Littérature, amour & érotisme

Le Fantastique en bref

Cet article s’inscrit dans la continuité de mes articles sur les grands mouvements de la littérature française

Il fait suite, notamment, à mes trois premiers articles sur le XIXe siècle :

que vous pouvez retrouver sur ce blog…

Aux origines

Dès le XVIIIe siècle, en réaction au développement de l’esprit critique et du rationalisme à outrance du mouvement des Lumières, un certain besoin de croire au surnaturel et de renouer avec le spirituel se manifeste. Jugée trop sèche pour les âmes sensibles et inapte à traduire les passions, les épanchements et les élans du cœur, la science est rejetée par une frange des artistes et des auteurs dès le XVIIIe siècle, qui éprouvent le besoin de se reconnecter à l’irrationnel, à l’occultisme, à l’ésotérisme, aux croyances, d’autant plus qu’avec la Révolution puis l’Empire, nous l’avons vu, les structures sociales et les valeurs pluriséculaires se sont effondrées. En découlera bientôt tout un mouvement, dit fantastique, qui plonge de ce fait ses racines au cœur même du siècle des Lumières, en totale réaction à celui-ci.

Très influencé par les littératures étrangères – tout comme le Romantisme –, le Fantastique français, peut-être illustré pour la toute première fois par Le Diable amoureux (très teinté d’ésotérisme) de Jacques Cazotte (1772) s’inspirera :

  • du roman noir/gothique anglais aux ambiances inquiétantes, aux décors sombres, aux créatures éthérées et aux apparitions horrifiantes (Le Château d’Otrante d’Horace Walpole, Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe, Le Moine de Matthew Gregory Lewis, Melmoth, l’homme errant de Charles Robert Maturin – j’évoque d’ailleurs cette littérature dans ma trilogie « Passions Londoniennes », en particulier dans le 3e tome, James) ; un genre qui, déjà, fait la part belle au surnaturel, au macabre, au démoniaque, au maléfique et à l’horreur ; le premier roman anglais purement « fantastique » est peut-être Frankenstein, de Mary Shelley (1818)
  • du fantastique allemand (notamment L’Homme au sable, Contes nocturnes et Fantaisies à la manière de Callot, de Hoffmann ; Peter Schlemilh d’Aldebert von Chamisso ; et Faust de Goethe) ; Hoffmann, en particulier, aura, avec ses contes, constitué un véritable répertoire du fantastique, décliné par la suite par d’autres auteurs et artistes sous forme d’autres contes, d’opéras, de ballets, de films…

Naît alors la mode, en France, de ce qu’on appellera le « roman frénétique » ou « frénétisme », ou encore « romantisme frénétique », où l’horreur s’exacerbe pour parvenir à provoquer des sensations fortes, autant de romans noirs/gothiques « à la française » où le macabre côtoie la mort et la cruauté les charognes en putréfaction :

  • Champavert, contes immoraux, Pétrus Borel
  • Madame Putiphar, Pétrus Borel
  • Gottfried Wolfgang, Pétrus Borel
  • L’âne mort et la femme guillotinée (tout un programme !!), Jules Janin
  • Les Mémoires du diable (tout un programme aussi !!), Frédéric Soulié (qui ne cache pas sa dette envers le Marquis de Sade… no comment…)
  • Le Manuscrit trouvé à Saragosse, Jean Potocki (polonais, mais l’œuvre est écrite en français)
  • Vathek, William Beckford (anglais, mais l’œuvre est écrite en français)

Puis, au cœur même du Romantisme (première moitié du XIXe siècle – voir mon article sur le sujet), des œuvres (notamment de ceux que l’on appelle parfois « Surnaturalistes » ou « Symbolistes romantiques », Charles Nodier, Nerval et Aloysius Bertrand, mais aussi de certains Romantiques « pur jus » comme Victor Hugo) annoncent, dès les années 1820, le mouvement fantastique qui connaîtra son apogée avec Prosper Mérimée et Guy de Maupassant :

