Mes univers & personnages

Les Yeux de Mila – coulisses

Le vrai du faux

Comme pour chacun de mes romans, fiction et réalité se mêlent intimement dans l’intrigue des Yeux de Mila, le tome 2 de la duologie Amours Slaves. Distinguer par le menu ce qui relève dans ce roman de la réalité historique (si tant est, encore une fois, que l’on puisse parler de « réalité historique », notamment en ce qui concerne les peuples « sans écriture » comme les Vikings) et ce qui relève de mon imagination serait titanesque : il y a tant de détails ! Néanmoins, quelques précisions ici, qui me viennent, là, en vrac (et probablement les plus importantes au regard de mon intrigue) :

Le vrai :

  • Les sacrifices humains existaient bien au temps des Vikings. Le temple d’Uppsala fut détruit à la fin du XIe siècle (christianisation tardive du pays) et de nombreux sacrifices humains et animaux y eurent lieu jusqu’à cette date.
  • La Suède est le pays scandinave où l’on trouve (et de très loin) le plus de pierres runiques (ces pierres levées commémoratives gravées de runes, que l’on trouve par ailleurs dans tout le monde viking, de Londres… au delta du Dniepr !) : plus de 3000 inscriptions runiques ont été découvertes en Scandinavie sur des pierres dressées et des rochers naturels ; parmi elles, 2800 sont en Suède.
  • A propos de la scène d’ouverture : les Vikings pratiquaient plusieurs types de funérailles nobles ou royales :
    • La crémation dans un bateau lancé en mer (j’aurais bien aimé décrire ce type de crémation, pour le côté poétique mais, évidemment, impossible en plein hiver, quand la Baltique est prise par les glaces)
    • La crémation à terre, dans un bateau, et l’édification d’un tertre (tumulus) au-dessus des cendres (option que j’ai choisie pour le roi Eirik, en ouverture de mon roman)
    • L’inhumation simple dans un bateau, toujours avec édification d’un tertre au-dessus
  • La dynastie de Munsö a réellement régné sur la Suède médiévale ; dans l’arbre généalogique de cette famille, vous retrouverez :
    • Björn Côtes-de-Fer (« Björn Járnsíða », grand personnage de la série « Vikings »)
    • Eirik Anundsson (le père de Sweyn, d’Arn et de Björn, mes personnages)
    • Björn Eiriksson, le roi des Svear dans Les Yeux de Mila
    • Ses fils Olof et Eirik (que j’évoque en tant qu’enfants dans mon roman)…
    • En revanche, les personnages d’Arn et de Sweyn (frères de Björn), et le petit Harald (3e fils de Björn) son inventés.
    • Les premiers membres de la dynastie de Munsö, aux VIIIe et IXe siècles (dont Björn Côtes-de-Fer et son père, Ragnar Lodbrok, mais aussi Björn Eiriksson, l’un des personnages secondaires de mon roman) sont légendaires ou semi-légendaires. Cette dynastie est également connue comme la « Vieille dynastie ». A dire vrai, l’historiographie moderne suédoise ne reconnaît comme premier roi historique et « réel » que le roi Eirik VI le Victorieux (le fils de Björn Eiriksson, donc le jeune Eirik, celui qui est enfant, dans mon roman) : Björn Eiriksson fait partie des membres semi-légendaires de la dynastie.
  • Les Vikings étaient effectivement polygames et pouvaient avoir plusieurs femmes et concubines. Evidemment, cette pratique concernait plutôt les hommes puissants et fortunés. La « pénurie » de femmes en découlant aurait été, selon certains historiens, une des causes de l’expansion viking et des raids/rafles pratiqués par les Scandinaves (besoin de femmes, d’épouses, d’esclaves… et de main-d’œuvre pour le tissage des voiles).
  • Le duel, à la fois réglementé (hólmgang) et non réglementé (eivingi), existait au temps des Vikings
  • Evidemment, les Vikings de l’Est (« Varègues » : Svear, Götar…) ont bien commercé avec les Byzantins, les Arabes… Ils seraient allés jusqu’à la mer Rouge, jusqu’à Samarkand, jusqu’aux confins du monde musulman, jusqu’aux portes de l’Empire indien… − pour ne parler que de leurs excursions orientales). J’en parle bien davantage dans le premier roman de cette duologie : Les Routes de l’Est.
  • Le royaume de la Rus’ (mentionné plusieurs fois au début du roman) existait, bien sûr. Il s’agit d’une principauté a priori créée par des Scandinaves (« suédois ») à cheval sur l’Ukraine, la Biélorussie et la Russie actuelles, autour des grands centres de Novgorod (première capitale) et de Kiev (capitale dès la fin du IXe s.). Selon les historiens, on parle de la Rus’, de la Rus’ de Kiev, de la principauté de Kiev, de la Russie Kiévienne etc.
  • Tous les 9 ans, il y avait bien une grande cérémonie rituelle au temple d’Uppsala (impliquant des sacrifices animaux et humains, 9 représentants de chaque espèce).
  • Les Vikings employaient (et commercialisaient) bien des esclaves et pouvaient les affranchir.
  • Ils remontaient beaucoup de produits exotiques de Bagdad, Byzance…
  • Il y a bien des tumuli funéraires royaux du côté d’Uppsala (mais celui de Björn Járnsíða serait sur l’île de Munsö, dans le lac Mälar).
  • Birka et l’île de Gotland étaient bien des plaques tournantes centrales du commerce varègue.
  • Les mythes, dieux, créatures etc mentionnés sont authentiques. Petite précision quant aux noms des 9 mondes évoqués dans le roman : le suffixe -heim signifie « royaume, monde » et celui de -gardr, » enclos ». Certains des mondes de la mythologie nordique avaient plusieurs noms : en toute logique, Miðgarð se serait aussi appelé « Mannheim » (« monde des hommes »), Asgarð : « Godheim » (« monde des dieux »), etc.

