L'écriture, l'édition & moi

Un manuscrit vieux de vingt ans…

La magie des archives…

Certains, qui me suivent depuis longtemps, le savent. J’ai écrit mon tout premier conte à 6 ans (une charmante histoire de quelques lignes sur le Do invitant le Ré à aller jouer aux notes de musique…), et mes premières ébauches de romans à l’adolescence. Rien qui n’ait abouti à l’époque (vous le verrez dans l’extrait ci-dessous, j’avais sans doute une tendance au détail – pire encore qu’aujourd’hui ! si, si ! – peu propice à la conduite jusqu’à leur terme de mes projets, dans lesquels je me noyais ; et puis, à passer d’un pays à l’autre au fil de nos expatriations familiales, j’avais BEAUCOUP de choses à découvrir par ailleurs !) ; mais, hier comme aujourd’hui, j’avais un strict (et précieux !) sens de l’archivage.

Aussi est-il peu surprenant que je sois retombée récemment, en fouillant dans mes cartons, sur le manuscrit d’un de ces romans… Je l’avais évoqué au moment de la parution de ma 3e romance historique, Indomptable Aquitaine (qui se déroule, pour moitié, au cœur de la Champagne du XIIe siècle… et évoque ses grandes foires commerciales) : tout simplement parce que cet ouvrage trouvait ses racines dans ce vieux manuscrit, au scénario certes très différent (mon héroïne, Arina, était une paysanne champenoise – on est bien loin d’une Héloïse d’Angoulême, d’origine aristocratique, et demoiselle de compagnie de la duchesse Aliénor en sa cour de Bordeaux…), mais aux points communs indéniables avec ce qui devait devenir mon 3e ouvrage publié : j’y mentionnais longuement les foires champenoises, entre autres, ainsi que le goût de mon héroïne pour le tir à l’arc (goût que l’on retrouvera, cette fois, en Séréna, l’héroïne d’un autre de mes romans publiés, L’Ecossaise d’Inverness). Comme quoi, rien ne se perd, tout se transforme, pour paraphraser Lavoisier !^^

De mémoire, j’ai écrit ces quelques dizaines de pages (oui, oui, j’étais indéniablement une miss pattes-de-mouches, mes professeurs s’arrachaient les yeux à lire mes copies – qu’ils reléguaient sans doute, accablés, au bas de la pile, d’autant que j’avais une fâcheuse tendance à pondre des pavés en guise de dissertations 🤣) vers mes 12-13, peut-être 14 ans. Je les ai reprises quelques années plus tard pour commencer à les taper à l’ordinateur. Evidemment, je n’ai jamais fini le travail… mais le fichier Word est resté (là encore, dans mes archives, un dossier intitulé « vieilles archives vrac »^^).

Je n’ai, évidemment, rien retouché, rien corrigé, le but de cet article étant le simple partage, amusé et attendri, peut-être, de cette ébauche romanesque (vieille de plus de vingt ans, tout de même !) avec vous.

Amusé car, vous le verrez, on y trouve bel et bien de GROSSES traces de ma « patte » actuelle (des traces indélébiles, je le crains) : le goût du détail, le foisonnement de descriptions, un langage fort fleuri, quasi-baroque (on m’en faisait la remarque sur mes copies au lycée, en mode « si vous pouviez synthétiser »… 🤣), un plaisir sensuel manifeste à me perdre dans les considérations culinaires, l’intérêt pour le mode de vie médiéval, pour les détails géo-historiques… Ah oui ! Le goût des astérisques, aussi !🤣

Finalement, change-t-on jamais vraiment ?

Allez, je m’arrête là pour aujourd’hui. Place à la voix de l’adolescente « enflammée » (puisque, visiblement, j’aimais bien ce mot🤣), pétrie de romantisme, qui sommeille encore à l’évidence en moi (si tant est qu’on puisse dire qu’elle « sommeille »!^^).

Intro du roman…

« Arina releva brusquement la tête, et ses beaux yeux en amande d’un vert limpide, animés d’une flamme pétillante de vive intelligence, deux pâles émeraudes encadrées de longs cils couleur du blé doré au soleil d’été, fixèrent l’horizon. Loin, très loin, entre les tranchantes cimes des pins sombres qui déchiraient çà et là le ciel aux teintes parfumées en cette soirée d’automne si enflammée, elle discerna les dernières lueurs rouge et or du jour qui, lentement, s’estompaient, donnant au soir sa luminosité fraîche, laiteuse et colorée. S’abandonnant dans une contemplation rêveuse, elle réalisa soudain, dans ce décor pourpre se prêtant si bien au romantisme, combien l’amour lui manquait. De ses gracieux dix-sept ans, la jeune fille n’avait comme idée du plus fou mais du plus doux sentiment humain qu’un lointain souvenir, vague et imprécis, d’une insoutenable sensation d’attirance, à la fois atroce et merveilleuse…

Elle fut brutalement tirée de sa tendre rêverie par une jolie brise se levant progressivement, glaciale et vivifiante. La jeune femme, revenant alors contre son gré à la réalité, se retourna vers le puits au lugubre fond indiscernable à cette heure et, s’asseyant à demi avec grâce sur la margelle froide humidifiée recouverte par endroits d’une mousse au vert de cristal vif et lumineux, remonta à elle, avec la vigueur et l’agilité d’un chat, le lourd seau de hêtre commun cerclé de fer débordant d’eau glacée.