  • Smarra ou les démons de la nuit, de Nodier
  • La Fée aux miettes, Nodier
  • Trilby ou le lutin d’Argail, Nodier
  • « Du fantastique en littérature », Nodier (article)
  • Han d’Islande, de Victor Hugo
  • La Peau de chagrin, Balzac
  • L’Elixir de longue vie, Balzac
  • Melmoth réconcilié, Balzac
  • La Cafetière, Théophile Gautier
  • La Morte amoureuse, Théophile Gautier

Le courant et le registre fantastiques

Le mouvement fantastique à proprement parler concerne la seconde moitié du XIXe siècle et trouve ses maîtres avec Prosper Mérimée et Guy de Maupassant ; paradoxalement, il s’inscrit dans la continuité du Réalisme et du Naturalisme, au sein desquels il plonge ses racines… pour mieux s’en séparer ensuite. De fait, le fantastique consiste, en quelque sorte, en une « déviation » du Réalisme…

Expression tantôt d’une déception à l’égard de la science, tantôt d’une méfiance à l’égard de celle-ci, tantôt d’une inquiétude spirituelle, le Fantastique s’applique à réintroduire du doute, de l’ambiguïté, jusqu’au surnaturel au cœur du réel. Inséparable du « Mal du siècle », le Fantastique, préfiguré par plusieurs auteurs romantiques (cf mes articles sur le Romantisme et son goût pour le rêve, l’onirisme, le surnaturel…), au point qu’on l’appellera parfois « romantisme noir », explose donc dès le milieu du XIXe siècle.

L’idée

Elle est simple : en partant d’un cadre parfaitement réaliste (= qui donne l’illusion du vrai), l’auteur parvient peu à peu à semer le doute dans l’esprit du lecteur en y insérant des phénomènes anormaux, inquiétants, surnaturels, qui le rendent perplexe. Il ne se soumet plus complètement à la réalité, introduit des phénomènes paranormaux, flirte avec l’étrange et, en refusant d’effectuer une photographie simplement mécanique et parfaitement conforme à la réalité, il ouvre une brèche dans l’édifice réaliste et naturaliste.

Ainsi, l’intrusion d’éléments insolites ou surnaturels dans l’intrigue brise la sécurité quotidienne du narrateur ; au milieu d’un monde connu et balisé par les connaissances scientifiques, le surnaturel s’introduit (êtres, créatures, phénomènes…). La recherche d’une image exacte et réaliste de la vie est comme déroutée par le mystère de « l’égarement des êtres », des hasards inexplicables, des abîmes de la folie, des phénomènes étranges. Si notre quotidien et la science nous privent du merveilleux, de la magie et du spirituel d’antan (positivisme à outrance), l’écrivain se charge de ressusciter l’univers fantasmagorique des mythes et des légendes anciennes et de repeupler notre esprit de ces créatures surhumaines et, bien souvent, inquiétantes.

En fait, le fantastique commence lorsqu’un événement étrange (phénomène), auquel le narrateur ne peut donner d’explication rationnelle et satisfaisante, surgit : des bruits inexpliqués, des objets qui changent de place, des comportements incompréhensibles, des voix venues de nulle part, des lumières, des phosphorescences, des visions, des portes qui s’ouvrent ou se déverrouillent toutes seules, des murmures… Souvent, le personnage commence alors par essayer de se rassurer en trouvant une explication rationnelle ; survient ensuite la peur, quand on constate que cette explication n’est pas la bonne… mais qu’aucune autre explication rationnelle satisfaisante ne vient s’y substituer, et que le phénomène demeure donc, dès lors, incompréhensible… du moins, si l’on s’en tient à la raison… Les avertissements, indices et mises en garde sont en général distillés peu à peu. La peur atteint son paroxysme lorsqu’il devient absolument impossible au héros d’expliquer rationnellement ce qui lui arrive.

En conséquence, le propre du Fantastique est de laisser le lecteur en permanence en suspens, à la fois perplexe et inquiet face à plusieurs interprétations possibles de l’œuvre : s’agit-il d’hallucinations de la part du personnage ? d’une crise de folie de la part du personnage, de délires, de fantasmes, de simples rêves, de cauchemars ? ou bien de phénomènes réels (en ce cas complètement invraisemblables, incompréhensibles, surnaturels et inquiétants) ?

