L'Histoire (la grande !)

Petite histoire de l’Irlande 2/3

Hop ! Suite de ma petite histoire de l’Irlande en 3 parties, commencée ici.

Bonne lecture !

PARTIE II – La lutte pour l’indépendance

Les conflits religieux ; un grand thème de l’Histoire de l’Irlande

Une des grandes dissensions qui ne cessera jamais d’opposer l’Angleterre aux Irlandais sera la question religieuse, qui prend forme au XVIe siècle avec la Réforme protestante en Europe.

De fait, en conflit religieux et politique ouvert avec la Papauté (on s’en souvient, il rompra finalement avec elle et fondera l’Eglise anglicane, de type protestant), Henri VIII souhaite également réformer l’Église irlandaise (véritable menace intérieure susceptible de servir de tête de pont à ses ennemies et rivales traditionnelles, la France et à l’Espagne, fortement catholiques…) ; mais la population locale reste fort attachée au catholicisme, associant mentalement à l’anglicanisme et au protestantisme l’impopulaire administration anglaise et ses mesures répressives.

C’est de cette résistance que naîtront des velléités plus dures de la part de l’Angleterre, qui décide dès lors d’obtenir le contrôle complet de l’île. Une série de campagnes militaires jalonnent ainsi le XVIe puis le XVIIe siècle, sous les Tudors puis les Stuarts ; d’ailleurs, dès 1595 et la défaite irlandaise face à Elisabeth Iere d’Angleterre à l’issue de la guerre de Neuf Ans, les principaux comtes gaéliques décident de quitter le pays : c’est la « fuite des comtes ».

En parallèle à ces interventions militaires, l’Angleterre pratique une politique de confiscation des terres, de colonisation et d’installation de plantations en Ulster (nord-est de l’Irlande) conduisant à l’arrivée de milliers d’Anglais et d’Écossais protestants (colonie de peuplement à grande échelle via le système des Plantations en Irlande, de 1550 à 1620). Les Irlandais (catholiques) sont expropriés, leur bétail confisqué et leurs récoltes détruites.

Une partie de la population locale doit se replier dans le Connaught, la région la plus pauvre du pays, tandis que de nombreux paysans irlandais, privés de leurs représentants traditionnels (les comtes, qui ont fui) et de terres, sont obligés de devenir des engagés (indentured servants) qui fuient vers l’Amérique, ou plutôt vers la seule colonie américaine alors accessible pour un Irlandais, la petite île de la Barbade, à l’extrémité orientale des Antilles, où l’on cultive le tabac. Plusieurs milliers d’entre eux fuiront ensuite l’île pour devenir des boucaniers (pirates des Caraïbes), appelés aussi Irois.

En Irlande, alors que la défaite militaire et politique de l’Irlande gaélique est consommée à l’ouverture du XVIIe siècle (la moitié de la population irlandaise a péri au cours du règne d’Elizabeth Iere, dont les guerres de répression des révoltes irlandaises se seront traduites en véritables guerres d’extermination, avec tueries, pendaisons et provocations de famines à l’appui…), c’est le sujet de l’appartenance religieuse qui devient progressivement un facteur identitaire et qui divise la population, tandis que le facteur linguistique s’estompe à mesure que l’anglais se met à remplacer le gaélique. À partir de cette période, les conflits liés à la religion ne cesseront de constituer un thème majeur de l’histoire de l’Irlande.

De fait, dès 1613, la création de nombreuses nouvelles municipalités, toutes dominées par des protestants ,conduit à un renversement de la majorité catholique au sein du Parlement d’Irlande. Quelques décennies plus tard, les catholiques (qui représentent 85 % de la population tout de même…) sont purement et simplement bannis du Parlement. Les protestants monopolisent le pouvoir politique tandis que la population catholique souffre de privations économiques et politiques (lois pénales anticatholiques : discrimination, répression, interdiction de pratiquer la religion catholique…).