Morose, la jeune paysanne se hâta cependant de regagner le bâtiment principal de la ferme, traversant d’un pas énergique la petite cour dallée encore faiblement illuminée des ultimes rayons d’un disque d’or à son coucher, et, ayant pris soin de laisser son encombrant récipient sur le pas de la porte afin d’éviter toute humidité inutile au sein du chaud et douillet confort de la maisonnée, poussa la massive porte de chêne qui émit un grave et lourd grincement en pivotant sur ses gonds, avant de la refermer avec empressement, soucieuse de ne pas laisser ce vent nordique trop refroidir l’intérieur chaleureux de la modeste bâtisse.

Plutôt basse, constituée en tout et pour tout d’une seul vaste pièce aux quatre coins aménagés de diverses manières, celle-ci dégageait une atmosphère de tiédeur et d’accueil généreux. Les solides poutres de mélèze soutenant un toit de chaume installé avec goût et simplicité saillaient de telle sorte qu’on aurait pu croire, de l’intérieur, à une maison à colombages. Quelques menues ouvertures plein sud taillées directement dans la pierre et le torchis procuraient à ses habitants la commodité d’éclairer, en journée, l’intérieur de la pièce dans sa totalité. De fragiles morceaux de toile étaient ingénieusement accrochés en guise de rideaux à des tringles en aulne, et les volets d’épicéa stoppaient tant bien que mal les vents violents d’hiver.

Au milieu de la façade Nord, opposée à la porte d’entrée par laquelle venait de se faufiler Arina, entre le joli coin cuisine et la paillasse qui servait de lit au père veuf de la jeune fille, s’élevait, protectrice bien que délabrée, la dominante cheminée de pierre sécrétrice de la douce chaleur du foyer. Sur ses flancs latéraux étaient plantés quelques crochets supportant louches et écumoires en métal. Un étroit mais profond four à pain aux alentours duquel flottait une alléchante odeur de farine et de pain chaud et croquant ; quelques étagères croulant sous les cruches de grès ébréchées, les poteries d’argile et de terre cuite aux formes rondes mais variées, (le pot, en effet, était l’ustensile le plus fréquemment utilisé : qu’il fût cylindrique ou sphérique, quelle que fût sa contenance, il servait à la fois à la cuisson des aliments, à la conservation des mets préparés et au stockage des matières premières ; souvent fabriqué en terre, matière peu coûteuse et donc aisément renouvelable, il pouvait être pourvu d’un bec, et par conséquent servir à la conservation des liquides, eau, huile, vin), les pots à cuire en terre vernissée, les récipients en céladon, fer, cuivre et bronze servant aux cuissons et aux fritures, les gobelets creusés dans le bois et les moules à pâtisserie en argile séchée modelés à la main, les poêles en étain, les petits poêlons pour la concoction de sauces ou de mets en petites quantités, les cuillers en corne, les tranches de pain noir rassis remplaçant nos assiettes actuelles et un mortier de pierre ; et un petit plan de travail sculpté en merisier dont les placards attenant renfermaient quelques sacs de fèves, d’orge et de blé mûr des dernières moissons, tous ces éléments constituaient une petite cuisine tout à fait charmante, modeste mais complète.

En face, de l’autre côté de la cheminée, dans un sombre recoin, un lit au solide sommier de noyer, au matelas de paille recouvert d’un drap de dessous moelleux dans lequel était emballé le traversin. Le drap de dessus, pendant jusqu’à terre, et renversé sur une couverture de laine, avait été de nombreuses fois raccommodé par l’habile couturière qu’était Arina à l’aide de quelques chutes de tissu grisâtre. La jeune fille, quant à elle, dormait entre ses deux frères cadets dans une couche similaire bien que plus large dont la tête accolait à la façade ouest de la petite chaumière, de telle sorte que les premières lumières de l’aube, roses et bleutées, aux pâles étincelles violettes, diffusaient pleinement leurs onctueux reflets mauves par les deux petites lucarnes ornées de jonquilles sauvages dès les premières approches du printemps, et ce jusqu’à la fin des moissons ; les enfants se réveillaient donc chaque matin aux aurores, et se levaient en harmonie avec l’astre de leurs journées.