Le lecteur oscille entre une explication rationnelle des phénomènes décrits (le personnage a des visions, est somnambule et réalise lui-même des actions dont il ne se souvient pas le lendemain matin, devient fou, est sujet aux hallucinations, confond rêve et réalité, dort d’un sommeil profond, est schizophrène…) et irrationnelle (le personnage est possédé par le diable, il y a bel et bien des esprits, des forces supérieures, des démons, des créatures fantastiques chez lui ; le miroir est bel et bien magique… etc).

De fait, le personnage lui-même ne comprend pas totalement ce qui est en train de se passer, ce qui contribue à créer une atmosphère angoissante ; il éprouve des sentiments troublants et confus, puis la peur s’instaure et s’accroît peu à peu ; des maléfices, des étrangetés, des coïncidences bizarres le font peu à peu glisser dans l’irrationnel, sans jamais totalement l’y engloutir…

En cela, le fantastique est situé entre le merveilleux (dans lequel le surnaturel/le magique est accepté et justifié par un cadre totalement imaginaire délibérément choisi) et l’épouvante (où le surnaturel s’immisce et est complètement accepté dans un cadre par ailleurs « normal » et réaliste). Car, contrairement à ces deux genres, le fantastique place son lecteur et son personnage quasiment systématiquement dans une position de refus, de rejet, de déni du surnaturel.

Le dénouement

Le récit s’achève souvent par « un événement sinistre qui provoque la mort, la damnation ou la disparition du héros » (Roger Caillois, Images, images…) ; mais, surtout, sans qu’une explication claire, rationnelle ou irrationnelle, ait été apportée : le lecteur (et souvent, avec lui, le personnage) reste donc sur sa faim, en proie au doute, à l’incertitude, à l’incompréhension et à un profond malaise. L’ambiguïté du dénouement interdit toute certitude quant à l’interprétation que l’on peut faire du phénomène (irrationnelle-imaginée-fantastique-paranormale-magique ou rationnelle-réelle-scientifique). La foi absolue (de l’ordre de la superstition ou du merveilleux) tout comme une explication parfaitement rationnelle ou une incrédulité totale (rationalisme, scepticisme, cynisme, cartésianisme) nous mèneraient toutes deux hors du champ du fantastique. Le doute, l’hésitation, l’incertitude, la peur sont la caractéristique majeure du fantastique ; et cette oscillation entre le logique et l’illogique, le possible et l’impossible, le naturel et le surnaturel, l’essence même du genre.

« Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement en apparence surnaturel » Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, 1970.

Décors et contextes

  • Des lieux : maisons hantées, villes-fantômes, cimetières, lieux hantés, vallées ou clairières perdues et isolées, haute montagne, marais embrumés, endroits abandonnés, châteaux aux passages secrets obscurs et aux hautes voûtes effrayantes, souterrains, hautes tours, sombres forêts, abbayes abandonnées, ruines, vastes et lugubres pièces, greniers, caves, bibliothèques poussiéreuses, phares, chapelles isolées, églises, presbytères, îles …
  • Des éléments de décor : arbres gigantesques, squelettiques et dépourvus de feuilles, tombes, racines, gouffres, falaises, zones d’ombre, portes condamnées ou murées, chambres interdites…
  • Des circonstances : nuits de pleine lune, soirs d’orage, nuits sans lune, brouillard, brume, nuages, pluie battante…

