Histoire de l’Australie – 1 : Préhistoire
Introduction
« L’histoire de l’Australie est, aujourd’hui, sujette à des lectures plurielles. Histoire très courte, diront les uns, les yeux rivés sur la venue des Blancs il n’y a guère plus de 200 ans. Histoire très longue, diront les autres, dont le regard se perd dans les Temps lointains du Rêve, ou dans les méandres du passé européen. Histoire d’hommes, diront encore certains, attachés aux gestes de bravoure et aux vieilles valeurs coloniales. Histoire de femmes aussi, leur rétorquera-t-on, en rappelant que la nation fut portée sur les épaules trop invisibles des prisonnières, des ouvrières, des compagnes du bush ou des militantes politiques. »
« Jusqu’aux années 1970, les choses étaient pourtant fort simples. Les deux siècles écoulés racontaient, par-delà la brève souillure de l’épisode pénitentiaire, un glorieux moment de l’épopée impériale britannique : la naissance d’un paradis égalitaire bâti, à la sueur du front, par de rudes et virils colons exilés sur une terre sauvage. (…) »
J’ai été séduite par ces premières lignes de L’Australie, naissance d’une nation, de Georges-Goulven le Cam (Presses Universitaires de Rennes). Evidemment, la suite nous explique qu’en réalité, au-delà du mythe, et même au-delà la question Blancs/Aborigènes, l’histoire de l’Australie est, comme pour toute nation, beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.
Voyons donc comment nous pouvons tenter de synthétiser tout cela… sans dénaturer (ni caricaturer !) totalement l’âme du pays ! Un « pays » de tout de même 7,7 millions de km2, soit 14 fois la France et… 59 fois l’Angleterre !
L’histoire humaine de l’Australie : à 99,7 % aborigène
On a beau savoir que les Aborigènes furent là bien avant les Européens, on ne se rend pas toujours compte du véritable gouffre qui sépare l’occupation de l’île australe par les premières tribus nomades et l’arrivée des premiers blancs. Selon les sources, entre 40 et 70 000 ans !
Traduction : si l’on garde l’idée d’un premier débarquement aborigène en Australie il y a 70 000 ans (nous reviendrons sur cette date), sur toute l’histoire de l’occupation humaine de l’Australie, les Blancs en sont résolument absents pendant environ 99,7% du temps, et n’arrivent qu’à la toute dernière minute, pour ne pas dire la toute dernière seconde !
Cette longue période est considérée comme la « Préhistoire » australienne, dans la mesure où la culture aborigène n’a laissé aucune trace écrite (ce qui, traditionnellement, distingue la Préhistoire de l’Histoire). C’est à cette période que sera consacré ce premier article (le premier d’une série de 5).
Les premiers Australiens : une seule vague de peuplement (?)
D’un point de vue anthropologique, les Aborigènes font partie de la grande famille des Océaniens, l’Océanie comprenant traditionnellement l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Guinée, la Mélanésie, la Micronésie et la Polynésie. Le peuplement originel de ce grand ensemble se serait fait à travers deux grandes vagues :
- La fameuse vague qui se produisit il y a 50 à 70 000 ans environ, et qui amena des Homo Sapiens chasseurs-cueilleurs d’Asie à peupler l’Insulinde (= Asie du Sud-Est insulaire = les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie ; aujourd’hui considérée comme une partie de l’Asie, cet archipel était autrefois considéré comme faisant partie de l’Océanie, avec la Micronésie, la Polynésie et la Mélanésie), puis l’Océanie proche (dont les frontières demeurent toujours contestées, on s’en doute au vu de la parenthèse précédente), c’est-à-dire la Nouvelle-Guinée, l’Australie, et certaines îles de la Mélanésie actuelle. Les Aborigènes d’Australie, les Négritos aux Philippines, les Papous de Nouvelle-Guinée, qui tous présentent des similarités, seraient issus de cette première vague de peuplement, même si les apparentements ne sont pas toujours évidents à faire pour la génétique.
- Une seconde vague, bien plus récente, mais qui n’aurait pas touché l’Australie : celle des agriculteurs et navigateurs venus de Taïwan, parlant des langues austronésiennes, et qui auraient migré à leur tour vers les Philippines, la Malaisie et l’Indonésie puis, plus tard, vers la Nouvelle-Guinée, la Mélanésie et les îles plus lointaines du Pacifique ; ce seraient les premiers à avoir atteint la Micronésie et la Polynésie ! (Remarque : il y a entre 1000 et 1500 ans, ils auraient aussi atteint Madagascar et l’Amérique du Sud ! – à ce titre, on considère les Austronésiens comme les premiers grands navigateurs de l’humanité !)
Certains anthropologues évoquent la possibilité de vagues intermédiaires. A ce sujet, de nombreuses questions demeurent.
A noter donc : cette 2e vague de peuplement ne toucha pas l’Australie (aucune trace culturelle, linguistique ou démographique réelle discernable).
Seuls deux éléments prouveraient quelques contacts avec les Austronésiens des îles voisines :
- Sur la côte extrême nord de l’Australie, les langues des indigènes du détroit de Torrès (certaines îles sont de langues papoues, d’autres sont de langues aborigènes) ont un vocabulaire austronésien indiquant des contacts anciens.
- Sur le continent australien lui-même, la diffusion du dingo, chien domestique redevenu sauvage et arrivé il y a 4 000 à 5 000 ans, tendrait à montrer d’autres formes de contact avec les Austronésiens, ce chien s’étant déplacé auparavant tant en Asie du Sud-Est (Thaïlande, sud de la Chine, Birmanie…) qu’au sein de l’Insulinde, soit le long des voies de migrations austronésiennes. L’arrivée du dingo en Australie (avant sa diffusion un peu partout sur l’île) coïncide avec celle de l’arrivée des navigateurs austronésiens dans la zone Indonésie-Nouvelle-Guinée. Mais si le dingo démontre de probables contacts, ceux-ci n’ont eu aucune influence démographique, culturelle ou linguistique connue.
