Un grand mouvement féminin – et un grand mouvement amoureux : la préciosité
On ne retient souvent aujourd’hui de la préciosité que l’étiquette ridicule que Molière lui a – comme à tant d’autres – bien durement « collée ». Pourtant, quand on prend la peine de s’y intéresser, la préciosité a représenté bien plus qu’un ensemble ampoulé de manières affectées et de modes d’expression surfaits. Il s’agit non seulement d’un grand mouvement pour la poésie et le roman, mais aussi, probablement, du premier mouvement féminin, voire peut-être même féministe, de toute l’Histoire de la littérature. Regardons-y de plus près.
La préciosité est, avec le burlesque et le libertinage, l’un des 3 courants nés du baroque au moment où celui-ci, terrassé par le classicisme, commence à rendre l’âme : dans un dernier soupir, il tente d’entrer en résistance contre l’ordre, les règles et la rigueur du jeune mouvement qui s’instaure avec le pouvoir absolu et centralisé de Louis XIV, et donne donc naissance à 3 ultimes soubresauts qui dérivent de certaines de ses caractéristiques : le burlesque, le libertinage… et la préciosité.
Le tout premier mouvement littéraire féminin… aux origines du féminisme
En effet, la Préciosité est, avant toute autre chose, la revendication par les femmes de la bonne société du droit de se mêler de littérature. Celles que l’on appelle peu à peu les « précieuses » veulent participer activement à la vie culturelle de leur temps et revendiquent le droit d’écrire, de corriger, de juger des œuvres, de se cultiver et de se faire critiques littéraires. A la culture livresque, scolaire, académique des hommes – dont elles sont, dans l’immense majorité des cas, exclues –, elles opposent l’art de la conversation, la déclamation de poèmes et la lecture de romans. Aux collèges et aux universités, réservés aux hommes, elles opposent les salons, les appartements, les boudoirs, le chambres et les « ruelles », cet espace laissé entre le mur et le lit de parade de la maîtresse de maison. Aux débats rhétoriques masculins entre doctes et érudits, elles opposent les cercles féminins et les réceptions mondaines auxquelles elles convient leurs amis poètes, de beaux esprits, des galants, des lettrés, des savants et des gens de lettres. Aux discours en latin et en grec et à l’étude des auteurs de l’Antiquité, elles opposent des ouvrages, des lectures et une culture raffinée et savante en français. Elles s’imposent et se taillent une place dans la littérature avec les armes que les hommes et l’Eglise de l’époque veulent bien leur laisser. Avec la préciosité, les femmes font irruption sur la scène littéraire de façon collective (une rupture culturelle fondamentale).
La préciosité est, de ce point de vue et à bien des égards, le premier mouvement créé par des femmes et pour des femmes ; le premier mouvement littéraire à mettre en scène des femmes actives ; le lieu où la condition féminine est repensée et où l’on se bat pour l’améliorer (accès des femmes à la culture, droit de regard sur le choix d’un futur mari…)
La vision précieuse du mariage est, à cet égard, particulièrement avant-gardiste et digne d’intérêt. On se met en effet à dénoncer avec virulence cette institution perçue comme d’une réduction en esclavage de la femme. A l’époque des mariages arrangés, de l’autorité toute-puissante du mari sur son épouse, de l’obéissance et de la soumission aveugles attendues de celle-ci, il n’est pas étonnant que le sacrement du mariage ait été l’un des principaux champs de bataille des poussées féministes des précieuses. Certaines aristocrates y étaient donc ouvertement hostiles et recommandaient le célibat, seule garantie d’indépendance totale. Celles qui néanmoins admettaient l’union matrimoniale se refusaient aux « saletés » et aux « choses du mariage » (comprendre : les rapports sexuels), revendiquaient l’indépendance d’esprit de la femme, le droit de la femme de disposer d’elle-même, la liberté de cultiver des amants de cœur (à défaut d’avoir pu choisir leur mari), et même l’égalité des droits. D’autres encore proposent des idées hardies pour l’époque : celles, notamment, du divorce et du mariage « à l’essai »…
Les Précieuses et leur langage étrange : le « jargon des ruelles »
Avec pour mots d’ordre le raffinement, la subtilité, la civilité et la délicatesse, le mouvement opposa au prosaïsme de la langue roturière la distinction outrancière d’une langue privilégiée qui favorisait le néologisme, le bel esprit, l’affectation, les maximes, les énigmes et les portraits, les périphrases et les tournures alambiquées. On retrouve du baroque la tendance aux excès et le goût pour les contrastes, les rapprochements de réalités à première vue éloignées, les antithèses, les intrusions merveilleuses, l’invraisemblable, le romanesque, les péripéties à rallonge, les thèmes mythologiques, bucoliques, pastoraux et antiques…
Mouvement de la dentelle, la préciosité rejette toute forme de crudité et de vulgarité : on exclut les mots grossiers, malsonnants, techniques, populaires, bas, sales et archaïques. On s’oppose aux mœurs grossières, brutales et grivoises de la cour d’Henri IV et de la première régence, peu portées sur les bonnes manières et le raffinement culturel. On voue une véritable haine au pédant, au provincial, au campagnard et au trivial, et l’on n’aime guère les mauvais galants. On montre un goût particulier pour les termes abstraits, les exagérations, les superlatifs, l’ornementation et l’ostentation, on invente, on s’amuse. La singularité, l’ingéniosité, la distinction, la précision et la propriété des termes, le sens de la nuance et le purisme semblent être les maîtres mots de ce langage si particulier dont la périphrase, figure qui préfère la complexité (toute baroque…), les détours et les courbes sinueuses à la concision, reste peut-être la figure de style la plus emblématique.
