Littérature, amour & érotisme

Jane Austen, mère (malgré elle ?) de la romance historique

Préambule

Halte-là ! Avant de vous méprendre sur mes intentions et de m’attaquer en justice sur la simple base de ce titre (pour les plus prompts à dégainer et les plus experts d’entre vous), laissez-moi le temps de commencer cet article !

Mais comme j’entends déjà des dents grincer, précisons-le d’entrée de jeu (puisqu’il semble que cela presse !^^) : non, Jane Austen (auteure britannique du tournant XVIIIe-XIXe s.) n’a pas écrit de « romances historiques ». Non, elle n’a pas créé ce genre. Non, ses intentions n’étaient pas les mêmes que celles des futures auteures de romances (historiques ou non, d’ailleurs). Non (enfin), son œuvre n’était pas historique du tout, puisqu’elle écrivait des romans, disons, de « mœurs » portant sur la société de sa propre époque, mettant en scène les préoccupations de ses contemporains, quand la romance historique, pour sa part, et comme son nom l’indique, regarde vers le passé.

Néanmoins, force est de constater que les auteures de romances historiques (genre né au XXe s. seulement ! voir ce petit article que je consacrais à ce sujet il y a déjà deux ans maintenant) trouvèrent en cette romancière anglaise des années 1790-1815 un modèle, une référence, une source d’inspiration incroyable (de façon pourtant légèrement paradoxale, nous verrons cela en fin d’article !), pour tout le courant des romances dit « Regency », un style de romance historique se déroulant précisément des années 1790 à 1820, au sens où elle peignit elle-même avec une précision merveilleuse ce qui était, pour elle, la société de son époque, et aborda nombre de thèmes chers aux auteures de romances historiques à l’anglaise du XXe (et du XXIe) siècles : les bals, les mariages de convenance, la Saison, le Londres, le Bath et la campagne anglaise de l’époque etc.

Voilà. Ce petit préambule étant fait, voyons à présent l’œuvre de Jane Austen pour elle-même en quelques paragraphes (c’est bien la moindre des choses !), avant de nous pencher sur la manière dont son œuvre servit de référence à bien des auteures de romances historiques dès Georgette Heyer, au XXe s., lorsque ce genre, devenu si populaire, émergea !

Jane Austen

Née en 1775 et morte en 1817, Jane Austen vécut sous le règne de George III comprenant, à partir de 1811, la Régence assurée par son fils, le Prince Régent et futur George IV (la santé mentale de George III n’ayant cessé de décroître à partir de la fin du XVIIIe s.). Elle est restée célèbre (célébrissime ?) pour son œuvre littéraire par laquelle elle nous a légué un témoignage d’une authenticité inégalée sur divers aspects de la société de son époque (charnière XVIIIe-XIXe), notamment la vie à la campagne de la gentry, le mode de vie de l’aristocratie (surtout la petite, mais aussi, parfois, la grande), ses loisirs, la mode, la condition féminine, les préoccupations de la noblesse, les mariages de convenance etc.

Mais tout de suite, et pour rappel, ses œuvres majeures (6 romans) – certains noms devraient faire « tilt » !^^ – :

  • Emma (mais non, pas Bovary !!!)
  • Orgueil et préjugé
  • Northanger Abbey (dire que je l’ai étudié en seconde !!! J’étais bien loin de me douter que cette auteure prendrait une place autrement plus importante dans ma vie que pour quelques analyses de texte en cours d’anglais !)
  • Mansfield park
  • Persuasion
  • Raison et Sentiments

Ces 6 romans auront été adaptés au cinéma, et souvent plus d’une fois ! Films, mini-séries de la BBC, que de reprises à succès !

A côté de ces chefs-d’œuvre, quelques romans mineurs ou inachevés :

  • Lady Susan
  • The Watsons
  • Sandition

Enfin :

  • l’ensemble de ses écrits de jeunesse (une trentaine d’histoires courtes, des romans épistolaires…) regroupés en deux volumes : Juvenilia
  • et une pièce de théâtre : Sir Charles Grandison, ou l’Homme heureux, comédie en cinq actes

Principales caractéristiques de son style :

  • Un humour fin, subtil, une ironie mordante, des traits d’esprit hors pairs, du burlesque
  • Une sorte de picaresque féminin tout à fait délicieux
  • Une satire sociale mordante (remarques sardoniques, traits parodiques…), un regard critique affûté et un sens de l’observation redoutable
  • Une forme certaine de moralisme
  • Une psychologie et une science de la nature humaine incroyables
  • Une compréhension et une réflexion sur les relations homme-femme, l’amour et le mariage absolument édifiantes
  • Une pensée complexe, un sens fin de l’analyse
  • Une surprenante modernité
  • Une peinture des mœurs et de la société de son époque (géorgienne) précieuses pour l’historien
  • Un style concis
  • Un style pétillant, vif, alerte, débridé
  • Un réalisme poétique et élégant
  • Une réflexion sur la condition féminine rare pour l’époque
  • La maîtrise du discours indirect libre, grand marqueur de son style
  • Le goût de la parodie des travers des autres écrivains

La romance historique au XXe siècle et l’héritage de Jane Austen

Comme je l’évoquais dans mon petit préambule (tout comme dans deux de mes tout premiers articles sur ce blog, « les sous-genres de la romance historique » et « La Romance, Histoire d’un genre », Jane Austen ne fut pas une auteure de romances historiques à proprement parler mais elle a inspiré de très, très nombreuses auteures du XXe qui placent leurs intrigues au XIXe s. ou à la toute fin du XVIIIe s., dont, entre autres :

  • Georgette Heyer (la première)
  • mais aussi, après elle, le « monument » Barbara Cartland (plus de 700 romans au compteur tout de même, dont une grande majorité d’intrigues « Regency »)
  • puis de très nombreuses auteures anglo-saxonnes (mais aussi, aujourd’hui, françaises !), Julia Quinn, Lisa Keyplas etc. Des dizaines, peut-être même des centaines de noms !