Articles détaillés : Dingo et Indigènes du détroit de Torrès.
(A noter : on pense que ces populations seraient parmi les premières à avoir quitté l’Afrique il y a 100 000 ans, et à avoir migré vers l’Asie du Sud-Est).
On ne connaît pas de traces d’autres espèces humaines archaïques qui auraient su dépasser, en gros, le sud de la Malaisie actuelle, mais les recherches génétiques n’en montrent pas moins, a priori, une hybridation partielle entre les premiers Homo sapiens arrivés dans la région et l’Homme de Denisova, ainsi qu’avec (peut-être), une autre espèce humaine non identifiée, le tout, en Asie, avant la migration vers l’Océanie.
Bref ! Ces questions sont bien évidemment fort complexes et, quoique je sois tentée de me plonger dans les méandres de la Préhistoire et de l’anthropologie (j’adore !!), on se doute qu’il faudrait bien plus qu’un simple article pour retracer l’histoire du peuplement de l’Océanie. (Et, pour moi, bien plus que quelques heures pour plonger au fond de ce sujet.)
Toujours est-il qu’a priori, vu la configuration des terres émergées et immergées de cette époque (pas tout à fait comme aujourd’hui… la Tasmanie et la Nouvelle-Guinée ne se séparant de l’Australie que plus tard, il y a 13 000 ans, à titre d’exemple…), l’Homo Sapiens d’il y a 50 ou 70 000 ans a bien dû traverser un bras de mer d’environ 80 à 100 km pour atteindre les rivages du « Sahul » depuis le « Sunda ». Le Sahul étant le fameux plateau continental dont les parties émergées sont aujourd’hui l’Australie, la Tasmanie et la Nouvelle-Guinée (et qui formaient un continuum terrestre émergé à l’époque, un ensemble de terres reliées par des ponts terrestres, avant que les eaux ne remontent de 100 m après la fin de la dernière période glaciaire) et le Sunda, un plateau continental formant une extension (aujourd’hui immergée) du continent asiatique, et dont les parties aujourd’hui encore émergées forment les iles indonésiennes de Sumatra, Java, Bali, Bornéo, et les petites îles alentour (lors des dernières glaciations, ce plateau était donc rattaché à l’Asie, le niveau de la mer étant alors, une fois de plus, bien plus bas qu’aujourd’hui ; il suffirait d’ailleurs d’une baisse du niveau de la mer de 50 m pour que les actuelles îles de Sumatra, Java et Kalimantan (Bornéo) soient joignables par voie terrestre depuis le continent asiatique via la péninsule malaise).
Bref ! Au moment de la migration qui nous intéresse donc, le plateau de Sahul est séparé du plateau du sud-est asiatique de Sunda par des mers et détroits profonds, qui délimitent une zone intermédiaire occupée par l’archipel nommé Wallacea (partie est de l’Indonésie actuelle), et surtout par la ligne Wallace, ligne pratiquement infranchissable à la plupart des espèces animales terrestres, ce qui explique les profondes différences entre les deux écozones de chaque côté de cette ligne : écozone indomalaise côté Sunda (avec primates, rhinocéros, tigres, mammifères placentaires… comme en Asie du Sud-Est), et écozone australasienne (qui inclut aussi la Wallacea et la Nouvelle-Zélande), côté Sahul avec des espèces radicalement différentes et absolument uniques sur terre (mammifères marsupiaux comme le kangourou et le koala, ou des monotrèmes comme l’ornithorynque).
L’absence de continuité territoriale entre le Sunda et le Sahul à cette époque (comme aujourd’hui d’ailleurs) pose donc le problème des modalités de colonisation de la zone par l’être humain : déjà à l’époque, il y avait bien 80 à 100 km de pleine mer à franchir. Et, si d’autres espèces humaines (aujourd’hui éteintes) ont bien arpenté les terres d’Asie (homo erectus, homme de Denisova, homme de Florès…), Homo sapiens est a priori le premier à traverser, vers 70 000 avant le présent, ces fameux bras de mer. Comment ? Cela demeure un mystère.
Car, bien sûr, cela suppose que les hominidés de ce coin de la terre aient déjà su utiliser des embarcations suffisamment solides pour franchir la mer de Timor depuis celles qui sont aujourd’hui les îles indonésiennes. Et cela, des dizaines de milliers d’années avant… l’invention officielle du « bateau » en d’autres endroits du globe (au Néolithique) !
Le peuplement du Sahul demeure donc encore aujourd’hui la plus ancienne preuve d’une navigation en haute mer (un peuplement d’île bien plus ancien est certes connu vers l’île de Florès, mais sur une distance maritime bien plus réduite – seulement 19 km à l’époque, et toujours avec un contact visuel avec une côte) et ce, des lustres avant toute nouvelle tentative (réussie, en tout cas), n’importe où ailleurs sur la planète !
Mystère de plus : après avoir accompli cet exploit, les Aborigènes (entre autres) ne seraient plus jamais repartis pour d’autres mers et d’autres terres. Car, il faut bien le dire, après être arrivés sur le territoire « australien », les Aborigènes n’en seront plus jamais repartis, et auront adopté un mode de vie des plus terriens ! Bien plus, selon certains, ils n’auraient participé à aucun réseau commercial discernable avec les Austronésiens avant l’époque moderne ! (Les seuls voisins avec qui ils auraient un peu commercé auraient été les Papous de Nouvelle-Guinée, à travers le détroit de Torres, où leurs populations, on l’a vu, s’interpénétrèrent légèrement, avec certaines îles de langues papoues, et d’autres de langues aborigènes, avec quelques traces de vocabulaire austronésien).
Une fois sur le Sahul, bien sûr, la migration des hommes vers ce qui est aujourd’hui la Nouvelle-Guinée et la Tasmanie n’est guère mystérieuse, puisque la majorité des terres de ce plateau continental étaient alors émergées (le détroit de Torrès, le détroit de Bass et la mer d’Arafura d’aujourd’hui étant alors à sec, par exemple). Mais comment diable sont-ils arrivés, en première instance, sur ce continent alors séparé du Sunda par la mer ? Ou bien une langue de terre, alors émergée, nous aurait-elle échappé ?