Êtres, objets et phénomènes surnaturels

  • Les êtres surnaturels présents dans le fantastique : l’esprit, le spectre, le fantôme, le démon, le diable, le vampire, le loup-garou, le meneur de loups, le guérisseur, le monstre, le succube, la gargouille (qui s’anime), la faucheuse, le zombie, le mort-vivant, la momie (qui se réveille…), le squelette, la sorcière, le dieu antique, la divinité imaginaire, l’homme transformé comme Frankenstein…
  • Les grands thèmes : le cauchemar, l’Enfer, les massacres, le sang, le feu, la perversité sexuelle, la possession par le démon, la malédiction, la nuit et ses mystères (=lien avec le Romantisme), le rêve (idem), les voyages dans le temps, le satanisme, les objets magiques, les sortilèges, les pactes avec le diable, le sabbat, les apparitions, les métamorphoses, les transes, les visions, les superstitions, les dons, les pouvoirs, le spiritisme, le magnétisme, la sorcellerie, les morts incompréhensibles, les meurtres inexplicables rationnellement, la magie, la folie, le fantasme, l’angoisse, les hallucinations, les délires, les drogues…
  • Les objets (magiques ou non) : anneaux, manteaux, capes, clés, serrures, bijoux, miroirs, parchemins, sceaux, talismans, faux et faucilles, coupes, parties du corps devenues autonomes (une main…) etc.
  • Les animaux les plus représentés : chauve-souris, araignées, rats, loups, insectes, oiseaux de nuit, chats (noirs), animaux flottant, rampant, frôlant, volant, glissant… nocturnes, aquatiques…
  • Les grands genres : le roman et la nouvelle
  • Les émotions suscitées : la peur, l’effroi, l’angoisse, la folie, l’inquiétude, le malaise, l’affolement, la terreur, le désespoir, la souffrance, le suspense, la torture, le tourment, le doute, le fantasme, une sorte de crispation et de tension à la rencontre de l’impossible.

NB : on l’aura constaté, les manifestations du surnaturel dans la littérature fantastique sont généralement néfastes : point de place ici pour les bonnes fées, les anges, les gentilles licornes et les bons génies ! On laisse tout ça au merveilleux (voir distinguo un peu plus loin).

Procédés d’écriture

  • Ecriture à la première personne et focalisation interne fréquentes
  • Ellipses
  • Exclamations et interrogations
  • Personnifications
  • Comparaisons et métaphores
  • Couleurs fréquentes : le noir, le blanc et le rouge (voir les affiches et les univers de Shining et de Sleepy Hollow, par exemple)
  • Champs lexicaux de la peur, de l’angoisse, des perceptions sensorielles (odeurs, goûts, illusions d’optique…), de la lumière et de l’obscurité, de la phosphorescence…
  • Création d’atmosphères étranges et oppressantes
  • Introduction d’être et de phénomènes surnaturels
  • Vocabulaire du doute, de la perplexité, de l’incompréhension, du rêve, du cauchemar, de la folie, du délire et des peurs profondes
  • Des frontières floues entre le réel et l’irréel, une ambiguïté délibérée, l’entretien d’ambiguïtés suscitant le doute et le malaise tant du lecteur que du personnage
  • Dans la même logique, le brouillage des indices spatio-temporels
  • Des créatures et des êtres puisés dans l’inconscient collectif, dans le folklore populaire, dans les mythes antiques, dans les légendes locales, dans de vieilles terreurs paysannes, dans les superstitions…
  • Enigmes et anecdotes
  • Le recours fréquent à la forme de la nouvelle, à forte intensité dramatique
  • Le recours à de nombreux modalisateurs pour exprimer le doute et les suppositions (peut-être, probablement, j’imagine que, il est probable que, sans doute, quelque chose, on, c’était comme si, on aurait dit, je supposai que…)

Le Fantastique… à ne pas confondre avec le Merveilleux !

On confond souvent Fantastique et Merveilleux (souvent appelé, dans sa forme moderne, « fantasy », ce qui contribue probablement fortement à l’amalgame souvent opéré entre les deux styles). Or, il s’agit de deux univers radicalement différents, et ce pour de multiples raisons.