« Il ne fut plus permis d’exprimer simplement sa pensée », constate Antoine Jay ; « il fallut chercher des tournures nouvelles et d’ambitieuses périphrases. Les sentiments les plus naturels tombèrent dans l’exagération du langage, et la littérature même fut attaquée de cette épidémie ». Le langage développé dans ces salons est en effet si codé, si complexe, si surprenant parfois, qu’il en devient presque hermétique et incompréhensible aux yeux des non-initiés.
C’est que les précieuses veulent en réserver le sens à leur groupe restreint en bouleversant les usages de la langue, en refusant la simplicité du langage ordinaire, en innovant et en allant à contre-courant des pensées naturelles. Elles veulent se distinguer de la masse, jouer la carte de la particularité et de l’originalité, mais en abusent au point d’en devenir inintelligibles et de tenir des propos des plus obscurs. C’est entre autres cet aspect de la Préciosité que Molière fustigera dans sa comédie de mœurs Les précieuses ridicules ; la Bruyère, lui, dans ses Caractères, une série de portraits stéréotypés de gens de cour, donc une peinture satirique des mœurs et des tempéraments de son temps, dresse sans davantage de complaisance le portrait d’Acis, le précieux-type, et lui adresse entre autres les critiques suivantes : « il y a en vous une chose de trop, qui est l’opinion d’en savoir plus que les autres, voilà la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillées, et de vos grands mots qui ne signifient rien. (…) Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? »
La Préciosité dans les salons : qu’y fait-on ?
On se livre à toutes sortes de galanteries en prose et en vers ; on rivalise d’adresse dans la confrontation des points de vue ; on arrose ses invités et ses hôtes de ballades, de rondeaux, de madrigaux, mais aussi de « romans interminables, dont les personnages sont toujours prêts à disserter sur la métaphysique de l’amour, et où tout est de convention, les mœurs, les caractères et les sentiments » (Antoine Jay). Citons, entre autres titres restés célèbres, Pharamond, Cléopâtre, le Solitaire, le Renégat, Clélie.
On juge des ouvrages littéraires, on récite des poèmes, on discourt sur les subtilités de l’amour, on rivalise d’esprit et de bons mots, d’inventivité et de raffinement, on procède à des lectures privées d’œuvres et de lettres, on organise des concours de poésie, on dévore les romans-fleuves d’inspiration baroque (d’une longueur prodigieuse, jusqu’à 13 000 pages !), on se livre à des jeux de rôle et de société galants, bref, on badine et on compose. L’humour tient également une place de choix dans ces salons oisifs et on se régale de plaisanteries, parfois douteuses. La conversation, quant à elle, doit être ludique et désintéressée.
On use et abuse de codes et de conventions : les vêtements (extravagants), les manières et la politesse (exagérées), la façon de sourire, les jeux de regards, le ton à adopter, tout est codifié. On catégorise les soupirs (de 12 genres !), les beautés (de 8 types !), les façons d’estimer (de 9 sortes !) etc. On crée des modes, on se pare, on use de coquetteries.