D’autant que les « analyses génétiques actuelles permettent de formuler l’hypothèse de l’arrivée de deux ou trois groupes préhistoriques à Sahul dans la même grande fenêtre temporelle (située entre 50 000 et 65 000 ans avant le présent), chacun portant un ensemble différent de lignées maternelles et s’installant séparément dans le nord et le sud du Sahul » (Wiki). Cela dit, d’autres sources parlent d’un seul et même groupe pour tout le peuplement de l’Australie (et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée). En fait, s’il existe des hypothèses faisant état d’une population séparée en trois groupes ethniques distincts, ou d’une origine ethnique unique, en raison de la politisation de ce problème, la théorie de l’origine unique, qui favorise la solidarité ethnique, a été privilégiée… L’étude du génome n’a pas permis de trancher entre un modèle reposant sur un peuplement par vagues successives et un modèle reposant sur une implantation unique.
Toujours est-il qu’après la séparation de la Nouvelle-Guinée et de la Tasmanie (vers 10 000 ou 13 000 avant le présent : fin de l’ère glaciaire, réchauffement global, montée des eaux, ponts terrestres et isthmes de nouveau immergés, isolation des différentes terres), les peuples d’Australie resteront complètement isolés du reste du monde et, on l’a vu, non touchés par la nouvelle vague de peuplement venue d’Asie (un détail qui a son importance, les futurs colons austronésiens, horticulteurs et éleveurs, ayant un fort impact sur la faune et la flore des îles qu’ils toucheront, en apportant avec eux force plantes et animaux qui, en revanche, resteront résolument absents de l’Australie… à quelques rares exceptions près, comme le dingo, on l’a vu, qui eut un impact fort, en tant que prédateur concurrent, sur certains animaux australiens, comme le loup marsupial thylacine ou « tigre de Tasmanie » et le diable de Tasmanie, qu’il aurait contribué à faire régresser, voire à faire disparaître d’Australie – ce qui fait qu’on ne les aurait ensuite plus trouvés qu’en Tasmanie, d’où leur nom…).
Ainsi, tandis que les autres îles océaniennes se voyaient transformées par l’arrivée des Austronésiens venus d’Asie (qui apportent avec eux la canne à sucre, l’arbre à pain, le coco, l’igname, la banane etc., mais aussi le porc, le poulet, le rat… et, dans un autre registre, la poterie), l’Australie demeure à part (sa faune et sa flore en témoigneront par la suite, on l’a vu).
Les populations de Nouvelle-Guinée, d’Australie et de Tasmanie connaissent donc désormais un développement séparé. Tandis que les ancêtres des Papous de Nouvelle-Guinée, tout au moins ceux des hautes terres, mettent en place un système d’horticulture complexe presque en même temps que celles que l’on retrouve en Mésopotamie (considérées en règle générale comme les plus anciennes…), les Aborigènes d’Australie, de leur côté, demeureront des chasseurs-cueilleurs, les conditions géoclimatiques australiennes (très arides) étant moins favorables à l’agriculture, avec un régime de précipitations très irrégulier.
Car, tout d’abord luxuriante, l’Australie s’est en effet peu à peu asséchée au fil des évolutions climatiques, avec une aridité décuplée par la fin de la dernière ère glaciaire, qui fut d’ailleurs peut-être assez brusque : pour certains, elle serait évoquée dans les légendes aborigènes, transmises oralement depuis des milliers d’années (c’est le Temps des rêves) : on y trouverait des récits évoquant des poissons tombant du ciel et des tsunamis…
Dès lors, les Aborigènes de Tasmanie demeurent isolés sur le plan géographique des Aborigènes d’Australie, et les Aborigènes du reste du monde d’une manière générale.
Il est toujours difficile d’évaluer la population qui habitait l’Australie avant la colonisation européenne.
Cette carte montre l’étendue probable des terres émergées en Australie vers le XVIIIe millénaire av. J.-C. (le niveau de la mer était alors plus bas de 150 m), ainsi que la localisation des glaciers (en blanc, Tasmanie, sud-est de l’Australie), soit juste avant la fin de l’ère glaciaire, la remontée des eaux et la séparation de l’Australie, de la Tasmanie et de la Nouvelle-Guinée (= antique plateau continental appelé « Sahul »).
Avant l’homme… et après
Avant de nous pencher donc plus en détail sur cette civilisation à part, petit zoom sur l’évolution de la faune et de la flore australiennes préhistoriques… Car l’arrivée de l’homme, fût-il bien plus respectueux de la nature que l’homme blanc, eut a priori un impact considérable sur celle-ci ! Et puis aussi parce que, quand on parle de l’Australie, on ne peut décemment passer outre son monde vivant résolument extraordinaire.
On le sait, l’Australie est sans aucune contestation possible la terre où la faune est la plus étrange. La plus atypique. La plus unique. On y trouve d’innombrables espèces, tant animales que végétales, ou encore minérales, qu’on ne trouve nulle part ailleurs (ex : les marsupiaux, c’est-à-dire mammifères à poche, kangourous, koalas, wombats…) et des formes particulièrement anciennes de vie, tout droit issues de la Préhistoire (ex : les stromatolites, alliages de bactéries et de sédiments, qui existaient déjà il y a 3,42 milliards d’années (!!) sur tous les futurs continents, qui dominèrent la planète pendant plusieurs centaines de millions, voire plusieurs milliards d’années – peut-être la seule forme de vie, ou la forme très dominante jusqu’à il y a environ 550 millions d’années, quand eut lieu la spectaculaire explosion biologique des océans – et qui sont à l’heure actuelle les plus anciennes formes de vie observables – et présentes sur la côte ouest de l’Australie).