Entre-temps, profitant de la Première Révolution anglaise, les Irlandais (notamment tous les paysans expropriés) ont bien tenté de se révolter, notamment avec :

  • la Rébellion irlandaise de 1641 provoquant de nombreux et cruels massacres de milliers de colons protestants – environ 12 000… –
  • et la Guerre de Onze ans, 1641-1653, le volet irlandais des guerres (civiles) des Trois Royaumes (Angleterre, Ecosse et Irlande), la guerre civile en Irlande opposant essentiellement les Irlandais de confession catholique aux colons britanniques protestants et à leurs partisans d’Angleterre et d’Écosse (une opposition qui durera jusqu’à nos jours)…

Mais ils se heurtent dès 1649 à Olivier Cromwell, qui, à la faveur de plusieurs véritables bains de sang, parvient à mater les rébellions et velléités d’indépendance irlandais (Conquête cromwellienne de l’Irlande) ; selon les sources, entre un tiers et la moitié de la population irlandaise aurait péri suite aux massacres et exécutions perpétrés par les « Côtes de Fer » de Cromwell (massacres de Drogheda et de Wexford, entre autres). La sauvagerie de l’armée de Cromwell, très anticatholique, contribuera à créer de profonds clivages entre catholiques et protestants en Irlande, clivages qui n’auront de cesse de s’aggraver au cours des siècles suivants. Grand massacreur de catholiques, Cromwell sera surnommé par eux « le Boucher », paiera ses soldats avec des possessions de terres irlandaises (expulsion des propriétaires irlandais) et fera de l’Irlande la première colonie de l’empire britannique via une colonisation sauvage et systématique.

Après sa défaite, l’Irlande est durement soumise à l’autorité et aux lois de l’Angleterre et les terres du Nord du pays sont confisquées et attribuées à de nouveaux colons venus d’Ecosse et d’Angleterre (suite des Plantations). En 1652,la signature de l’ Act of Settlement of Ireland impose des expropriations et diverses restrictions (et jusqu’à la peine de mort) aux catholiques ayant participé à la rébellion de 1641 en Ulster.

Quant au roi catholique Jacques II, de la dynastie Stuart, qui a lui-même été chassé du trône d’Angleterre (voir ma petite Histoire de l’Angleterre et cette première révolte jacobite, 1689-1691), il tente (en toute logique) de reprendre pied en Irlande pour reprendre le trône d’Angleterre (et du reste…) à Guillaume III d’Orange mais y est défait, en 1690, lors de la bataille de la Boyne, suite à laquelle le sort de l’Irlande (et surtout des catholiques) s’aggrave encore.

XVIIIe siècle : les prémisses de la révolte

La situation s’aggrave :

  • En 1695, le roi Guillaume III d’Orange promulgue de nouvelles « lois pénales » anticatholiques. Celles-ci interdisent notamment l’enseignement en langue irlandaise, excluent les catholiques de l’administration, de l’armée, de l’enseignement dans les écoles, les empêchent d’être propriétaires terriens et leur interdisent d’exercer des professions libérales. Les catholiques deviennent véritablement des citoyens (ou sujets) de seconde zone.
  • En 1720, le Parlement de Grande-Bretagne vote une loi proclamant le droit du Parlement de Grande-Bretagne de légiférer pour l’Irlande et de nier la juridiction d’appel de la Chambre des lords irlandaise. Cette loi est connue sous le nom de Dépendance de l’Irlande sur la Loi de la Grande-Bretagne de 1719.
  • L’hiver 1739-1740 est particulièrement froid et long. Consécutivement, l’Irlande connaît sa première grand famine, de 1740 à 1741.

Mécontents, brimés, révoltés, les Irlandais répondent à leur manière, tandis que la période géorgienne s’ouvre : soulèvements jacobites (voir ma petite Histoire de l’Ecosse et ma petite Histoire de l’Angleterre), exode presbytérien d’Ulster vers les colonies américaines, radicalisation de la société des patriotes irlandais, qui devient une société secrète à la suite de son interdiction. Son projet ? abolir la tyrannie gouvernementale, briser les liens qui attachent l’Irlande à l’Angleterre, conquérir une réelle indépendance, oublier les particularismes religieux.

