la maison MacAlpin) succède à son grand-père maternel, mais vient d’un clan différent (de par son père, Crínán mac Donnchad, donc « Crínán fils de Duncan », abbé laïc de Dunkeld et mormaer d’Atholl). Ce changement de dynastie (= de nom) ne rime donc pas avec une rupture en termes de lignage (=de sang) – comme c’est finalement bien souvent le cas dans l’Histoire européenne. A noter : cette succession se fait dans un contexte tendu, Malcolm II ayant pris soin de faire supprimer bon nombre de ses proches parents pour pouvoir céder le trône à sa propre descendance directe (Duncan étant le petit-fils de Malcolm par sa mère) et non à un neveu ou cousin comme le voulait la tradition celtique de la tanistry…
Rappelons aussi qu’à ce moment-là, le royaume picte de Moray (autour d’Inverness) est encore indépendant : il n’est pas concerné par la fusion scoto-picte, n’appartient pas à Alba et est peut-être, à ce titre, le dernier bastion des particularismes pictes.
Le mormaer/roi de Moray, le tristement célèbre Macbeth, (en gaélique Mac Bethad mac Findlaích, peut-être lui-même neveu ou petit-fils de Malcolm II par sa mère) défait Duncan Ier en 1040, le tue et devient roi d’Alba à sa place. Il avait probablement déjà accédé au trône de Moray par le meurtre en 1032 de son cousin Gille Comgáin (qui avait lui-même probablement tué le père de Macbeth… bref, bonjour l’ambiance !)…
C’est la seule parenthèse qu’il y aura dans les deux siècles et demi de pouvoir en Alba de la maison de Dunkeld. Macbeth règne pendant 17 ans, mais finit renversé et tué par le fils de Duncan, Malcolm, qui tue également le beau-fils de Macbeth, Lulach, qui a tenté de succéder à son beau-père en 1057-1058. A noter pour l’anecdote (attention la gymnastique neuronale !) : ce Lulach était le fils de Gille Comgáin (le cousin que Macbeth avait assassiné) et de Gruoch, veuve de Gille Comgáin, que Macbeth épousa après le meurtre en 1032… Sympa, non ?
A noter aussi qu’en 1045, donc en plein milieu de son règne, Macbeth avait tué le grand-père de Malcolm, « Crínán fils de Duncan », abbé laïc de Dunkeld, qui tentait de préserver les intérêts de ses petits-fils… Un personnage sacrément croustillant, ce Macbeth…
L’Ecosse sous influence anglo-normande (1058-1286)
Bref ! Après l’intermède Macbeth-Lulach long de 18 ans, Malcolm III, fils aîné de Duncan Ier, ramène la maison de Dunkeld à la tête d’Alba en 1058. Avec la mort de Macbeth (un des derniers pictes « pur jus » s’il en est encore alors) s’achève définitivement la période « purement celtique » de l’Ecosse : Malcolm III, qui a grandi en Angleterre, est fortement anglicisé… C’est à la fois lui qui œuvrera le plus (notamment par son abondante descendance…) à consolider cette nouvelle dynastie… et qui causera, par son excès d’ambition, l’ingérence de l’Angleterre dans les affaires écossaises, pour le plus grand malheur d’Alba. Une ingérence dont l’Ecosse ne parviendra plus jamais à se débarrasser…
En effet, le gourmand Malcolm III ne cesse de lancer des raids sur l’Angleterre alors déjà fortement ébranlée par l’invasion normande des troupes de Guillaume le Conquérant (qui s’empare du trône anglais en 1066). Malcolm harcèle tout particulièrement le Northumberland, près de la frontière. Ambitieux, il souhaite en outre mettre sa descendance sur le trône d’Angleterre et s’allie au prétendant anglo-saxon au trône, Edgar Ætheling, dernier descendant mâle de la maison royale de Wessex, qui tente de lutter contre les Normands après la victoire de Guillaume sur Harold Godwinson (mort à Hastings en perdant la couronne d’Angleterre). Malcolm lui donne asile ainsi qu’à ses sœurs et à sa mère, finit par épouser en secondes noces Margaret (une des sœurs d’Edgar), et va jusqu’à donner des noms anglo-saxons et chrétiens à la plupart des enfants qu’elle lui donne (Edouard, Ethelred, Edmund et Edgar pour les prénoms anglo-saxons, Alexandre, David, Marie, Mathilde pour les prénoms bibliques ; pour la première fois, les prénoms celtico-nordiques reculent dans la royauté écossaise).