L’explication est simple et connue : la séparation des continents (autrefois tous réunis en une immense masse de terre, la « Pangée »), qui isola « assez tôt » l’Australie (alors encore rattachée à l’Antarctique et à ce qui deviendra, plus tard, la Tasmanie et la Nouvelle-Guinée). En effet, le Gondwana (énorme bloc austral, constitué de l’Amérique du Sud, de l’Afrique, de l’Inde, de l’Antarctique et de l’Australie) se sépare en premier de la Laurasie (bloc septentrional) et dérive vers le sud. Peu à peu, il se disloque (Afrique, Amérique du Sud, Inde…), à partir de 150 millions d’années avant le présent. Enfin, il y a 65 millions d’années, l’Australie (+ Tasmanie et Nouvelle-Guinée) se sépare de l’Antarctique et commence à remonter vers l’équateur.
Elle est longtemps peuplée d’espèces à part, mais appartenant, comme ailleurs, aux grandes familles des dinosaures (Kronosaurus, énorme pliosaure – donc aquatique –, Allosaurus, proche du tyrannosaure…) puis, après l’extinction mystérieuse des dinosaures il y a 65 millions d’années, aux familles des reptiles et des mammifères géants, ancêtres des espèces présentes aujourd’hui (ex : Genyoris, Procoptodon goliah, Megalania, Diprotodon australis, Zygomaturus trilobus etc. ; en gros, kangourous géants de 3 m de haut – dont certains carnivores –, wombats géants, échidnés géants, marsupiaux herbivores de la taille d’un hippopotame, tortues de la taille d’une voiture, émeus géants, lézards de 7 m de long…). Bientôt, ces espèces géantes vont à leur tour disparaître, au profit des espèces plus petites que l’on trouve toujours aujourd’hui.
Une explication, peut-être : la découverte de cendres par les archéologues semble montrer que, durant la période suivant l’arrivée des humains, les incendies se sont multipliés dans l’Australie préhistorique. On suppose que les chasseurs s’en servaient pour rabattre le gibier, pour stimuler la renaissance de la végétation afin d’attirer les animaux, ou pour s’ouvrir un chemin dans des forêts impénétrables. Les régions très densément boisées devinrent des forêts plus clairsemées, et les forêts déjà clairsemées devinrent des prairies. Les espèces résistant au feu devinrent prédominantes : par exemple, les eucalyptus, les acacias et les plantes grasses.
L’évolution de la faune fut plus radicale : la mégafaune australienne disparut très rapidement, ainsi que de nombreuses autres espèces plus petites. On dénombre 60 espèces de vertébrés ainsi exterminées. La cause directe de ces extinctions en masse n’est pas connue avec certitude : le feu (accélération de l’asséchement par les brûlis volontaires des hommes), la chasse, les changements climatiques (aridité croissante, développement des déserts de sable du centre), la raréfaction de la végétation contraignant certaines espèces à devenir carnivores (et diminuant donc d’autant plus les populations d’herbivores survivantes), ou la combinaison de ces facteurs peuvent être mis en cause, mais on pense généralement que l’intervention de l’homme y a d’une façon ou d’une autre contribué. Sans grands herbivores pour réguler la végétation et recycler les nutriments du sol dans leurs excréments, l’érosion devint plus rapide et les feux plus destructeurs, faisant ainsi évoluer rapidement le paysage (cercle vicieux). En tous les cas, sur plusieurs générations, responsables ou pas, les Aborigènes auraient été témoins de l’extinction de cette faune.
Il y a 25 000 ans donc, les grands herbivores et les grands prédateurs ont tous disparu. Seul le tigre marsupial (aujourd’hui dit « de Tasmanie ») survit à cette rapide évolution, mais avec l’arrivée du dingo il y a environ 5000 ans (concurrent direct), il disparaît d’Australie (et ne survit donc qu’en Tasmanie, alors déjà coupée de l’Australie et donc préservée de « l’invasion dingo »). Mais, s’il a survécu aux dingos, le tigre de Tasmanie ne devait pas survivre à l’homme blanc (qui le chassera sans pitié pour protéger ses moutons) : le dernier tigre est mort en captivité, en 1936…
Théories exotiques diverses et variées… aujourd’hui abandonnées
Dès l’arrivée de l’homme blanc, la question du peuplement de l’Océanie a, bien évidemment, suscité un certain nombre de questionnements et donc… de théories. Toutes ont été, depuis, abandonnées bien sûr mais, parmi elles, on trouvait notamment (moult arguments à l’appui, évidemment) :
- L’idée d’un continent englouti, le Pacifique (pendant mythique de l’Atlantide) : les Océaniens seraient les descendants des habitants de ce continent aujourd’hui disparu duquel il ne subsisterait que quelques sommets émergés : les îles du Pacifique (théorie apparue pour la première fois à l’époque de Cook).
- L’idée de la tribu perdue d’Israël (au XIXe siècle), basée sur les « ressemblances » entre Maori et Juifs. Une théorie revendiquée par des Maori eux-mêmes au moment de la multiplication des premiers baptêmes !
- L’idée d’une origine indo-européenne des Polynésiens, basée sur des coïncidences linguistiques. Une théorie commode pour démontrer une origine commune entre les colons britanniques et les populations locales, en somme des « sauvages blancs » pouvant facilement être assimilés dans la culture occidentale…
- L’idée d’un peuplement américain de certaines îles du Pacifique, basée sur l’existence de certaines similarités entre des îles du Pacifique et des peuples de la côte ouest de l’Amérique du Sud (culture de la patate douce, outillages lithiques similaires, points communs linguistiques etc) – théorie des années 1950. Or, les études modernes montrent que, si ces points communs existent et son indubitables, c’est plutôt grâce à des déplacements de Polynésiens (Austronésiens) vers l’Amérique que l’inverse.