Dans le peu de place qu’il restait, la famille, lors de la construction de la ferme, avait aménagé, tout à droite du mur méridional vu de l’intérieur de la petite demeure chaude et habilement organisée, un pan de mur pivotant donnant accès à un antre creux et bas qui leur permettait d’accumuler avec sécurité leurs réserves et provisions pour l’hiver.

Un imposant coffre de chêne cerclé d’acier grossièrement fondu puis modelé formant l’unique lieu de rangement comblait le coin opposé ; sous une riche et douillette couche de fourrures de bêtes braconnées sur la réserve du Comte Thibaud V, chaudes et épaisses, de daims, lièvres, renards et divers cervidés aux nobles robes douces et sauvages, des couteaux rustiquement confectionnés, une hache aiguisée au manche en châtaigner, et aussi quelques jouets en buis ou en frêne y étaient entassés.

Sur le manteau de la cheminée, dans de petites coupelles métalliques, étaient joliment disposées de longues bougies de cire blanche, identiques à celles qui, implantées entre les pierres du mur dans de profondes entailles qui y avaient été pratiquées, projetaient dans toute la pièce leur éclat vif et réconfortant. Quelques vanneries et paniers en osier tressés artisanalement comblaient le vide entre la cheminée et le lit du maître de séant.

Une petite table servant au repas constituée en fait de tréteaux et d’une solide planche en frêne clair, flanquée de deux étroits bancs en noyer, était installée sur une trappe donnant sur une cave souterraine sans soupirail, à l’air sec et frais conservant efficacement amphores de vin prêtes à être livrées au château de l’Aube, litres de cidre faits des pommes juteuses et croquantes du verger voisin, tonnelets de bière d’orge et de seigle et cruches de graisses et d’huile conservées avec soin en vue des temps plus rudes.

Arina fit un rapide tour d’horizon. Le feu crépitait joyeusement et le reposant bruit des branches cassant sous ses brûlantes caresses créait un fort contraste avec les sifflements stridents du vent qui, à l’extérieur, devenaient assourdissants. Un tournebroche pourvu d’une lèche-frites recueillant les graisses animales faisait cuire un appétissant civet flamboyant sur les flammes de la cheminée. La crémaillère avait été retirée et sur la viande coulait une sauce juteuse étalée à la main. Quelques gobelets en simple bois creusé étaient déjà disposés sur la table, ainsi qu’un petit pot d’ail et un autre de moutarde, quatre larges tranchoirs et, sur un dessous de plat tressé en paille, un petit chaudron rond au fond plat fumait encore, son fade et épais potage de choux étant à la limite du bouilli. Quelques poules caquetaient timidement avant de sautiller en direction de leur perchoir confortable, au pied du lit du père de famille.

Tandis que Bram, bel athlète allant sur ses seize ans, aux muscles bien formés sous sa peau légèrement tannée, aux yeux d’un tendre noir châtaigné et aux cheveux bruns emmêlés de façon charmante, attisait flammes agitées du foyer au moyen d’un tisonnier, son jeune frère Théo, joli garçon de douze ans, aux dents aussi blanches et aussi parfaites que celles de son frère aîné et aux traits, déjà viriles, aussi délicats que les siens, achevait d’allumer les cierges fixes sur les parois de la chaumière ainsi éclairée.

Arina ne se soucia guère de son père, parti couper du bois aux aurores, en vue de l’hiver qui s’annonçait, et qui ne rentrerait probablement qu’à la nuit tombée, sa tâche parfaitement achevée. Aussi entreprit-elle de vérifier et d’énumérer pour l’énième fois en huit jours leurs provisions momentanées pour la plus froide et la plus cruelle à vivre des saisons terrestres. S’agenouillant avec souplesse, dynamisme, elle tira à elle les lourdes pierres soudées entre elles de la « porte » de l’office qui racla avec un sourd grondement la terre non pavée de la ferme. Ayant prié son plus jeune frère de lui apporter un chandelier allumé susceptible de lui procurer lumière et satisfaction, elle le promena devant ses yeux clairs au creux de la cachette et compta : une demi-miche de pain de seigle, 2 kg de farine déjà moulue, une grosse cruche de grès remplie à ras bord de lait caillé de chèvre, quelques sacs d’orge, de blé mûr et d’avoine soigneusement ficelés, une deuxième cruche de grès remplie de lait frais de vache, quelques légumes, le reste d’une énorme miche de pain complet, trois miches de pain noir, deux fromages fabriqués selon un mode artisanal, à la chair blanche et à la pâte molle, riches chaources au lait de vache achetés au dernier marché en échange de deux paquets de fèves et de pois que le père d’Arina, paysan libre, cultivait lui-même sur son courtil , quelques paquets de leurs cultures des champs, d’orge, de blé et de froment, et enfin trois ou quatre angelots achetés pour une bouchée de pain , doux fromages au lait de vache inventés au siècle précédent ; de forme carrée et à pâte molle, à la croûte variant du jaune au brun en fonction du mode d’affinage, riche, il était réputé pour sa pâte tendre au goût noisette.

