Littérature, amour & érotisme

La romance : Histoire d’un genre

Aujourd’hui, j’aimerais retracer avec vous la naissance et l’évolution du genre de la romance, du XVIIIe s. à nos jours. Un genre éminemment… anglo-saxon.

On n’a bien sûr pas attendu le romantisme (XIXe s.) pour parler d’amour (et d’érotisme) en littérature. Mais c’est en 1740 seulement qu’apparaît une première œuvre présentant les principales caractéristiques de ce qui devait devenir le genre le plus populaire de la littérature moderne : la romance. Et c’est avec Jane Austen au siècle suivant qu’il obtiendra ses lettres de noblesse… Mais reprenons.

En 1740, l’Anglais Samuel Richardson publie Pamela ou la Vertu récompensée. Il s’agit d’un roman épistolaire présentant une quête amoureuse du point de vue de l’héroïne, et qui se finit bien (chose rare pour l’époque !). Une première romance moderne à l’anglo-saxonne : grâce à la forme des lettres, on se trouve parachuté au cœur de l’intimité des personnages et de leurs pensées les plus secrètes. A travers la chasteté de l’héroïne (roturière) qui résiste à la cour assidue de son prétendant (noble), une leçon de morale entendait être livrée.

Pour l’anecdote, Pamela a connu le plus gros succès de librairie de son temps… (intéressant!). On la recommande aux jeunes gens dans le cadre de l’apprentissage de la vertu, de la chasteté et de la religion, on la lit en groupe, on l’intègre à des sermons, elle connaît 5 éditions de suite en moins de 11 mois, on crée des tasses, des éventails et toutes sortes d’accessoires avec des thèmes de l’ouvrage… Et, comme tout best-seller qui se respecte, on commence vite à la plagier, à la parodier et à l’adapter (au théâtre par exemple).

Au début du XIXe s., Jane Austen (anglaise aussi !), avec Orgueil et Préjugés, Raison et Sentiments, Emma, Northanger Abbey, Persuasion et Mansfield Park, mêle romance et gothique, réalisme et moralisme, humour et ironie à l’anglaise pour devenir l’une des auteures britanniques les plus lues, appréciées et, encore aujourd’hui, étudiées.

Elle inspirera de très nombreux auteurs de romances après elle, et notamment la britannique (encore et toujours) Georgette Heyer qui, au début du XXe s., écrit la première romance historique. En effet, ses histoires se passent à l’époque de la Régence anglaise (l’époque de Jane Austen !) mais, étant écrites un siècle plus tard, elles sont historiques (et non contemporaines comme dans le cas de Jane Austen qui nous décrit la société de son propre temps). Comme les héroïnes de Jane Austen (et la plupart des futures héroïnes de romances historiques), les personnages féminins de G. Heyer sont dotées d’une personnalité plutôt moderne au regard de la condition féminine de l’époque.

 C’est à la même époque que Le Cheik de l’écrivain (britannique, faut-il le préciser ?) E.M. Hull introduit le fantasme du mâle alpha dominant, du « viol » (bon, bien sûr, un viol relatif, sans réelle terreur, par un beau mec, sans traumatisme, avec une héroïne pas complètement réticente…), du kidnapping de l’héroïne par le héros, du sauveur, du héros blessé…

Et puis, peu après, on a le phénomène Barbara Cartland (britannique…) : journaliste spécialisée dans les chroniques de potins (je laisse ce détail croustillant exprès pour les détracteurs de la romance), femme à l’accoutrement excentrique rose bonbon (idem), ce fut aussi – et surtout – une romancière compulsive : 724 romans en 76 ans de carrière… et environ 160 titres inédits découverts à sa mort… !

Le genre se popularise et prend de l’ampleur avec une maison d’édition (britannique…), Mills & Boon, qui publie de nombreuses romances en grand format en Grande-Bretagne à partir des années 1930. Et c’est en 1957 qu’entre en scène le mastodonte de la romance contemporaine, qui reprend les références de Mills & Boon… j’ai nommé Harlequin (90% du marché de la romance, tous niveaux et genres confondus, aujourd’hui), qui les diffuse en Amérique du Nord pendant des décennies. On rachète Mills & Boon, on démocratise le genre, on en fait un produit de masse distribué dans les supermarchés, on cible le public féminin, on commence à vendre par correspondance, on favorise la consommation de masse… et on atteint le même succès outre-Atlantique qu’en Grande-Bretagne. On comprend dès lors que la romance soit un genre si prisé dans le monde anglo-saxon !

Le genre se modernise peu à peu (par rapport à la condition des femmes, aux métiers qu’elles exercent, à l’aspect plus explicite et plus osé des scènes d’amour, aux personnalités plus affirmées des héroïnes, à la sensibilité plus marquée des héros). Et, d’accord, la qualité générale baisse au fur et à mesure que la demande, et donc l’offre, augmentent (arrivée en masse de primo-auteurs sur le marché, démultiplication des titres, durée de vie de chaque référence de plus en plus courte, turn-over important). Les sous-genres sortent de terre comme autant de champignons : romance policière, romance futuriste, romance paranormale, romantic fantasy (=romance merveilleuse…), romances contemporaines, chick-lit, young adult, dark romance etc.

C’est aujourd’hui, au XXIe s., le genre de fiction le plus populaire et qui génère le plus gros chiffre d’affaires aux Etats-Unis, bien avant les ouvrages de développement personnel & spiritualité (non-fiction), puis le roman policier, la SF/fantasy et la littérature générale, qui occupent les places suivantes sur le podium des ventes.

Et en France, alors ? En France, on a le buzz d’Angélique, marquise des anges, d’Anne et Serge Golon, qui cartonne tant par sa version livresque que télévisuelle dans les années 50 et 60. On a aussi l’auteur Juliette Benzoni, avec ses séries à succès Marianne, Catherine et Le Gerfaut des brumes. Mais le genre, s’il a trouvé ses lectrices (en cachette, parce que ça fait tache, en France, de lire des romances dans le métro) au cours de la 2e moitié du XXe s., reste plutôt méprisé par les critiques littéraires (officiels ou amateurs). Quelques maisons d’édition ont (tardivement) commencé à lancer des collections correspondant à ce goût prononcé du public, mais 95% des titres que l’on trouve dans les rayonnages des librairies restent des traductions d’auteurs anglais… et sont l’apanage des traducteurs d’Harlequin et de J’ai Lu…

Encore bien du chemin à parcourir pour que ce genre soit reconnu à sa juste valeur !

 Romantiquement vôtre,

Aurélie

Texte : © Aurélie Depraz
Source photo : Pixabay.

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