On recommande le respect des convenances, on prône le bon goût, on s’autocensure, on cherche à plaire en trouvant des formules brillantes et des pensées pertinentes qui trouvent toute leur place dans les lettres, les petits billets, les pointes, les bouts-rimés, les vers finement ciselés, les phrases savamment tissées, les impromptus (petits poèmes improvisés), les métamorphoses (la dame se transforme en un être ou un objet reflétant bien ses qualités) et les épigrammes (brefs poèmes plutôt satiriques).
On se livre enfin autant à des plaisirs mondains et à des divertissements frivoles qu’à des analyses psychologiques ou à des préoccupations morales et intellectuelles. Parfois, on donne des bals masqués, des récitals ; à d’autres moments, on se déguise ; parfois encore, on se rend à la campagne, au château de Rambouillet, où l’on donne une collation champêtre.
Parmi les jeux prisés figurent celui du cœur volé, de la chasse d’amour, du corbillon et de la lettre ; on se donne des surnoms tirés des lectures romanesques… bref ! Plaisir, distraction, délicatesse et badinages sont de rigueur.
L’amour chez les Précieuses
L’amour est le principal sujet d’écriture et de conversation des cercles précieux. Mais attention ! Loin des passions ravageuses ou de la sexualité vulgaire (certaines se refusent tout bonnement à la sexualité, jugée veule, sale et triviale), l’amour qu’on y loue est un amour vaporeux, éthéré, épuré, spirituel, tendre et courtois, résolument coupé de sa dimension corporelle. On le veut délicat, dévoué et délicieusement léger. Comme dans les romans de chevalerie du Moyen-Age, la femme en est au cœur, être parfait, aimé et idéalisé. La conquête amoureuse, en fait, n’est alors qu’un immense jeu de société : on use et abuse de métaphores, d’hyperboles, de contrastes, de paradoxes, de traits d’esprit, d’effets de style et de surprise ; de sonnets (dont on travaille tout particulièrement la pointe), de madrigaux (petits poèmes amoureux, éloges et compliments) et de blasons (descriptions détaillées du corps féminin sublimé) ; de stratégies galantes et d’efforts stylistiques.
Les précieuses ont de l’amour une conception romanesque et utopique inspirée de leurs lectures telles que l’Astrée (Honoré d’Urfé) ou Clélie (Mlle de Scudéry) et débarrassée de sa dimension charnelle, du désir, des pulsions et des instincts. La crudité, la grossièreté, la trivialité les dégoûtent. Mlle de Scudéry proposera même une représentation topographique et allégorique du parcours amoureux sous la forme d’une « carte du Tendre » : le pays du Tendre est traversé par le fleuve Inclination. Pour traverser ces terres amoureuses, il faut passer par d’innombrables villages et étapes aux doux noms de Petits Soins, Billets doux, Grands Services, Empressement, Sincérité, Sensibilité, Billet galant, Respect, et autres Tendre-sur-Estime. Mais si l’on s’éloigne de l’itinéraire prévu, on risque de passer par les terres de Médisance, de Négligence, d’Indiscrétion et d’Oubli, qui conduisent immanquablement le galant à la Mer Dangereuse, au Lac d’Indifférence ou à la Mer d’Inimitié… Pour espérer conquérir le cœur de sa dame, l’amant doit donc passer par de nombreuses étapes amoureuses et ne pas faire de faux pas.
Au-delà de cette approche spiritualisée du sentiment amoureux, réduit à l’état d’inclination de l’esprit, il faut lire dans cette intellectualisation de l’amour et dans le développement des réflexions qui l’entourent à ce moment-là un parti pris philosophique de la part de femmes qui, en amour comme dans la société ou en matière de pensée, veulent être libres, dans le contrôle et maîtresses d’elles-mêmes. Refusant d’être reléguées au rang de vulgaires objets de désir ou de supports passifs d’une jouissance brutale et égoïste toute masculine, elles tentent, peut-être artificiellement, d’insister sur l’aspect spirituel de l’amour afin de garder toute leur dignité d’êtres humains et la maîtrise de leur cœur et de leur destinée. Un amour délibérément intellectualisé, donc, en toute conscience, sous une forme platonique et courtoise.
Cela n’empêchera pas leurs détracteurs de les qualifier tantôt de « prudes » (Ninon de Lenclos, issue des salons libertins – forcément ! –), tantôt de « coquettes » (qui se feraient désirer) et de leur reprocher cette vision romanesque, chimérique et naïve de l’amour.