Au plafond pendaient, accrochées à une des poutres de la bâtisse grâce à une maigre ficèle, cinq lisses saucisses sèches liées les unes aux autres, à côté d’une belle pièce de jambon, uniques restes de cinq porcs après le porcage de la Notre-Dame en septembre. Les semailles du même mois laissaient plusieurs petits paquets de grains à moudre, soigneusement stockés, conservés dans le grenier de la grange. Six poules dodues et bonnes pondeuses d’œufs frais resteraient après Noël, calcula en outre la jeune paysanne, habituée à la rapacité des dignes intendants du cruel seigneur des Plateaux du Barrois sur les terres duquel elle avait développé harmonieusement sveltesse et grâce au même titre que grande forme physique et musculature équilibrées, dans cette si belle région au riche passé qu’était par ailleurs la Champagne, avec ses gigantesques cathédrales enflammées, jeunes et nouvelles, de style gothique, aux multiples clochetons richement ornés de sculptures délicatement ciselées, aux arc-boutants effilés, aux hautes fenêtres ajournées et aux pinacles finement découpés ; ses innombrables et célèbres vignobles aux fruits pulpeux et juteux, au goût fameux et à la raffinée boisson pétillante alcoolisée et recherchée ; ses colossales églises parées de minutieuses dentelles de pierre et regorgeant de mille trésors, aux pignons et aux clochers recouverts d’écailles de pierre ; ses raisins au jus exquis de la Côte des Blancs apportant aux cuves de vins de Champagne finesse et élégance ; ses sources de fraîcheur dans l’Est ; ses foires colorées et florissantes en hiver comme en été où affluaient en permanence riches marchands d’Italie, de Germanie, des Flandres, du Monde Arabe et d’Orient venus vendre ceintures de cuir odorant et de bonne qualité, soieries de Chine, épices variées des lointaines Indes, fruits exotiques des côtes africaines et œuvres d’artistes grandioses ; ses champs de blé, d’orge et de seigle dorés sous un rude climat ; ses ravissantes vallées et ses épars plateaux parsemés de denses futaies de chênes, bouleaux, frênes, charmes et érables, univers secret qu’habitaient souples chevreuils et gras sangliers.

Trois paysages se disputaient le mérite du charme profond et intérieur du Comté de Champagne : celui de la plaine nue, où se trouvaient les grands bourgs où régnait l’ordre géométrique d’importantes fermes, et où s’effaçaient les derniers bois de pins, celui des plateaux boisés en larges remparts, coiffés de végétation verdoyante, où affluaient les rivières cristallines et, minuscule mais combien séduisant, celui des vignobles tant réputés dans l’Europe entière !

A une poutre entravée au-dessus de la cheminée étaient accrochés deux lièvres dépecés et le gigot du dernier agneau né à la ferme, astucieusement placés de façon à s’imprégner des odeurs de pain, de jus et de viande résultant des ragoûts parfumés, fritures à l’huile, délicieuses grillades relevées aux nombreux condiments, rôtis odorants farcis aux aromates et bouillons de légumes quotidiens.

Voici tout ce qui leur restait pour les cinq mois de glace pétrifiante à venir, le cens ayant déjà payé lors d’un violent conflit aux aurores du mois au crépuscule duquel débute ce récit, le jour de la St Denis, le 9 octobre.

Sans compter la chèvre, cependant, le lait crémeux qu’elle allait produire, et les deux moutons dont on tondrait  au printemps les manteaux de laine épaisse, qui foisonneraient encore d’ici là, pour se chauffer davantage l’année suivante. En outre, l’un des deux étant une femelle, on pouvait espérer une reproduction, et par la même occasion se procurer quelques cruches d’argile de son lait frais avec lequel Arina avait déjà fabriqué quelques bons fromages au goût relevé, à pâte molle et à la chair tendre et blanche, Ces deux ovins et la chevrette vivaient paisiblement d’herbe et d’eau fraîche du puits versée quotidiennement dans leur abreuvoir de pierre accolé à l’extérieur de leur petite étable « … le tapuscrit s’arrête brusquement là !

Evidemment, le manuscrit était bien plus long, et se lançait à corps perdu dans toutes sortes de péripéties de château et de chevalerie mais… je n’ai jamais recopié la suite à l’ordinateur !

Voilà pour la petite anecdote du jour.

A très bientôt pour de nouvelles aventures (de facture plus récente, c’est promis !)

Aurélie