👉🖋️ NB : Cette anecdote est issue de mon ouvrage Bordeaux et le vin, 2000 ans d’Odyssée. 📚
Lafite et Haut-Brion, au cœur du banquet le plus prestigieux de l’histoire contemporaine
En octobre 1971, Ă PersĂ©polis, le Shah d’Iran cĂ©lèbre le 2500e anniversaire de l’Empire de Perse. Du 12 au 14 octobre, rois, reines, sultans, cheikhs, Ă©mirs, princes, grands-ducs, Premiers ministres, gouverneurs et prĂ©sidents du monde entier se pressent aux festivitĂ©s dignes des Mille et une Nuits qui, en plein dĂ©sert, vont durer trois jours… et coĂ»ter, selon certaines estimations, entre 200 et 300 millions de dollars (mais 16,8 « seulement » selon les sources iraniennes officielles).
C’est que, par ce « plus grand show du monde » (selon les termes du Shah lui-mĂŞme) rĂ©parti entre PersĂ©polis, Shiraz et Pasargades, Mohammad Reza Pahlavi et son Ă©pouse comptent bien prĂ©senter Ă la terre entière la face brillante et moderne d’un empire plurimillĂ©naire : Ă la fois hommage Ă Cyrus le Grand (fondateur de l’Empire perse de la dynastie des AchĂ©mĂ©nides, au VIe siècle avant J.-C.), au Shah lui-mĂŞme et Ă son père, Reza Chah, les festivitĂ©s doivent ainsi incarner la renaissance de la gloire perse et reflĂ©ter avec panache le dĂ©veloppement socio-Ă©conomique du pays sous le règne du Shah. Et, pour atteindre cette fin (plutĂ´t ambitieuse), le couple impĂ©rial ne recule devant rien.
L’érection d’un campement titanesque, une vĂ©ritable ville de tentes drapĂ©e de 37 km de soie, en plein milieu du dĂ©sert (« Un camping qui vaut des milliards », titrera le Schweizer Illustrierte). La construction expresse d’un aĂ©rodrome pour desservir le camp, et de 1 000 km de route entre TĂ©hĂ©ran et PersĂ©polis. La plantation d’un bois entier autour de ruines, moyennant l’import de 75 000 arbres de France par avion. 50 000 oiseaux importĂ©s d’Europe pour l’ambiance. Un bunker pour les bijoux des dames. Une immense cuisine Ă©quipĂ©e de 150 tonnes du meilleur matĂ©riel acheminĂ© depuis Paris (soit sur 5 000 km) par des avions militaires iraniens. Des prĂ©paratifs culinaires commencĂ©s plus d’un an Ă l’avance. La livraison de 18 tonnes de nourriture trois jours avant les festivitĂ©s (2 700 kg de bĹ“uf, de porc et d’agneau, 1 280 kg de volaille et de gibier, 30 kg de caviar – 150 selon certains)… et un camion rempli de glace.
Et, au cĹ“ur de la cĂ©lĂ©bration, un dĂ®ner de gala fĂ©erique… et non moins marquĂ© par la dĂ©mesure : 600 invitĂ©s et cinq heures et demie de festin, ce qui fait de ce banquet pantagruĂ©lique la rĂ©ception la plus longue et la plus somptueuse de l’histoire moderne (enregistrĂ©e en ces termes dans le Guinness !).
Avec, pour personnel en chef (chef cuisinier, sommelier, maĂ®tre d’hĂ´tel et styliste… sans compter les architectes, les dĂ©corateurs intĂ©rieurs et les couturiers…) des Français, bien sĂ»r. Et, Ă la table d’honneur (une table serpentine de 70 m de long, Ă la nappe duquel 125 brodeuses ont travaillĂ© pendant six mois, d’après le magazine Paris Match), des dizaines de sommitĂ©s venues du monde entier : l’empereur d’Éthiopie, Juan Carlos d’Espagne, l’Ă©mir du BahreĂŻn, le prĂ©sident roumain Ceausescu, le prince Rainier de Monaco et la princesse Grace, le prince Philip, duc d’Édimbourg (Ă©poux de la reine d’Angleterre), les rois de Belgique, du Danemark, de Norvège et de Grèce, un envoyĂ© spĂ©cial du Pape, le cardinal Maximilien de Furstenberg, le prince Takahito du Japon, une vingtaine de prĂ©sidents…
Au menu ?
- Œufs de Cailles farcis au caviar doré impérial de la Caspienne
- Mousse de Queues d’Écrevisses sauce Nantua
- Selle d’agneau des grands plateaux aux truffes, farcie et rĂ´tie dans son jus
- Sorbet au vieux champagne
- Cinquante Paons Ă l’ImpĂ©riale, farcis au foie gras et accompagnĂ©s de cailles rĂ´ties et d’une salade de truffes et de noix
- Turban de Figues fraîches givrées au porto à la crème, framboises au champagne
- Café Moka
Et… cĂ´tĂ© boissons ?
Du Lafite, bien sûr ! Du Lafite rouge 1945 (année fortement symbolique et millésime excellent, on l’a vu !) pour l’agneau (mets d’honneur !), et du Haut-Brion blanc 1964 pour la mousse de queues d’Écrevisses !
Mais aussi du champagne, cela va sans dire (champagne et Château Saran pour les Ĺ“ufs de caille, sorbet au champagne MoĂ«t & Chandon 1911 en entremets entre l’agneau et le paon, Dom PĂ©rignon rosĂ© rĂ©serve vintage 1959 pour le dessert et le toast), du bourgogne pour le paon (musigny du Comte de VogĂĽĂ© 1945) et du cognac (Prince Eugène) après le cafĂ©…
Au total, ce sont pas moins de 2 500 bouteilles de champagne, 1 000 bouteilles de bordeaux et 1 000 bouteilles de bourgogne (parmi les 25 000 bouteilles de vin et les milliers de bouteilles de whisky et de vodka – principalement destinées aux tentes russes et américaines) qui sont livrées à Persépolis quatre semaines avant le début des festivités et entreposées dans une cave bâtie à leur intention.
Une vĂ©ritable folie qui, pour beaucoup, prendra des airs de chant du cygne du Shah qui, devenu richissime grâce au pĂ©trole, entourĂ© de courtisans, coupĂ© de la rĂ©alitĂ© de son peuple, sera bientĂ´t rattrapĂ© par la triste rĂ©alitĂ© : en 1979, un soulèvement populaire mène Ă la rĂ©volution islamique que l’on connaĂ®t. Le Shah mourra en exil l’annĂ©e suivante. Mais les grands vins de Bordeaux, eux, continuent de trĂ´ner sur les plus grandes tables du monde…
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Texte : (c) Aurélie Depraz
Illustration article : image libre de droit Pixabay


