L'Histoire (la grande !)

Les Samis

Introduction

J’en parle dans plusieurs de mes romans consacrés aux Vikings, notamment dans Comme une aurore dans la brume et dans Les Routes de l’Est et Les Yeux de Mila (les deux tomes des Amours Slaves). M’étant davantage penchée sur leur culture à l’occasion de mon voyage en Norvège à l’été 2022, après bien des articles sur les Vikings, je vous propose une petite synthèse sur les Samis, un des grands peuples des zones arctiques.

Le peuple des origines

Les Samis forment un peuple autochtone de la Laponie, région couvrant le nord de la Suède, de la Norvège et de la Finlande ainsi que la péninsule que Kola, en Russie. Une région qu’ils qualifient eux-mêmes de Sápmi. A noter : le terme de « Lapons », venant de la racine suédoise lapp signifiant «porteur de haillons », serait originellement péjoratif, et donc aujourd’hui peu à peu abandonné…

Leur endonymeSaami dans leur propre langue, est également parfois écrit «Sámi», «Sames», «Samés» ou encore «Sâmes». Ils parlent les langues sames, du groupe finno-ougrien (venu de l’Oural), et leur ADN révèle qu’ils ont du sang sibérien… Probablement originaires de l’Oural, ils occupent l’extrême-nord de l’Europe d’aujourd’hui dès l’Âge du Bronze, à l’instar des peuplades finnoises et estoniennes, du même groupe linguistique. Tout comme les Lakoutes, une ethnie turcophone vivant en Sibérie orientale, les Samis possèdent une petite contribution génétique d’Asie de l’Est très ancienne.

Pour les Samis, le territoire n’a pas le même sens que dans la pensée occidentale. Ils estiment en effet qu’un territoire n’est pas simplement l’objectivation d’une aire, codifiable et communicable à volonté via la cartographie : ils considèrent, au contraire, que le territoire ne peut être appréhendé qu’en étant vécu de l’intérieur. Ainsi, chaque repère géographique, comme une rivière par exemple, n’a du sens qu’à travers les activités et les souvenirs qui y sont associés, ce qui explique que chaque élément naturel ait son propre chant joik. Le joik est une manière de rendre présent le lieu évoqué, d’invoquer la perception d’un ailleurs. Voilà qui n’est pas sans me rappeler, à titre tout à fait personnel, le « Dreamtime » ou « Temps du Rêve » des Aborigènes en Australie !

Un peuple progressivement refoulé vers le nord

Au début de « l’ère commune » (= période après Jésus Christ), les Samis descendent vers le sud de la péninsule scandinave et dans l’extrême nord-ouest de la Russie actuelle (Carélie). Mais à partir de l’ère viking, ils seront progressivement refoulés vers le nord, où leur territoire, au fil des siècles, se rétrécit peu à peu comme peau de chagrin.

Au IXe siècle, en effet, les Vikings comment à se déplacer vers la Laponie et à lever des impôts en nature (peaux de bêtes) chez les Samis.

En 1542, le roi suédois Gustave Ier Vasa décide que toutes les terres au nord de son royaume, selon lui inhabitées, appartiennent à la couronne suédoise (un parallèle stupéfiant avec la « conquête » blanche de l’Australie, déclarée terra nullius par les Anglais lors de leur installation en 1788… malgré ses centaines de milliers d’habitants aborigènes…).

Puis, à partir du XVIIe siècle, c’est l’exploitation minière de la Laponie par la Suède qui menace le mode de vie des locaux : des Samis sont forcés de transporter le minerai extrait sur leur traîneaux, dans des conditions cauchemardesques (ce qui n’est pas sans me rappeler, une fois encore, l’exploitation de la force de travail aborigène, par exemple dans l’industrie perlière du nord-ouest australien), dont découle l’exode d’une partie de la population vers la Norvège.

Puis en 1673, le roi de Suède encourage ses sujets à coloniser les régions du nord.

C’est aussi à partir du XVIIe siècle que l’œuvre d’évangélisation des Samis s’intensifie ; pour la première fois, on traduit en same des livres catéchiques. En Norvège (alors unie au Danemark), l’évangélisation est dynamisée au tournant du XVIIIe siècle.

Puis, au XIXe siècle, la révolution industrielle provoque une augmentation de la demande en minéraux divers et en charbon. En 1886, la Suède vote une « loi sur l’élevage des rennes » qui interdit aux Samis de posséder des terres ou des droits d’utilisation de l’eau… En 1920, un accord entre la Suède et la Norvège interdit aux éleveurs de faire traverser la frontière entre leurs pays à leurs troupeaux.