Les patriotes irlandais parviennent à obtenir une plus grande indépendance du parlement irlandais et le droit au commerce autonome mais, peu à peu, les demandes se radicalisent et visent désormais l’abolition de la loi pénale, la fin de la domination britannique et l’indépendance de l’Irlande.

A la toute fin du siècle, n’obtenant pas une écoute suffisante de la part du gouvernement britannique, les patriotes irlandais cherchent l’alliance de la France, traditionnelle ennemie de l’Angleterre, qu’ils obtiennent. Provocations, créations de milices… En représailles, l’Angleterre place l’Irlande sous loi martiale, interdit la presse contestataire, arrête les principaux dirigeants, interdit le port d’armes ainsi que l’association des Irlandais unis…

Exactions, arrestations, désarmements, meurtres, tortures, incendies, massacres, expéditions… ponctuent cette époque sanglante. Contrainte à la clandestinité, la rébellion irlandaise devient de plus en plus révolutionnaire. De l’autre côté, dès 1795, les autorités encouragent des groupes de protestants à organiser des campagnes contre les catholiques, ce qui conduit à la création de l’Ordre d’Orange.

 En 1798, inspirée par les révolutions américaine et française, une insurrection générale a lieu. Des Français (15 000 hommes, tout de même !!) débarquent même en Irlande pour aider la rébellion irlandaise menée par la Société des Irlandais Unis, une organisation révolutionnaire inspirée du modèle français.

En effet, en 1796, puis 1798, les Français débarquent en Irlande afin d’aider les insurgés et tenter de libérer le pays de l’occupation anglaise. Si la première tentative est un désastre, la seconde, bien qu’insuffisante, infligera quelques sueurs froides aux Britanniques et reste, aujourd’hui encore, très présente dans le souvenir des Irlandais. Un épisode ô combien symbolique de l’amitié entre les deux nations (comme la France et l’Ecosse). Comme le dit le narrateur de cette vidéo, dès qu’il s’agit d’emm*** les « buveurs de thé » (que ce soit en aidant les Américains, les Ecossais ou les Irlandais à se rebeller contre l’autorité anglaise/britannique), les Froggies sont là !^^

Une éphémère République de Connaught est proclamée le 31 aout 1798. Mais malgré le soutien de la France, la révolte est réprimée dans le sang : la répression qui suivra l’échec de cette rébellion fera 30 000 morts parmi ceux soupçonnés d’avoir soutenu la révolte et, pour couronner le tout, le 1er août 1800, la Grande-Bretagne proclame un « acte d’union » unissant totalement l’Irlande au nouveau Royaume-Uni, qui devient le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande.

En 1801, le Parlement irlandais est donc tout bonnement supprimé, l’Irlande étant intégrée dans le Royaume-Uni de Grande-Bretagne par l’« Acte d’Union » (qui concerne aussi l’Ecosse) : elle fait donc officiellement partie intégrante du Royaume-Uni, au même titre que l’Ecosse et que le pays de Galles.

Au lieu de gagner davantage d’égalité vis-à-vis de l’Angleterre, l’île est donc annexée et soumise à la couronne britannique. Les catholiques sont encore interdits de siéger au nouveau Parlement. Ils le seront jusqu’à l’émancipation atteinte en 1829, à laquelle ils sont de nouveau admis, sous condition que les plus pauvres, les plus radicaux et les indépendantistes soient interdits de vote.

Pauvre, l’Irlande est peu à peu anglicanisée : les catholiques sont persécutés et privés de nombreuses libertés (depuis le XIVe siècle d’ailleurs). L’île est également dominée du point de vue économique : la majorité des exploitations agricoles, mais aussi les premières industries, sont aux mains de propriétaires d’origine anglaise. Face à tant d’oppression, l’émigration irlandaise (principalement vers l’Australie et l’Inde, au début : de grandes colonies de l’empire, mais aussi et surtout vers les Etats-Unis) commence, dès 1820 et la crise économique qui suit la chute du blocus napoléonien de 1815 (souvent une migration professionnelle, autofinancée, des hommes jeunes, une migration déjà solide, bien installée, avec des réseaux familiaux et professionnels en place à l’arrivée…). D’ailleurs, la mafia irlandaise, la plus ancienne pègre aux États-Unis, naît au début du XIXe siècle…

Le XIXe siècle : famine, émigration, révolte et velléités indépendantistes

Emblématiques de la profonde haine qui oppose Irlandais et Anglais, de nombreux patriotes irlandais participent aux guerres napoléoniennes aux côtés de la Grand Armée de Napoléon, au sein de la Légion irlandaise.