  1. Tandis que le fantastique consiste à introduire des éléments dérangeants, inquiétants, inexplicables et même clairement surnaturels dans un cadre à première vue familier et réaliste, le merveilleux, lui, se veut d’entrée de jeu totalement désancré du réel : c’est le fameux « il était une fois… » des contes de fées. A aucun moment le merveilleux ne prétend s’inscrire dans notre réalité, présente ou passée : il revendique clairement un ancrage dans un monde « autre », parallèle, magique, inventé de toutes pièces. Une fois acceptés les présupposés de ce monde magique, les choses se déroulent de façon presque naturelle, normale, familière : tout est accepté, considéré comme normal (la magie, les dons, les pouvoirs surnaturels, les créatures féeriques…) ; dans le fantastique, les règles ne sont jamais posées une fois pour toutes, ce qui le rend profondément déroutant.
  2. Le fantastique se veut beaucoup plus sombre que le merveilleux. Il suscite des émotions déplaisantes, en général d’intensité croissante au fur et à mesure que le récit progresse et, avec lui, l’intensité dramatique (montée en pression jusqu’à la chute finale) : doute, perplexité, incompréhension, inquiétude, angoisse… Un univers relativement noir qui, poussé à l’extrême, conduit à l’horreur (tant au cinéma qu’en littérature : là, on ne cherche plus la déstabilisation, le malaise et l’angoisse, mais bel et bien à susciter la terreur). Le merveilleux, pour sa part, n’entre pas du tout dans la même logique : il s’articule bien davantage autour de l’idée du bien et du mal (avec la victoire du bien sur le mal), de la lumière contre les ténèbres, et cherche à susciter une palette d’émotions beaucoup plus large, incluant l’émerveillement, l’admiration, l’amour, la joie…

Quelques exemples de littérature merveilleuse, pour y voir plus clair ?

Tous les contes de fées (sorcières, dragons, ogres, princesses, petites filles, bonnes fées, mages, princes charmants, licornes, géants…) : Blanche-Neige, Le Petit Poucet, le Chat Botté, Cendrillon, Peau d’Ane, La Belle au bois dormant... Aucune explication n’est fournie, les animaux parlent, les mages ont des pouvoirs magiques, tout cela est bien, tout cela est normal. Aucune explication n’est requise. En fait, l’explication est tout simplement de l’ordre de l’irrationnel, de l’extraordinaire, du merveilleux : un pacte est en effet conclu entre l’auteur et le lecteur d’entrée de jeu. Tous les contes de Perrault, les contes de Grimm, les contes des Mille et une nuits, mais aussi Le Petit Prince, Alice au pays des Merveilles… appartiennent au registre merveilleux traditionnel.

Quant à la « fantasy », (déclinée en de nombreux sous-genres, dark Fantasy, high fantasy, low fantasy, heroic fantasy, fantasy médiévale, fantasy arthurienne, fantasy urbaine, sword and sorcery, space fantasy, romantic fantasy, fantasy féerique, oriental fantasy, fantasy animalière etc), forme moderne du merveilleux, elle utilise abondamment la force du mythe et la magie. Légendes, chevaliers, guerriers, princes, rois et guerriers, elfes et gnomes, orques et nains, mages et sorciers, Vikings et barbares, créatures fantastiques et magiques, mondes inventés… Elle rencontre un succès notable auprès des jeunes, et c’est par son biais que nombre d’entre eux se lancent dans la lecture… y compris de longue haleine (sagas, cycles, romans-fleuves…)

Exemples : Le Trône de Fer de G.R.R Martin (Game of Thrones sur les écrans), Harry Potter de J.K. Rowling, Le Seigneur des Anneaux et Bilbo le Hobbit de Tolkien…, Les Chevaliers d’Emeraude (Anne Robillard), L’Epée de Vérité (Terry Goodkind), Les Chroniques de Narnia (C.S Lewis)…

Films : Le Monde de Narnia, la plupart des dessins animés Disney

BD : Thorgal et beaucoup d’autres

A noter : au cinéma, fantastique, science-fiction, merveilleux et même épouvante s’entremêlent souvent joyeusement… Dans certains cas, il est assez difficile de distinguer le genre exact de l’œuvre, tant les productions se plaisent à mêler les genres et les registres… même si de nombreuses œuvres, bien sûr, appartiennent très explicitement à un genre bien défini.

Une citation : « Ce qui distingue radicalement (…) le récit fantastique du récit merveilleux, c’est la peur. Le fantastique est effrayant alors que le merveilleux ne l’est que par instants et jamais de manière définitive. Certes des êtres mauvais comme les ogres peuvent apparaître dans des récits merveilleux, mais ils sont destinés à être vaincus et le sont immanquablement. Au contraire dans les récits fantastiques, toute victoire sur les forces du mal est précaire, ces forces sont la plupart du temps invincibles ». Raymond Rogé, Récits fantastiques

A ne pas confondre non plus avec la science-fiction !