Le succès de cette époque, la Régence, ne s’est ensuite jamais démenti dans le genre de la romance historique. Il s’agit même d’un de ses sous-genres les plus populaires avec, bien sûr, la romance écossaise, la romance viking etc. – voir mes 3 articles sur les sous-genres de la romance historique pour plus de détails !

Des codes spécifiques réglementent cette romance « Régence » d’un style (à l’origine) très pudique ; très peu (voire pas) de scènes d’amour explicites, chasteté (sauf chez les auteures récentes, bien sûr, mais Barbara Cartland, pour ne citer qu’elle, a largement nourri ce genre de romances chastes où l’on dépasse rarement le stade du baise-main), traits d’esprit, dialogues mondains, place accordée aux réparties cinglantes, personnages secondaires importants, petit côté farce ou « policier », un peu de burlesque, histoires d’amour complémentaires en second plan, et, encore une fois, mariages de convenance ou forcés, méprises, descriptions des mœurs de l’époque, de l’aristocratie londonienne, de ses loisirs…

On comprend, dès lors, l’héritage précieux des romans de Jane Austen en matière de documentation, de références, d’immersion dans la vie aristocratique de l’époque, dans les mœurs géorgiennes…

Bien des auteures anglo-saxonnes des années 2010 font encore de cette période leur contexte d’écriture de prédilection et excellent dans le genre « romance Régence » !

Trois listes pour commencer et vous donner un aperçu :

Une affection pour l’œuvre de cette grande romancière britannique néanmoins paradoxale, à d’autres égards, quand on pense que Jane (en opposition totale à ce qu’on prise dans le genre de la romance) se moquait plus ou moins ouvertement, comme le soulignent Susan Gubar et Sandra Gilbert dans The Madwoman in the Attic (1979) « des clichés romanesques, tels que le coup de foudre, la primauté de la passion sur tout autre émotion ou devoir, les exploits chevaleresques du héros, la vulnérabilité délicate de l’héroïne, le dédain affiché par les amoureux pour toute considération financière et le manque de tact des parents. »

Bon, petite précision toutefois (qui vaut son pesant de cacahuètes pour relativiser l’interprétation assez radicale de ces deux critiques) : il s’agissait de critiques littéraires féministes (on s’en serait douté…).

Néanmoins, force est de constater que Jane avait effectivement tendance à aimer parodier, ironiser et traiter avec plus ou moins de légèreté ou de mordant, selon l’humeur, des éléments en général plutôt centraux dans ce qui fera, plus tard, le genre de la romance : lyrisme, esprit romanesque, happy end en mode conte de fée…

Jane avait donc plutôt tendance à se moquer des illusions de jeunes filles, des leurres de la passion amoureuse et autres coups de foudre etc., mais elle n’en influença pas moins, par ses intrigues, son sens de l’observation et l’importance des thèmes de l’amour, de la condition féminine et du mariage dans son œuvre (le mariage demeurant le but vers lequel tendent malgré tout les rencontres entre les jeunes gens dans ses romans !), les futures romancières à l’esprit autrement plus « fleur bleue »…

D’ailleurs, bien des auteures de romances historiques aiment injecter une petite dimension picaresque, burlesque ou farcesque dans leurs œuvres, tourner leurs héroïnes (et leurs héros !!) en dérision, glisser des situations cocasses, ne pas prendre leurs héros trop (ou tout le temps !) au sérieux, et injecter une dose de légèreté et d’humour autrement plus présente que dans d’autres genres de la romance (historique ou contemporaine, d’ailleurs !) Certaines sont presque de réelles comédies romantiques ! Au point que ces mêmes auteures n’hésitent pas à aller jusqu’à injecter une petite touche d’auto-dérision avec mise en abyme satirique du concept de « roman à l’eau de rose » et de l’esprit « romantique » dans leurs romans…

Force est donc de conclure que, bon gré, mal gré, Jane Austen a, de par ses intrigues, son sens du dialogue et le formidable travail de documentation historique que constitue son œuvre, influencé à plus d’un titre les auteures de romances historiques du XXe et du XXIe siècle en quête d’informations authentiques, de parfums Regency et de retranscription des us et coutumes de l’époque…

Ci-dessous, un article très intéressant article à lire en complément : « En lisant Jane Austen, notre époque avoue sa nostalgie pour l’authenticité du sentiment.

A découvrir aussi:

Conclusion

Evidemment, je n’ai pas échappé à la règle : séduite par le genre, j’ai moi-même publié une trilogie Regency début 2020, « Passions Londoniennes« . N’hésitez pas à découvrir les aventures d’Alexander, de Jay et de James et, surtout, de me donner votre ressenti après lecture ! J’en serais ravie, comme chaque fois !

Ces trois romans peuvent être lus indépendamment les uns des autres (ou dans l’ordre de parution, au choix !) et sont disponibles sur Amazon en ebook, au format papier et à l’emprunt Kindle, mais je suis bien sûr à votre disposition pour vous envoyer des exemplaires papier (dédicacés ou non) directement par voie postale ! C’est ici :

Au plaisir d’échanger avec vous,

Aurélie

Texte: (c) Aurélie Depraz
Source illustration de l’article : « En lisant Jane Austen, notre époque avoue sa nostalgie pour l’authenticité du sentiment »

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