On ne sera enfin pas sans remarquer les liens évidents entre amour précieux du XVIIe et amour courtois du Moyen-Age… (sujet d’un prochain article…)
Des noms, des noms !
Les grands salons et hôtels particuliers consacrés au mouvement : ceux de Mlles de Scudéry, de Montpensier et de Robineau, et de Mmes de Sablé, Scarron (future Mme de Maintenon), de Rambouillet, de La Suze, de Sully et de Choisy. Parmi les poètes, les beaux esprits et les galants qui les fréquentent, citons Voiture, Théophile de Viau, Tristan l’Hermite, Saint-Amant, Ménage, Cotin, Benserade, Malleville et Montausier, aux œuvres, pour certains, tant précieuses que baroques et libertines, et restées célèbres. Mais de nombreux personnages restés célèbres et écrivains de veines différentes les fréquenteront également par intermittence : Malherbe, Mme de La Fayette, Mme de Sévigné, La Rochefoucauld, Paul Scarron, Corneille, Bossuet ainsi que plusieurs grands noms de la noblesse princière : la princesse de Conti, le duc d’Enghien, futur Grand Condé, sa sœur, Mlle de Bourbon, Richelieu…
Molière et la fin des précieuses
On l’a vu : en 1659, Molière livres les précieuses à la risée publique dans une comédie au titre explicite. Il faut y ajouter les piques et autres allusions moqueuses à leur égard qu’il distillera dans d’autres œuvres comiques et satiriques de sa production, comme les Femmes savantes ou la Critique de l’Ecole des femmes.
Antoine Jay lui attribue donc en grande partie la disparition du mouvement au moment où le classicisme arrive en force : « le succès que Molière obtint à la cour décida de la révolution ; les puissances de l’hôtel Rambouillet et du Marais perdirent leur crédit ; … ; on revint de toutes parts à la raison et à la vérité », à la modération et à la concision, à la précision du terme et à la quête du mot juste, à la tempérance et à l’impératif de clarté. La Préciosité disparaît, affublée à jamais de cette étiquette ridicule.
Dernier soubresaut baroque, on reproche à la préciosité son extravagance, son absence totale de sobriété, son manque cruel de naturel, de simplicité et, parfois, paradoxalement, de bon goût. Autant de critères qui se feront les mots d’ordre du classicisme naissant.
Un héritage précieux (sans mauvais jeu de mots !) pour la langue et la littérature françaises
Outre les nombreux néologismes que nous leur devons (mots et locutions comme « s’enthousiasmer », « s’encanailler », « anonyme », « bravoure », « pommade », « obscénité », « félicité »…), les précieuses nous ont laissé un usage particulier et enrichi de la langue, dans la mouvance des auteurs de la Pléiade du XVIe s. : elles fixent définitivement l’usage et le sens de certains mots, substantivent abondamment les adjectifs et banalisent l’usage des pluriels de concrétisation des abstraits (ex : « les douceurs »).
Le mouvement revêtit également une importance capitale dans la floraison littéraire du siècle, contribua à la diffusion de la littérature dans les élites sociales (aristocratie et bourgeoisie) et définit même certaines des grandes lignes du mouvement, ô combien mieux considéré, qui lui succéda : le classicisme :
- Le souci de ne pas choquer les esprits, de préserver la pudeur de ces dames et de ne pas heurter les délicatesses devait déterminer la règle de bienséance classique qui donnera leur élégance, leur raffinement et leur classe aux plus grandes tragédies de ce temps ;
- Les considérations morales et réflexions psychologiques des précieuses se retrouveront dans la prose classique, dans les romans psychologiques de Mme de Lafayette, dans les tragédies de Racine et Corneille et dans l’impératif général de la littérature classique d’à la fois plaire et instruire (donc élever spirituellement) le public ;
- Le goût des précieuses pour la perfection formelle, les règles et les codes se retrouvera également dans les grandes caractéristiques du classicisme ;
- Leur vision de l’amour et de ses conséquences désastreuses influencera la façon dont la passion amoureuse est décrite chez Corneille, Racine et Mme de La Fayette ;
- Le développement d’une étiquette qui inspirera la cour de Versailles ;
- La création de modes…
On voit souvent dans le classicisme l’apothéose de la littérature française académicienne : « La France vit briller ses plus beaux jours de gloire littéraire » Anoitne Jay. Et la préciosité, d’une certaine manière, contribua, on l’a vu, à assurer la transition entre le baroque et le classicisme. Alors, ces précieuses : si ridicules que cela ?
