Romans

Michel et Etienne, une amitié restée célèbre

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Moraliste, philosophe, érudit, homme de lettres et maire de Bordeaux de 1581 à 1585 (mais aussi soldat, magistrat, conseiller du roi, diplomate, voyageur, seigneur de Montaigne et chrétien sincère…), Michel de Montaigne est demeuré célèbre pour ses Essais (où il pose comme ambition d’explorer le psychisme et la condition humaine par l’étude de son propre cas – sa pensée influencera tous les penseurs de l’époque moderne puis contemporaine après lui, à commencer par Shakespeare, La Mothe Le Vayer, Pascal, Descartes, Voltaire, Schopenhauer, Nietzsche, Heidegger, Flaubert, Proust, Merleau-Ponty, Lévi-Strauss, Virginia Wolf, R.W. Emerson, Cioran et Conche…), mais également pour sa lettre au père d’Étienne de La Boétie (autre humaniste de Gironde auquel un lien d’amitié extraordinaire le lia) et pour son Journal d’un voyage en Italie.

Toutefois, il ne sera pas le seul humaniste à faire honneur à la ville de Bordeaux : prélats, parlementaires et jurats de tout poil pétris de culture italienne renaissante encouragent en effet l’effervescence intellectuelle de la ville. Sensible aux idées d’Érasme, mais aussi de Luther et de Calvin, le Collège de Guyenne, fondé en 1533 dans le quartier Saint-Éloi, attire une foule d’humanistes européens ouverts aux idées nouvelles (Jean de Tartas, André de Gouveia, Jean Gelida, Georges Buchanan et, bien sûr, Élie Vinet, le premier historien de Bordeaux) et forme les meilleurs élèves (dont Michel de Montaigne et Étienne de La Boétie, mais aussi Pierre de Brach). La ville se dote bientôt d’une imprimerie royale à la mesure de son dynamisme intellectuel, celle de Simon Millanges, qui publiera la toute première édition des Essais, en 1580.

Quant à Étienne de la Boétie, écrivain, juriste, philologue, diplomate, traducteur et poète né à Sarlat, en Périgord, et mort au Taillan-Médoc, au nord de Bordeaux, il est demeuré bien évidemment célèbre pour son Discours de la servitude volontaire, l’un des ouvrages de référence en matière de philosophie politique qui, presque cinq siècles après sa publication, frappe toujours autant par sa puissance et par la lucidité de son analyse, au point qu’on ne manque pas de s’en réclamer abondamment. « Soyez résolus à ne plus servir et vous voilà libres » est sans doute l’une des phrases les plus atemporelles qui puissent être en matière de politique…

Issu d’une famille de magistrats, il grandit parmi les bourgeois cultivés de sa région et reçoit une éducation humaniste avant de suivre des études de droit à l’université d’Orléans. Il composera quelque vingt-neuf sonnets amoureux, des vers français, latins et grecs, traduira Plutarque, Virgile, L’Arioste. C’est à dix-sept ou dix-huit ans seulement qu’il écrit son Discours, publié en latin puis en français, un formidable réquisitoire (sous couvert d’érudition) contre la tyrannie et une analyse du rapport domination/servitude d’une profondeur extraordinaire ; l’ouvrage même qui lui vaudra sa rencontre avec Montaigne ainsi qu’une réputation fameuse le conduisant bientôt à devenir conseiller en la Cour par lettre patente du roi Henri II dès sa licence de droit en poche… et, dans la foulée, conseiller au parlement de Bordeaux, deux ans avant l’âge légal.

Un esprit d’un génie politique et d’une érudition sans pareils, qui nous eût laissé sans nul doute de nombreux autres chefs-d’œuvre, n’eût été sa mort tragique, peut-être de la tuberculose ou de la dysenterie, à l’âge de seulement trente-deux ans…

C’est en pensant à lui que Montaigne écrira le fameux chapitre sur l’amitié dans ses Essais, celui qui contient sans doute la phrase la plus célèbre de Montaigne, l’une, en tout cas, de celles qui viennent le plus spontanément à l’esprit lorsqu’on évoque l’amitié, la vraie.

« Si on me presse de dire pour quoi je l’aimais, je sens que cela ne se peut exprimer qu’en répondant : parce que c’était lui, parce que c’était moi. »

Ainsi l’auteur des Essais résuma-t-il la très passionnelle amitié qui le lia, de 1558 à 1563, à Étienne de La Boétie, avant que celui-ci ne meure prématurément de maladie. Aujourd’hui encore, leur amitié passe pour l’une des plus profondes et des plus solides de l’histoire de la littérature, bien qu’elle n’eût duré que quelques années.

La Boétie avait d’ailleurs eu lui-même une vision prémonitoire du devenir de cette amitié fulgurante, lorsqu’il écrivit :

« Si le destin le veut, la postérité, sois-en sûr
Portera nos deux noms sur la liste des amis célèbres. »

Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration article : image libre de droit Pixabay


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