Le Parnasse en bref

Introduction : un rejet du romantisme

Nous l’avons vu avec mes articles sur le réalisme et le naturalisme : après les désillusions de 1830 puis de 1848, le Romantisme ne peut plus régner ; en réaction, plusieurs nouveaux mouvements (parfois préfigurés par des auteurs de la première moitié du XIXe siècle, comme Balzac et Flaubert) émergent : d’un côté, le réalisme et le naturalisme, en matière romanesque… et, de l’autre, le Parnasse et le symbolisme, en matière de poésie.

Deux poètes auront, plus encore que les autres, annoncé l’émergence du courant parnassien :

• Baudelaire, poète polymorphe déjà présent à l’époque romantique, qui considérait déjà que la beauté de la poésie résidait non pas dans l’objet décrit par le poète, mais dans le poème lui-même (c’est ce qu’exprimera par exemple le poème « Une charogne »)
• Et Théophile Gautier qui, tout d’abord romantique comme tant d’autres, se détachera du lyrisme omniprésent de la première moitié du XIXe siècle pour devenir le chef du file du Parnasse.

Le Parnasse est donc, à l’instar des quatre autres grands mouvements de la seconde moitié du XIXe siècle (réalisme, naturalisme, fantastique, symbolisme), un mouvement de réaction au romantisme qui, confronté aux désillusions de 1830 et de 1848 (avec notamment l’enracinement d’une société bourgeoise et industrielle et l’avènement du Second Empire), a fini de perdre ses dernières illusions et commence à battre de l’aile.

Rappelons-le : l’histoire de la littérature pourrait être schématisée en une suite d’actions et de réactions : les mouvements littéraires se succèdent toujours à la manière attraction-répulsion. Quand un mouvement apparaît, il s’agit toujours, soit d’une exacerbation du mouvement précédent, soit d’un rejet et d’une opposition de celui-ci. Le désordre du baroque a appelé l’ordre du classicisme ; le rationalisme de ce dernier a trouvé son plein aboutissement dans la philosophie des Lumières ; puis l’ordre classique et la raison toute-puissante des Lumières, couplés au contexte de la Révolution française et de l’épopée napoléonienne, ont fini par conduire à un profond besoin de libération, celle du mouvement romantique.

Et le libéralisme romantique, son exaltation, son enthousiasme, son lyrisme débridé, parfois excessif, auront fini par appeler un retour en force de la rigueur, de l’exigence et des contraintes : les principaux mots d’ordre du Parnasse.

Le mot « Parnasse » vient d’ailleurs du Mont Parnasse, lieu où, dans la mythologie grecque, vivaient Apollon (Dieu de la poésie) et les Neuf Muses ; un lieu idéal où régnaient poésie, perfection et beauté.

Grandes caractéristiques du mouvement :

Le retour de l’ordre des règles et des contraintes après l’épopée romantique

Avec le romantisme, on se trouvait dans la revendication de la liberté d’écrire (révolution littéraire) ; avec le Parnasse, on est dans le retour en masse de grandes règles, d’interdits et d’obligations. Opposition stricte au Romantisme. On retrouve un idéal classique (clarté, précision, rigueur, travail, science) contre les facilités, les licences et le libéralisme du romantisme. On a affaire à une poésie technicienne et plasticienne où seule l’esthétique compte. La forme (stricte) prime sur le fond. Il faut « ciseler le vers comme un bijou ou comme une statue » (Gautier). Le processus créatif poétique est souvent comparé à celui de l’orfèvre ou du sculpteur.

Le culte de l’art pour l’art, de l’art pour lui-même

L’objectif du poète n’est plus du tout de parler de ses sentiments (Romantisme), ni de parler de sujets de société, ni de faire passer des messages,  ni de s’engager en politique, ni de révéler ses sentiments, ni de prendre position, ni de délivrer un enseignement : le but de l’œuvre est d’être une belle œuvre d’art, tout simplement. On ne fait pas d’art pour défendre une cause, mais pour atteindre la beauté. Le poète se voit comme un sculpteur, un peintre, un artiste qui recherche seule la perfection de la forme. L’art doit être gratuit ; les Parnassiens sont contre toute forme de militantisme par l’art (engagement politique etc) ; ils cherchent à dégager la poésie des contingences matérielles de la société et à se plonger dans l’admiration du Beau.

« Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien, tout ce qui est utile est laid », Gautier dans la préface à Mademoiselle de Maupin

La recherche conséquente de la Beauté absolue, transcendante

L’artiste devient le prêtre d’une religion qui voue un véritable culte à la Beauté pure et à la Perfection. On recherche la PERFECTION FORMELLE à grands coups de règles, de codes et d’un travail rigoureux, acharné, très technique, sur la langue (ce qui n’est pas sans rappeler le classicisme). Virtuosité d’une poésie savante dans ses rythmes et sonorités, voire précieuse dans ses descriptions.

