Un ami, un jour, a eu le mérite de me poser la question suivante : peux-tu m’expliquer la différence entre une romance et un roman d’amour ?
Tout d’abord, un constat : pour Google, si vous tapez « roman d’amour », vous trouverez tout, de Madame Bovary à Cinquante Nuances de Grey, de l’Amant de Marguerite Duras à After d’Anna Todd, de Guerre et Paix de Tolstoï aux livres de Barbara Cartland, de Jane Eyre de Charlotte Brontë aux derniers Harlequin, d’Aurélien de Louis Aragon aux Musso, des Jane Austen aux Danielle Steel et de Tristan et Yseult aux derniers Levy, Sparks et autres Nora Roberts. Idem sur Babelio, Livraddict, Goodreads, Booknode, les grands réseaux sociaux des lecteurs, blogueurs et chroniqueurs de livres : on retrouve sous la bannière « romans d’amour » tout des grands classiques aux dernières romances contemporaines de chez J’ai Lu.
Quant à Wikipedia, après nous avoir donné la définition suivante, « Le roman d’amour est un type de roman appelé aussi « roman sentimental » ou, de manière péjorative, « roman à l’eau de rose » et « romance » (romance novel) dans le monde anglo-saxon », il nous cite indistinctement Barbara Cartland, La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette, Harlequin, Paul et Virginie de Bernard de Saint-Pierre, les édition Tallandier, Belle du Seigneur d’Albert Cohen, Angélique Marquise des Anges d’Anne et Serge Golon et le Rouge et le Noir de Stendhal.
Ce qui semble confirmer la réponse que j’ai faite à cet ami : qu’on parle de « roman d’amour », de « romance », de « roman à l’eau de rose », de « roman sentimental » ou de « littérature amoureuse », dans tous les cas, on parle d’un roman dont l’histoire s’articule principalement, voire, souvent, exclusivement, autour d’une histoire d’amour ou du thème de l’amour. Des romans plus ou moins longs, avec plus ou moins d’intrigues secondaires mais, toujours, axés sur une relation amoureuse centrale.
Simplement, si le terme de « romance » (anglicisme passé dans la langue française et jusqu’au coeur des catalogues d’éditeurs) est connoté « cheap et bas-de-gamme », celui de « roman d’amour », apparemment plus noble, pourra en revanche englober les grands classiques (qui jouissent souvent, par ailleurs, d’autres « labels », comme nous le verrons plus loin).
Reprenons : la « romance », c’est un terme du XXe siècle qui renvoie aux éditions J’ai Lu et Harlequin, à des auteures comme Barbara Cartland, Nora Roberts, Julie Garwood, Danielle Steel et toutes ces autres auteures américaines très prisées du monde anglo-saxon et abondamment traduites en des dizaines de langues, dont le français. La « romance », c’est la littérature amoureuse qui vient d’outre-Manche, voire d’outre-Atlantique, qui a connu un succès phénoménal, et se retrouve aussi bien lue, achetée, promue, produite et consommée que critiquée, méprisée et fustigée. C’est un genre produit massivement, de façon quasi-industrielle par certains éditeurs, et qui a fort mauvaise presse (probablement, entre autres, pour cette raison, d’ailleurs). En termes de niveau de langue, de style, de forme, on y trouve de tout, du grand roman à succès au torchon : un ensemble hétéroclite qui vaut à l’ensemble son image détériorée (voir mon article « La romance en procès ».)
Le terme de « roman d’amour », s’il conserve une connotation (très légèrement) condescendante, a le mérite de pouvoir inclure (d’après le web, en tout cas… et dans l’imaginaire collectif également) de grandes œuvres des siècles passés (comprendre : de grands classiques) dont les œuvres de Flaubert, de Stendhal et de Mme de Lafayette étudiées au lycée.
En somme, on pourrait dire qu’il y a, dans l’opinion publique, une sorte de clivage entre une littérature amoureuse « haute » et une littérature amoureuse « basse » : les « romances » n’appartiendraient qu’à la seconde catégorie quand les « romans d’amour » comprendraient un ensemble plus vaste, dont de très célèbres œuvres de la littérature classique, romantique, baroque, réaliste etc, de qualité « noble ». La « littérature sentimentale » quant à elle serait susceptible d’inclure, comme son nom l’indique, des œuvres issues d’autres genres que le roman (théâtre, correspondances, poèmes…)
Il y aurait une « littérature » de coeur noble, bien écrite, travaillée, réservée à une élite cultivée, et une para-littérature de bas étage, populaire, stérétoypée et mal écrite, destinée aux masses.
A noter par ailleurs que :
- d’une part, les fameux romans d’amour considérés comme « nobles », « classiques » et dignes d’intérêt pour l’élite ont pour étrange point commun de finir de façon tragique, dans l’immense majorité des cas (voir aussi mon article « Malheur = noblesse, bonheur = bassesse ? ») : c’est le cas de La Princesse de Clèves, de la Princesse de Montpensier, de Notre-Dame de Paris, des chefs-d’oeuvre réalistes de Flaubert, d’Autant en emporte le vent etc ;
- d’autre part, les romans souvent considérés comme des chefs-d’oeuvre de la littérature française et qui ont le malheur de s’articuler autour d’une histoire d’amour, échappent dans les faits bien souvent à l’étiquette de « romans d’amour » : l’Education Sentimentale, le Rouge et le Noir et Madame Bovary seront des romans d’éducation ou d’apprentissage (ou encore initiatiques), Notre-Dame de Paris sera un roman historique, Orgueil et Préjugés, Raisons et sentiments et les autres célèbres titres de Jane Austen des romans de société etc. On aura finalement beaucoup de « romans sociaux », de « fresques sociales », de « romans de mœurs » etc… et peu de « romans d’amour ».
Dites-moi, qu’est-ce qui pose problème, au bout du compte ? L’amour ? ou le happy end ?
Interesting, isn’t ?
Texte : © Aurélie Depraz
Source image : Pixabay