Faut-il qu’une histoire d’amour se finisse mal pour recevoir l’approbation des critiques ? Pour qu’on lui reconnaisse quelque noblesse, quelque beauté, quelque mérite ?
Car quand on y pense, n’est-ce pas une loi qui semble régner en matière de littérature (et de cinéma, d’ailleurs) ?
Caricature, préjugé, exagération, dites-vous ? Mais regardons-y de plus près…
La romance, genre de prédilection de l’amour en littérature depuis deux siècles, requiert, parmi ses rares codes, une fin heureuse. Et les commentaires désobligeants à son égard ne tarissent pas. On la raille, on la déprécie, on la méprise, c’est un genre « pour les bonnes femmes », de la paralittérature de ménagère, du cucul la praline à l’eau de rose (cf. mon article sur le procès de la romance).
Les fins dramatiques et les amours tragiques, en revanche, semblent de tout temps avoir davantage inspiré le respect : il ne viendrait à l’idée de personne de contester, aujourd’hui encore, la noblesse et la grandeur d’histoires comme celles de Roméo et Juliette, de Tristan et Iseult, d’Abélard et Héloïse, de Lancelot et Guenièvre, d’Autant en emporte le vent, de Notre-Dame de Paris et autres Oiseaux se cachent pour mourir. Au cinéma, des films cultes comme Moulin Rouge, Love Story, Titanic, Ghost ou encore Sur la route de Madison, semblent confirmer cette tendance, quand les comédies romantiques attirent autant les femmes que le mépris.
Héritage du classicisme du XVIIe s. ? De ce mouvement exigeant, codifié, réglementé, qui classe les genres, les définit, les normalise et sépare officiellement tragédie et comédie pour mieux louer la première et déprécier la seconde ? Qui refuse de mélanger les torchons et les serviettes ? Qui nous laisse Bérénice, Andromaque et Phèdre en guise de glorieux héritage, de modèles et de noble inspiration, et traite la comédie – qui se finit toujours bien et gravite souvent autour du mariage imminent de deux jeunes gens qui s’aiment gentiment – de genre mineur ?
Héritage plus ancien, des auteurs antiques, des tragédies des Grecs, de leur mythologie, de leurs dieux aux amours si souvent funestes ? Daphné et Apollon, Pâris et Hélène, Orphée et Eurydice… Autant de mythes célèbres et d’amoureux éplorés aux destinées funestes, aussi exemplaires que régulièrement revisités. Qu’il ne viendrait à l’idée de personne de railler.
Autre raison ? Autre origine ? Autre héritage ? Je n’ai malheureusement pas la culture nécessaire pour répondre à cette question, mais j’adorerais lire l’éventuelle thèse d’un docteur ès-lettres sur ce sujet… 🙂
Force est de constater que les amours contrariées, fatales, impossibles et malheureuses auraient souvent droit aux oscars, et les happy ends (tout juste bons à clore les contes pour enfants et les Disney…) à l’opprobre générale. Quelle tristesse ! Oh, bien sûr, il y a toujours des exceptions, mais il faut avouer que la tendance semble tout de même être de rendre tous les honneurs aux relations malheureuses… Intéressant, non ? Point de rébellion de ma part, juste une petite réflexion que je me faisais…
Smileys de l’illustration ci-dessus : issus du site d’images libres de droit Pixabay.
Texte : © Aurélie Depraz
Si j’osais une suggestion, je dirais que les histoires considérées comme « nobles » sont celles qui content la recherche de la « liberté » (autonomie). Qu’il s’agisse d’amour ou non. Mais, cette recherche est transgressive, elle défie les règles sociales et/ou religieuses. Et bien sûr, la transgression doit être sanctionnée. La fin doit être tragique. Et si les personnages les plus puissants (héros) y sont soumis, alors, à fortiori le lecteur lambda… Et c’est pour ça que le monde peut continuer d’aller son train.
Amicalement.
Les Rita Mitsouko clamaient haut et fort en 1986 que les histoires d’amour finissent mal … en général !
En m’éloignant un peu du contexte littéraire que je ne maîtrise pas (#picsouforever), si on cherche à impressionner quelqu’un (les critiques dans le cas présenté) alors il faut valoriser l’histoire d’amour. Les diamants sont éternels certes, mais quoi de mieux que la haine ou une fin douloureuse pour mettre en relief tout çà ! Le blanc parait toujours bien plus blanc quand on colle du noir à côté. C’est optique et logique.
Donc, pour laver plus blanc que blanc, y’a Omo et les fins tragiques. Qu’on soit critique, vendeur de lessive ou simple observateur d’histoire d’amours …
Littérairement moins, analytiquement plus,
Peio
Il est évident qu’il faut du contraste, des péripéties, de quoi donner du relief à toute histoire d’amour. Mais on peut donner de la profondeur à l’histoire en question avec des difficultés, de la haine, des obstacles, des malheurs, tout ce qu’on veut et tout ce que tu cites… sans nécessairement que cette noirceur ne doive toucher le dénouement !:) Toute histoire, même dotée d’un happy end, est en générale corsée par de multiples sortes de souffrances et de rebondissements par définition pénibles (sauf dans le cadre de certaines rares comédies, et encore !). Mais, à mon sens, encore une fois, pourquoi ce besoin que la FIN soit douloureuse ? On peut injecter de la douleur et de l’ombre tout au long du récit… pourquoi la fin devrait-elle y passer nécessairement ?