Avec Malcolm et Magaret (une très bonne chrétienne par-dessus le marché, si bien qu’elle devint Sainte Margaret / Sainte Marguerite), l’anglicisation de l’Ecosse est déjà en marche… et son rattachement à l’Eglise romaine renforcé… (Margaret fera beaucoup pour la diffusion et la consolidation de la chrétienté romaine en Ecosse, rompant par là la tradition chrétienne celtique implantée depuis plusieurs siècles.)
Hélas ! Malcolm, par ses raids et tentatives de faire accéder sa descendance à la couronne d’Angleterre, finit par s’attirer les foudres de Guillaume le Conquérant : en 1072 puis 1080, Guillaume envahit l’Ecosse et soumet Malcolm, qui doit donner son fils Duncan (issu de son premier mariage, donc sans lien aucun avec Edgar Ætheling et la maison de Wessex) en otage. En 1093, quand Malcolm meurt avec un de ses fils au cours d’un énième raid dans le Northumberland, c’est son frère Donald III qui, selon la tradition celtique, aurait dû lui succéder (et le fait pendant un an) mais Guillaume II (fils de Guillaume le Conquérant, qui lui succède en 1091) impose Duncan, fils aîné de Malcolm (et issu de son premier mariage), qui a grandi en Angleterre (en tant qu’otage, rappelez-vous). Duncan s’empare de l’Écosse à la tête d’une armée anglo-normande en 1094, avant d’être assassiné la même année par un allié de Donald (c’est un peu Games of Thrones, là-dedans ! Pour changer, me direz-vous !). L’oncle Donald reprend alors le pouvoir, associé à un autre de ses neveux, Edmond (un des fils du second mariage de Malcolm, celui-là), mais pour 3 ans seulement : un autre fils de Malcolm, envoyé par Guillaume II, le renverse : Edgar (à part Edmund, tous les fils de Malcolm et Margaret s’étaient réfugiés en Angleterre quand les nobles écossais voulurent imposer Donald à la tête du royaume pour renouer avec la tradition celtique et couper court à toute influence anglo-normande, déjà par trop présente sous le règne de Malcolm et Marguerite). Edgar sera le premier monarque écossais à porter un nom anglo-saxon… Et comme son frère Duncan juste avant lui, il sera monté sur le trône grâce à une armée anglaise…
Finalement, ce ne seront pas moins de 4 fils de Malcolm qui se succèderont sur le trône, les 3 premiers ne laissant aucun fils : Duncan, Edgar, puis Alexander Ier et David Ier. Suivront Malcolm IV (petit-fils de David Ier), Guillaume Ier le Lion (frère cadet de Malcolm IV), Alexandre II (seul fils de Guillaume le Lion) puis Alexandre III (seul fils d’Alexandre II : la source se tarit…)
Pendant ce temps, l’Ecosse continue de prendre forme : elle a finalement acquis le royaume de Moray en 1130 (suite à une révolte du seigneur de Moray) et, en 1160, elle conquiert le Galloway. Mais la culture anglo-normande s’est introduite en Ecosse : l’ère qui s’ouvre avec les fils de Malcolm envoyés par Guillaume Ier puis Guillaume II est qualifiée par les historiens d’ère scoto-normande… : la culture celtique recule et doit accepter les (nombreux) apports anglo-normands :
- des Français viennent s’installer en Ecosse (de même que des Anglais et des Flamands, par exemple nombre de nobles anglais durant la guerre civile anglaise ou « Anarchie » sous le règne d’Etienne Ier)
- l’armée écossaise finit par être un savant mélange de chevaliers à la française qui se gaélicisent et de Highlanders sans armure qui se normandisent et se mettent à moitié à la mode continentale
- les nouvelles lois sont marquées par l’influence normande etc. (adoption du droit romain à bien des égards)
- le pays adopte le système féodal, comme en Angleterre ou sur le continent
- de nombreux monastères sont créés, où s’installent des ecclésiastiques anglo-normands
- c’est David Ier qui arme chevalier Henri Plantagenêt, futur Henri II d’Angleterre
- avec l’arrivée des Plantagenêts (famille angevine) sur le trône d’Angleterre, à la fin de la guerre civile, en 1154, avec Henri II Plantagenêt et sa femme Aliénor d’Aquitaine, c’est une nouvelle vague d’influence « française » qui déferle sur l’Angleterre