Voir aussi : mon article sur Madame de La Fayette, La Princesse de Clèves et la Princesse de Montpensier
Texte : © Aurélie Depraz
Illustration : Pixabay
Bonjour,
« Des noms, des noms ! » dites-vous.
C’est, de tout temps, l’esprit de la femme qui a guidé le monde. Quand la femme pense et agit, le monde marche ; quand elle tombe dans l’apathie intellectuelle, quand elle se laisse réduire en esclavage et abdique son pouvoir, le monde tombe dans l’obscurité.
Tous les grands mouvements de l’esprit sont dus à l’initiative féminine. La femme donne l’impulsion, l’homme la suit.
Si nous nous fixons au XVIIIème siècle par exemple, nous constatons que le grand mouvement philosophique qui a remis tous les problèmes de la Nature en discussion a été, tout entier, fait par des femmes.
La marquise de Lambert, Mme de Tencin, Mme Geoffrin, inspirent Fontenelle et son école. La marquise du Deffand, la baronne de Staal, surtout la marquise du Châtelet, influencent l’esprit de Voltaire. Mlle de Lespinasse fait d’Alembert. Mme d’Épinay, la comtesse d’Houdetot font Rousseau. Mme d’Épinay, cette petite femme que Voltaire appelait « un aigle dans une cage de gaze », fait aussi Grimm.
C’est dans les salons philosophiques que commença, le mouvement, qui ne fut, en somme, que l’écho des idées émises par les Femmes. Elles jettent le grand cri de liberté, voulant la libération de leur sexe, asservi depuis le Christianisme ; les hommes répètent leurs mots, leurs phrases, leurs formules, sans en comprendre le sens profond ; elles réclament leurs droits, les hommes alors les réclament aussi, et, chose étrange, dans cette société où l’homme est tout et la Femme rien, nous voyons des révolutionnaires, appliquant à leur sexe les aspirations féminines, demander « les Droits de l’homme », parce qu’ils ont entendu dans les salons des dames demander les droits de la Femme !
Les hommes demandent leurs droits alors qu’ils les ont tous, alors que, pendant tout le Moyen Age et même la Renaissance, ils ont vécu en despotes, dépassant de beaucoup leurs « droits ».
Les Femmes initiatrices de l’idée furent : la princesse d’Hénin, la maréchale de Luxembourg, Mme de Bouillon, Mme Geoffrin, Mme Helvetius, la marquise de Condorcet, Mme Necker, Mme Roland, Mme Tallien, Mme Simon, Mme Candeilh, Mme de Tencin, Mme d’Houdetot, Mme d’Épinay, Mme du Châtelet, Melle de Lespinasse, Théroigne de Méricourt, et tant d’autres qui furent les amies des philosophes, véritables hétaïres modernes, qui continuèrent l’œuvre des « sorcières » et jetèrent dans le cerveau des hommes toutes les idées qui firent éclore la Révolution.
Les unes étaient érudites et lisaient le grec à livre ouvert, d’autres furent des savantes qui élargissaient le champ des connaissances humaines, il y eut des philosophes, et des psychologues, des physiciennes et des naturalistes, toutes étaient charmantes et, par le charme de leur conversation, stimulaient l’esprit masculin.
Cordialement.
Merci pour cet article très détaillé !
Vous avez raison de dire que dans les salons, on badine. Nous avons aujourd’hui une image un peu caricaturale de la Préciosité, comme si elle se résumait à l’amour platonique de la Carte de Tendre. Mais on trouve chez les auteurs de salons des galanteries plutôt osées, mais toujours en usant de détours habiles. Par exemple, ce sonnet d’Isaac de Benserade :
Madame, je vous donne un oiseau pour étrenne
Duquel on ne saurait estimer la valeur ;
S’il vous vient quelque ennui, maladie ou douleur,
Il vous rendra soudain à votre aise et bien saine.
Il n’est mal d’estomac, colique ni migraine
Qu’il ne puisse guérir, mais sur tout il a l’heur
Que contre l’accident de la pâle couleur
Il porte avecque soi la drogue souveraine.
Une dame le vit dans ma main, l’autre jour
Qui me dit que c’était un perroquet d’amour,
Et dès lors m’en offrit bon nombre de monnoie
Des autres perroquets il diffère pourtant :
Car eux fuient la cage, et lui, il l’aime tant
Qu’il n’y est jamais mis qu’il n’en pleure de joie.