On le voit, seule la première théorie concerne vraiment l’Australie. Voyons donc ce qu’il en est de ces fameux Aborigènes, à l’aune des sciences d’aujourd’hui…
Les Aborigènes, un peuple à part
« Les Aborigènes ont connu un destin unique dans l’histoire de l’humanité. En effet, leur civilisation fut protégée des invasions par la barrière naturelle des océans, et put suivre pendant des millénaires les lents chemins d’une évolution en autarcie. Isolés sur leur grande île, les premiers Australiens ne furent pas soumis aux grands mouvements de population qui brassaient d’autres terres » L’Australie, naissance d’une nation, de Georges-Goulven le Cam (Presses Universitaires de Rennes).
Au moment où l’homme blanc débarque à l’époque moderne, on estime la population aborigène entre 500 000 et 1 million d’individus, répartis en 500 tribus parlant 260 langues sur tout le continent (sur ces 500 peuples, on n’en connaîtrait vraiment que 3 ou 4 aujourd’hui). Densité moyenne de la population : un habitant tous les 10 km2. Chaque tribu a ses rites et pratiques, bien sûr, mais les contacts sont suffisamment fréquents pour qu’une culture aborigène globale et plus ou moins homogène ait été maintenue sur l’ensemble de l’île.
A noter : Le nom commun « aborigène » est issu du latin ab origine, qui signifie « depuis l’origine ». Certains groupes Aborigènes des déserts de l’ouest et du centre de l’Australie se désignent eux-mêmes par le mot « Aṉangu », qui signifie « humain » ou « gens » (un cas de figure très fréquent en linguistique, que l’on retrouve par exemple chez les Inuits ou au sein de certains peuples d’Amérique du Sud).
Le mode de vie
En résumé, le mode de vie aborigène, du fait de l’aridité du continent, est nomadique ou semi-nomadique : on se déplace pour trouver ses moyens de subsistance, on chasse, on pêche, on cueille. La terre est trop dure à cultiver et on se déplace en fonction des disponibilités saisonnières des ressources, parcourant ainsi, selon les tribus, des territoires (chaque tribu a « son » territoire) allant de 500 km2 (pour les littoraux plus généreux) à 100 000 km2 (pour les terres les plus pauvres !).
Souvent en voyage, les Aborigènes n’accumulent pas de biens matériels et se contentent d’abris très simples, ainsi que de quelques outils de base, bâtons à fouir, lance de bois, couteau, marteau de pierre et, bien sûr, boomerang (outil de chasse aux propriétés aérodynamiques surprenantes et uniques développé il y a 10 000 ans). On se promène en général nu, sauf dans le sud (climat plus frais oblige) où l’on trouve des manteaux en peau de kangourou ou d’opossum.
Les hommes assurent la chasse (tortue, kangourou, émeu, crocodile…) et les femmes, la recherche d’œufs de tortue et de crocodile, de varans, d’igname, de fourmis à miel, de graines, de fruits… Cependant, chacun doit être capable de survivre seul quelque temps dans la brousse.
Les Aborigènes possèdent en outre des techniques plutôt élaborées de gestion des terres (les traces du désastre écologique – brûlis – qui avait succédé aux premières arrivées de population sont effacées depuis longtemps) et, dans les régions les plus fertiles et les plus peuplées (littoraux du sud-est, par exemple), l’habitat est semi-permanent et la pisciculture existante ainsi que, tardivement, l’irrigation et la culture de l’igname.
Les brûlis raisonnés constituent, quant à eux, une pratique très usitée. Armés de leurs « fire-sticks » et aidés par une solide connaissance des conditions climatiques, du régime des vents et de la biologie des plantes (résistance plus ou moins grande des divers arbres aux feux de forêt), les Aborigènes pratiquent en effet des brûlis (fire-stick farming : « agriculture à bâtons de feu ») organisés en vastes damiers selon un calendrier coordonné entre les tribus. Ces feux leur permettent de contrôler la croissance des buissons, d’alimenter en cendre les végétaux dont ils se nourrissent, de réveiller les graines de leur dormance, de chasser sans avoir trop de picots et épines sous les pieds et, plus généralement, d’organiser sur le long terme le paysage à leur guise. Les brûlis sont bien sûr également l’occasion d’encourager le gibier à se déplacer vers des espaces repérés par avance et d’en faciliter ainsi la chasse et la capture (rabattage).
En outre, s’ils ne pratiquent pas l’agriculture, les Aborigènes n’en ont pas moins une connaissance écologique très fine, connaissant les lieux et les saisons, et se montrent prêts à parcourir des centaines de kilomètres pour trouver leur pitance selon les cycles de la nature. Ils ont aussi appris à récolter des plants immatures de certains endroits pour les implanter dans d’autres endroits, plus favorables (ou plus proches). Ils ont ainsi contribué à façonner le paysage australien. Seules quelques tribus auraient pratiqué une certaine forme d’agriculture (sur brûlis par exemple) ou d’horticulture.
En outre, les Aborigènes auraient poussé la logique écologique jusqu’à pratiquer l’infanticide à la naissance (apparemment, une pratique attestée) afin de limiter volontairement la densité démographique face à des ressources limitées…
Les tribus aborigènes échangent principalement des chants, des danses, mais aussi des pierres précieuses, des semences, des armes, de la nourriture…
Les Aborigènes utilisent en outre des radeaux faits de rondins de bois pour aller pêcher sur les barrières de corail et les atolls voisin ; ils savent parcourir des distances importantes (sans pratiquement toutefois la haute mer, on l’a vu, puisqu’ils ne quitteront jamais leur île-continent) grâce à une bonne connaissance des courants et des étoiles.
Notes de l’explorateur britannique James Cook dans son journal, en 1770 : « En réalité ils sont bien plus heureux que nous les Européens… Ils vivent dans la tranquillité qui n’est pas troublée par l’inégalité de la condition. La terre et la mer leur fournissent toutes les choses nécessaires pour vivre… Ils vivent dans un climat agréable et ont un air très sain… Ils n’ont aucune abondance. »
L’organisation sociale et le système de parenté
Avant qu’elle ne soit totalement déstructurée par l’homme blanc, l’organisation sociétale aborigène reposait sur un système tribal à 3 niveaux.