- les rois écossais restent plus ou moins vassaux des rois d’Angleterre, même si ce lien de domination reste très léger et, dans les faits, sans grand impact concret. Il n’en reste pas moins que plusieurs rois écossais doivent successivement prêter hommage aux suzerains anglais, même s’il n’est pas toujours aisé de savoir si cet hommage concernait toute l’Ecosse ou seulement les terres que les souverains écossais possédaient en Angleterre… (un peu le même problème, finalement, que le lien entre rois anglais, également ducs de Normandie, vis-à-vis du roi de France, pour ce qui était du duché de Normandie et, ensuite, du duché d’Aquitaine, entre autres possessions anglaises sur le continent – Maine, Anjou etc. – ; à la différence que l’hommage attendu par le roi de France de la part du roi anglais ne concernait clairement que ces duchés et autres possessions, et non le royaume outre-Manche…) Certains serments semblent avoir été prêtés pour seuls certains comtés possédés par les rois écossais en Angleterre, et d’autres (comme celui de Guillaume le Lion en 1174, qui fut annulé en 1189) pour toute l’Ecosse…
- de nombreux « nouveaux nobles » viennent s’installer en Ecosse ; ils sont bretons, picards, normands et sont d’autant plus fidèles à la royauté (à l’inverse des chefs de clan et nobles anciens, celtes et vikings) qu’ils tiennent tout de lui et lui doivent tout
- des ordres mendiants, franciscains, dominicains, viennent du continent et s’installent en Ecosse… l’Eglise s’est aussi fortement romanisée (non sans réticences). Néanmoins, nombre de rites païens persistent, notamment dans les Highlands…
- bref, l’Ecosse, pour la première fois, se lie au reste de l’Europe de l’époque et, pour la première fois également, la renommée du roi écossais dépasse les limites du monde celtique
Jusqu’à David Ier, la société écossaise reste majoritairement gaélique, la plupart des pratiques culturelles ressemblant fortement à celles de l’Irlande auxquelles s’ajoute un substrat picte. Après David Ier, les rois francophones introduisent de plus en plus de coutumes répandues dans l’Angleterre anglo-normande, en France et dans les Flandres. Il en résulte une société cherchant à conjuguer coutumes anglo-normandes et celtes, féodalité continentale et système clanique traditionnel, coutumes d’intronisation celtiques antiques (avec la pierre de la Destinée des Scots) et chrétiennes (consécration par un évêque…) etc.
Ainsi, c’est par la dépendance de l’Écosse vis-à-vis de l’Angleterre qu’est marquée la période allant de l’accession au trône des fils de Malcolm (au tournant du XIIe siècle) jusqu’à la mort d’Alexander III, toujours de la maison de Dunkeld, en 1286. Par ailleurs, le pays s’« européanise » et sort un peu de son isolement, le commerce extérieur se développe, la monnaie remplace le troc, le niveau intellectuel s’élève, des étudiants vont fréquenter les toutes nouvelles universités anglaises, italiennes et françaises, quelques intellectuels et ecclésiastiques écossais s’illustrent même outre-mer, mais les rois et la noblesse écossais, en se « normandisant », s’éloignent de leurs sujets : dans les couches populaires, la culture reste bien évidemment éminemment celtique. « Comme Walter de Coventry le rapporte, « les rois modernes d’Écosse se considèrent comme des Français, par la race, les manières, la langue et la culture ; ne gardent que des Français parmi leurs gardes et leurs partisans, et réduisent les Scots à une complète servitude » »(Wikipedia) Les textes administratifs sont rédigés en français, les rois favorisent le français au détriment du gaélique, les premiers shérifs, juges et administrateurs royaux sont nommés et dispatchés dans les comtés…
Cela aboutit à de vives oppositions au sein du pays, y compris vis-à-vis du roi. Des nobles se révoltent, se liguent et prétendent au trône (les MacWilliam, les Macbeth, les seigneurs de Moray, de Galloway, Somerled dans les Hébrides… sans compter les Norvégiens des Orcades et du Caithness…). Les résistances sont donc déjà, on le voit, particulièrement vives dans les Highlands (et le resteront longtemps…) : c’est d’ailleurs dans les montagnes et dans les îles que se trouveront toujours les « bastions les plus solides de la civilisation celtique », les Lowlands et collines du sud ayant « été davantage régis par le système féodal, importé par les Anglo-Saxons et les Normands, et par l’emprise croissante du pouvoir royal » (Michel Duchein, Histoire de l’Ecosse). Ces révoltes constitueront autant de sursauts de la tradition celtique contre l’anglicisation venue du sud. Au cours des XIe, XIIe et XIIIe s., le roi d’Ecosse n’aura de cesse de mener des expéditions dans les Highlands de l’ouest, le Galloway et les îles pour asseoir son autorité et mettre au pas les clans et comtes rebelles, dont certains continuent de se gouverner en toute autonomie, comme s’ils n’étaient en rien vassaux du roi d’Ecosse.