La colonisation progressive de la Scandinavie par le chemin de fer, le développement des mines et des ports au tournant du XXe siècle, puis de l’énergie hydroélectrique dans les années 1950-1960, concurrencent toujours plus les Samis en matière d’occupation du territoire. Barrages inondant leurs terres et perturbant les rivières et les lacs, déforestation menée par les industries minières, sylvestres et hydrauliques, destruction de l’habitat traditionnel des rennes, amenuisement de la population des cervidés, mines et scieries défigurant le paysage, entraves au nomadisme traditionnel, ravages causés par la Seconde Guerre mondiale (politique allemande de la terre brûlée, déplacement et évacuation des populations)… Intégré dans celui de plusieurs État-Nations (la Suède, la Norvège, la Finlande et la Russie), le territoire sami est soumis aux lois de ces État-Nations, qui permettent à leurs entreprises d’en exploiter les ressources et menacent dangereusement le mode de vie traditionnel.

Aujourd’hui, moins de 20% des Samis vivent directement du renne et de son élevage nomade, pilier historique de l’économie samie et marqueur identitaire fort. Comme chez les Aborigènes et les Natifs d’Amérique du Nord, le déracinement, les politiques d’assimilation forcées et l’alcoolisme en résultant font des ravages… Comme partout ailleurs, là où passe le rouleau compresseur de la civilisation occidentale, les cultures autochtones trépassent, malgré les (rares, tardives et trop faibles) prises de conscience…

En Norvège, on rencontre surtout des Samis du littoral, à opposer aux autres groupes (Samis des montagnes, des forêts, des lacs…)

Photo prise dans le Finnmark (été 2022)

Vers la reconnaissance

Stockholm a longtemps mené et continue de mener une politique coloniale à l’égard du peuple boréal, n’hésitant pas à s’arroger ses terres et à occidentaliser de force ses enfants. Toutefois, des améliorations sont à noter depuis la fin du XXe siècle, à commencer par la reconnaissance de la langue samie comme langue officielle.

En Norvège, la langue, la culture et le mode de vie samis sont protégés depuis 1988. La création du drapeau sami, en 1986, atteste de la reconnaissance d’un peuple uni au-delà des frontières. Et, en 1989, la Norvège reconnaît officiellement les Samis comme les plus anciens habitants des régions nord de la Scandinavie et le « peuple autochtone de Norvège ».

Le 23 janvier 2020, la Cour Suprême de Suède a accordé à l’un des cinquante villages samis, Girjas, les droits exclusifs de chasse et de pêche sur les 5 000 km² de son territoire. Après une décennie de combat juridique, les habitants de Girjas sont donc désormais les seuls à pouvoir décider qui pêche et chasse et dans quelles conditions, sur leurs terres. Cette juridiction inédite nourrit des espoirs de diffusion à travers tout le Sapmi. (Là encore, quel parallèle avec les Aborigènes, à qui le gouvernement australien commence seulement, depuis le tournant du XXIe siècle, à restituer des terres ancestrales !)

Enfin, en Norvège, en Suède et en Finlande, (mais pas en Russie) des parlements samis aux membres élus démocratiquement par les intéressés sont mis en place respectivement en 1989, 1993 et 1996. Ils visent à faire remonter les revendications des communautés samies auprès des gouvernements nationaux, notamment concernant les menaces pesant sur leur mode de vie…

La langue samie s’est également vu attribuer un statut de langue officielle.

Le renne

De tradition nomade, les Samis étaient à l’origine un peuple qui vivait de la pêche et surtout de la chasse des rennes, alors sauvages. Ils se sont tournés vers l’élevage transhumant de rennes semi-domestiques entre les IXe siècle et XVIIe siècles sous la pression exercée par les premières incursions des européens sur leur territoire.

Le renne est alors au cœur de toute la vie samie, fiançailles, mariages, ustensiles (bois, os), campements et vêtements (peaux), alimentation (viande, lait, graisse), médecine (graisse aussi), fêtes, courses… et même la langue ! Plus de 400 mots existent pour désigner le renne !

En 2017, on compterait environ 280 000 rennes d’élevage en Suède, 240 000 en Norvège, 200 000 en Finlande et 60 000 dans la péninsule de Kola (Russie). Au cours d’une saison de migration les animaux peuvent traverser plusieurs fois les frontières dans un sens et dans l’autre. Les pâtures d’été se trouvent plus en Norvège et celles d’hiver correspondent aux plaines de basse altitude en Suède ou en Finlande.