Le faux / le brodé / l’interprété :

  • A part le roi Björn et ses fils Eirik et Olof, qui appartiennent à la « réalité historique » (ou à la semi-légende, dans le cas de Björn), tous mes personnages centraux sont inventés : Sweyn, Sacha, Mila, Svetlana, Geir, Thorkell, Runi…
  • Je me suis largement accommodée des dates (supposées) de vie, de règne et de mort de Björn (très variables d’un historien et d’un site web à l’autre). J’ai choisi de le faire devenir roi en 917, mais ça ne figure pas du tout parmi les dates proposées par les historiens (qui varient de toute façon énormément puisque Björn reste un roi (semi-)légendaire !!) ; à vrai dire, tous les règnes/rois de la dynastie de Munsö restent présentés de façon très changeante selon les sites et sources… (si vous comparez les deux sites que je propose ci-dessous et la succession des rois qu’ils proposent, vous vous en rendrez compte immédiatement).
  • J’ai inventé environ 50% de ce que je raconte sur la cérémonie d’équinoxe d’Uppsala : selon la légende, il y avait bien un temple paré d’or (d’une chaîne en or, ou bien tout en or, selon les sources), l’arbre-monde Yggdrasill, des sacrifices animaux et humains etc). Néanmoins, on n’aurait sacrifié que des mâles… Dans mon roman, il va sans dire que j’ai pris la liberté de considérer qu’on acceptait aussi bien les sacrifices mâles que femelles… C’est probablement la plus grosse entorse que j’aie faite à la « réalité » historique (euh… « réalité historique » d’ailleurs principalement narrée et retransmise par Snorri Sturluson… des siècles après les faits ! au XIIIe s. !)
  • J’ai aussi beaucoup brodé autour de la sexualité des Vikings (notamment en leur prêtant une telle liberté sexuelle) ; en réalité, la sexualité des Vikings est très mal connue. Les sources et propos s’opposent :
    • tantôt, ils sont présentés comme très libres, aussi bien hommes que femmes – même si la loi ne statue pas de la même façon pour un adultère commis par un homme et par une femme – : les hommes auraient bien été polygames, ils n’auraient été punis pour adultère que par une amende (parfois)… ; les femmes adultères, quant à elles, n’auraient eu de soucis (et encore, uniquement d’ordre financier) qu’en cas de grossesse (enfant exclusivement à leur charge et à celle de leurs parents si l’enfant n’était pas du mari…)… ; et certaines fêtes sacrificielles auraient donné lieu à des rapports sexuels cultuels… (notamment pour le dieu Freyr) Bref.
    • tantôt, on lit que les Vikings étaient très pudiques, très discrets par rapport à la sexualité, qu’ils usaient de métaphores et d’euphémismes pour décrire l’acte et n’en parlaient même jamais explicitement… !!! On le constate : les sources sont plus que contradictoires les unes avec les autres !
  • C’est un peu la même chose côté hygiène de vie, cela dit : selon que le regard exercé sur ces hommes du Nord était chrétien/européen ou arabe, on avait des commentaires diamétralement opposés ! Pour certains chroniqueurs/commentateurs arabes, les Vikings étaient sales (cf. le raffinement arabe de l’époque, l’art du bain, du hammam etc) ; mais pour d’autres, au contraire, notamment du côté des commentateurs anglo-saxons, les Vikings étaient si propres et prenaient si bien soin de leur apparence que les femmes anglo-saxonnes les préféraient à leurs compatriotes !
  • D’ailleurs, tout cela renvoie à une problématique autrement plus globale : en fait, l’Histoire des Vikings (essentiellement connue via l’archéologie et des commentateurs extérieurs, puisque les Vikings eux-mêmes n’écrivaient pas, ne laissèrent aucun parchemin et avaient une culture principalement orale) reste mal connue et, surtout, matière à moult interprétations. J’ai donc souvent dû faire des choix parmi plusieurs versions. La mythologie même des Vikings, par exemple, livre une quantité incroyable de versions (forcément) pour un même mythe ou un même sujet, tant au niveau du fond que de la forme. Ainsi, selon les sources, le royaume de Niflheim s’écrit parfois Niflheimr, Neiflheim, Niflheimur, Nibelheim, Nebelheim ; on lit aussi parfois que le Nibelheim serait un autre nom pour le Heilhem, que le monde des nains serait en fait « Nidavellir », que l’Alfheim s’appellerait en fait Lightalfaheim… Certaines sources confondent les nains et les elfes de l’obscur… Et la frontière est très floue entre monde des glaces, monde des brumes, monde des morts, monde des nains… Selon les versions, il s’agit de deux mondes, d’un seul monde… superpositions… confusions… interprétations… variations… On trouve aussi des variantes sur le sujet des ondines, sur les animaux habitant Yggdrasil etc. Ainsi que sur les calendriers/mois vikings… les dates…
  • Détail très révélateur : le principal historien scandinave médiéval s’appelle Snorri Sturluson. Il s’agissait d’un homme politique, diplomate, historien et poète islandais, le principal écrivain scandinave du Moyen Âge… Mais, d’une part, ses propos sur la culture islandaise sont bien sûr bien plus précis et crédibles que ce qu’il rapporte sur les mœurs et coutumes norvégiennes, danoises ou suédoises… Et d’autre part, il vécut au XIIIe siècle ! Tout cela pour rapporter des histoires des VIIIe, IXe, Xe siècles… Bref, point besoin d’en dire plus : on voit le malaise ! Et l’immense part de liberté et d’interprétation laissée aux historiens… et surtout aux romanciers !