Car si, sur le papier, l’intégration de l’Irlande au Royaume-Uni devait se présenter comme une chance, notamment économique, pour l’Irlande (qui se retrouvait brusquement au cœur du déjà puissant Empire britannique), dans les faits, il n’en est rien :

  • Le parlement irlandais est supprimé et les députés irlandais doivent venir siéger à Westminster (où ils sont limités à 100 sièges sur 658).
  • L’union anéantit l’industrie irlandaise naissante en inondant le marché des produits industriels anglais (dans une économie déjà mise à mal par la chute du blocus commercial napoléonien et la réouverture de la Grande-Bretagne aux marchés européens, et non plus seulement irlandais ou américains) ; l’île est cantonnée à un rôle de fournisseur de denrées agricoles.
  • L’oppression religieuse se renforce.

Aussi, au pays, le mouvement réactionnaire irlandais ne faiblit pas, au contraire : des sociétés secrètes se constituent et s’en prennent aux fermes et aux récoltes des propriétaires protestants, l’agitation agraire est permanente, les mouvements oscillent entre nationalisme non-violent, combats linguistiques et culturels, soulèvements et coups d’éclat plus belliqueux.

  • En 1822-23, Daniel O’Connell (un grand patriote écossais, avocat de formation) crée l’Association Catholique : dès le début, le nationalisme irlandais a une coloration religieuse. O’Connell sera longtemps le promoteur d’un nationalisme non-violent.
  • En 1828, il est élu au Parlement pour le Clare mais refuse de prêter serment au roi.
  • En 1829, comme mentionné ci-dessus, il obtient l’émancipation des catholiques qui met fin à leur discrimination et fait reconnaître leur droit à la citoyenneté. Les catholiques peuvent de nouveau siéger au Parlement.
  • Puis l’Association catholique est dissoute et O’Connell fonde à la place l’Association pour l’abrogation qui souhaite tout bonnement en finir avec l’Union : l’objectif devient tout bonnement politique, et non plus seulement religieux. Une campagne (pour abolir l’Acte d’Union) sans succès.
  • En 1841, O’Connell est élu maire de Dublin.
  • En 1842, le mouvement Jeune Irlande est créé avec pour objectif de promouvoir la culture gaélique à travers la langue, le sport, la littérature… en dépassant, dans la mesure du possible, les clivages confessionnels.
  • En 1848, le mouvement républicain gagne son symbole, le drapeau tricolore irlandais : Meagher et O’Brien, les leaders du mouvement Jeune Irlande, s’inspirent du drapeau français (et de sa Révolution) pour mettre au point le drapeau tricolore irlandais, avec le vert, couleur du nationalisme catholique, le orange, en référence à Guillaume III d’Angleterre, chef emblématique des protestants, et le blanc de la paix du milieu, porteur de l’espoir d’une harmonie entre les deux communautés. Considéré comme drapeau national dès 1919, il ne sera reconnu qu’en 1937 par la constitution.
  • En 1848 toujours, est créée dans la communauté irlandaise de NY la Fenian Brotherhood, organisation militaire qui veut mettre en place la lutte pour l’indépendance par la force, par la lutte armée : nous sommes en 1848 et cette radicalisation est une conséquence de la Grande Famine qui est en train de ravager le pays (voir mon article sur le sujet).
  • En 1858 est créé l’Irish Republican Brotherhood (IRB – Fraternité Républicaine Irlandaise), organisation révolutionnaire républicaine irlandaise fondée simultanément à Dublin par James Stephens et à New York par John O’Mahony ; elle sera intégrée à l’IRA (Irish Republican Army) en 1924.
  • Les partisans de la Fenian Brotherhood prennent de l’ampleur et occupent le devant de la scène avec l’affaire des martyrs de Manchester : en 1867, 3 hommes liés à la Fenian tentent de faire évader deux chefs de l’organisation dans un fourgon de la police : mais dans l’attaque, un policier est tué et les 3 hommes sont condamnés à mort et exécutés, ce qui secoue l’opinion politique irlandaise qui y voit une volonté d’écraser leur mouvement. On présente les 3 hommes comme des idéalistes sacrifiés, d’où leur surnom de martyrs, morts pour leur patrie.
  • En 1870, Isaac Butt crée la Home Government Association pour la promotion de l’autonomie de l’île.
  • En 1873, il crée la Home Rule League (voulant obtenir pour l’Irlande une certaine autonomie au sein du Royaume-Uni) ; cette question de la « Home Rule » visant à rendre sa souveraineté à l’Irlande devient centrale dans les revendications irlandaises.
  • A la fin des années 70, l’Irish national Land League fait de l’enjeu agraire un tremplin vers la question nationale ; les paysans irlandais boycottent les propriétaires anglais malveillants et maltraitants (qui, à l’instar de Charles Cunningham Boycott, ne trouvent plus un seul paysan pour travailler pour eux – oui, oui, c’est de là que vient le terme !^^) : mode d’action nouveau : représailles non violentes très efficaces.
  • En 1882, Charles Parnell fonde le Irish Parliamentary Party sur la base du Home Rule League.