L’élevage nomade des rennes se fait néanmoins de plus en plus difficile et les éleveurs toujours moins nombreux au fil des années. Les territoires disponibles se réduisent face à l’expansion du secteur minier, des barrages hydroélectriques, de la sylviculture, des villes et des routes et des aires protégées. Le réchauffement climatique rend l’accès à la nourriture plus difficile en fin d’hiver pour les troupeaux, la neige qui fond prématurément peut regeler quand la nuit tombe et la glace empêche les rennes de brouter les lichens.

Au XXIe siècle, les éleveurs professionnels suivent majoritairement leurs troupeaux en motoneige. Certains utilisent le GPS pour pister les déplacements des animaux, et ils communiquent naturellement entre eux par les moyens modernes de la technologie. Mais, de nos jours, l’obscurité, le froid et la garde des troupeaux nécessitent des qualités et des techniques de survie qu’on ne retrouve plus que chez peu d’ethnies.

La culture samie

La religion samie partage des éléments avec les autres religions des régions polaires, comme le culte des ours, les sacrifices, le chamanisme, l’animisme etc. Les hommes et les femmes ont leurs dieux propres. Cette religion traditionnelle a été majoritaire jusqu’à l’époque médiévale (à partir du XIe siècle), où le christianisme s’est imposé pour devenir la religion majoritairement pratiquée vers la fin du XVIIIe siècle. Ainsi, l’ancienne religion des Samis n’est plus pratiquée depuis longtemps. Les premiers missionnaires chrétiens entrèrent en contact avec les Samis dès le XIIIe s. et s’attachèrent à éradiquer les croyances traditionnelles, ce qui fut pratiquement achevé au début du XVIIIe. Le luthéranisme puritain prôné par Lars Levi Læstadius (1800–1861) à partir de 1840 en extirpa les derniers éléments.

Côté linguistique, le same, on l’a vu, fait partie des langues finno-ougriennes, mais dans une branche différente des langues fenniques (dont fait partie le finnois). Cependant, en raison du contact prolongé avec les Scandinaves, il y a désormais un nombre important de mots germaniques en same.

Le same est divisée en neuf dialectes, dont certains ont leur propre norme écrite, mais si différents les uns des autres que les Sames du sud ne peuvent comprendre les Sames du nord. La plupart des dialectes sont parlés dans plusieurs pays : on s’en doute, chez les Sames, les frontières linguistiques ne correspondant pas nécessairement aux frontières politiques… Petite anecdote : le mot « toundra » vient du same.

En 2016, 40 à 45% seulement des Samis auto-identifiés parlaient le same. En effet, la colonisation du territoire sami par les Suédois, les Russes, les Finlandais et les Norvégiens s’est accompagné d’une diffusion des langues de ces pays, à travers l’administration et l’école notamment. Depuis une trentaine d’années, certains efforts ont été faits pour préserver et valoriser les langues samies.

La transmission de la culture, pour sa part, est essentiellement orale. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, on ne peut vraiment trouver que des ouvrages religieux, des dictionnaires et des grammaires (à l’initiative des gouvernements suédois, norvégiens etc, évidemment).

Le premier romancier à écrire un roman en same est le Sami Anders Larsen, qui raconte dans l’Aube (autoédité en 1912) l’histoire d’un jeune garçon pris entre deux cultures: son peuple sami et la société norvégienne. Quant à Same Johan Turi, il publie en 1910 Muittalus sámiid birra, un récit dans lequel il fait la description de la vie de son peuple. Il évoque en particulier le quotidien des éleveurs de rennes et les légendes populaires sames. Ces thèmes (communautés sames soumises à l’acculturation occidentale, transformation de la société same par le « progrès », divisions etc.) sont fréquemment retrouvés dans la littérature samie de nos jours.

Côté musique, une des traditions samies particulièrement intéressantes est le chant joik. Les joiks se chantent traditionnellement a cappella, généralement lentement et du fond de la gorge, en faisant transparaître de la colère ou de la douleur. Chaque Sami a son propre joik, qui lui sert de portrait musical. De même, on l’a vu, les Samis attribuent un joik aux espèces animales et aux entités naturelles (les montagnes, les lacs, etc.). Le joik ne parle pas de quelqu’un ou de quelque chose, il incarne ce dont il est question. Il peut être utilisé pour faire voyager l’auditoire par la pensée ou pour transmettre le caractère d’un animal. Des chants, bien sûr, que les missionnaires chrétiens ne manquèrent pas de qualifier de « chansons du diable »… De nos jours, les joiks sont fréquemment accompagnés par des instruments.