Pour faire simple, le terme de science-fiction désigne toute littérature futuriste. Elle présente des sciences et des technologies du futur, qui y prennent une place importante. Rigueur, technique, science et rationalisme règnent en maîtres. La mort est causée par une trop grande soif de savoir ou de pouvoir, ou par les dérives de la science par exemple, et non à l’introduction d’éléments surnaturels.

Il existe également de nombreux sous-genres de science-fiction, selon la science explorée (et, bien souvent, poussée à son comble) – la robotique, l’exploration spatiale, la biologie virale, l’électronique, l’exploration du temps (avec machine), la génétique, la physique quantique, l’informatique, la climatologie… Ainsi, selon la science concernée, divers types de scénarios se profilent : la rencontre d’aliens, l’exploration ou la découverte d’une nouvelle planète, une pandémie mondiale (grippe, rage… transformant même parfois les humains en zombies…), une catastrophe écologique ou météorologique (nouvelle ère glaciaire, radioactivité, réchauffement climatique, montée des eaux…), une guerre nucléaire…

En découlent les fameux sous-genres de la science-fiction : la SF post-apocalytique, le planet opera, le space opera, la hard science-fiction, l’anticipation, le cyberpunk, la dystopie…

Autant de sous-genres particulièrement prisés du cinéma, on s’en rend vite compte à la lecture de cette présentation. Mais également représentés par quelques maîtres en matière de littérature ! Citons, à titre d’exemples :

  • Jules Vernes (maître incontesté de la SF « futuriste » et visionnaire), avec Le voyage au centre de la Terre, le Tour du monde en quatre-vingts jours et Vingt mille lieues sous les mers
  • Pierre Boulle, avec La Planète des singes
  • Arthur C. Clarke, avec 2001, l’Odyssée de l’espace

Films : Le jour d’après, Waterworld, Matrix, Mad Max, Time Out, The Island, Elysium, Stargate, Seul sur Mars, Bienvenue à Gattaca, Passengers, Premier Contact, The Matrix, I-Robot, Independance Day, Blade Runner, I am a legend, World War Z, Hell, Dune, Gravity, Le Cinquième élément, Retour vers le Futur, Inception, Jurassic Park… et tant d’autres !

Mais ce qui nous importe ici, c’est bien de souligner que, dans le cadre de la science-fiction, l’explication des phénomènes étranges (pour nous), nouveaux, surprenants, est parfaitement rationnelle : elle s’explique scientifiquement (par la ligne du temps, les progrès de la génétique, de l’informatique, la propagation d’un virus, la médecine, le clonage, la météorologie, l’astronomie, l’intelligence artificielle, la pollution…)

Alors que, dans le merveilleux, l’explication est explicitement irrationnelle (monde magique clairement revendiqué) ; et que dans le fantastique, aucune explication ou solution, au final, n’est fournie : on hésite entre le logique et l’illogique, le rationnel et l’irrationnel, le naturel et le surnaturel, mais aucune explication définitive ne sera donnée, en tout cas aucune explication rationnelle satisfaisante. Le lecteur n’a pas le mot de la fin. On ne peut que supputer : tout est possible : cette hésitation entre les genres et les explications crée le genre fantastique. L’ambiguïté persiste, savamment guidée par les techniques narratives de l’auteur. Les textes courts permettent de maintenir la tension dramatique et sont donc privilégies. Si le lecteur veut pencher pour une interprétation réaliste et rationnelle des faits, il va devoir douter de la véracité des propos rapportés par le narrateur, remettre en cause sa crédibilité, le considérer comme totalement fou, sujet à des hallucinations, douter de sa bonne foi…

NB : deux phénomènes similaires peuvent survenir dans une œuvre fantastique et dans une œuvre de science-fiction (et c’est là qu’est toute la subtilité de la chose !^^) : dans les deux cas, par exemple, un homme peut se rende invisible ; ou voyager dans le temps ; ou contrôler des objets par la pensée ; ou lire dans les pensées de son voisin ; etc. Toute la différence vient de des explications fournies pour justifier ces prodiges. En matière de science-fiction, par exemple, l’explication pourra être génétique : un petit bidouillage d’ADN, la mutation d’un chromosome… et notre héros se retrouve doté de super-pouvoirs (mutants, X-men…). Ou bien, un inventeur de génie a mis au point une machine (au hasard, une DeLorean…^^) permettant de voyager dans le temps.