- La bande était constituée d’un groupe d’une quinzaine d’individus, en somme les membres d’une même famille, se déplaçant toujours ensemble.
- Le clan réunissait plusieurs bandes (une soixantaine de personnes, qui ne devaient pas se marier entre elles – impératif d’exogamie).
- La tribu (plusieurs clans), pouvant réunir plusieurs centaines de personnes, et au sein de laquelle on pratiquait, cette fois, l’endogamie, à l’occasion de rares rencontres et cérémonies.
Nota bene : la manière aborigène de concevoir la parentalité était tout à fait à part. En somme, les termes de mère, père, frère, sœur, par exemple, étaient projetés sur les oncles et tantes, cousins et cousines (en somme, la sœur de ma mère était aussi ma mère, et non ma tante). Ces termes étaient également appliqués à certaines espèces animales (« sœurs » des femmes pour certaines espèces, oiseaux, arbres etc., « frères » des hommes pour d’autres) – totémisme de genre. Quant à la tribu tout entière, elle constituait une famille étendue.
Evidemment, ce système était accompagné, comme au sein de chaque culture, de tout un tas de règles, codes de conduite, tabous et interdits selon les liens de sang ou liens sociaux entre individus (par exemple, dans certaines tribus, la belle-mère devait éviter tout contact, même visuel, avec son gendre). Des règles matrimoniales très strictes, parfois très complexes, en découlaient (unions entre certaines catégories de personnes, unions interdites…). Les mariages étaient très souvent arrangés très tôt (parfois dès la naissance pour les filles) mais, comme ailleurs, de telles unions pouvaient être compromises par la fugue d’un couple d’amoureux. L’histoire pouvait tout aussi bien se terminer de façon heureuse que s’achever dans le sang (mort des deux tourtereaux).
La polygamie existait également, pour les hommes les plus puissants (qui pouvaient se permettre d’avoir, en moyenne, de deux à six femmes et, pour le Guinness des records… jusqu’à vingt-neuf !).
La sexualité, en revanche, était plutôt libre, avant comme après le mariage (quoique les excès fussent mal vus) et très précoce.
Le clan était dirigé par un conseil restreint d’anciens (les sages – toujours des hommes), qui constituaient la plus haute autorité politique et se faisaient les gardiens des savoirs ésotériques ancestraux, sans constituer pour autant la moindre classe à part (type aristocratie) et sans qu’il y ait le moindre « chef suprême ». Les querelles étaient jugées au sein du groupe selon les lois de la tribu. Un système gérontocratique, donc, où le savoir (et donc le pouvoir) était transmis de façon orale et secrète. Aucun individu ne détenaint cependant jamais le pouvoir à lui seul (pouvoir toujours exercé à plusieurs).
Comme au sein de bien d’autres cultures, rites initiatiques (parfois très difficiles : scarifications, circoncision, arrachage de dents, incision du périnée, épilation du pubis, subincision du pénis dans le sens de la longueur etc. selon les cas…), conflits armés, systèmes de vengeance et de compensation (en cas d’insulte, de crime, de rapt de femmes, de meurtre, d’adultère, d’inceste…), attaques surprises, tributs versés, mises à mort, rixes sanglantes faisaient partie de la vie. L’exil et la mort figuraient parmi les sanctions possibles. Des formes ritualisées permettaient néanmoins souvent de régler les conflits sans que ça ne dégénère en vendetta destructrice et de limiter la violence. Le mythe du « bon sauvage paisible » relayé par James Cook est donc, comme bien souvent ailleurs, à relativiser malgré tout !
La guerre organisée à grande échelle, en revanche, était rare, inexistante, sans doute d’une part en raison des multiples liens de mariage ou de sang entre les individus et les communautés, et du fait que, pour un Aborigène, aller conquérir un territoire ou des ressources et voler le pays de quelqu’un d’autre n’a pas de sens. Chacun appartient à sa terre, à son sol (et non l’inverse).
Quant aux rites mortuaires, ils étaient très variés, mais visaient évidemment le passage de l’esprit du défunt dans l’au-delà.
En réalité, le système sociétal était plus complexe encore, et l’on taxe parfois le terme de « tribu » de simplification anthropologique occidentale, afin de plaquer sur un système plus complexe un terme connu en Occident. Dans les faits, les distinctions entre les groupes procèdent de multiples facteurs (langue, mythologie des origines, pratiques sociales, parenté, rituels, topographie…) et, en fonction du problème considéré, les périmètres de pouvoir (et donc de groupe social) pouvaient changer.
Le Temps du Rêve et l’art aborigène
Dans la tradition aborigène, l’histoire du continent commence avec ce que l’on peut traduire par le « Temps du rêve », un mythe de la Création qui raconte l’origine des peuples, des animaux et de la configuration géomorphologique du continent australien (forme de Cosmogonie).
Le « Rêve » désigne en fait les « gens et créatures » des temps passés mythiques, ces êtres ancestraux (y compris animaux, etc.) qui parcoururent la terre au début des temps et commirent des actes héroïques, mais également une sorte de principe spirituel et de dimension parallèle (animisme) qui influerait activement sur la vie terrestre et le temps présent. Le Temps du Rêve est en effet peuplé d’êtres de toutes formes (parfois hybrides) chargés d’assurer, pour l’éternité, la reproduction de ce dont ils portent le nom, qu’il s’agisse d’animaux, de maladies, de végétaux, de vents, de cycles stellaires, de phénomènes naturels ou de personnes, etc. Le Rêve Kangourou, par exemple, fait en sorte qu’il y ait toujours assez de marsupiaux et garantit leur régénérescence en suffisance sur terre. Il y a le Rêve pluie, l’Igname effronté, la Toux… etc.