Mais le siècle est marqué par plusieurs famines particulièrement dévastatrices, dont celle dite des « Pommes de Terre » (1846-1851) et celle de 1879. Entre les famines en elles-mêmes et les migrations massives qui s’ensuivent vers les Amériques (plusieurs millions d’Irlandais !), la population de l’Irlande se retrouve divisée par deux entre 1840 et 1900 !

Ce qui n’empêche pas le mouvement pour l’indépendance de reprendre ses forces à la fin du siècle, on l’a vu.

Le gouvernement britannique a bien essayé d’apaiser les esprits par quelques concessions, mais cela ne suffit pas. En 1870, il a promulgué plusieurs lois sociales pour rendre les terres des propriétaires anglais à des paysans irlandais, qui obtiennent des facilités pour obtenir des prêts et donc racheter la terre qu’ils louent et travaillent. Ils reçoivent même une compensation financière en cas d’expulsion pour impayé. Ainsi, si 3% des paysans seulement sont propriétaires de leur terre en 1870, ils sont 64% en 1916, grâce aux lois agraires successives. L’idée : transformer les prolétaires réactionnaires révolutionnaires et rebelles en petits bourgeois conservateurs… Londres abolit aussi l’impôt religieux en faveur de l’Eglise anglicane en 1869 et tente de mettre en valeur les régions pauvres ; une générosité qui veut reconquérir les cœurs, mais se retrouve contrebalancée par les répressions violentes des nombreuses révoltes paysannes par ailleurs.

Ainsi, non seulement Londres ne parvient pas à calmer les ardeurs indépendantistes, mais ses concessions lui mettent également à dos les Unionistes (partisans de l’Union attachés à la domination britannique) !

En outre, en 1886, les Irlandais ont aussi trouvé un relais inattendu en la personne du nouveau Premier Ministre, le libéral William Gladstone, qui, ayant eu besoin de l’appui des députés irlandais au parlement, envisage de lâcher du lest sur la question irlandaise en s’inspirant de ce qui s’est fait au Canada vingt ans plus tôt ; en effet, le Canada est devenu un dominion, c’est-à-dire un état indépendant mais toujours membre de l’empire britannique, qui continue de gérer pour lui sa politique étrangère et ses alliances militaires. Gladstone fait finalement le calcul que rétablir une assemblée législative (et la fameuse « Home Rule ») en Irlande permettrait de pacifier les irlandais tout en les gardant au sein du giron britannique.