Quant au récit fantastique, il nous refusera toute explication scientifique ou technique rationnelle… et nous laissera sur notre faim… en proie à la perplexité, au doute… et à l’inquiétude !

Conclusion

Tantôt imprégné de mysticisme, tantôt de macabre, tantôt de poésie, tantôt de morbide, le Fantastique flirte allègrement avec la peur, l’ésotérisme, la superstition, le mythe, le spiritisme, le magnétisme, le rêve, parfois encore l’érotisme ou le scabreux. Mouvement de l’étrange, il introduit l’impression à la fois déroutante et inquiétante du rêve et de l’irréalité au sein d’un récit en apparence réaliste et rationnel, jusqu’à rendre incertain l’univers référentiel d’origine. Des événements inquiétants se mêlent peu à peu à notre quotidien, se moquant totalement des logiques de notre monde positiviste et scientifique, jusqu’au moment où tout bascule. Le lecteur comme le personnage ont le sentiment d’être dans un cauchemar réel. Le personnage en arrive à devenir fou, et le lecteur avec lui. Hésitation constante face à un événement surnaturel, le Fantastique, véritable échappatoire, permet de remettre en question une réalité décevante, les « repoussantes réalités du vrai » (Nodier).

Notion littéraire difficile à définir et dont de nombreux auteurs se seront saisis à tour de rôle, le Fantastique est au cœur de la littérature de l’étrange, quelque part entre le merveilleux, la science-fiction et l’horreur ; on comprend bien, dès lors, que les frontières avec les genres voisins soient floues et susceptibles d’être franchies à tout moment (et, encore une fois, elles le sont d’ailleurs allègrement dans le cinéma).

Subversif, le Fantastique met en exergue la fragilité, la non-maîtrise, l’hésitation, le doute et l’incertitude de l’homme face à l’étrange, à une époque où la science triomphante prétend acquérir la totale maîtrise du monde (Révolution industrielle, progrès des sciences, positivisme… ce qui est toujours le cas aujourd’hui). Il relativise ainsi les progrès de la science et des techniques et cherche à mettre à l’honneur cette part de mystère, ce monde « autre », situé « de l’autre côté du miroir »… un peu comme le Symbolisme, à la même époque, cherche à le faire à travers le genre poétique…

Quelques citations

« Tout le fantastique est rupture de l’ordre reconnu, irruption de l’inadmissible au sein de l’inaltérable (quotidien) » Roger Caillois, Au cœur du fantastique

« Le fantastique vit d’ambiguïté (…) En lui, le réel et l’imaginaire doivent se rencontrer, voire se contaminer ; de plus, contrairement à tant d’autres fictions, il n’exige à ses mystères aucun éclaircissement, même s’il refuse toute solution rationnelle ou technique. » Jean Bellemin-Noël.

« Rêve ou réalité ? Vérité ou illusion ? (…) Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, ni sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. » Todorov, Introduction à la littérature fantastique

« Le récit fantastique exprime l’angoisse et le doute du personnage, au moyen de l’indécision de perceptions et de la suspension des significations trop nettes. Celles-ci amènent le lecteur à éprouver un sentiment semblable à celui des personnages, qui peut aller de l’ambivalence devant des interprétations contradictoires jusqu’à une radicale indétermination. » Denis Mellier, La Littérature fantastique

« L’univers fantastique offre un refuge à tous ceux que déçoit et décourage le siècle nouveau ; il englobe toutes ces contrées où l’imagination des poètes s’aventure, loin des contraintes qu’imposent la raison, l’expérience commune, les moeurs, les règles de l’art ; il répond, en somme, aux impatiences et aux exigences de la génération romantique. » P.G.Castex, Le Conte fantastique en France de Nodier à Maupassant