Une poésie ainsi étroitement liée à la science

L’art se veut désormais objectif. « L’art et la science, longtemps séparés par suite des effets divergents de l’intelligence, doivent donc tendre à s’unir étroitement, si ce n’est à se confondre » (Leconte de Lisle) ; on retrouve là encore le rejet de la facilité prolixe du romantisme, l’imprécision de son style, son incorrection même, parfois, au profit d’une métrique rigoureuse, dépourvue de toute licence poétique, d’un art savamment maîtrisé, d’un idéal plastique aux contours nettement définis.

Une poésie difficile

Le poète n’hésite pas à s’attaquer à la difficulté (au prix de l’intelligibilité parfois) : on préfère le marbre, le bronze, les matières dures et nobles, aux matières facilement malléables : c’est ce qu’exprime longuement Théophile Gautier dans son poème intitulé « L’Art », in Emaux et Camées.

En conséquence, poésie ne s’adressant qu’à une élite…

…seule capable de la comprendre. Le poète est un technicien des mots ; la technique est plus importante que l’inspiration, la forme plus importante que le contenu, on est dans une esthétique globale formaliste antiromantique. On veut rendre à la poésie son caractère sacré et la réinstaller au sommet de l’Olympe, d’où les Romantiques, Lamartine en tête, avaient voulu la faire descendre (pour la rendre sincère et accessible à la masse).

« L’art (…) est un luxe intellectuel, accessible à de très rares esprits. » (Leconte de Lisle)

La poésie parnassienne, assez difficile, ne s’adresse donc qu’à un cercle d’initiés qui savent en apprécier la beauté et les mystères.

L’impersonnalité et l’impassibilité de l’œuvre

Les Parnassiens rejettent férocement les excès, les élans et l’impudeur du lyrisme romantique que Leconte de Lisle traite de « vanité et profanation gratuites ». Lamartine et Musset seront particulièrement critiqués en tant que chantres de la douleur romantique. L’œuvre parnassienne n’est donc pas personnelle, il n’y a pas de sentiments, de subjectivité : froideur et objectivité s’opposant aux excès d’enthousiasme et de passion du lyrisme romantique. Ne pas mêler son moi intime, le poète n’a pas à évoquer de sentiments personnels. D’où le choix de sujets impersonnels, grands mythes, légendes, l’Antiquité, descriptions de paysages, d’objets d’art, l’exotisme… Puisque l’œuvre ne doit plus être lyrique, elle sera historique, pittoresque, archéologique, descriptive, exotique…

« Le poète devrait voir les choses humaines comme les verrait un dieu du haut de son Olympe ; les réfléchir sans intérêt dans ses vagues prunelles et leur donner, avec un détachement parfait, la vie supérieure de la forme. » Théophile Gautier, Rapport sur les progrès de la poésie

« Promène qui voudra son cœur ensanglanté
Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière… »

(Leconte de Lisle, poème « Les montreurs »)

Mots-clés :

Esthétisme, culte de la beauté, élitisme, impersonnalité, perfection formelle, retour à l’antiquité, règles, rigueur, travail, perfection formelle, poésie formelle, rejet de tout contenu politique ou idéolique.

Les grands thèmes du mouvement

On choisit des thèmes qui se prêtent facilement à un travail focalisé sur la langue, et non sur le fond, un quelconque message ou les sentiments :

• les légendes, les mythes
• les grandes épopées des héros antiques
• des évènements historiques
• des descriptions naturelles (paysages), archéologiques, d’objets d’art
• l’exotisme

Les grands auteurs

Théophile Gautier (également présent dans le romantisme, dont il finit par se détacher, et le fantastique), chef de fil du mouvement, + Leconte de Lisle, Heredia, Banville, François Coppée, Villiers de l’Isle-Adam

Conclusion

Loin de l’engagement social et de l’épanchement lyrique des Romantiques, les Parnassiens se prononcent pour une retraite tout entière vouée à la célébration d’une beauté divinisée. Leurs métaphores, constamment empruntées au domaine de la sculpture, valorisent le travail poétique et le culte de la forme parfaite. Ils fuient les facilités du lyrisme et y opposent un souci d’impersonnalité.

Quelques œuvres :

• Poèmes antiques, Leconte de Lisle
• Emaux et Camées, Théophile Gautier
• Odes funambulesques, Banville
• Les Trophées, Hérédia
• Les Cariatides, Banville

A très bientôt pour un zoom sur l’autre grand mouvement poétique de la fin du XIXe siècle… le Symbolisme !

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texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration : Le Parnasse, fresque réalisée par Raphaël de 1509 à 1511 (habitation du Dieu Apollon, des Muses, également « maison de la poésie » et « séjour des poètes »). Source: Wikipédia