Mais le « Home Rule » des nationalistes est mal vu par les Irlandais du nord loyalistes et par les Anglais qui ont peur que cela donne un mauvais exemple aux Ecossais et aux Gallois ; crise au parlement. Les conservateurs ressortent vainqueurs de cette crise et s’allient aux unionistes du nord de l’Irlande. La situation piétine.

Puis, au tournant du XXe siècle, le mouvement nationaliste reprend de l’ampleur : vastes mouvements de résistance civile, réformes agraires (restituant des terres aux Irlandais…), création du Sinn Féin (parti politique nationaliste puis républicain irlandais visant l’autonomie) en 1905, de l’Irish Citizen Army et des Volontaires Irlandais (Irish Volunteers force) en 1913 (deux milices concurrentes, en faveur de la lutte armée), fondation du premier journal socialiste irlandais, développement des syndicats irlandais, grèves, interventions armées britanniques…

Si bien qu’à la veille de la Première Guerre Mondiale (1911-1914), le Home Rule Act est voté (après avoir déjà été présenté et rejeté deux fois à la fin du XIXe siècle et alors que toutes les tentatives de soulèvement et toutes les conspirations ont été brisées les unes après les autres par les autorités britanniques) par le Parlement de Londres (enfin, par la Chambre des Communes) puis ratifié par le roi George V, donnant une autonomie relative à l’île.

Néanmoins le pouvoir suspensif de la Chambre des Lords puis le déclenchement de la Première Guerre Mondiale mettront un brusque coup d’arrêt à ces premières promesses de progrès. Et, de leur côté, les Unionistes du Nord (protestants et pro-britanniques), qui s’opposent déjà farouchement à l’indépendance irlandaise, se dotent également d’une milice : l’UVF (Ulster Volunteer Force, groupe paramilitaire unioniste) est créé dès 1913…

La tension monte.

La Première Guerre Mondiale, la Guerre d’indépendance et la Guerre civile d’Irlande

Mais l’Irlande ne compte pas laisser l’Angleterre s’en tirer en si bon compte, sous prétexte que la situation politique et militaire en Europe l’accapare tout entière. « England’s difficulty is Ireland’s opportunity ». Dès 1916, sous la direction de l’Irish Republican Brotherhood, du Sinn Féin et de l’Irish Citizen Army, l’Irlande se soulève avec l’insurrection de Pâques de 1916 à Dublin, qui proclame la République au nom de Dieu et des générations disparues après avoir occupé quelques lieux stratégiques de Dublin (armes clandestines achetées à l’Allemagne…)

Mais l’insurrection n’obtient pas le soutien populaire escompté (qui est alors contre la violence) et se retrouve largement en sous-effectifs face à l’armée anglaise, qui rapatrie 20 000 hommes aguerris du front européen pour riposter sur ce « front ouest ». Résultat :

  • la loi martiale est imposée à Dublin
  • le centre de Dublin est bombardé (450 morts), le centre-ville est en flammes
  • l’insurrection est écrasée en une semaine à peine (parmi les insurgés : le futur président de la République libre d’Irlande, et le futur créateur d’Amnesty International…)
  • les responsables doivent se rendre sans conditions
  • 3500 personnes sont arrêtées
  • et les 15 principaux meneurs de la révolte, James Conolly, Tom Clark et Patrick Pearse en tête, sont passés par les armes : ils passent en cour martiale et sont exécutés. Plusieurs autres exécutions suivront. Michael Collins est le seul des chefs rebelles à avoir pu s’enfuir : il entreprendra de faire des milices une véritable armée clandestine : l’IRA, l’Armée Irlandaise Républicaine.

Encore une fois, les rêves de liberté et d’indépendance se sont envolés. Mais derrière ces martyrs, c’est désormais tout un peuple qui veut l’indépendance. Et les prisonniers, bientôt libérés, deviennent des héros populaires.