D’ailleurs, l’intro de cet article sur et de Régis Boyer, grand spécialiste universitaire des Vikings, est à elle seule très éloquente.

Il y aurait évidemment encore BEAUCOUP à préciser mais… vous avez l’idée : comme toujours, je jongle entre authenticité historique des personnages, coutumes, mœurs, dates etc…, rigueur, conformité et… imagination la plus pure, en passant par l’interprétation des faits et le choix de telle ou telle version m’agréant davantage selon mon intrigue…

Quelques pistes/liens pour aller plus loin :

Pour en savoir plus sur la dynastie de Munsö, les premiers rois de Suède, les rois plus anciens encore, les rois semi-légendaires :

Sur Eirik, le père de Björn :

Sur Björn lui-même (sur le trône pendant l’intrigue de mon roman) :

Pour en savoir plus sur les duels vikings :

Sur la complexité des calendriers :

Sur le temple, le rite et l’arbre sacré d’Uppsala :

Sur le centre de pouvoir d’Uppsala et la halle royale :

Anecdotes / Confidences :

1 – Avant de me faire relire par des professionnels, j’ai pioché (histoire de pouvoir écrire et avancer « au kilomètre ») mes termes de vieux norrois sur des sites web spécialisés sur les Vikings (jusque-là, ça va) et certains de mes termes de suédois… dans le lexique à la fin du Routard « Suède » !^^ Evidemment, juste pour le vocabulaire quotidien (que j’ai ensuite considérablement épuré à la correction en remplaçant finalement, pour plus de fluidité dans la lecture, les termes suédois par leur équivalent français).