Chaque humain est associé, de par sa tribu, son clan et ses totems personnels, à plusieurs de ces êtres totémiques, qu’il doit chérir (rites, etc). Certaines figures du Rêve sont particulièrement populaires, comme le Serpent Arc-en-Ciel, le Dingo Rêveur, Baiame… Toute une série de mythes créateurs racontent les déplacements, périples et actions de ces êtres du Rêve qui laissèrent leur trace dans le paysage : ces mythes donnent tout bonnement vie à un paysage où chaque colline, chaque fleuve, chaque repère géographique est le fruit des pérégrinations des Ancêtres. Ces esprits magiques adoptant généralement une apparence animale sont sacrés, et ce sont eux qui tiennent le rôle de créateurs du monde. Les actions de ces ancêtres mythiques ont non seulement façonné le paysage, mais également la loi, les langues et les règles sociales.
Les traditions du « Temps du rêve » furent, et sont encore aujourd’hui perpétuées par des chansons et des récits oraux dans toute l’Australie, des danses, des cérémonies et des peintures corporelles, ainsi que par l’art (pictural) aborigène (des milliers de sites de peintures et de gravures traditionnelles).
On dit souvent que cet art (peintures sur écorce, tissus, toiles, roches) constitue la tradition artistique continue la plus ancienne au monde. En termes d’âge et d’abondance, l’art des cavernes en Australie est tel qu’on a pu le comparer à celui des sites européens mondialement connus comme Lascaux en France et Altamira en Espagne.
On distingue trois types régionaux :
- les figures géométriques gravées (cercles, cercles concentriques, arcs, esquisses animales et points) ;
- le modèle figuratif simple, avec des silhouettes peintes ou gravées ;
- et les peintures figuratives complexes, telles que celles qui montrent les organes internes des humains et des animaux, un peu à la manière d’une vue aux rayons X (côtes, vertèbres, muscles…).
Les Aborigènes ont en outre conservé nombre de chants ancestraux et développé des instruments très particuliers, le yidaki (ou didgeridoo) étant bien sûr considéré comme l’instrument le plus représentatif des Aborigènes (certains avancent qu’il serait le plus ancien des instruments à vent : il figure sur des peintures rupestres).
Décoration des corps et danses cérémonielles ont également perduré à travers les âges et sont exécutés en Australie depuis des temps immémoriaux. Là encore, comme mentionné précédemment, ils dépeindraient le plus souvent des contes du Temps du rêve, thème central de la culture des Aborigènes d’Australie.
Conclusion
Evidemment fort riche et complexe, la culture aborigène est impossible à résumer en si peu de lignes. Une tentative presque sacrilège, dans la mesure où l’on considère fréquemment cette culture comme la plus longue culture ayant survécu sur terre jusqu’à nos jours.
Une remarque, toutefois : répartis en quelque 500 tribus (au moment de l’arrivée de l’homme blanc) et autant de langues, selon certaines sources, les Aborigènes, à l’instar des natifs d’Amérique du Nord, ne se pensent pas appartenir à une société commune. Chaque groupe connaît bien sûr ses voisins et entretient avec eux des relations d’échange qui, de proche en proche, peuvent amener des objets à voyager sur des milliers de kilomètres. Mais, dans les faits, les tribus plus éloignées sont considérées comme étrangères, voire (phénomène commun à toute l’humanité, il faut croire) comme inhumaines. Les échauffourées entre tribus ne sont d’ailleurs pas rares, on l’a vu (rapts de femmes, etc.), et se poursuivront après l’arrivée de l’homme blanc. Parler de « la » culture aborigène serait donc, à ce titre, probablement abusif en raison des nombreux particularismes locaux.
Pour en savoir plus, je vous renvoie donc aux articles suivants :
- Aborigènes d’Australie
- Parenté chez les Aborigènes d’Australie
- Art des Aborigènes d’Australie
- Culture aborigène d’Australie
- Musique aborigène
- Objets traditionnels des Aborigènes d’Australie
- Astronomie des Aborigènes d’Australie
- Langues aborigènes d’Australie
- Temps du rêve
- Mythologie aborigène
Quelques visiteurs…
Quoique la culture aborigène se fût développée en totale autarcie, à l’écart du reste du monde, les peuples vivant sur la côte nord du continent (région de Kimberley, terre d’Arnhem, golfe de Carpentaria et cap York) auraient eu de nombreuses visites au fil des millénaires.
Si seuls les échanges avec les Papous et Mélanésiens demeurent plus ou moins réguliers, il semblerait que les Aborigènes aient également eu la visite ;
- de marchands chinois et arabes dès le ixe siècle ;
- d’Indiens aux alentours du début de l’ère chrétienne (même si les plus anciennes visites dateraint de plus de 17 000 ans).
- de pêcheurs indonésiens « Bajini » venus des Moluques ;
- de marchands de Sulawesi (Indonésie).
… puis l’homme blanc
Malgré la présence évidente d’indigènes (oh, trois fois rien : entre 300 000 et 1 million d’âmes installées là depuis la bagatelle, on l’a vu, de 70 000 ans !!), les Britanniques venus s’installer à partir de 1788 déclareront cette nouvelle terre « Terra nullius », la terre qui n’appartient à personne.
De fait, un siècle plus tard, sous la pression de la population blanche, l’Australie était bel et bien devenue la « terre de quasiment personne » (à part des Blancs eux-mêmes) : en 1900, il n’y a plus que 50 000 Aborigènes sur tout le territoire. Bientôt, ils ne sont même plus recensés…
A l’instar des Amérindiens, l’arrivée de l’homme blanc a décimé la population locale, une population établie là depuis la Préhistoire ! Une extermination avant tout due, comme sur le continent américain, aux maladies véhiculées par les marins européens (qui décimèrent les populations indigènes bien avant que la plupart de ces peuples ne soient entrés en contact avec les colons), sans pour autant exclure la violence certaine (et souvent extrême) dont furent victimes les autochtones d’Australie dès leurs premiers contacts avec l’homme blanc. Une lourde, très lourde question de l’histoire australienne.