Le Sinn Féin en retire donc une popularité accrue (et, si l’insurrection échoue, elle n’en relancera pas moins concrètement le mouvement pour l’indépendance au XXe siècle, car une profonde rupture entre l’opinion irlandaise et le gouvernement de Londres naît de la violence de la répression) : ses rangs gonflent considérablement de militants nationalistes venus de partout et il se dote d’une convention nationale (preuve de sa force et de son organisation). Et lorsque Londres veut imposer la mobilisation générale (conscription) en 1918 pour l’aider sur le sol français (refusé avec véhémence par les Irlandais), un nouveau soulèvement éclate, général celui-là. Syndicats, partis politiques, Eglise catholique, l’union est totale et c’est toute une nation qui est désormais dans la rue.

Le nationalisme s’est donc radicalisé pendant la guerre.

Le Sinn Féin remporte ensuite triomphalement les élections de décembre 1918, constitue un parlement irlandais (le Dáil Éireann), déclare la sécession d’avec le Royaume-Uni et proclame l’indépendance de l’Irlande unilatéralement.

Londres déclare l’assemblée illégale, la dissout et envoie l’armée pour rétablir l’ordre. Loi martiale, contrôles, couvre-feu ; la tête de Michael Collins, chef de l’IRA, est mise à prix.

C’est l’humiliation de trop : c’est la guerre d’indépendance irlandaise, menée par l’IRA.

Moins nombreux, les insurgés irlandais adoptent la stratégie de la guérilla (attaques surprises et assassinats ciblés). A l’étranger, la révolte est saluée, entre autres par les révolutionnaires russes, bien sûr : Lénine clame que la révolte irlandaise le début d’une série de soulèvements contre l’ordre colonial et les puissances européennes. Mais la guerre divise l’île…

Le gouvernement britannique engage à partir de 1920 des mercenaires, les  Black and Tans (Noirs et Fauves), officiellement Royal Irish Constabulary Special Reserve pour aider la Police royale irlandaise et l’armée britannique à lutter contre les indépendantistes. Les terres sont brûlées, des villages pillés, le centre de Cork (2e ville du sud) rasé, son maire assassiné, des populations déplacées, des usines détruites, des grèves de la faim entamées en prison, des suspects républicains sont exécutés, des rebelles pendus, des populations innocentes (rendues à un match de football par exemple) passées sous le feu des mitraillettes, des catholiques chassés de leurs emplois et de leurs maisons dans le Nord-Est …

Finalement, après deux ans de guerre, le 6 décembre 1921, le roi, le premier ministre britannique Lloyd George et le gouvernement britannique cèdent : ils acceptent le retrait des troupes, proposent une trêve et libèrent les prisonniers. Mais en échange, et sous peine de pratiquer la politique de la terre brûlée et de mener une répression massive, les nationalistes irlandais doivent consentir à laisser les six comtés d’Irlande du Nord sous administration britannique, à fournir à la Grande-Bretagne des bases dans certains ports et à faire serment d’allégeance à la couronne.

Des négociations entre Londres et les dirigeants nationalistes irlandais (Arthur Griffith, Éamon de Valera et Michael Collins) aboutissent donc au traité de Londres (traité anglo-irlandais), qui fait de l’Irlande, amputée de six comtés de l’Ulster (Nord – partie la plus riche du pays à l’époque…), un dominion (donc état libre) de 26 comtés (le Sud) au sein de l’Empire britannique, l’Irish Free State, qui se dotera d’une constitution en octobre 1922. Une frontière est établie entre Irlande du Nord (qui reste au sein du Royaume-Uni en tant que nation constitutive, et fait donc sécession par rapport au sud) et Irlande du Sud. C’est la partition de l’Irlande : l’Irlande du Nord quitte le nouvel État libre d’Irlande le lendemain de sa création ; une frontière de 500km coupe l’île en deux ; mais elle sépare les populations, les villes, les paysages, les communautés, les amitiés et contraint des familles à se déplacer pour rejoindre l’une ou l’autre des deux communautés, catholiques au sud (à 95%) et protestants au nord dans l’Ulster.

Hélas ! le Nord reste seulement aux 2/3 protestant, pour 1/3 de catholiques, et ne parvient donc pas à l’unité globale… Ce sera là tout son drame : dans le Nord, les blessures de la partition ne vont cesser de se rouvrir au cours des décennies suivantes.