« « [Le fantastique] est l’art de parler à notre imagination en la ramenant vers les premières émotions de la vie, en réveillant autour d’elle jusqu’à ces redoutables superstitions de l’enfance que la raison des peuples perfectionnés a réduites aux proportions du ridicule » Jean Sbogar

« Quand l’homme croyait sans hésitation, les écrivains fantastiques ne prenaient point de précautions pour dérouler leurs surprenantes histoires […]Mais quand le doute eut pénétré enfin dans les esprits, l’art est devenu plus subtil. L’écrivain a cherché les nuances, a rôdé autour du surnaturel plutôt que d’y pénétrer. Il a trouvé des effets terribles en demeurant sur la limite du possible, en jetant les âmes dans l’hésitation, dans l’effarement. Le lecteur indécis ne savait plus, perdait pied comme une eau dont le fond manque à tout instant, se raccrochait brusquement au réel pour s’enfoncer tout aussitôt, et se débattre de nouveau dans une confusion pénible et enfiévrante comme un cauchemar. » Guy de Maupassant, Chroniques, « Le Fantastique », 1883.

Les plus grands auteurs de ce mouvement 

Maupassant, Edgard Alan Poe, Prosper Mérimée, Villiers de l’Isle-Adam, Théophile Gautier, Oscar Wilde, Hoffmann, Nodier…

Quelques œuvres :

  • La Peau de chagrin, Balzac
  • Le Horla, Maupassant
  • La Vénus d’Ille, Prosper Mérimée
  • Le Château des Carpathes, Jules Verne
  • Récits fantastiques, Théophile Gautier
  • Apparitions et autres contes d’angoisse, Guy de Maupassant
  • La Main, Guy de Maupassant
  • Et de très nombreuses autres nouvelles de Maupassant et de Mérimée

Œuvres étrangères :

  • Le Chat noir et la vérité sur le cas de M. Valdemar, Edgar Allan Poe
  • Le Château d’Otrante, Horace Walpole
  • Le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde
  • Contes fantastiques, Ernst Theodor Hoffmann
  • Frankenstein, Mary Shelley
  • La Dame de pique, Alexandre Pouchkine
  • Histoires extraordinaires, Edgar Allan Poe
  • Le Cas étrange du Dr Jekyll et de Mr Hyde, Robert Louis Stevenson
  • Dracula, Bram Stoker
  • L’homme invisible, H-G Wells

Les œuvres dites « décadentes » ou « fin de siècle »

Il n’y a plus à cette époque d’écrivains fantastiques à proprement parler, mais de nombreux auteurs qui ont écrit quelques œuvres fantastiques ou qui utilisent le fantastique à d’autres fins :

  • Contes cruels, Villiers de l’Isle-Adam
  • Histoires de masques, Jean Lorrain
  • Sueurs de sang, Léon Bloy
  • Histoires désobligeantes, Léon Bloy
  • Histoires magiques, Rémy de Gourmont

Plus tard :

  • Histoires incertaines, Henri de Régnier
  • The Shining, Stephen King
  • La Métamorphose, Franz Kafka
  • Fictions, Jorge Luis Borgès

Films

  • Personal Shopper (dernier film avec Kristen Stewart)
  • The Shining (avec Jack Nicholson)
  • Les Oiseaux (Hitchcock)
  • La Légende du cavalier sans tête (Sleepy Hollow, de Tim Burton)
  • Jumanji

Le genre peut bien sûr être mêlé à d’autres, comme à la romance. Ex: Twilight (romance fantastique)

Peinture: quelques oeuvres fantastiques :

  • Edvard Munch, Le Cri, 1893
  • Léon Spilliaert, Autoportrait au miroir, 1908
  • Johann Heinrich Fuessli, Le Cauchemar, 1790
  • Caspar David Friedrich, Cimetière d’un monastère sous la neige, 1819 (qui illustre cet article!)

Texte : © Aurélie Depraz

Tableau : Cimetière d’un monastère sous la neige – Friedrich

Source : Wikipedia

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