Cependant, la royauté parvient à s’affirmer (elle a peu à peu abandonné le système typiquement gaélique de tanistry pour passer à la primogéniture, comme en France ou en Angleterre) et, au XIIIe siècle, en 1266 (après la célèbre bataille de Largs de 1264), l’Ecosse annexe :
- les Hébrides (jusque-là détenues par des chefs et rois mi-celtiques, mi-scandinaves – petit clin d’œil à mon roman Shaena, qui se déroule précisément à cette époque !)
- et ce qui lui manquait de la côte occidentale (Caithness, Sutherland…), que les Norvégiens cèdent à Alexandre III.
Le Galloway, quant à lui, est subjugué en 1235 après une nouvelle révolte : d’un coup, le nombre et la proportion de locuteurs gaéliques sous l’autorité du roi écossais réaugmente significativement. Et ce seront précisément ces guerriers gaéliques des Highlands de l’ouest qui permettront à Robert Ier de remporter les guerres d’indépendance qui suiveront la mort d’Alexandre III. Mais ça, c’est une autre histoire ! ^^
Conclusion
Du IXe au XIIe siècle donc, le jeune royaume d’Ecosse impose son hégémonie sur la partie nord de l’île de Bretagne (même si de nombreuses distinctions Lowlands/Highlands demeurent : les influences romaines, brittoniques, anglo-saxonnes et normandes resteront toujours bien plus fortes au sud que dans les Highlands et les îles…).
Mais au sud, l’Angleterre s’est aussi formée et l’Ecosse n’a su l’empêcher de se mêler de ses affaires dès l’arrivée de Guillaume le Conquérant sur le sol anglais – d’ailleurs, à bien des reprises, l’Ecosse se mêle aussi des affaires internes de l’Angleterre, par exemple lors de la période de l’Anarchie (XIIe siècle), quand une révolte des barons anglais contre leur roi est à soutenir, ou à l’occasion de nombreux raids dans le Northumberland.
Il reste que, fort puissante, et déjà en avance économiquement, l’Angleterre ne cessera de profiter des guerres civiles et des rivalités séculaires entre clans écossais pour tenter d’étendre son influence et de la tenir sous son emprise. Elle parviendra très vite à lui imposer une forme de vassalité, dont l’Ecosse (qui, en raison de ces incessantes querelles et dissensions entre tribus et clans celtiques, ne réussira jamais à constituer un grand royaume unifié) ne parviendra jamais totalement à se libérer.
C’est donc avec des siècles de « semi-vassalité » derrière elle que l’Ecosse doit affronter la crise de succession qui s’ouvre avec la mort d’Alexandre III en 1286 : en effet, lorsqu’Alexandre meurt, ses trois enfants (deux fils et une fille) viennent de mourir, en l’espace de deux ans à peine. Le trône revient donc à la petite-fille d’Alexandre, Marguerite de Norvège (fille du roi de Norvège Eric II et de la fille d’Alexandre).
Problème : Marguerite est une fille… et n’a que trois ans. Alexandre aura beau avoir pris en hâte toutes les dispositions nécessaires pour la faire reconnaître comme héritière, il ne peut empêcher la guerre de succession d’éclater, car la petite meurt en mer lors du voyage l’amenant en Ecosse.
L’Ecosse, jusqu’alors, n’avait guère été épargnée par la brutalité de l’Histoire médiévale. Mais avec la mort d’Alexandre – et de Marguerite –, elle plonge résolument dans l’une des pires périodes qu’elle aura jamais à traverser : ses premières véritables guerres contre l’Angleterre.
A lire en suivant : Mon article sur les guerres d’indépendance écossaises.
A lire également :
- ma petite Histoire de l’Ecosse
- Ma petite Histoire des Orcades et des Shetland
- Ma petite histoire de l’Angleterre en 4 parties
- Mon article sur les Pictes & Calédoniens, premiers peuples d’Ecosse
- Mon article sur les Scots
- Mon article sur les guerres d’indépendance écossaises
- Mes articles sur les Vikings (danois & norvégiens, entre autres)
Texte : (c)Aurélie Depraz
Illustration de l’article : image du film MacBeth de Justin Kurzel (source : ici)