Côté costume, le kolt (une seule pièce de tissu à dominante rouge et bleue) est emblématique des Samis.

Food !

Last but not least, la cuisine ! Tradition nomade oblige, aucune partie du renne (principale source de viande) n’est laissée de côté. Il est consommé en viande bouillie ou grillée, en viande salée et séchée ou fumée et en saucisson. Le produit de la chasse comme l’élan, le lagopède alpin et surtout le lagopède des saules, fait également partie de la base de l’alimentation. Les viandes sont accompagnées de sauces — aux airelles, par exemple, car celles-ci sont facilement conservables.

La pêche apporte saumon, hareng, sandre, perche, lavaret, moules…

L’origine d’un pain sami sans céréale est attestée par la tradition orale. Ce pain, très sain et connu au-delà de la Laponie, est désigné sous le nom de « steinalderbrød », littéralement « pain de l’âge de pierre » (tout un programme !). Il est composé de graines de toutes sortes qui peuvent aisément changer, selon l’approvisionnement relativement peu varié, mais presque toujours du lin, du tournesol, des noix, amandes, noisettes, graines de citrouille et autres ingrédients réputés antioxydants.

On fabrique aussi des tartes, et les traditionnelles tisanes, jus de fruits concurrencés également par le café. L’utilisation de farine d’écorce de bouleau et de pin permet la fabrication du pain d’écorce.

En résumé, c’est une cuisine de pays froid, riche en variété comme en goûts, avec quelques spécialités dont le lapkkok (à base de foie et de moelle) et un pain levé au cumin, nommé renklämma, enroulé en cône autour d’une fine tranche de renne.

Dans la fiction

Un certain nombre de polars scandinaves se déroulant dans le Grand Nord mettent en scène des Samis (au moins en toile de fond).

En outre, des éléments de la culture samie sont clairement reconnaissables dans le film d’animation inspiré du conte danois de Hans Christian Andersen publié en 1844… « La Reine des Neiges » ! Un conte à l’origine de pas moins de 9 films et/ou séries (russes, finlandais, britanniques, japonais…) avant le célèbre Disney ! Mais aussi des BD, des romans, un opéra…

Peinture d’Elena Ringo (Source)

Dans La Reine des Neiges de Disney, des éléments clairement reconnaissables de la culture samie sont utilisés, ce qui a valu à Disney des critiques, notamment à propos du chant d’ouverture Vuelie, écrit par un compositeur Sámi : se posait la question de l’appropriation culturelle du fait de l’absence d’un peuple indigène clairement indiqué dans le film. Cette inspiration est donc plus nettement assumée dans le deuxième opus, pour lequel un verddet – « groupe » – composé de six spécialistes de la culture samie – trois Norvégiennes, deux Finlandais, une Suédoise –, a été constitué pour conseiller les équipes de Disney… : un peuple, les « Northuldras », apparaît donc plus explicitement dans le 2e film. Pour éviter tout problème, le producteur Peter Del Vecho a même signé un contrat avec le parlement Sámi de Finlande. Les représentants Sámi se sont dits contents et fiers du résultat, heureux que Disney ait été sérieux et n’ait voulu blesser personne.

La Reine des Neiges – Kristoff
La Reine des Neiges 2 – Kristoff
La Reine des Neiges 2 (Disney) : les Northuldras – Source

Pour l’anecdote, les Northuldras sont un peuple résidant dans un campement de tipis (#huttes…) situé dans la Forêt Enchantée, située à la frontière du royaume d’Arendelle. Pleine de magie, ils lui montrent un grand respect…

Les Northuldras étant, aux origines, liés d’amitié avec le peuple d’Arendelle, le roi Runeard fit construire un immense barrage dans la forêt en guise de « cadeau ». Malheureusement, les deux peuples se livrèrent bataille lors de l’inauguration du barrage, bataille qui mit en colère les esprits de la forêt, qui plongèrent la forêt sous une brume épaisse…

Plus tard, Elsa et Anna, les héroïnes, apprennent la réalité à propos du barrage offert par Arendelle : le roi Runeard avait prévu de faire ce cadeau pour empêcher les Northuldras de posséder des terres fertiles et ainsi provoquer leur soumission…

Intéressant, non ?

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