Pour tout dire, le « vol » de ces terres aux Aborigènes restera un non-dit pendant 200 ans, jusqu’à ce jour de 1992 où la Haute Cour de justice australienne reconnaît que l’Australie n’a jamais été « Terra nullius » et que les Aborigènes étaient bel et bien le premier peuple australien. Et, en 2000, le Reconciliation Movement naît ; le 26 mai de cette année, 250 000 personnes, Blancs, Aborigènes, vieux, jeunes, tous ensemble, marchent main dans la main à travers le fameux Harbour Bridge de Sydney : un avion passe, faisant flotter une banderole : « sorry »…
Le drame du fameux terra nullius
De fait, cette histoire de Terra nullius est essentielle dans la mesure où elle aura tout bonnement permis de nier tout bonnement l’existence des Aborigènes en tant qu’êtres humains. Non seulement la terre « découverte » n’appartient prétendument à personne (on nie absolument tout droit aux Aborigènes sur la terre) mais, en plus, cela légitime le fait de n’avoir jamais signé le moindre traité avec les autochtones, un fait exceptionnel dans l’histoire de l’humanité !
Certes, certes : le fait de signer un traité ne garantit absolument rien, voire n’a strictement aucune valeur si le plus « fort » des deux contractants n’a pas de parole et décide, tout simplement, de le bafouer : les Amérindiens pourraient vous le dire, qui ont vu des centaines de leurs traités passés avec les Blancs être bafoués les uns après les autres au cours du seul XIXe siècle. De plus, les traités peuvent être arrachés par la force, sous contrainte. Néanmoins, si le fait qu’il y ait eu traité ne fait, concrètement, pas forcément de différence au moment de la signature ou dans les décennies suivantes (et n’empêche nullement les passages en force et les violations de la parole donnée), il en a une tout autre aujourd’hui, les traités pouvant, certes bien en retard, servir de point d’appui à des revendications actuelles ! Et, surtout, le recours au droit et à la signature d’un traité en bonne et due forme (et indépendamment du respect, par la suite, dudit traité) permet au moins de montrer la perception de la légitimité de l’autre et de le reconnaître comme un interlocuteur… ce qui ne fut jamais accordé aux Aborigènes !
La question, dès lors, se pose ; qu’est-ce qui a bien pu conduire à de telles extrémités, quand même les Indiens d’Amérique avaient eu droit à des (simulacres, certes, de) traités ?
Peut-être leur mode de vie, jugé particulièrement primaire (ni agriculture, ni roue, ni métal, ni céramique, ni villages construits dans la majorité des régions…), voire « préhistorique », a-t-il facilité le classement de cette population au plus bas de l’échelle de l’humanité, et à leur traitement en tant que « vrais primitifs ». Peut-être aussi ces caractéristiques nomades ont-elles contribué à donner l’impression d’une non-appropriation des terres aux Européens (un peu à la manière des gens du voyage ?), comme si ces peuples n’avaient aucune emprise apparente sur le territoire (en réalité, leurs mythes étaient gravés dans le paysage lui-même, d’où un déracinement profond). Enfin, en raison de son mode de vie, l’Aborigène ne constituait pas une force militaire d’opposition sérieuse ; à quoi bon se soucier de négocier quoi que ce soit avec lui ?…
Sans compter la vision ethnographique et phrénologique de l’époque, qui envisageait tout simplement de faire des Aborigènes le fameux « chaînon manquant » entre l’homme et le singe et qui permettait de valider définitivement la théorie darwinienne de l’évolution… !
En somme, l’installation de l’homme blanc en Australie fut finalement une véritable guerre de conquête (par toutes sortes de moyens, y compris l’introduction de nouvelles espèces animales) qui ne dit jamais son nom… mais qui fut bel et bien, dans l’esprit aborigène, vécue comme une invasion.
Conclusion
On l’a vu et on y reviendra, peu à peu, à partir des années 1960, la cause des Aborigènes sort de l’ombre (tout comme celle des Noirs et des Amérindiens aux USA) et, au tournant du XXIe siècle, ils obtiennent même des excuses publiques à la fois de la population et du gouvernement (nous y reviendrons dans la 5e partie de cette histoire de l’Australie).
Néanmoins, ce « happy end » (qui n’en est nullement un, d’ailleurs ; la mendicité, l’alcoolisme, le déracinement continuent de faire rage au sein des communautés aborigènes – nous y reviendrons) ne fait nullement oublier les véritables traumatismes par lesquels le peuple aborigène (qui aura dû attendre 1967 pour se voir reconnaître la citoyenneté australienne !!!! Jusque-là, ils n’étaient qu’une « sous-race » dont on ne savait que faire et qu’on ne se donnait même plus la peine de recenser !) sera passé (massacres, empoisonnement de leurs points d’eau, rafles d’enfants – les « générations volées » : plus de 100 000 enfants auraient été arrachés à leur famille pour recevoir une éducation « blanche » puis servir de main-d’œuvre, pour ne pas dire d’esclaves, au sein de propriétés blanches également −, abus sexuels etc.) Nous reviendrons sur tout cela avec la partie « colonisation » de cette, certes héroïque à certains égards, mais aussi honteuse, triste et tragique histoire de l’Australie.
Mais je vous donne rendez-vous sans attendre avec le 2e article consacré à cette Petite histoire de l’Australie : les grandes explorations australes.
►Découvrir mon roman L’Australien
►Pour aller plus loin sur la Préhistoire australienne :
- Préhistoire de l’Australie
- Peuplement de l’Océanie
- Mégafaune australienne
- Dernier maximum glaciaire
- Aborigènes d’Australie
- Parenté chez les Aborigènes d’Australie
- Art des Aborigènes d’Australie et Culture aborigène d’Australie.
- Musique aborigène
- Objets traditionnels des Aborigènes d’Australie
- Astronomie des Aborigènes d’Australie
- Langues aborigènes d’Australie
- Temps du rêve
- Mythologie aborigène
Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : Pixabay