Ce n’est donc que la mort dans l’âme que le chef de l’IRA, Michael Collins (pour une Irlande non seulement libre et indépendante… mais aussi unie…) a signé le traité, considérant que c’est le prix à payer pour la liberté (tout comme Arthur Griffith, d’ailleurs ; de Valera, lui, furieux et férocement contre la division et la partition de l’Irlande, refuse de se plier et quitte le parlement… : le parti nationaliste se disloque). Son choix coûtera à Collins la vie : il est assassiné quelques mois plus tard…

Car le traité est loin de faire l’unanimité. Rejeté et critiqué même par une large frange des nationalistes (qui veulent l’indépendance de toute l’île), ce traité mène à la Guerre civile d’Irlande qui dure jusqu’en 1923, opposant les adeptes d’une poursuite de la lutte pour obtenir l’indépendance complète de l’île (y compris de l’Irlande du Nord, à reconquérir par les armes s’il le faut), en une seule nation, et les partisans du compromis de 1921 (dont ceux qui estiment que cela constitue le meilleur accord possible compte tenu de la situation).

Nous sommes très loin d’une réconciliation des différentes parties en présence… Car c’est une frontière fissurant une seule et même île qui constitue le prix de la liberté… celle de la partie sud.

Vers l’indépendance totale

Mais l’Irlande (du Sud) n’estime pas encore avoir dit son dernier mot :

  • En 1926, le parti politique Fianna Fáil (opposé au traité, dirigé par de Valera) est créé ; et si, durant ses premières années, le nouvel État irlandais est gouverné par les vainqueurs de la guerre civile, dès 1932, le Fianna Fáil, remporte les élections (il restera au pouvoir jusqu’en 1948).
  • En 1933, de Valera, devenu président du conseil, fait abolir le serment d’allégeance au souverain du Royaume-Uni.
  • En 1937, il fait adopter une nouvelle constitution qui renomme l’État en Éire en gaélique ou en anglais Ireland et en français, Irlande (preface to the Constitution).
  • En 1938, un traité conclu avec le Royaume-Uni et lui laissant ses bases navales en Irlande, entérine cette indépendance.

L’Irlande est encore pauvre, majoritairement rurale, et affaiblie par des siècles de domination britannique, de famines, d’oppression et de conflits. Néanmoins, elle parvient à consolider peu à peu sa toute nouvelle position : elle vise l’autonomie et l’autosuffisance économique, favorise la ruralité, et reste neutre durant la Seconde Guerre Mondiale, interdisant même officiellement au Royaume-Uni l’usage militaire de ses ports et aéroports et affirmant par là sa totale souveraineté sur ses terres et ses mers.

En février 1948, le parti Fine Gael remporte les élections. Le gouvernement de coalition qu’il constitue avec le parti travailliste proclame la République d’Irlande en 1849 ; l’Irlande quitte définitivement le Commonwealth.

Ainsi, si l’indépendance de l’Irlande est proclamée dès 1916, elle n’est ratifiée qu’en 1919, reconnue qu’en 1921 (après la guerre d’indépendance, 1919-1921) et effective qu’en 1922 (avant d’être suivie par la guerre civile, 1922-1923). Le pays, appelé République irlandaise de 1919 à 1922, puis Etat Libre d’Irlande de 1922 à 1937, puis enfin République d’Irlande (ou simplement « Irlande ») en 1937, ne se dote d’une constitution qu’en 1949…

Enfin libre de vivre pleinement en accord avec ses traditions, ses valeurs morales et les règles rigoureuses de l’Eglise catholique, l’Irlande se soumet à l’appui de cette dernière. Son pouvoir politique reste très influencé par la hiérarchie catholique, et c’est avec son concours que l’Etat règlemente désormais la vie sociale, familiale, culturelle, l’éducation…

Pour découvrir sans tarder la suite (et fin) de cette petite histoire de l’Irlande, c’est ici !


Texte (c) Aurélie Depraz
Illustrations libres de droit (Pixabay)

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