OU : L’attrait des femmes pour les histoires d’amour : penchant naturel ou construction sociale ?
La romance est un genre lu, acheté, consommé et écrit à 90% (ou équivalent, je ne suis pas allée chercher le chiffre exact, si tant est qu’il en existe un) par des femmes et pour des femmes. Ce n’est un secret pour personne. A l’instar des comédies romantiques, tout ce qui touche à l’amour en matière de littérature reste le domaine de prédilection des femmes (sans compter le fait que ces dernières lisent, de façon notoire, davantage de romans en général que les hommes).
Mais au-delà de ce lieu commun, une de mes connaissances, un étudiant en sociologie, a eu le mérite de m’interroger sur un point – auquel je n’ai pu répondre de façon certaine, si tant est ce que cela soit possible. Sa question était simple : « Penses-tu que cette prédilection des femmes pour les romans d’amour soit véritablement innée, liée à une nature orientée par essence vers tout ce qui touche à l’amour, aux sentiments, à la passion, au couple… ou bien un pur conditionnement social ? »
Comprendre : cette propension des femmes à aimer la littérature sentimentale tient-elle vraiment à leur nature par essence plus romantique, plus émotive (on entend parfois même encore « plus irrationnelle ») et plus « fleur bleue » que celle des hommes… (quand ceux-ci seraient davantage portés « action », « sport », « violence », « raison »…)… ou résulte-t-elle ni plus ni moins de l’éducation (encore patriarcale, genrée, voire avec un fond de misogynie – quand on voit l’accueil du genre par l’opinion publique) qui domine encore en Occident ? Cette éducation qui berce encore les petites filles de rose, de poupées, de barbies, de princes charmants et de « ils eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux jusqu’à la fin de leurs joursé », quand les hommes, élevés à coup de sports, de ballons, de bleu, de challenges et autres jeux d’endurcissement où il faut faire ses preuves, restent moins sensibles aux coups de foudre et autres relations amoureuses mises en scène dans les romans d’amour (voire, encore une fois, les méprisent, comme on le leur aurait appris) ?
Nous restons – moi la première – abreuvés d’ouvrages, pour la plupart de psychologie de couple, expliquant, disséquant, rabâchant les différences hommes-femmes à coup de cerveaux droit/gauche, de rationnel/irrationnel, de comportements Mars/Vénus, d’incompatibilités, de complémentarités, de dualités, d’oppositions et d’ autres différences intrinsèques et inhérentes à notre sexe de naissance.
Je suis la première à arborer dans les rayonnages de mes diverses bibliothèques, entre deux ouvrages de développement personnel, ce genre de travaux réalisés sur les différences hommes-femmes, basés sur des chiffres, des études neuronales, des sondages et autres éléments probants.
Mais, à l’heure où les questions d’homosexualité, de transsexualité, de bisexualité et d’autres franchissements des frontières entre genres viennent brouiller les cartes et flouter les limites entre les sexes, force est de s’interroger sur ce qu’on peut prendre pour évident… voire acquis.
Car si, en matière de philosophie, est considéré comme « naturel » tout ce qui est universel, commun à tous les êtres humains (ou du moins, dans le cadre du sujet d’aujourd’hui, à tous les êtres humains de même sexe) et tout ce qui est inné… peut-on alors considérer comme « naturel » le penchant des femmes à aimer lire de la romance… quand certaines d’entre elles, certes marginales, ne montrent pas de penchant particulier pour ce genre… voire l’aborrhent ? La propension féminine à aimer se repaître de belles histoires d’amour – qui finissent bien –, à aimer tout ce qui touche aux sentiments, à la psychologie, au couple, à la famille, aux enfants… est-elle vraiment naturelle ? Le – si banal – conflit autour de la télécommande (la dernière comédie romantique américaine ou le dernier Marvel ?) reflète-t-il vraiment des différences homme/femme innées… ou une pure construction sociale ?
Toutes les femmes ne sont pas fanatiques de romances, même si l’immense majorité du lectorat de ce genre ô combien populaire est de sexe féminin.
Tous les hommes n’abhorrent ou ne méprisent pas spontanément et irrévocablement les histoires d’amour, même si la plupart affichent une certaine propension à la moquerie, au mépris (feint ou réel), à l’ennui ou à la gentille condescendance par rapport à cette littérature « à l’eau de rose ».
Les tendances, seules, sont là : relatives, sans aucune prétention possible à l’universalité. Les goûts changent aussi selon les cultures : ce goût prononcé pour le genre de la romance n’est véritablement vérifié qu’en Occident ou dans les pays occidentalisés.
Alors, la romance… un genre éminemment féminin, au bout du compte ? Un genre qui « parle » à la nature « hautement émotionnelle » des femmes… ou à ce qu’on leur a appris à aimer/valoriser/rechercher ?
Les femmes des pays occidentaux : élevées pour aimer l’amour ? Cette appétence pour le coup de foudre, pour le mythe du « ils vécurent heureux », en dépit du taux de divorce qui ne cesse d’augmenter… naturelle ou culturelle ? Sommes-nous de purs produits de notre société ? De purs produits de cette éducation patriarcale, sexuée, genrée ? Et, du coup, ce mépris général pour la romance =… un fond, un résidu de misogynie (chrétienne…) ?
Encore une fois, je trouve que la question mérite de se poser. Certains concluront à l’évidence de la construction et du conditionnement sociaux ; d’autres contesteront l’idée que l’on puisse supprimer tout fondement « génétique » et toute prédisposition des femmes (depuis la Préhistoire) à rechercher l’amour/le lien/la famille/la relation/la connexion.
En tous les cas, il me semble qu’il sera intéressant de voir l’approche des jeunes femmes des deux à trois générations à venir : ces jeunes filles éduquées à coups de dessins animés où, subitement, la femme prend sa vie en main, ses responsabilités, et l’assurance de son bonheur, où elle n’attend plus le moindre prince charmant, où elle affirme sa liberté, son indépendance, son autonomie ; à coup d’expérimentations éducatives « neutres », sans genres, sans activités compartimentées et sans détermination genrée ; à coup de considérations féministes et de messages d’affranchissement.
Ces petites filles « biberonnées » au refrain « Libérée… délivrée… » de la « Reine des neiges », aux héroïnes comme la petite fliquette de « Zootopia » et à d’autres « Raiponce » donneront-elles des femmes aussi branchées « histoires à l’eau de rose » que leurs mères et grand-mères élevées à coup de « Blanche-Neige », de « Cendrillon », de « Belle au bois dormant » et autres « Belles » qui aiment « siffler en travaillant » (comprendre : faire le ménage), dorment en attendant que leur prince les réveille, qu’il se transforme d’une bête affreuse en un merveilleux chevalier servant ou les délivre de leur condition de souillon ?
A voir. Constat intéressant à opérer d’ici 20… 50 ans ?
Texte : © Aurélie Depraz
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