2 – Pour moi, le prénom russe « Sacha » connote quelque chose de profondément touchant, d’à la fois pur et jeune, farouche et innocent : un peu à la Keanu Reeves, dans ses rôles d’angelot (type « Les Vendanges du Feu »). Je pense que cette image me vient du petit Sacha (9-10 ans) dans le film « Stalingrad » (« Enemy at the Gates », en anglais) – film de guerre sublime sur la bataille de Stalingrad de 1942-43… D’ailleurs, c’est avant tout ce petit personnage (extrêmement touchant, à mon sens) qui m’a inspiré le « Sacha » du tome 1 des Routes de l’Est… avant qu’il ne devienne un jeune homme de 20 ans (toujours pur, courageux, noble et valeureux) dans le tome 2.

3 – Le prénom « Mila » vient, quant à lui, du mot russe « Milyï » (retranscription en alphabet latin, bien sûr)  = chérie, douce. C’est-y pas chou ? ^^

4 – Vous n’aurez pas été sans remarquer en outre que les enfants de Sweyn (Varègue) et Svetlana (Slave) ont des prénoms slaves (pour les filles : Slava, Ksioucha…) et vikings (pour le fils aîné : Audfinn).

5 – Pour ceux qui aimeraient en avoir la confirmation, Ce que j’ai appelé la Grande Baie des Svear renvoie bel et bien à la baie de Stockholm.

6 – En ce qui concernait le duo Sacha/Geir, je ne pouvais m’empêcher d’avoir en tête le duo Jon Snow/Sam Tarly (de « Games of Thrones »)

7 – Enfin, j’ai abordé pour la première fois dans ce roman la thématique des rêves. Il se trouve que je rêve moi-même énormément (même si, à l’inverse de Geir, mes rêves ne sont dans l’ensemble ni particulièrement significatifs ou révélateurs – en tout cas, moi, je n’y comprends rien !^^ – , ni prémonitoires – heureusement, d’ailleurs…) ; depuis plus d’une décennie, je me souviens en général au réveil de 2… à 8 rêves !! (mon record !)

Côté linguistique

J’avoue, j’ai un peu ramé. Au final, ce roman mêle des termes de vieux norrois (quand j’ai pu les trouver) et de suédois « moderne » (par défaut). De même que pour les détails historiques, côté langue, on a souvent affaire à plusieurs versions !!! Le singulier de « Götar », par exemple, est, selon les sources, « Göt » ou « Göte » (pour ne mentionner que les variantes principales) ; quant au singulier de « Svear », euh… on ne le trouve nulle part ! Je me suis donc fait aider de plusieurs professeurs de suédois et me suis appuyée sur leurs avis et conseils respectifs pour le nom singulier de « Svear » et les adjectifs dérivés de « Svear » et « Götar » et les autres termes de suédois parsemés dans mon roman.

Evidemment, le suédois est une langue à déclinaisons (comme le latin) et je ne suis pas rentrée dans cette logique – sans quoi, mon roman aurait été illisible aux yeux des lecteurs français ! Le suédois fait aussi la différence entre une forme définie et indéfinie (par exemple pour les noms communs). Je me suis contentée d’une seule forme (nominative et indéfinie) pour les termes employés (sans quoi, encore une fois, mon texte aurait été illisible). J’ai fait la même chose avec le gaélique écossais dans mes romances écossaises. Car, en retrouvant un même mot (ou pire ! un même prénom !!!) décliné de plein de façons différentes et avec plein de terminaisons différentes selon qu’il est COD, COI, sujet etc. dans la phrase… le texte finit par être incompréhensible pour un lecteur français. Et ce n’est certes pas le but d’un roman !

En tout cas, certains termes (comme le singulier de « Svear » ou l’adjectif correspondant) ont donné véritablement matière à débat ; de nombreux sites de référence et forums ont dû être consultés et il a fallu faire un choix (in fine, j’ai même fait une croix sur le singulier de « Svear » en tant que nom et l’air remplacé par « Scandinave », « homme du Nord », « Nordique » et « Viking » chaque fois que je l’ai pu). Si vous parlez suédois, les quelques liens ci-dessous vous donneront une idée de la complexité de la chose !

A lire aussi

Mes articles historiques :

Et les deux autres articles complémentaires pour Les Yeux de Mila :

En vous souhaitant de belles aventures slavo-scandinaves,

Aurélie

Texte : (c) Aurélie Depraz
illustration : image clap libre de droit + couverture du roman : (c) Marine Manlay

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